Les réseautages politico-diplomatiques de la Francophonie au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU)

DOI : 10.35562/rif.720

Résumés

Dès sa création en 1970, la Francophonie s’est conférée une assise culturelle par la volonté politique de ses fondateurs. Progressivement, elle a pris des contours politique et diplomatique. Sa diplomatie se déploie entre autres dans les instances internationales comme l’Organisation des Nations unies (ONU) et se met essentiellement au service de la culture dont la promotion de la langue française. Cette diplomatie culturelle et d’influence francophone est articulée par les Représentations permanentes et les réseaux des Groupes des ambassadeurs francophones.

Since its creation in 1970, La Francophonie has given itself a cultural foundation through the political will of its Founders. Gradually, it turned into political and diplomatic aspects. Its diplomacy is deployed among other international organizations such as the United Nations (UN). Its first goal is to promote culture including the promotion of the French language. This cultural diplomacy and francophone influence are implemented by its Permanent Representations and its networks of Groups of Francophone Ambassadors.

Index

Mots-clés

Francophonie, diplomatie, politique, culture, Nations unies

Keywords

Francophonie, diplomacy, politics, culture, United Nations

Plan

Texte

L’influence socio-politique de la langue française avait frisé des sommets appréciables au point que cette langue était portée au XVIIIe siècle comme la « langue de culture » (Senghor, 1977, 19) et jusqu’au XIXe siècle comme la « langue de diplomates » (Djian, 2005). Puis l’évolution et le raffinement du français ont montré un recul dans les arts, les lettres et les instances internationales, singulièrement à l’Organisation des Nations unies (ONU) créée au cours de la première moitié du XXe siècle. Dans cette institution supranationale, la diplomatie préventive est menée au service de la paix civile donnant une résonnance à la pensée pacifiste de Gandhi. Ce théoricien et praticien de la non-violence enseignait à ses disciples cette maxime : « Il n’y a pas de raison de ne pas étendre notre service envers notre prochain au-delà des frontières tracées par les États. Dieu n’a jamais dessiné ces frontières. » (Gandhi, 1971, 178).

La création de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a fédéré nombre d’États et a permis à la diplomatie multilatérale francophone d’asseoir la promotion de la langue française face au choc linguistique dominé par l’anglo-saxon. La Francophonie attelle ses « réseaux sociaux »1 (Kouakou, 2011, 27) et la « politique des réseaux » (Sarkozy, 2006, 259) à la diplomatie pour un usage actif de la langue française et la promotion des valeurs francophones de paix, de liberté, de solidarité, etc.

Pour analyser les réseaux de la Francophonie aux Nations unies, il serait pertinent de passer d’abord en revue l’évolution de la Francophonie du champ de la culture à celui simultané de la politique et de la diplomatie (I) et de souligner en dernier ressort l’action concrète de la diplomatie culturelle et d’influence francophone mise en branle par ces réseaux (II).

I. De la Francophonie culturelle versus la Francophonie politique et diplomatique

I.1. La convergence institutionnelle politico-diplomatique

L’OIF, originellement désignée Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) puis Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF), a été institutionnalisée le 20 mars 1970 sous l’impulsion d’hommes politiques francophones de quatre continents : Charles de Gaulle (France), Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Hamani Diori (Niger), Habib Bourguiba (Tunisie), Norodom Sihanouk (Vietnam), etc. On note avec intérêt que de Gaulle est souvent omis, même dans des documents officiels, à l’évocation de l’identité des pères de la Francophonie. Cette constante omission manque d’un devoir de mémoire public au président français mais concentre l’avantage de geler la critique de la fondation néocolonialiste de la Francophonie.

Malgré la genèse politique de la Francophonie immergée dans le contexte politico-idéologique de la guerre froide (Est/Ouest), la vocation institutionnelle était volontairement confinée à une « coopération culturelle et technique ». En effet, aux termes de l’article 1er de la Convention relative à l’ACCT, le but de l’Agence est de promouvoir, diffuser les cultures et d’intensifier la coopération culturelle et technique entre les États membres. Quant à la Charte (article 1er), elle prévoit dans le même esprit la promotion culturelle en énumérant exhaustivement les domaines de coopération multilatérale que sont l’éducation, la culture, les sciences et les techniques.

L’auteur Caron résume bien ce que le corpus fondateur juridique de la Francophonie s’assigne comme buts : « Le développement de la Francophonie est directement lié à la défense de la langue française, puisque celle-ci en est le principe fondateur » (Caron, 1989, 37). Avant l’avènement de la Francophonie institutionnelle, des ONG éparses avaient déjà vu le jour et s’étaient annexées la mission de valoriser strictement la culture française. Nous pouvons citer l’Alliance française créée en 1883 (qui existe toujours) et l’Union internationale des journalistes de la langue française (UIJLF) créée plus tard en 1952.

Progressivement et suivant les conjonctures géopolitiques mondiales, l’OIF a convergé d’une mission exclusivement culturelle à une autre politico-diplomatique. Cette reformation dans le multilatéralisme francophone maintient la promotion de la culture qui relève de l’attribut régalien des États depuis de longue date et même sous le régime monarchique (Monnier, Forey, 2009). Les dénominations successives de l’institution dénotent une identification de nouveaux attributs. La nuance terminologique et orthographique à établir entre « francophonie » et « Francophonie » (avec un f minuscule et un F majuscule) procède d’une volonté assumée de démarcation de rôles respectivement entre l’ensemble des locuteurs de la langue française et le politico-institutionnel.

Par ailleurs, ce glissement de mission du simple au complexe est historiquement repérable. Ce repérage donne l’avantage de saisir l’action politique que la Francophonie revendique de nos jours à l’instar du Commonwealth, à en analyser la charte de cette institution anglo-saxonne.2 En effet, certains font coïncider la politisation de la Francophonie à la fin des années 60. La brèche indexée est timidement ouverte le 24 juillet 1967 au Canada dans le discours du général de Gaulle sur un balcon et qui défendait le « Québec libre » dans son aspiration autonome vis-à-vis de l’environnement anglo-saxon (Kesteloot, 2004, 320).

En revanche, les pas naissants de l’envergure politique francophone n’étaient pas clairement assumés par les dirigeants français au nombre desquels le fondateur de la VRépublique lui-même. Ceux-ci se montraient « sceptiques » à l’idée de formaliser la Francophonie politique en raison probablement des reproches néocolonialistes (Ndao, 2008, 13). Le mouvement de décolonisation venait à peine de franchir la vitesse de croisière que le célèbre panafricaniste et président du Ghana, Kwame Nkrumah, blâmait que « le néo-colonialisme est une sirène, un monstre qui attire ses victimes par une douce musique » (Nkrumah, 1976, 128). Les savants francophones comme Cheick Anta Diop se sont montrés aussi timorés à l’idée de promouvoir la langue française. « Il est plus efficace, argumente-t-il, de développer une langue nationale que de cultiver artificiellement une langue étrangère ; un enseignement qui serait donné dans une langue maternelle permettrait d’éviter des années de retard dans l’acquisition de la connaissance. » (Diop, 1979).

De l’appréciation historique qui précède, la « metanoïa politique » (Kodjo, 2010, 43) de la Francophonie est inspirée de la praxis internationale. Environ deux décennies après le retentissement de la voix politique du père de la Ve République dans le chapitre francophone, le président François Mitterrand inaugurait en 1986 à Versailles les Sommets des chefs d’État des « pays ayant en commun l’usage du français ». Depuis, des déclarations sanctionnent ces grand-messes bisannuelles et déclinent leur position officielle sur les sujets majeurs de politique internationale. Ainsi, la conclusion résultant de ce constat est que la dimension politico-institutionnelle de la communauté francophone a épousé des contours plus assurés et mûris.

Pour conjuguer la pratique organisationnelle à la théorie politique, l’OIF a consenti des réaménagements en son sein en se dotant en 1997 d’un poste prééminent de Secrétaire général chargé de conduire son « action politique », comme le prévoit expressément l’article 7 de sa Charte. Le premier Secrétaire général, l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali, fut un diplomate chevronné et aussi un ancien Secrétaire général des Nations unies. Son trilinguisme a été un des atouts qui a suscité sa candidature africaine par le président gabonais Omar Bongo Odimba (Boutros-Ghali, 1999). L’adoption en l’an 2000 de la Déclaration de Bamako relative à la consolidation démocratique dans l’espace francophone lève un autre coin du voile sur le repositionnement politique de l’OIF.

Unis par la langue française « qui porte loin » selon le mot du poète-président Senghor (Senghor, 1977, 19), les 84 pays de l’OIF représentent une diversité linguistique, de traditions diplomatiques et aussi de traditions culturelles. Au sujet de ce dernier point, par exemple, l’« Occident possède une longue tradition de contestation intellectuelle » (Iniesta, 1995, 11) tandis que les « cultures africaines traditionnelles sont connaturelles, mythiques et communautaires » (Elungu, 1987, 71). Certains pays du groupe francophone comme la France ont une expérience diplomatique séculaire tandis que d’autres, principalement africains, ont acquis la personnalité juridique internationale sous les « soleils des indépendances » au début de la décennie 60 (Kourouma, 1970, 9).

Pendant la bipolarisation, les Nations unies se présentaient comme le principal acteur de la médiation internationale (Devin, 2009, 109). Depuis la « fin de la coupure du monde en deux blocs » (Michaïlof, 2006), de nouveaux médiateurs ont émergé et la communauté internationale privilégie le règlement des conflits à l’échelon régional. Les ressorts et les réseaux diplomatiques francophones se sont ainsi ressoudés. La Francophonie, à l’instar de son pendant anglophone, le Commonwealth, préconise le recours à la médiation comme mode de règlement des différends.

Ce choix prioritaire de neutralisation des conflits a prêté la fierté de verbe à l’ancien Secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, de mettre en lumière son investissement personnel dans la résolution des tensions qui traversent de plein fouet l’espace francophone. « Nous consacrons beaucoup d’efforts, et c’est aussi ma responsabilité en tant que Secrétaire général de l’OIF, à la médiation et à la conciliation auprès de ceux de nos pays membres qui se trouvent bouleversés par des crises ou de conflits. » tranche-t-il (OIF, 2003). Pour conférer du concret à ces propos somme toute réalistes, il est pertinent de rappeler que devant la perspective de la crise de gouvernance démocratique au Burkina Faso consécutive à la « tentative de bricolage constitutionnel » selon les propos d’Alain Juppé, l’ancien président du Sénégal s’est entremis pour convaincre son « ami » Blaise Compaoré de remiser son ambition de maintien au pouvoir après 27 ans (Naré, 2017, 112).

Dans un mouvement centripète des États vers la Francophonie, l’orientation politique de l’Organisation trouve un écho dans le maillage gouvernemental de certains pays membres. Ces derniers optent d’adjoindre à leur ministère des Affaires étrangères la dénomination expresse de la Francophonie. C’est le cas du Gabon avec le ministère des Affaires étrangères, de la Coopération, de la Francophonie et de l'Intégration Régionale. Cette nomenclature politique trouve sa justification sans doute dans les attaches historiques du pays avec la France et la Francophonie. Au Sénégal, il existe le ministère de l’Intégration africaine, du NEPAD et de la Francophonie. D’autres, comme la Côte d’Ivoire, maintenant l’inter-ministérialité mais excluant la combinaison de la diplomatie à la Francophonie, annexent plutôt au ministère de la Culture la politique francophone.

Par-dessus le marché, la tension diplomatique bilatérale entre le Rwanda et la France, pour des divergences politiques sur le génocide de 1994, offrait le siège de l’OIF à Paris à l’initiation de pourparlers entre les deux pays (Bosselet, 2015). L’élection récente d’Emmanuel Macron au sommet étatique semble souffler un renouveau diplomatique entre l’Hexagone et le pays des Mille Collines. La France a en effet suscité et soutenu officiellement la candidature de la ministre des Affaires étrangères rwandaise au poste de Secrétaire général de l’OIF au grand dam de celle de la canado-haïtienne sortante Michaëlle Jean.

La campagne pour l’élection au Secrétariat général a servi d’occasion de rappel de l’allure diplomatique et politique de la Francophonie. La candidate rwando-américaine et ancienne interprète des Nations unies, Louise Mushikiwabo, confiait à l’hebdomadaire francophone Jeune Afrique cette déclaration aux confins du pragmatisme : « L’OIF est l’un des groupes de lobbying entre États où se discutent les enjeux de politique internationale » (Ba, 2018). Isolée par ses anciens soutiens telle la France et aussi par son pays qui s’est rallié finalement au « consensus » autour de la candidature de Mme Mushikiwabo, l’ancienne Gouverneure générale du Canada a appelé à la démarcation institutionnelle en assénant cette tournure mi- voilée : « La Francophonie n’est pas une Alliance française ». (Boisselet, Boisbouvier, 2018).

Tous ces redéploiements diplomatiques de l’OIF sur l’échiquier mondial et particulièrement au sein de l’instance onusienne suscitent la fascination de pays dont l’intérêt pour le français est insoupçonné a priori. Ce sont par exemple le Qatar et le Costa Rica qui sont respectivement membres associé et observateur. Leurs adhésions à l’OIF ont suscité la réserve de certains analystes géopolitiques. Il en a aussi été de certains pays de l’Est comme la Bulgarie, la Moldavie, l’Albanie, la Macédoine, la Pologne, la Lituanie et la Slovénie. Pour favoriser cette ouverture en douceur, l’expression « pays ayant en commun l’usage du français » a été diplomatiquement substituée en 1993 par celle de « pays ayant le français en partage ».

Les motivations de réseautage et de construction de solidarités politique et diplomatique fondent le plus souvent les rapprochements de ces pays non francophones : « En fait, l’adhésion à la Francophonie est un acte de volontarisme politique à double objectif : changer radicalement l’orientation géopolitique tout en cherchant une pluri-polarité, une diversification des réseaux d’appartenance. » (Krastera, 2003, 202). De façon impersonnelle, l’auteur américain à succès sur le réseautage socio-professionnel soulève la remarque que « dans le réseautage, la réciprocité consiste à l’échange de faveurs » (Mackay, 1997, 67).

Cette extension de la Francophonie diplomatique est une marque de sa vitalité et de son esprit d’ouverture. Toutefois, l’interrogation fait surface quant à ce que la Francophonie se détourne de ses objectifs primaires de promotion de la langue française. Il est permis d’espérer que cette multiplication de réseaux relève de la stratégie du roseau c’est-à-dire ployer pour mieux déployer sa résistance.

Dans l’un ou l’autre cas, il convient d’admettre que les États sont membres d’abord d’autres organisations (Union européenne, Union africaine, Ligue arabe, etc.) avant de déposer leurs « valises diplomatiques » à la Francophonie qui se présente à leur opinion comme leur cercle secondaire de polarisation. D’autres, comme le Rwanda et le Cameroun, partagent simultanément leurs adhésions entre la Francophonie et le Commonwealth. Cette appartenance concurrente pourrait contribuer à enfler un effet de dilution de l’influence francophone. La pertinence de la remarque est plus spécifique pour le pays de Paul Kagamé eu égard aux circonstances de sa volte-face médiatique en fin 2009 vers le Commonwealth.

Certaines voix discordantes s’élèvent en Afrique et en Haïti, l’ancienne « Perle des Antilles » (Foix, 2007), pour pourfendre la Francophonie politico-diplomatique qui sentirait, selon leur logique de raisonnement, des relents néocolonialistes. Pour d’autres, elle constituerait l’antichambre des fameux et fumeux réseaux de la « Françafrique ». Bref, en tout état de cause, le « Discours de Dakar » prononcé à l’Université Cheick Anta Diop où le président Nicolas Sarkozy jugeait en substance que « le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. » (Sarkozy, 2007) a servi d’occasion d’une levée de bouclier littéraire de la politique africaine de l’Élysée et par extension à la Francophonie.

Pour une coalition d’intellectuels louvoyant la réhabilitation africaine dans l’ouvrage collectif L’Afrique répond à Sarkozy. Contre le discours de Dakar, la France perpétue la défense de ses intérêts au travers de la Francophonie qui relève selon ses propos pessimistes d’une « honteuse escroquerie planétaire » et d’un « mensonge grossier » (Gassama, 2008, 31-32). Par ailleurs, les feux des critiques fusent sur son prétendu élan politique d’« oblitération culturelle » (Fanon, 2002, 225) des pays africains.

Malgré cette lumière pâle projetée sur la Francophonie, la France consacre sa diplomatie au renforcement de la Francophonie et elle y tire en retour des dividendes politiques pour entretenir son rayonnement politico-culturel sur la scène mondiale.

I.2. La diplomatie française au service de la diplomatie francophone et vice-versa

La France est un membre fondateur et l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Aux termes de la Charte des Nations unies (article 24), cet organe est l’instance faitière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. L’Hexagone s’y érige comme l’unique pays francophone à cultiver ce poids diplomatique dense. En 2016, le président Macron a dévoilé l’ambition de son pays à jouer un rôle « plus actif » à l’ONU.

Cette activation diplomatique française pourrait constituer une aubaine pour les pays francophones même si, à l’affirmation du locataire de l’Élysée à Ouagadougou, la « francophonie n’est pas française » (Macron, 2017). La politique étrangère du Quai d’Orsay trouve aussi à l’OIF un terreau pour fertiliser son influence dans le monde (Bosselet, 2015). L’Afrique, la terre de vivification et d’« avenir de la Francophonie » (Ben Yahmed, 2018), impulse un surplus de dynamisme à la diplomatie française : « L’Afrique a ainsi longtemps donné à la diplomatie et à l’armée française l’espace sans lequel elles auraient été condamnées à l’impuissance » (Hugon, 2007, 54). Sylvie Brunel argumente dans le même sens de la conciliation des intérêts franco-africains : « La diplomatie française s’est toujours appuyée sur l’Afrique francophone pour contrebalancer l’influence croissante de l’anglais dans la communauté internationale. » (Brunel, 1993, 108)

Quelques acquis diplomatiques peuvent être mis à l’actif de la « patrie des droits de l’homme » (Gassama, 2008). Il en est du principe du « devoir d’ingérence » humanitaire conceptualisé en 1987 par des Français comme Bernard Kouchner et porté aux Nations unies par leur pays (Abbé Pierre, Kouchner, 1993, 123). Pour ce médecin et fondateur de « Médecins sans frontières » et « Médecins du monde », les affres insoutenables de la guerre de Biafra dans les années 60 motivent son « obstination humanitaire ».

Par ailleurs, l’hégémonie américaine ourdissant l’invasion en Irak s’est heurtée au veto de la France. En fait, le président George W. Bush prétendait que le dictateur Saddam Hussein détenait des armes de destruction massive dont l’uranium du Niger (le berceau de la Francophonie !) aurait servi à leur fabrication (Gore, 2007, 105). Cette opposition française s’est déplacée du huis clos du Conseil de sécurité pour résonner à la tribune officielle francophone. À la faveur du IXe Sommet de la Francophonie à Beyrouth (Liban) en 2002, les chefs d’État et de gouvernement ont saisi ce cadre formel pour marquer, selon les termes fermes de la déclaration finale, leur « hostilité » à cette guerre. Bien que le thème de ce Sommet fût « Dialogue des cultures », l’ordre du jour a été aménagé pour cette incursion politique et un appel au dialogue de la paix.

Aucun pays, même la superpuissance, ne peut se payer le luxe d’un isolationnisme diplomatique sous cette ère de « mondialisation culturelle »3 (Warnier, 1999). La coopération diplomatique des pays « mondialisés » francophones avec la France, l’un des « mondialisateurs » (Ki-Zerbo, 2003) est d’importance. Selon la recommandation amicale de l’ancien Premier ministre français, Michel Rocard, les pays africains pourraient mutualiser leurs activités diplomatiques dans bien des pays et ne les activer séparément qu’avec Washington, New York, Genève et les anciennes métropoles (la France pour les pays francophones, l’Angleterre pour les anglophones et l’Espagne) (Rocard, 2001, 88). Ce recentrage judicieux donnerait l’avantage de miser sur une diplomatie de développement à la fois verticale et horizontale en offrant la possibilité d’accélérer en même temps le processus d’intégration (Rocard, 2001, 88).

Les pays membres de la Francophonie trouvent entre eux des terrains similaires de perceptions, d’intérêts, de cultures, etc. Bref, une communauté de destin. Comme « l’une des figures de proue de la décolonisation » (Gasquy-Resh, 2001, 100), Frantz Fanon, le laissait entendre : « Parler une langue, c’est assumer un monde, une culture » (Frantz, 1952, 30). En Amérique du Nord, le Canada trouve dans la Francophonie un terrain propice de coopération culturelle multilatérale alors que la France mettrait l’accent sur la coopération bilatérale avec ses anciennes colonies dont le destin les attache au sein de l’organisation francophone. C’est pourquoi, selon l’ancien directeur de l’Agence française de développement (AFD), l’aide française a été concentrée jusqu’à une certaine époque sur ses ex-colonies (Severino, 2010).

La mission diplomatique de l’OIF est l’un des deux battants de la porte cochère qui complète les autres diplomaties au sein des Nations unies. Pour huiler cet engrenage diplomatique, la Francophonie a signé des accords de coopération avec le Système des Nations unies (UNESCO, UNICEF, PNUD, OIT, ONU-Femmes, etc.).4

II. L’action diplomatique francophone aux Nations unies

L’analyse des réseaux d’influence ne pourrait occulter la diplomatie de la Francophonie dans l’une des organisations les plus opérantes du XXIe siècle à savoir l’ONU. La déclinaison des aspects majeurs de cette diplomatie multilatérale nous autorise à l’ausculter.

II.1. Les réseaux des ambassadeurs francophones

L’ONU, créée en 1945 au sortir de la Seconde Guerre mondiale, est l’organisation internationale qui regroupe tous les pays indépendants (193 membres à ce jour). Elle représente la plus universelle des organisations interétatiques. Quant à l’OIF, cette « petite ONU » à la comparaison de certains journalistes (Boisbouvier et al., 2014), elle rassemble 84 pays dont 58 États et gouvernements membres et 26 observateurs, soit plus du tiers des membres des Nations unies. Tous ces membres, à l’exception du Kossovo, sont représentés auprès de l’organisation. Cette représentativité a donné l’occasion au président de la 65e session de l’Assemblée générale de l’ONU de souligner avec enthousiasme en 2010 : « La participation de l’espace francophone aux Nations Unies est essentielle. Que serait l’organisation sans les […] États et gouvernements qui appartiennent à cet espace ? » (Deiss, 2010). La Francophonie apporte en quelque sorte une légitimation à l’action développementaliste des Nations unies.

La langue de Molière y a le privilège de se positionner, avec la langue de Shakespeare, comme les deux langues de travail. Mais au lieu de composer dans la « tour de verre de l’ONU à Manhattan » (Kourouma, 2004, 159) un duo amoureux comme Roméo et Juliette dans le théâtre éponyme de Shakespeare (Shakespeare, 1992), la cohabitation des deux langues se décompose souvent en duel. Ces tiraillements culturels et linguistiques neutralisent hélas le potentiel d’enrichissement réciproque comme l’enseigne un proverbe ashanti « l’eau sans apport extérieur ne fermente pas » (Babakulu, 2003). La diversité et la fermentation culturelles contribuent à la construction de la paix dans le monde.

L’OIF, à l’instar de son concurrent anglo-saxon, le Commonwealth, bénéficie du statut d’observateur permanent auprès des Nations unies. Ce statut non aménagé par la Charte mais consacré par l’usage se concrétise par l’accréditation de Représentations permanentes auprès des Nations unies à New York, à Genève et à Vienne. Celles-ci ont le leadership de la mise en œuvre de la diplomatie de l’OIF sous le parapluie du siège à Paris.

Par ailleurs, les Groupes des ambassadeurs francophones (GAF) auprès des pays et des organisations internationales (dont les Nations unies) consolident l’influence francophone, par exemple, le Groupe des ambassadeurs francophones de Washington. Les GAF à New York et à Genève ont été constitués en 1986 à la suite du premier Sommet de Versailles qui a imprimé un début politique à l’institution de l’avenue Bosquet de Paris. Ils précèdent donc l’ouverture officielle de la Représentation permanente de l’OIF auprès des Nations unies à New York, en 1997. À Paris, il existe aussi le Groupe francophone auprès de l’UNESCO qui est une institution spécialisée des Nations unies en charge de l’éducation, la science et la culture.

Somme toute, selon l’Observatoire de la langue française, il existe 48 groupes d’ambassadeurs francophones dans le monde. La consécration de l’appellation n’est pas homogène et diverge plutôt d’un pays à un autre. Par exemple, au Ghana, le groupe est désigné le Conseil des ambassadeurs francophones. Selon le diagramme sur la répartition des Groupes des ambassadeurs francophones ci-dessous, l’Europe concentre la plus grande part, soit 46 %.

Image 10000201000001F4000001503AC5ABA637E3066C.png

Source : https://www.francophonie.org/Presentation.html

Image 10000201000001F40000014A02D7CB3043872071.png

Source : https://www.francophonie.org/Presentation.html

En même temps qu’ils ne partagent pas une égalité de dynamisme, les GAF sont formels ou informels. En guise de précision terminologique dans cette analyse, la formalité dont il est question en application aux GAF appelle à l’existence ou non de textes officiels les structurant (documents fondateurs, charte ou règlement intérieur). Ainsi suivant ce critère, le GAF de New York et le Groupe francophone auprès de l’UNESCO à Paris ont été formalisés.

Le GAF-New York regroupe 74 ambassadeurs. Il est doté d’un bureau de 11 membres et coordonné par un président. Le 26 janvier 2018, S.E.M Ion Jinga, Représentant permanent de la Roumanie, a été élu par acclamation à la présidence. Il remplace ainsi le diplomate malgache S.E.M Zina Andrianarivelo-Razafy qui avait pris le fauteuil du Marocain Omar Hilale. L’organisation du Groupe comprend des pôles spécialisés dits « réseaux de veille » dont le réseau sur le « multilinguisme », sur les « opérations de maintien de la paix, consolidation de la paix » et sur les « objectifs de développement durable ». Le GAF a tenu le 7 mars 2018 une rencontre extraordinaire avec le Secrétaire général de l’ONU pour évoquer les enjeux des reformes onusiennes dont la considération effective du multilinguisme.

Ce corps diplomatique francophone travaille sous la coordination de la Représentation permanente de l’OIF pour assurer une diplomatie d’influence. À New York et suivant une périodicité définie, les réunions se tiennent dans les bureaux de la RPNY situé à la Second Avenue à Manhattan.

La curiosité intellectuelle peut pousser à nous interroger sur la présence de conflits d’intérêts dans les rangs des ambassadeurs et soulevés par leur appartenance à la Francophonie et la prévalence d’un sentiment nationaliste. Il est admis que tout ambassadeur représente d’abord son pays et sa longévité à la mission est souvent tributaire de son dynamisme à la défense des intérêts nationaux. À l’occasion symbolique de la Journée internationale de la Francophonie, le 20 mars 2015, la Francophonie en partenariat avec l’association « Éducation en Français à New York » (EFNY) a lancé officiellement aux Nations unies l’initiative « Révolution bilingue » dans le but de promouvoir le français dans l’enseignement public américain. La RPNY a sensibilisé les ambassadeurs et consuls francophones à parrainer des écoles dont la forme peut être un appui en manuels et autres outils didactiques. L’enthousiasme de certains ambassadeurs à ce projet éducatif était mitigé. Dans les coulisses, un diplomate africain a glissé les motifs de sa réticence : « Ce sont les États-Unis plus nantis qui devraient parrainer nos écoles en Afrique et non nos pays pauvres. » Ces sentiments défavorables n’ont pas adouci l’élan de la Tunisie, par son Premier ministre, à concrétiser son parrainage à la New York French American Charter School (NYFACS).

En 2015, la Francophonie a participé aux Nations unies, de la préparation à l’adoption, aux processus de négociations internationales dont le programme des objectifs de développement durable et l’Accord de Paris sur le climat. La Francophonie y est intervenue, sous l’expertise de l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD), pour « défendre une vision francophone du développement durable » (Secrétaire générale de l’OIF, 2016). L’IFDD qui est basé au Canada, a détaché un pool permanent d’experts à New York. Ils se sont illustrés dans l’organisation régulière, à l’endroit des diplomates, des cadres de concertation informels dits « Café francophone ». Ces experts ont également traduit de l’anglais au français et diffusé de nombreuses publications des Nations unies. Pour encadrer une vision collégiale à l’occasion de l’adoption des ODD, la Francophonie a coanimé à New York une concertation des Ministres des Affaires étrangères.

La Francophonie et ses réseaux parallèles constituent une réserve importante de promotion des candidatures des ressources humaines francophones au sein du Système des Nations unies et des opérations de maintien de paix. En effet, certains candidats à des postes électifs font une opération de charme à la Francophonie (audiences avec le Représentant permanent de l’OIF ou le siège à Paris) et aux ambassadeurs qui sont la voix de leurs États respectifs et les « patrons de l’ONU » selon la formule de M. Boutros-Ghali. Par exemple, le GAF-New York a accueilli au cours de sa séance plénière, en avril 2016, M. Andreas Mavroyiannis, candidat chypriote au poste de président de la 71e session de l’assemblée générale des Nations unies. Ce diplomate qui parle couramment le français ne sera malheureusement pas élu.

Pour remonter plus loin, le succès de l’élection de Boutros Boutros-Ghali au Secrétariat général des Nations unies en 1992 se loge dans le soutien des « Africains et des Français » (Vaïsse, 2000), donc à la Francophonie. Ce premier Secrétariat général africain ne sera pas reconduit pour un second mandat en raison du veto américain5 au motif que ce copte égyptien « appartient au monde arabe et est pro-palestinien qui ne s’en est jamais caché », selon les justifications le 4 février 2003 de l’intéressé au journaliste Richard Boutry de la télévision KTO. La Francophonie a ménagé à M. Boutros-Ghali une porte de sortie honorable en le bombardant à sa tête en qualité de premier Secrétaire général. Sa carrière onusienne a pu avoir un effet bénéfique pour sa mission à la tête de la Francophonie.

À côté de ces cercles diplomatiques, il existe à New York des associations francophones avec lesquelles l’OIF réseaute pour perpétuer une diplomatie triomphante. Il s’agit par exemple de l’Association des Français fonctionnaires internationaux (AFFIN) et de l’Action culturelle francophone des Nations unies (ACF). L’AFFIN est dirigée par Sibylle Eschapasse et l’ACF est pilotée par Clément Mbom et Françoise Cestac. Ces réseaux associatifs dont les membres sont entre autres des diplomates et les GAF entretiennent des passerelles actives de collaboration.

II.2. La diplomatie culturelle francophone

L’action de la Francophonie s’est diversifiée pour prendre en considération les défis mondiaux contemporains et se soustraire à la désuétude institutionnelle. Elle télescope des secteurs clefs de développement comme la recherche de la paix, la lutte contre les changements climatiques, la promotion du genre, etc. La Secrétaire générale de l’Organisation, Michaëlle Jean, louait le pragmatisme francophone par le concept cher de « Francophonie des solutions ». À l’occasion du Sommet de Dakar (Sénégal) en 2014 qui a entériné l’élection de Mme Jean, la Francophonie a pris un tournant économique par l’adoption d’une stratégie économique. Quatre ans après, le bilan révèle que cette planification lumineuse reste en pratique au stade de balbutiement. En conséquence, l’intégration économique de la Francophonie l’est aussi au contraire de celle du Commonwealth qui est « fondé essentiellement sur les échanges économiques » (Guillou, 2004, 72).

Cette pluralité d’actions stimule la coopération multilatérale tout en ménageant une place de choix à la culture et à la diplomatie qui demeurent les champs d’intervention par excellence de la Francophonie. L’émergence du concept de « francophonie » en 1880 par le géographe français Onésime Reclus coïncide historiquement avec l’invention de la diplomatie culturelle par la IIIe République (Gazeau-Secret, 2010, 39). L’OIF à travers ses réseaux actionnent une diplomatie culturelle multilatérale pour la promotion de l’usage du français qui fut autrefois, comme mentionné au début de l’analyse, la « langue de diplomates » et à la langue où « loge l’âme d’un peuple » est annexée sa culture (Konaté, 2010, 206).

Pour mémoire, l’ONU dispose de six langues officielles qui sont le français, l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol et le russe. Le français et l’anglais sont les deux seules langues de travail. Ce régime linguistique théorique favorable à la langue française pourrait susciter un enthousiasme francophile et y dissimuler en revanche la relative position marginale de son usage. Les statistiques officielles donnent la mesure de nos propos et appellent au déploiement d’efforts inflexibles. En effet, selon les sources onusiennes elles-mêmes, les réunions sans interprétation sont passées de 58 % en 1994 à 77 % en 2003 (Wolff, 2008). En l’intervalle de deux décennies, l’écart s’est creusé de 19 %. D’autres statistiques plus récentes confortent malheureusement cette tendance baissière de l’usage. « 80 à 90 % des documents de référence sont en effet rédigés en anglais » (Phan, Guillou, 2011). Au FMI, l’une des institutions spécialisées des Nations unies, le français est exclu comme langue de travail au profit unique de l’anglais. Ce rapport de l’ONU au français est un panneau indicateur du degré d’influence de la diplomatie francophone.

Coincés dans cette organisation à vocation universaliste où le monolinguisme anglais dispute la primauté au multilinguisme, certains diplomates francophones préfèrent se résoudre à l’usage tout azimut de l’anglais. Ce snobisme de gentlemen entraîne une érosion de l’intérieur de la pratique du français. C’est pourquoi le Groupe des ambassadeurs francophones encourage ses membres à faire usage du français autant que la conjoncture est favorable. Le GAF a adopté le 20 juin 2006 un plan de dix objectifs visant à promouvoir la langue française à l’ONU. Ces objectifs concernent la mise en œuvre des résolutions qui fixent le positionnement des deux langues de travail des Nations unies, l’incitation à la rédaction française (notes verbales, discours, communiqués, correspondances diplomatiques) et l'aménagement de nouveaux partenariats entre francophones de l'ONU et les délégations francophones (Assemblée nationale, 2006).

Par ailleurs, le 20 mars de chaque année est commémorée la Journée internationale de la langue française. Cette célébration coïncide avec la Journée internationale du Bonheur. Initiée en 2013, cette Journée semble disposer d’une attention onusienne plus soutenue. L’OIF assure un recadrement en marquant le « Mois de la Francophonie » par des activités (conférences, expositions, concerts, etc.) couvrant le mois de mars. Le clou des festivités est la soirée culturelle qui a rassemblé en 2015, plus de 525 invités dont la plupart des fonctionnaires internationaux et des diplomates (RPNY, 2015).

Comment expliquer cette relative marginalité du français face à l’anglais (ou précisément à l’américain) aux Nations unies ? Cette interrogation ne s’évacue pas aussitôt par une réponse ramassée. Les spéculations sont donc de l’ordre du permis. Les Nations unies se concentrent entre les mains puissantes des États-Unis qui concèdent le droit de siège et sont les plus importants contributeurs financiers (Kyelem, 2002). Cette suprématie foncière et financière bouleverse les équilibres diplomatiques en présence.

La mise de la politique au service de la défense de la langue française est de raison parce que les causes de la mort des langues peuvent être « politique[s] et culturel[les] » (Kody, 2004, 53). Le linguiste français Claude Hagège, dans son cri du cœur intitulé Halte à la mort des langues, suggère dans le même souffle l’extinction des langues par les motifs politiques en mettant à l’index spécialement l’« impérialisme de l’anglais » (Hagège, 2002, 134).

Les réseaux diplomatiques francophones qui sont aussi des réseaux culturels coopèrent avec les aires linguistiques lusophone, russophone et hispanique pour la défense du multilinguisme. La « Maison en verre » offre à la fois l’occasion et le cadre de dialogue avec les autres diplomaties. Cette posture de la Francophonie, en même temps qu’elle consolide la puissance d’action institutionnelle, révèle un « humanisme universel » qui se détache d’une réduction pure et parfaite à la défense de la langue française dans une sorte de « francocentrisme ». En témoigne la résolution sur le multilinguisme à l’ONU, adoptée le 11 septembre 2015 par l’Assemblée générale, qui a été pilotée par la Représentation permanente du Sénégal6 auprès des Nations unies. Cette Mission a coordonné la position des pays membres de la Francophone et celle des autres aires linguistiques représentées à l’ONU.

Les actions des GAF ont parfois porté des fruits bénéfiques à l’idéal francophone. L’Ambassadeur Henri Monceau, représentant de l’OIF auprès des organisations internationales à Genève fait cette remarque incisive (Stroot, 2018) : « Le groupe des Ambassadeurs francophones a réussi à faire obstacle à cette volonté de réduire la documentation à une seule langue. Une analyse juridique a permis de démontrer que cette décision n’était pas fondée et qu’elle faisait courir des risques au plurilinguisme et à la démocratie au sein du système des Nations unies ». L’autre succès diplomatique de l’OIF, qui remonte à plus d’une décennie, se condense dans l’adoption de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO. Ce cadre juridique multilatéral a été institué au grand dam des États-Unis et de leur traditionnel allié Israël qui ont voté tous deux contre.

Dans le dessein d’insuffler cette coopération juridique et rallier les États africains à la cause, l’envoyé spécial de l’AIF (devenue maintenant OIF) sur la diversité culturelle a effectué une mission diplomatique de sensibilisation. Pour une nouvelle occasion, la diplomatie a assuré un effet consolidant. C’est à la suite de l’adoption de cette Convention que le Groupe francophone de l’UNESCO a émergé en 2006 afin de veiller à son application effective. La Convention est entrée en vigueur le 18 mars 2007 en visant à « renforcer la coopération et la solidarité internationale afin de favoriser les expressions culturelles de tous les pays ».

Conclusion

En définitive, force est d’admettre que la Francophonie a amorcé un virage politique et diplomatique ces dernières décennies. Cette mue a été salutaire pour empêcher l’organisation de se présenter comme une « organisation mammouth » fossilisée parmi les « organisations caniches ». Si l’institution entend fortifier son rayonnement géopolitique, elle doit opérer un autre changement décisif dans une perspective économique. Le développement est le socle de la paix et le cimetière de l’extrémisme violent. La marchandisation de la culture faisant émerger une « économie de la culture » (Benhamou, 1996) et la langue française pourraient constituer un tremplin.

Différentes projections statistiques convergent pour un meilleur avenir de la langue française dans le monde. En 2060, il y aurait un milliard de locuteurs francophones contre 274 millions de locuteurs actuels (Wolff, 2014). L’OIF, du fait de l’atout de cette démographie francophonisante, jouerait un rôle plus marquant sur la scène diplomatique et politique. Est-ce pour autant que l’espoir doit aboutir au repositionnement de la langue française comme la « langue de la diplomatie » ?

1 L’expression est utilisée dans le contexte et le sens que lui confère l’auteur quand il écrit : « Les réseaux sociaux ont existé bien avant l’

2 Le §I de la Charte traite de la démocratie ; le §IV est consacré à la séparation des pouvoirs et le §VII à la bonne gouvernance, etc.

3 Nous nous résolvons d’utiliser cette expression même si l’auteur se montre réticent face à la réalité que l’expression prétend décrire. Pour J.-P. 

4 Pour une étude détaillée, tous les accords de coopération de l’OIF avec les organisations des Nations unies sont disponibles sur le site Web.

5 Les États-Unis se sont abstenus lors de sa première élection.

6 Ce pays assurait la présidence du Sommet de la Francophonie de 2014.

Bibliographie

Ouvrages

Abbé Pierre, Kouchner B. (1993), Dieu et les hommes, Paris, Robert Laffont.

Benhamou F. (1996), L’économie de la culture, Paris, La Découverte, coll. « Repères ».

Boutros-Ghali B. (1999), Mes années à la maison de verre, Paris, Fayard.

Brunel S. (1993), Le gaspillage de l’aide publique, Paris, Le Seuil.

Cabakulu M. (2003), Le grand livre des proverbes africains, Paris, Presses du Châtelet.

Caron R. (1989), L’État et la culture, Paris, Economica.

Devin G. (dir.) (2009), Faire la paix. La part des institutions internationales, Paris, Presses de Sciences Po.

Diop C. A. (1979), Nations nègres et culture. De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique Noire d’aujourd’hui, Paris, Présence Africaine.

Djian J.-M. (2005), Léopold Sédar Senghor : Genèse imaginaire francophone, Paris, Gallimard.

Elungu (1987), Tradition africaine et rationalité moderne, Paris, L’Harmattan.

Fanon F. (1952), Peau noire, masques blancs, Paris, Le Seuil.

Fanon F. (2002), Les damnés de la terre, Paris, La Découverte.

Foix A. (2007), Toussaint Louverture, Paris, Gallimard.

Gandhi (1971), Lettres à l’âshram, Paris, Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes ».

Gasquy-Resh Y. (2001), Écrivains francophones du XXe siècle, Paris, Ellipses-Marketing, coll. « Université francophones ».

Gassama M. (2008), L'Afrique répond à Sarkozy. Contre le discours de Dakar, Paris, Philippe Rey.

Gore A. (2007), The Assault on reason, New York, Penguin Press.

Guillou M. (2004), Les entretiens de la Francophonie 2001-2003. Pistes pour aller de l’avant, Paris, Alpharès.

Hagège C. (2002), Halte à la mort des langues, Paris, Odile Jacob.

Iniesta Ferran (1995), L’univers africain. Approche historique des cultures noires, Paris, L’Harmattan.

Kesteloot L. (2004), Histoire de la littérature négro-africaine, Paris, Karthala.

Ki-Zerbo J. (2003), À quand l’Afrique ? Paris, L’Aube.

Kodjo E. (2010), Lettre ouverte à l’Afrique cinquantenaire, Paris, Gallimard.

Konaté M. (2010), L’Afrique noire est-elle maudite ?, Paris, Fayard.

Kourouma A. (1970), Les soleils des indépendances, Paris, Le Seuil.

Kyelem A. (2002), L’éventuel et le possible, Ouagadougou, PUO.

Mackay H. (1997), Dig your well before you’re thirsty, New York, Currency Doubleday

Michaïlof S. (2006), À quoi sert d’aider le Sud ? Paris, Economica

Monnier S., Forey E. (2009), Droit à la culture, Paris, Gualino, coll. « Master Pro ».

Naré Y. (2017), Le long chemin de l’alternance démocratique au Burkina Faso, Ouagadougou, L’Harmattan Burkina.

Ndao P. A. (2008), La francophonie des Pères fondateurs, Paris, Karthala.

Nkrumah N. (1976), Le consciencisme, Paris, Présence Africaine, coll. « Le panafricanisme ».

Phan T., Guillou M. (2011), Francophonie et mondialisation. Histoire et institutions des origines à nos jours, Paris, Belin.

Rey A. (1992), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert.

Rocard M. (2001), Pour une autre Afrique, Paris, Flammarion.

Sarkozy N. (2006), Témoignage, Paris, XO Éditions.

Senghor L.S. (1977), Liberté III : Négritude et civilisation de l’Universel, Paris, Le Seuil.

Severino J.-M., Debrat J.-M. (2010), L’aide au développement, Paris, Le Cavalier bleu, coll. « Idées reçues ».

Shakespeare W. (1992), Romeo and Juliet, New York, Washington Square Press.

Tétu M. (1997), Qu’est-ce que la Francophonie ? Paris, Hachette-Edicef.

Vaïsse M. (2000), Dictionnaire des relations internationales au 20e siècle, Paris, Armand Colin.

Warnier J.-P (1999), La mondialisation de la culture, Paris, La Découverte, Collection « Repères ».

Wolff A. (2014), La Langue française dans le monde 2014, Paris, Nathan.

Communications dans des colloques

Kody Z. D. (2004), « Pour une viabilité des petites langues », dans Penser la Francophonie. Concepts, actions et outils linguistiques, Actes des premières journées scientifiques communes des réseaux de chercheurs concernant la langue, Paris, Archives Contemporaines.

OIF, Coopération, Diversité et paix, Actes du IIe colloque international des Trois espaces linguistiques, Mexico, 2-4 avril 2003.

Articles et chapitres de livres

Anne Gazeau-Secret, « Francophonie et diplomatie d’influence », Géoéconomie, 2010, vol. 4, n° 55, p. 39-56.

Hugon P. (2007), « La politique économique de la France en Afrique. La fin des rentes coloniales ? », Politique africaine, n° 105, France-Afrique. Sortir du pacte colonial, Paris, Karthala, mars 2007.

Kouakou H. (2011), « L’usage des réseaux sociaux sur Internet », Débats, Courrier d’Afrique de l’Ouest, n° 88, septembre-octobre 2011, p. 27-30.

Wolff A. (2008), « Le français dans les organisations internationales », dans Maurais J. (dir.), L’avenir du français, Paris, Archives contemporaines.

Articles de presse

Ba M. (2018), « Rwanda : la longue marche de Louise Mushikiwabo », Jeuneafrique.com, 31/05/2018, disponible sur http://www.jeuneafrique.com/mag/562727/politique/rwanda-la-longue-longue-marche-de-louise-mushikiwabo/, consulté le 02/11/2018.

Ben Yahmed (2018), « Pourquoi la Francophonie a besoin de l’Afrique », Jeuneafrique.com, 07/10/2018, disponible sur : https://www.jeuneafrique.com/mag/640332/politique/pourquoi-la-francophonie-a-besoin-de-lafrique/, consulté le 02/11/2018.

Boisbouvier C. et al. (2014), « Francophonie : comment l’Afrique a perdu l’OIF », Jeuneafrique.com, 15/12/2014, disponible sur http://www.jeuneafrique.com/38062/politique/francophonie-comment-l-afrique-a-perdu-l-oif/, consulté le 02/11/2018.

Bosselet P. (2015), « Clément Duhaime : “Le Qatar n’a pas tenu ses promesses” à l’OIF », Jeunafrique.com, 22/04/2015, disponible sur http://www.jeuneafrique.com/229809/politique/cl-ment-duhaime-le-qatar-n-a-pas-tenu-ses-promesses-l-oif/, consulté le 02/11/2018.

Pages Web

Assemblée nationale (2007), Rapport d’information sur la situation de la langue française dans le monde, 13/02/2007, disponible sur : http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i3693.asp, consulté le 03/06/2018.

Organisation des Nations unies (2010), « Discours du Président de la 65e session de l’Assemblée générale. Rencontre avec le groupe des Ambassadeurs francophones », 12/10/2010, disponible sur : http://www.un.org/fr/ga/president/65/statements/francophonie121010.shtml.

Présidence de la République française (2018), Discours du Président de la République, Emmanuel Macron, à l’université Ouaga I, professeur Joseph Ki-Zerbo à Ouagadougou, 29/10/2018, disponible sur : http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-a-l-universite-ouaga-i-professeur-joseph-ki-zerbo-a-ouagadougou/, consulté le 02/11/2018.

Sarkozy N. (2007), « Le Discours de Dakar de Nicolas Sarkozy », Le Monde, 09/09/2007, disponible sur https://www.lemonde.fr/afrique/article/2007/11/09/le-discours-de-dakar_976786_3212.html, consulté le 02/11/2018.

Stroot M. (2018), « Le français a-t-il un avenir ? Interview avec l’Ambassadeur Henri Monceau, représentant de l’OIF auprès des organisations internationales à Genève », 06/07/2018, disponible sur https://www.presse-francophone.org/generalites/article/le-francais-a-t-il-un-avenir-a-l-onu?utm_medium=Email&utm_campaign=Infolettre-2018-07-9&utm_source=Sparkpost, consulté le 02/11/2018.

Textes, rapports et archives vidéo

Accord de coopération entre l’organisation des Nations unies et l’ACCT (25 juin 1997)

Charte de l’Agence de coopération culturelle et technique (20 mars 1970)

Charte de la Francophonie (23 novembre 2005)

Charte des Nations unies (26 juin 1945)

Charte du Commonwealth (2013)

Convention relative à l’Agence de coopération culturelle et technique (20 mars 1970)

Déclaration de Bamako (3 novembre 2000)

Déclaration de Beyrouth (20 octobre 2002)

KTO Magazine, diffusé le 4 février 2003, Entretien avec Boutros-Boutros Ghali, 50 mn

Observatoire de la langue française, Les Groupes d’ambassadeurs francophones

OIF, Actes de journée de réflexion sur le rôle des groupes des ambassadeurs francophones dans les organisations internationales, 6 juillet 2011

RPNY (2015), Mois de la Francophonie à New York et aux Nations unies, New York.

Secrétaire générale de la Francophonie (2016), La Francophonie des solutions, Paris.

Stratégie économique pour la Francophonie (30 novembre 2014).

Notes

1 L’expression est utilisée dans le contexte et le sens que lui confère l’auteur quand il écrit : « Les réseaux sociaux ont existé bien avant l’avènement de l’Internet. Que ce soit dans la vie personnelle ou professionnelle, l’homme a toujours construit son propre réseau en fonction de ses centres d’intérêt. » Il ne s’agit donc pas spécifiquement des médias sociaux en l’occurrence.

2 Le §I de la Charte traite de la démocratie ; le §IV est consacré à la séparation des pouvoirs et le §VII à la bonne gouvernance, etc.

3 Nous nous résolvons d’utiliser cette expression même si l’auteur se montre réticent face à la réalité que l’expression prétend décrire. Pour J.-P. Warnier, cette mondialisation est à sens unique par les États puissants.

4 Pour une étude détaillée, tous les accords de coopération de l’OIF avec les organisations des Nations unies sont disponibles sur le site Web.

5 Les États-Unis se sont abstenus lors de sa première élection.

6 Ce pays assurait la présidence du Sommet de la Francophonie de 2014.

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Yannick Naré, « Les réseautages politico-diplomatiques de la Francophonie au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU) », Revue internationale des francophonies [En ligne], 4 | 2018, mis en ligne le 03 décembre 2018, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=720

Auteur

Yannick Naré

Yannick Naré est diplômé en Master professionnel II en Développement avec une spécialisation en Communication et Média, de l’Université internationale Senghor d’Alexandrie (Egypte). Il fut assistant chargé de la Communication et de l’Action culturelle (Volontariat international de la Francophonie) à la Représentation permanente de l’OIF auprès des Nations unies à New York (RPNY) de novembre 2014 à novembre 2015.

Droits d'auteur

CC BY