Un concert de métadonnées

DOI : 10.35562/arabesques.1264

p. 14-16

Plan

Notes de l’auteur

Transparency, premier tiers de confiance spécialisé dans la gestion numérique des droits de propriété littéraire et artistique, certifie l’utilisation exacte des œuvres et enregistrements sur le Net (nature de l’utilisation, durée territoire, etc.) et renvoie aux ayants droit (société de gestion collective, producteur, éditeur, distributeur) toutes les informations nécessaires à la rémunération des créateurs, dans le format informatique souhaité par chaque client.
www.transparency-rights-management.com

Texte

L'exploitation digitale des œuvres et des enregistrements musicaux est fortement dépendante de la façon dont les métadonnées sont renseignées et utilisées. Celles-ci représentent donc un enjeu commun pour l’ensemble de la filière, des créateurs aux services numériques. Dans ce secteur, la gestion des métadonnées est aujourd’hui insatisfaisante, les données étant trop souvent non interopérables, erronées ou pauvres. De toute évidence, une amélioration est nécessaire, à la fois sur le plan culturel (diversité, meilleure exposition des artistes français, émergence de nouveaux talents, valorisation du patrimoine) et économique (redistribution précise et équitable des revenus, augmentation des revenus du secteur, facilitation de l’innovation et émergence d’acteurs français s’appuyant sur celle-ci). Aussi, une prise de conscience (en cours) et une mobilisation (à venir) de l’ensemble de l’écosystème musical, des ayants droit jusqu’aux acteurs du Net, est indispensable. Qu’en est-il exactement ?

Différents types de métadonnées musicales

Les métadonnées de propriété

Les métadonnées de propriété identifient les structures et individus ayant un droit de propriété (commerciale ou intellectuelle) sur le contenu. On les trouve sous forme nominative (nom de l’interprète) ou de codes aux normes ISO (« identifiants »)1.

Dans le secteur musical, trois identifiants2 sont utilisés :

  • ISRC (International Standard Recording Code) qui caractérise un enregistrement (audio et vidéo) et en indique le producteur et le pays d’enregistrement, il est généré par le producteur de l’enregistrement après attribution d’un code racine par des sociétés de producteurs (SCPP ou SPPF) ;
  • ISWC (International Standard Musical Work Code) qui caractérise une œuvre (et est rattaché aux IPI et parfois aux interprètes) ;
  • IPI (Interested Parties Information Code) qui caractérise un créateur ou un éditeur.

L’ISWC et l’IPI sont attribués par la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (CISAC)

Les métadonnées de gestion

Les métadonnées commerciales sont implémentées par les producteurs, les distributeurs et les sites, dans une logique qui est propre à chaque intervenant afin de faciliter leur gestion au quotidien, tant au niveau de leur propre système d’information que de celui de leurs partenaires. On retrouve ainsi les codes tarifaires, promotionnels, les territoires d’utilisation, tout ce qui peut concerner les licences d’autorisation et plus généralement toutes les codifications internes.

Les métadonnées descriptives

Les métadonnées descriptives sont destinées à optimiser l’utilisation des fichiers par les moteurs de recherche, les sites et les applications. Elles permettent à l’utilisateur d’obtenir des résultats de recherche plus pertinents, de composer des programmes de radio/listes de lectures plus performants (sur des répertoires beaucoup plus étroits et profonds), etc. Elles peuvent être implémentées par les producteurs, les distributeurs, les moteurs de recherche, les sites, ceux qui utilisent les applications, et parfois les utilisateurs eux-mêmes.

Les métadonnées descriptives peuvent être :

  • objectives (nom des différents intervenants, année de production, durée, rythme, type d’instruments utilisés, etc.) ;
  • culturelles (genre et sous-genre, thématiques abordées, etc.) ;
  • comportementales (« les internautes qui aiment ce fichier aiment aussi celui-là »).

Les contenus associés

Les contenus associés peuvent être figés et liés à des contenus (traductions, photos, livrets, biographies d’artistes, interviews, discographies ou filmographies, vidéos, chansons ou scènes supplémentaires, etc.). Ils peuvent aussi prendre la forme de liens vers les sites officiels des artistes (actualités) et des tourneurs (dates de concerts), les médias officiels (articles de presse), les partenaires commerciaux (publicité, vente…), les sites sociaux (Wikipedia, Facebook), etc. Ils sont implémentés par les producteurs, les distributeurs, les moteurs de recherche, les sites, ceux qui utilisent les applications, et parfois les utilisateurs eux-mêmes.

Une situation préoccupante

Particulièrement dans le contexte de l’exploitation de phonogrammes, les identifiants restent souvent :

  • non présents : l’ISWC et l’IPI ne sont pratiquement jamais indiqués et les ISRC absents (surtout pour la création indépendante, mais également chez les majors lorsque les impératifs de promotion imposent de diffuser rapidement les enregistrements sur le Net) – à noter aussi que dans les médias traditionnels (radios hertziennes et TV) les ISRC restent sous utilisés ;
  • erronés (erreur de saisie, mais aussi appropriation litigieuse) ;
  • équivoques (plusieurs ISRC peuvent être en circulation suite à des repressages locaux, des compilations, des singles).

De plus, les bases ne sont pas exhaustives – en particulier pour les catalogues patrimoniaux, libres de droits – ou créées par les utilisateurs.

« Mettre sa musique sur le net sans métadonnées, c’est comme distribuer des flyers pour un concert sans indiquer le nom de la salle », Jean-François Bert, dans un entretien publié sur le site de l’IRMA.

« Mettre sa musique sur le net sans métadonnées, c’est comme distribuer des flyers pour un concert sans indiquer le nom de la salle », Jean-François Bert, dans un entretien publié sur le site de l’IRMA.

Phot. Juska Wendland sur Flickr (CC BY-SA 2.0)

L’absence d’identifiants peut s’avérer dramatique et engendrer :

  • une rémunération des ayants droit problématique : les sociétés de gestion collective, les agrégateurs, les maisons de disques rencontrent des difficultés à rémunérer précisément les ayants droit pour les exploitations numériques. Ce qui entraîne des surcoûts de gestion, des tensions entre acteurs et, au final, des rémunérations non adéquates, voir nulles pour certains ayants droit3 ;
  • un frein à la bonne utilisation des autres métadonnées : un ISRC faisant défaut peut empêcher des métadonnées de différentes sources de se recouper. Il en résulte une exposition et une exploitation numérique non optimisées des enregistrements (titres non affectés aux bons artistes, doublons, artistes et enregistrements introuvables par les recherches, etc.) qui pénalisent la qualité de l’offre légale.

De quoi avons-nous tous besoin ?

  • Les identifiants doivent être présents dans tous fichiers audio ou vidéo professionnels. À défaut, ils doivent être associés aux contenus exploités dans les bases de données des acteurs de la filière.
  • Les identifiants en circulation doivent être normés, univoques et fiables.
  • Les métadonnées de propriété, de gestion et d’enrichissement doivent être exactes et les plus exhaustives possibles.
  • Les identifiants en circulation doivent être régulièrement nettoyés.

Ainsi, les bénéfices attendus seront de plusieurs ordres.

Bénéfices culturels

  • Lisibilité renforcée de l’offre musicale française sur les plateformes digitales françaises et internationales.
  • Meilleure visibilité des répertoires fragiles (petits producteurs).
  • Renforcement de l’efficacité des systèmes de gestion de droits actuels, meilleure protection contre les visées hégémoniques de certains acteurs.

Bénéfices financiers

  • Rémunération plus rapide et plus précise des ayants droit (en France et à l’international).
  • Baisse importante des coûts de gestion des bases de données (producteurs, éditeurs, prestataires de services).
  • Coûts d’administration des droits en baisse pour tous les acteurs.
  • Revenus en hausse pour la filière : plus de métadonnées  = des services plus riches et plus performants = plus grande acceptation à payer de la part de l’utilisateur.

Développement de l’écosystème

  • De nombreux services à valeur ajoutée et applications pourront être créés pour nettoyer, compléter, enrichir les métadonnées, les mettre en relation avec des contenus connexes et donner naissance à des services proposant de nouvelles expériences.
  • Des appels à projets pourront être organisés sur des aspects techniques : technologie de watermarking/fingerprinting (empreintes), indexation automatique, web sémantique, Open Data, etc.
  • Une filière française compétitive à l’international pourrait voir le jour autour de ces services et applications et essaimer au-delà de nos frontières.

Comment y parvenir ?

Des initiatives existent déjà pour optimiser les métadonnées au niveau international (DDEX4, ISRC 2, création du Global Repertoire Database5, base OMPI6…), mais ni celles-ci, ni le développement du web sémantique ne répondent à tous les besoins. Une action au niveau national est aujourd’hui indispensable.

Au sein de Cap Digital (pôle de compétitivité de la filière des contenus et services numériques), plusieurs structures (regroupant des ayants droit, des prestataires techniques, des acteurs du Net, etc.) se sont associées au sein d’un groupe de travail afin de faire émerger des pistes crédibles d’amélioration de la gestion des métadonnées musicales. Ce groupe, que j’ai eu le plaisir d’animer avec Elisabeth Racine, a rendu son rapport à la mission de préfiguration du Centre National de la Musique (CNM) en juin 2012.

Celui-ci débouche sur deux scénarios alternatifs :

  • la constitution d’une base de référence centralisée regroupant les principaux identifiants, à la gouvernance irréprochable, et agissant comme une « machine à laver » permanente mettant à disposition des identifiants certifiés pour tous les contenus musicaux ;
  • ou un mécanisme contrôlé de mise à disposition des identifiants par les primo diffuseurs à des acteurs techniques sélectionnés par une autorité ad hoc, afin que de nombreuses initiatives privées puissent éclore autour de l’amélioration de la gestion des métadonnées.

Il est encore trop tôt pour détailler des différents scénarios7 et la suite qui leur sera donnée. Mais une chose est d’ores et déjà certaine : si aucune initiative européenne n’est prise, dans les années à venir, les métadonnées musicales, comme l’ensemble des métadonnées culturelles, seront de fait gérées par quelques grands groupes internationaux qui pourront alors imposer leurs règles compte tenu de leur position hégémonique dans la consommation numérique de la culture. Sommes-nous partants (ou pas) pour que la rémunération des créateurs français soit décidée dans la Silicon Valley ?

1 Voir aussi encadré « Des identifiants à gogo », p. 17.

2 À noter qu’un nouvel identifiant ISNI est en train de voir le jour et caractérisera une « partie prenante » dans la création (ex. : créateur

3 Pour les sociétés de gestion des droits d’auteur, les volumes de données à traîter ne cessent de croître. En 2010, le taux d’identification des

4 http://www.ddex.net

5 http://www.globalrepertoiredatabase.com

6 http://www.wipo.int

7 Au moment de la rédaction de cet article, certains points restent encore à affiner.

Notes

1 Voir aussi encadré « Des identifiants à gogo », p. 17.

2 À noter qu’un nouvel identifiant ISNI est en train de voir le jour et caractérisera une « partie prenante » dans la création (ex. : créateur, producteur, mais aussi personnage de fiction, etc.).

3 Pour les sociétés de gestion des droits d’auteur, les volumes de données à traîter ne cessent de croître. En 2010, le taux d’identification des œuvres numérique à la SACEM était en moyenne de 70 % sur les œuvres les plus téléchargées, les œuvres non reconnues doivent être traitées manuellement. Source : Rapport d’activité SACEM 2010, p. 29

4 http://www.ddex.net

5 http://www.globalrepertoiredatabase.com

6 http://www.wipo.int

7 Au moment de la rédaction de cet article, certains points restent encore à affiner.

Illustrations

« Mettre sa musique sur le net sans métadonnées, c’est comme distribuer des flyers pour un concert sans indiquer le nom de la salle », Jean-François Bert, dans un entretien publié sur le site de l’IRMA.

« Mettre sa musique sur le net sans métadonnées, c’est comme distribuer des flyers pour un concert sans indiquer le nom de la salle », Jean-François Bert, dans un entretien publié sur le site de l’IRMA.

Phot. Juska Wendland sur Flickr (CC BY-SA 2.0)

Citer cet article

Référence papier

Jean-François Bert, « Un concert de métadonnées », Arabesques, 67 | 2012, 14-16.

Référence électronique

Jean-François Bert, « Un concert de métadonnées », Arabesques [En ligne], 67 | 2012, mis en ligne le 07 octobre 2019, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=1264

Auteur

Jean-François Bert

Jean-François Bert est animateur du groupe de travail sur les métadonnées de propriété au sein du groupe Musique de Cap Digital et président de Transparency.

jfb@transparency-rights-management.com

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