Précisions sur le calcul de l’indemnité réparant le préjudice économique de l’ayant droit d’une victime de l’amiante

Civ. 2e, 16 juillet 2020, n° 19-17.069

DOI : 10.35562/ajdc.1455

Index

Mots-clés

décès, préjudice économique, revalorisation, rente réactualisée

Rubriques

Victime indirecte : préjudices en cas de décès de la victime principale

Plan

Énoncé de la difficulté juridique

Les ayants droit d’une victime de l’amiante peuvent demander au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) l’indemnisation des préjudices personnels qu’ils subissent du fait du décès de la victime des suites de sa maladie liée à l’amiante. À cet égard, ils peuvent obtenir l’indemnisation de leur préjudice économique subi, c’est-à-dire la perte de revenus du ménage. Si les sommes allouées au titre du préjudice économique par ricochet sont calculées conformément au droit commun, il existe néanmoins une particularité quant à la détermination du revenu de référence. Celui-ci est calculé en effectuant une moyenne des revenus perçus par le foyer les trois années précédant l’apparition de la maladie liée à l’amiante, à laquelle il faut ajouter la rente d’incapacité fonctionnelle versée à la victime de l’amiante par le FIVA.

En effet, le préjudice économique de l’ayant droit doit être calculé en comparant les revenus du ménage avant le décès et, après déduction de la part d’autoconsommation du défunt, à ceux qu’il perçoit après le décès de façon à compenser sa perte de revenus (Civ. 2e, 7 févr. 2019, n° 18-13.354 ; la solution est constante et s’applique hors du contentieux de l’indemnisation des victimes de l’amiante : Civ. 2e, 7 avr. 2011, n° 10-12.948 ; Civ. 2e, 3 oct. 2013, n° 12-23.377 ; Civ. 2e, 5 mars 2015, n° 14-14.198 ; Civ. 2e, 24 mai 2018, n° 17-19.740). Or, si la victime de l’amiante avait vécu, elle aurait perçu du FIVA une rente d’incapacité fonctionnelle. Son décès a donc privé le ménage de cette ressource, ce qui justifie qu’elle soit ajoutée au revenu de référence. Une difficulté se posait néanmoins aux juges du fond : quelle valeur de la rente d’incapacité fonctionnelle devaient-ils prendre en compte pour évaluer le préjudice économique de l’ayant droit ? En pratique, ces derniers allouent à l’ayant droit une somme indemnisant le préjudice économique par ricochet pour une période antérieure à la date à laquelle ils statuent, la victime de l’amiante étant de surcroît déjà décédée depuis plusieurs années. Pour le FIVA, il fallait donc intégrer la valeur de la rente d’incapacité fonctionnelle par année d’indemnisation, tandis que pour les victimes par ricochet, il fallait retenir une valeur de rente la plus proche possible de la date du délibéré de la juridiction. En l’espèce, le FIVA reprochait à la juridiction du fond d’avoir actualisé, en valeur 2018, la rente d’incapacité fonctionnelle prise en compte dans les revenus du foyer pour calculer, année par année, le préjudice économique par ricochet de l’ayant droit sur la période de 2004 à 2013. Ce faisant, la cour d’appel avait-elle surévalué le préjudice économique de l’ayant droit ?

Règles gouvernant l’évaluation du préjudice économique de l’ayant droit

La perte de revenus subis par l’ayant droit d’une victime du fait du décès de celle-ci doit être évaluée au jour de la décision qui le fixe en tenant compte de tous les éléments connus à cette date (Civ. 2e, 24 juin 1998, n° 96-18.534 jugeant que « si le droit pour la victime d’obtenir réparation du préjudice subi existe dès que le dommage a été causé, l’évaluation du dommage doit être faite par le juge au moment où il rend sa décision » – Cass. crim., 18 oct. 2005, n° 04-85.773Civ. 2e, 13 sept. 2012, n° 11-22.051 rappelant que « le préjudice économique subi par l’ayant droit d’une victime du fait du décès de celle-ci doit être évalué au jour de la décision qui le fixe en tenant compte de tous les éléments connus à cette date » – Civ. 2e, 20 nov. 2014, n° 13-25.564Cv. 2e, 5 mars 2015, n° 14-14.198Civ. 2e, 19 mai 2016, n° 15-23.160Civ. 2e, 4 oct. 2018, n° 17-23.226). Concernant l’actualisation des éléments pris en compte pour calculer le préjudice économique de l’ayant droit, la Cour de cassation a également jugé à plusieurs reprises que les juges du fond devaient tenir compte des revenus auquel la victime aurait eu droit au jour de leur décision, d’autant plus que le préjudice doit être évalué à la date où ils statuent (Civ. 2e, 7 nov. 1990, n° 89-14.082Cass. crim., 30 janv. 1992, n° 91-83.229Civ. 2e, 12 déc. 1994, n° 94-06.003Civ. 2e, 11 oct. 2001, n° 99-16.760Civ. 2e, 13 nov. 2003, n° 02-16.733). Enfin, en 2010, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a consacré le principe de la réactualisation de la perte de revenus – si elle est demandée – au jour de la décision judiciaire afin de tenir compte de l’érosion monétaire (Civ. 2e, 12 mai 2010, n° 09-14.569 ; V. ensuite : Cass. crim., 8 mars 2011, n° 10-81.741). Autrement dit, le préjudice économique de l’ayant droit doit être réévalué en fonction de l’inflation.

Application au cas d’espèce

Le 16 juillet 2020, la Cour de cassation a jugé (Civ. 2e, 16 juill. 2020, n° 19-17.069) :

D’une part, que « Le préjudice économique subi par l’ayant droit d’une victime du fait du décès de celle-ci doit être évalué au jour de la décision qui le fixe en tenant compte de tous les éléments connus à cette date et les juges du fond doivent procéder, si elle est demandée, à l’actualisation, au jour de leur décision, de l’indemnité allouée en réparation de ce préjudice en fonction de la dépréciation monétaire. »

D’autre part, que « c’est sans méconnaître le principe de la réparation intégrale du préjudice économique subi par le conjoint survivant que la cour d’appel a retenu, sur toute la période prise en compte, pour compenser les effets de l’érosion monétaire et sans surévaluer les revenus théoriques du foyer de ce fait, la somme de 19 205 euros par an correspondant à la valeur de la rente […] en 2018, montant actualisé au jour où elle statuait. »

Par conséquent, la cour d’appel, en intégrant dans ses calculs la rente d’incapacité fonctionnelle servie par le FIVA, telle qu’actualisée en 2018, n’a pas surévalué le préjudice de la victime par ricochet. En procédant de la sorte, elle a au contraire compensé les effets de l’érosion monétaire, conformément au principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime par ricochet. Concrètement, la méthode retenue par le FIVA aboutit à une revalorisation partielle de la rente d’incapacité fonctionnelle puisqu’elle n’est faite que d’une année sur l’autre alors que c’est au jour de la décision judiciaire allouant l’indemnité qu’il faut se placer pour procéder à l’évaluation du préjudice. Seule la prise en compte, pour l’ensemble de la période indemnisée, de la rente revalorisée à la date de la décision judiciaire assure la pleine actualisation des sommes réparant le préjudice. Cet arrêt de la Cour de cassation valide ainsi la position constante de la cour d’appel de Douai sur cette difficulté juridique (CA Douai, 31 janv. 2019, RG n° 18/02951, inédit – CA Douai, 26 sept. 2019, RG n° 18/05374, inédit – CA Douai, 26 sept. 2019, RG n° 18/02466, inédit – CA Douai, 10 oct. 2019, RG 18/05079, inédit – CA Douai, 10 oct. 2019, RG n° 18/05079, inédit – CA Douai, 30 janv. 2020, RG n° 18/06444, inédit – CA Douai, 30 janv. 2020, RG n° 19/00630, inédit). Le 26 novembre 2020 (CA Douai, 26 nov. 2020, n° 19/05174, inédit), la cour d’appel de Douai a par ailleurs tiré les conséquences de cette décision de la Cour de cassation puisqu’elle a affirmé :

En premier lieu que « le préjudice économique subi par l’ayant droit d’une victime du fait du décès de celle-ci doit être évalué au jour de la décision qui le fixe en tenant compte de tous les éléments connus à cette date et les juges du fond doivent procéder, si elle est demandée, à l’actualisation, au jour de leur décision, de l’indemnité allouée en réparation de ce préjudice en fonction de la dépréciation monétaire, étant au surplus remarqué que la rente servie par le FIVA est ajoutée aux autres revenus, lesquels ont fait l’objet d’une réactualisation. »

En second lieu, qu’il ne résultait pas de la prise en compte de la rente d’incapacité fonctionnelle servie par le FIVA, réactualisée au jour où elle statue, une surévaluation des revenus théoriques du foyer de la famille du défunt.

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Citer cet article

Référence électronique

Geoffroy Hilger, « Précisions sur le calcul de l’indemnité réparant le préjudice économique de l’ayant droit d’une victime de l’amiante », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 21 | 2020, mis en ligne le 01 juillet 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1455

Auteur

Geoffroy Hilger

Université de Lille, Centre de recherche droit et perspectives du droit, CRDP, EA 4487, F-59024, Lille, France

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