Le patrimoine et ses collections en refondation

DOI : 10.35562/arabesques.747

p. 14-15

Plan

Texte

Depuis quelques années, la réflexion professionnelle autour du patrimoine tend à revoir son périmètre exact, sous l’influence de critères historiographiques, économiques et technologiques : ce long processus non encore abouti, mais dont la publication de la Charte de la conservation dans les bibliothèques en 2012 marque un tournant décisif, ne peut manquer d’avoir des conséquences notables sur le signalement, la gestion concrète et la valorisation de ces fonds en bibliothèque.

Au lieu de considérer systématiquement comme patrimoniales, en deçà d’une certaine date de publication, toutes les collections anciennes, les rédacteurs de la Charte de la conservation dans les bibliothèques1 privilégient deux notions capitales : la décision et l’attribut. Ainsi tout établissement peut décider qu’une collection relève de son patrimoine, c’est-à-dire qu’il se prescrit de la conserver sans limitation de durée, mais il peut aussi se voir retirer cet attribut. Ce mécanisme nous appelle à repenser fondamentalement nos stratégies de conservation et d’éliminations pour établir une meilleure cohérence des contenus. Il supposera par ailleurs des précautions, pour éviter que règne en la matière une confusion préjudiciable à notre devoir collectif de transmission.

Une démarche nécessairement collective

La bibliothèque n’agira pas seule dans sa détermination : des concertations préalables s’imposent, avec ses partenaires scientifiques locaux d’une part (universités, sociétés savantes, instances représentatives des publics intéressés), et d’autre part avec le réseau de coopération professionnelle dont elle est un maillon. Les premiers donnent un sens à la vocation patrimoniale, en ce qu’elle enracine ses axes prioritaires dans une logique de territoire ou de spécialité, fondatrice d’une expertise que l’établissement doit revendiquer, y compris pour les documents qu’il rend accessibles en ligne. Les critères de contenus qui lui serviront ici valent sur la durée, c’est-à-dire qu’ils placent dans une perspective qui les relativise les théories contemporaines de politique documentaire et de services fondées sur les besoins et les pratiques d’un public immédiat : c’est peut-être là que réside, en raison de notre inaptitude à nous considérer nous-mêmes comme sujets historiques, la principale complication de l’exercice.

On notera que l’attribut patrimonial accordé suivant les contenus concerne indifféremment tous types de documents, quels que soient leur date ou leur support : c’est l’amorce d’une réflexion complémentaire novatrice sur leurs conditions de circulation, puisque les collections patrimoniales récentes seront évidemment prêtées, sans négliger les garanties nécessaires à leur conservation. Par ailleurs, et puisque ce dispositif doit logiquement faire émerger la conscience d’une continuité historique des fonds (trop souvent niée dans les faits par les cloisonnements fonctionnels qui séparent le traitement des collections patrimoniales de la gestion des fonds courants), des questions nouvelles devraient apparaître en vue de leur indexation globale, sur la base d’une pertinence immédiate et rétrospective qui permettrait au moyen d’une requête unique des approches thématiques portant sur l’ensemble des fonds de l’établissement.

Dans ce schéma qui suppose de fines sélections, conserver, c’est d’abord exclure. Et bien qu’elle ne soit encore abordée qu’avec une extrême pudeur, la perspective d’un désherbage raisonné des collections patrimoniales doit être formulée, dans le cadre préférentiel de plans de conservation partagée : les priorités respectives de chaque établissement ne doivent en effet pas nuire à notre mission fondamentale de transmission, ni conduire à faire abusivement disparaître des collections rares pour le seul motif que leurs contenus n’auraient intéressé personne. C’est donc au sein d’un réseau que ces décisions doivent être prises, avec le dessein d’organiser dans chaque bibliothèque participante la conservation raisonnée d’une collection de référence, construite par des apports mutuels (par exemple des échanges entre établissements), et dont les éléments pourront être acheminés sur demande à n’importe quel point de consultation, sous forme physique ou virtuelle (numérisation à la volée). On présume aussi qu’un tel réseau, défini sur le principe d’une carte documentaire par des critères géographiques de proximité, comprend différents types de coopérateurs : des bibliothèques territoriales, des établissements spécialisés, des bibliothèques universitaires, notamment.

Le signalement collectif des collections concernées jouera de ce fait un rôle capital, puisqu’il faudra localiser avec d’autant plus de précision des exemplaires diffus dans le réseau. Les publics intéressés par l’approche patrimoniale des collections (érudits, chercheurs, spécialistes chevronnés) sont trop souvent confrontés à l’insuffisance des anciens catalogues rétro convertis, dont les notices ne permettent pas toujours d’identifier à distance, pour ne citer que cet exemple récurrent, les différentes éditions d’un même texte, voire ses contrefaçons, dès lors qu’elles ont été produites la même année : c’est aussi l’un des avantages de la conservation partagée, que chaque établissement puisse orienter son contrôle bibliographique interne sur de plus modestes masses documentaires, perfectionner livre en main les notices trop succinctes ou même erronées provenant de campagnes antérieures, et rendre ainsi les outils collectifs plus fiables.

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Normaliser le « livre ancien »

Dans le cas spécifique du « livre ancien » (défini comme l’ensemble des monographies imprimées de la période 1501‑1830), la diffusion depuis 2013 d’un manuel de catalogage informatisé par le groupe de travail chargé de la révision de la norme Z 44-074 rend désormais possibles, en Unimarc et Intermarc, des pratiques d’indexation qui peuvent améliorer sensiblement les services rendus au public, notamment grâce à l’extension de la notion d’auteur secondaire aux imprimeurs et aux libraires.

On regrettera que ces consignes viennent tardivement au regard de l’évolution des formats, lorsque déjà les successeurs de Marc sont à portée de main. Les acquis de cette réflexion sont toutefois récupérables par de nouveaux systèmes de description, et l’on peut encore augurer, voire espérer, que le crépuscule d’Unimarc sera très long dans les bibliothèques détentrices de collections patrimoniales : les réappropriations que suggère la Charte de la conservation pourront stimuler ainsi la remise à niveau sélective des catalogues sur un terrain normatif bien maîtrisé.

Des données de provenance utiles à la reconstitution des collections

Pareillement, de nouvelles dynamiques s’ouvrent pour la mutualisation du signalement des provenances, dont sont friands à bon droit les historiens du livre : on sait qu’avec de telles informations, collectées sur les exemplaires (mention d’achat, exlibris, reliure aux armes), il est possible de reconstituer au moins partiellement des bibliothèques dispersées, quand on ne dispose pas d’un ancien catalogue ou d’un inventaire après décès. Leur mise en commun permet également, par comparaison, d’identifier des marques de classement ou de possession demeurées jusque‑là mystérieuses. Sur la base des travaux de certaines bibliothèques (BNF, BM de Lyon, Bibliothèque de l’Institut…) et de réflexions poursuivies à l’IFLA, un groupe de professionnels constitué à l’initiative du ministère de la Culture précise les moyens et les formes d’une indexation commune des marques de provenance : leur espace de travail, hébergé par le site de l’association BiblioPat2, documente largement les opérations en cours.

Bibliothèques numériques et patrimoine

Il faudrait évoquer enfin, pour achever ce tour d’horizon trop succinct, la construction des bibliothèques numériques fondées sur le patrimoine, et démontrer qu’en la matière chaque établissement porteur d’une décision peut en faire aussi l’argument principal d’un projet scientifique élaboré : faire évoluer le regard des professionnels sur leur patrimoine est aussi le moyen, bien au-delà des réseaux que nous évoquions ci-dessus, de conquérir de nouveaux espaces de légitimité.

Logo de l’association BiblioPat, réseau des acteurs de la gestion de fonds patrimoniaux en bibliothèque

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1 La charte est consultable en ligne :http://www.patrimoineecrit.culture.gouv.fr/files/conservation_restauration/Charte%20de%20la% 20conservation.pdf

2 www.bibliopat.fr

Notes

1 La charte est consultable en ligne :
http://www.patrimoineecrit.culture.gouv.fr/files/conservation_restauration/Charte%20de%20la% 20conservation.pdf

2 www.bibliopat.fr

Illustrations

Logo de l’association BiblioPat, réseau des acteurs de la gestion de fonds patrimoniaux en bibliothèque

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Citer cet article

Référence papier

Bernard Huchet, « Le patrimoine et ses collections en refondation », Arabesques, 80 | 2015, 14-15.

Référence électronique

Bernard Huchet, « Le patrimoine et ses collections en refondation », Arabesques [En ligne], 80 | 2015, mis en ligne le 31 juillet 2019, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=747

Auteur

Bernard Huchet

Bibliothèque de Caen

b.huchet@agglo-caen.fr

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