Les bibliothèques de recherche suédoises en déficit de coopération nationale

DOI : 10.35562/arabesques.2648

p. 18-19

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Texte

Faute d’une réelle stratégie nationale et malgré quelques initiatives probantes, les bibliothèques de recherche suédoises manquent d’outils de collaboration à l’échelle du pays.

Lorsque j’ai débarqué dans le monde des bibliothèques suédoises il y a huit ans, j’étais un extraterrestre. Jusque-là, j’avais passé ma carrière dans le monde de la recherche universitaire où les valeurs dominantes sont l’indépendance, la distance critique, la compétitivité et la capacité à trouver des solutions innovantes et alternatives, mais où on peut parfois se sentir isolé. Ce qui m’attirait le plus dans le monde des bibliothèques, ainsi que dans le poste de directeur d’une grande bibliothèque universitaire, c’était l’esprit de coopération professionnelle ainsi que le rôle des bibliothèques en tant qu’infrastructures de soutien à la recherche et à l’enseignement supérieur, non seulement au niveau local mais aussi dans des contextes nationaux et internationaux.

Une bibliothèque dans chaque université

S’il est vrai que « la culture d’entreprise fait de la stratégie son petit déjeuner » (citation célèbre attribuée au consultant en management Peter Drucker), les structures institutionnelles ont également le droit de s’asseoir à la même table pour un copieux repas matinal. Le système des bibliothèques de recherche suédois se compose de la Bibliothèque royale, c’est-à-dire la Bibliothèque nationale, des bibliothèques d’une quarantaine d’universités et collèges universitaires, ainsi que des bibliothèques spécialisées de divers organismes gouvernementaux. En Suède, la Bibliothèque royale et les universités sont elles-mêmes des institutions gouvernementales officielles, ce qui signifie qu’elles jouissent d’un haut niveau d’indépendance. Chaque année, le gouvernement distribue des lettres d’instruction plus ou moins détaillées à ses agences gouvernementales. Leurs directeurs, ou recteurs dans le cas des universités, disposent d’une grande liberté dans l’exercice des fonctions qui leur sont confiées, le pouvoir étant ainsi encapsulé dans les différentes institutions.

Les bibliothécaires en chef des universités rendent compte à leur recteur mais jouissent normalement d’une certaine indépendance, même si l’on observe une tendance croissante, quoique discutable, à inscrire les bibliothèques dans un cadre administratif, en particulier dans les petits collèges universitaires. Dans ces derniers, cette situation n’est pas tout à fait déraisonnable étant donné la taille relativement petite de leurs bibliothèques mais ce type d’organisation soulève des questions quant à ses limites et à l’identité des bibliothèques modernes.

La loi suédoise sur les bibliothèques stipule que chaque université ou collège universitaire doit avoir sa propre bibliothèque. Au sein de la SUHF, l’association des établissements d’enseignement supérieur suédois, les recteurs se réunissent pour décider des questions de politique générale. Les bibliothécaires en chef et directeurs de bibliothèque s’y répartissent en sous-groupes de discussions professionnelles sous la direction d’un recteur. Le brassage des intérêts au sein de l’association (et de son sous-groupe de bibliothécaires) favorise la recherche de terrains d’entente plutôt que les débats difficiles où il s’agirait d’établir des priorités ou de concentrer le pouvoir.

Le « salon » de la bibliothèque universitaire d’Uppsala, qui a fêté son 400ème anniversaire en 2020.

Le « salon » de la bibliothèque
            universitaire d’Uppsala, qui a fêté son 400ème anniversaire en
            2020.

© Bibliothèque universitaire - Uppsala

Des consortiums pour les ressources électroniques et les métadonnées

La Bibliothèque royale dépend du ministère de l’Éducation mais elle est également chargée d’une mission importante pour le ministère de la Culture. Elle a donc une double mission et peut être décrite comme une organisation descendante, recevant des instructions détaillées du ministère. Selon la lettre d’instruction qu’elle reçoit, la Bibliothèque royale doit coordonner les bibliothèques universitaires ou de recherche mais cette instruction ne s’accompagne d’aucune autorité.

Contrairement à la Bibliothèque royale, les universités, bien qu’étant comme la Bibliothèque royale des agences gouvernementales, sont des organisations ascendantes, devant réagir rapidement et efficacement aux besoins de la recherche et de l’enseignement supérieur. Les infrastructures universitaires et les organismes de recherche suédois sont généralement organisés en consortiums, ce qui est plus rarement le cas des bibliothèques.

Il existe cependant de bons exemples de collaboration des bibliothèques universitaires en Suède, comme le consortium Bibsam, au sein duquel la Bibliothèque royale négocie des accords de licence pour les ressources électroniques. Toutefois, l’augmentation des coûts, notamment dans le cadre de la transition vers l’accès ouvert, met à mal la collaboration puisqu’il revient aux universités de payer la facture. Autre exemple de collaboration, le consortium DiVA, qui compte 49 membres et qui est dirigé depuis Uppsala, est un système de diffusion des métadonnées et des textes intégraux des publications de la recherche. Il fournit des métadonnées au service Swepub de la Bibliothèque royale, ces données étant ensuite utilisées pour l’évaluation de la recherche.

Une stratégie nationale à inventer

La coexistence en Suède de deux systèmes de dépôts pour la mise à disposition du patrimoine culturel numérisé est un bon exemple à la fois de la problématique ascendante/descendante et du problème des systèmes qui se chevauchent. On trouve une multitude d’anciens catalogues spécialisés mais ceux-ci sont accessibles numériquement via différents systèmes informatiques. Les fonds documentaires physiques des grandes bibliothèques, quant à eux, ne sont pas coordonnés, laissant en suspens la question « qui doit garder quoi ? » et ils pâtissent de pratiques de catalogage disparates. À titre de développement prometteur de la coopération, on peut tout de même citer l’initiative conduite conjointement par la Bibliothèque royale et cinq grandes bibliothèques universitaires visant à préparer et à encourager la numérisation à grande échelle des imprimés suédois de ces six derniers siècles, un domaine dans lequel la Suède est tristement à la traîne.

Des ressources sont nécessaires pour les projets nationaux de grande ampleur tels que la numérisation mais les bibliothèques de recherche suédoises ne sont généralement pas sous-financées et les compétences nécessaires sont disponibles. Le problème est plutôt d’identifier les moyens d’une collaboration fructueuse, en surmontant les défis posés par les cultures professionnelles et les structures organisationnelles. Je suis convaincu que cette collaboration est actuellement sous-optimisée en raison d’un manque de stratégie et d’orientation auquel il faut remédier.

Créer des consortiums

La meilleure réponse à apporter à cette sous-optimisation est de traiter les bibliothèques de recherche comme une infrastructure nationale collaborative en créant des consortiums qui clarifient les tâches et prennent en charge la gouvernance et le financement.

Lorsque j’ai pris le poste de directeur de la bibliothèque de l’université d’Uppsala en 2012, j’ai réalisé que celle-ci fêterait son 400ème anniversaire en 2020/2021 (en raison de la pandémie, les célébrations furent malheureusement un peu austères). Cinquante ans plus tôt, lors d’une conférence célébrant les 350 ans de la bibliothèque de l’université d’Uppsala, d’éminents bibliothécaires du monde entier discutaient déjà de l’avenir de leurs institutions. Dans le compte-rendu de cette conférence de 1971, James E. Skipper, directeur des bibliothèques de l’université de Californie à Berkeley, décrit avec acuité une situation qui semble aujourd’hui toujours d’actualité : « La coopération entre bibliothèques est un paradoxe. Nous avons l’habitude de nous agenouiller devant l’autel de la coopération mais seulement pour mieux pécher de nouveau. Au travers de toute la profession, c’est dans notre domaine que la nécessité de coopérer fait couler le plus d’encre, pourtant nous sommes ceux qui progressent le moins en ce sens ».

La culture des bibliothèques est forte mais l’ère du numérique a tout bouleversé. Les frontières disparaissent et les services finiront par devenir transparents. Les usagers d’aujourd’hui et de demain sont au centre des préoccupations, et ils demandent des ressources et des compétences parfaitement gérées. Le leadership, la stratégie et les nouveaux modèles seront déterminants.

Illustrations

Le « salon » de la bibliothèque             universitaire d’Uppsala, qui a fêté son 400ème anniversaire en             2020.

Le « salon » de la bibliothèque universitaire d’Uppsala, qui a fêté son 400ème anniversaire en 2020.

© Bibliothèque universitaire - Uppsala

Citer cet article

Référence papier

Lars Burman, « Les bibliothèques de recherche suédoises en déficit de coopération nationale », Arabesques, 102 | 2021, 18-19.

Référence électronique

Lars Burman, « Les bibliothèques de recherche suédoises en déficit de coopération nationale », Arabesques [En ligne], 102 | 2021, mis en ligne le 15 juillet 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=2648

Auteur

Lars Burman

Professeur, directeur de la bibliothèque de l’université d’Uppsala

lars.burman@ub.uu.se

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