Vers un « livre libre » ? Les voies du ebook en open access

DOI : 10.35562/arabesques.808

p. 16-17

Plan

Texte

L’ebook est-il inconciliable avec l’open science ? L’offre actuelle de livres numériques en open access est surtout constituée d’ouvrages tombés dans le domaine public. Le contraste avec les revues est frappant. Causes et remèdes.

Couperin a organisé en juin 2014 sa Septième Journée sur le livre électronique autour du thème « Livre électronique et open access »1, afin de mettre en lumière les causes de la faiblesse historique de l’offre dans ce domaine et de trouver des solutions.

Freins juridiques et économiques

Certes, une offre éditoriale de livres électroniques « accessibles » existe. Springer a récemment lancé un pilote de livres en open access, fondé sur le modèle de l’auteur-payeur2. Mais pourquoi tant de retard par rapport aux revues ? Les « Lignes directrices », rédigées par la Commission européenne dans le cadre d’Horizon 2020, ciblent les revues comme seul type de publications soumis à l’obligation de diffusion en open access dans le cadre d’un financement de l’Union européenne : « L’article de revues est le type de publication scientifique évaluée par les pairs le plus usité. […] Toutefois, les bénéficiaires sont fortement encouragés à fournir un libre accès à d’autres types de publications […], par exemple les monographies »3. Les monographies académiques restent un objet éditorialement flou, en marge de la publication scientifique et mal pris en compte par l’évaluation des pairs, et, à la différence des revues, la plus-value apportée par l’éditeur est très importante. Ainsi, si en théorie, l’auteur est toujours libre de négocier les conditions d’exploitation lors de la signature du contrat d’édition, les pratiques restent encadrées par des protocoles associant les représentants des ayants droit.

Ces facteurs expliquent le poids des questions liées à la propriété littéraire et artistique et les faibles marges de manœuvre des politiques incitatives de la recherche en la matière. La publication en open access « gold » est pour l’instant limitée à l’édition à compte d’auteur. Ordinairement, l’éditeur y verra un risque dans l’exploitation de son ouvrage. Cela est encore plus vrai pour la « voie verte » et le dépôt sur une base d’archive. Le cycle d’exploitation étant plus long, il est difficile de jouer sur les durées d’embargo, à la différence des revues.

Une offre émergente reposant sur l’économie du net

On ne peut admettre que le livre soit condamné à rester une sorte d’angle mort de l’open access. Il s’agit tout d’abord d’encourager le secteur à sortir des logiques de fermeture. On rappellera à ce sujet le document Les 10 commandements à l’éditeur d’ebooks : pour une offre idéale4, rédigé par la cellule ebook de Couperin, ou encore la Charte des bonnes pratiques pour l’édition scientifique numérique5, rédigée par BSN 7. On y trouve le vœu de favoriser l’interopérabilité, de standardiser les données et les URL. L’éditeur est également invité à rendre publique sa position concernant le dépôt en archive ouverte.

De nombreux projets et expérimentations concrètes émergent pour constituer une offre hétérogène, suscitée par des acteurs variés. Les ouvrages concernés sont avant tout académiques, mais pas uniquement. Tous ont en commun de reposer sur différents modèles économiques venus du Net, rompant avec l’économie traditionnelle du livre. Ainsi, le projet Unglue6, pour lequel un partenariat a été signé avec De Gruyter, utilise le crowdfunding pour « libérer » des ouvrages.

Autre modèle, le Freemium. En France, l’acteur majeur en est OpenEdition Books7. Une partie du fonds est en consultation libre en HTML. L’accès aux services est payant (liseuse, ePub, PDF…). Le reste du fonds est en accès dit « exclusif » : les bibliothèques paient pour accéder à ce titre. Le contrat signé entre le diffuseur et les éditeurs vise à accroître l’offre open (50 % des contenus en accès Freemium). Le tiers des revenus, issus des ventes aux collectivités, finance les services.

Les bibliothèques sont appelées à jouer un rôle important dans le développement de l’offre d’ebooks en open access, grâce à une approche fine du marché, ciblant les ouvrages de recherche.

En Grande-Bretagne, le Jisc pilote un programme de diffusion en open access des monographies en sciences humaines et sociales. Il s’agit d’évaluer l’impact du libre accès sur les ventes, les usages et les citations. Un comité de sélection désigne des éditeurs. Les ouvrages retenus sont disponibles en PDF et en licence Creative Commons. L’éditeur commercialise les versions imprimées et les autres formats. Les ouvrages sont ensuite disponibles sur différentes plateformes, dont le Directory of Open Access Books (DOAB).

Knowledge Unlatched8 est un organisme sans but lucratif qui coordonne la « libération » d’ouvrages sous droits. L’éditeur fixe un prix pour mettre en accès libre un ouvrage, les coûts de publication sont ensuite pris en charge collectivement par les bibliothèques adhérentes. Quand le montant du prix est atteint, l’ouvrage est libéré. Son succès dépend donc du nombre de bibliothèques s’engageant à créer cet effet de levier. Aujourd’hui, plus de 300 bibliothèques et 13 éditeurs se sont associés. Les ouvrages sont diffusés sur les plateformes d’Oapen, d’HathiTrust et de la British Library.

Sitting on History, une sculpture de Bill Woodrow.

Sitting on History, une sculpture de Bill Woodrow.

Steve James / Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)

Accompagner et mobiliser la communauté enseignante

Il existe également des initiatives locales pour une édition native en open access. Ainsi les Presses universitaires de Montréal (PUM) et les bibliothèques ont un projet visant à publier en libre accès des monographies pour valoriser la recherche. Dix ouvrages du fonds des PUM sont retenus d’un commun accord avec les bibliothèques. Les PUM produisent la version numérique aux formats PDF et ePub, en plus des versions imprimées (seules ces dernières sont vendues). Les bibliothèques versent aux PUM une aide financière.

Bien sûr, la recherche est un terrain plus favorable que la pédagogie. Toutefois, s’il faut se livrer à un essai de prospective, les initiatives les plus prometteuses viendront sans doute de ce dernier domaine, où les lacunes de l’offre éditoriale sont notables. En France, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, l’ADBU et l’Observatoire numérique de l’enseignement supérieur projettent de rendre largement accessibles des manuels à l’échelle nationale. Les structures les plus novatrices placent l’enseignant au cœur des projets. Mais pour cela, un accompagnement éditorial est nécessaire, dans le cadre d’une demande faite par une institution académique. L’offre de la plateforme d’OpenClassrooms9 mêle fourniture de contenus et service d’ingénierie pédagogique, liant tous les types de ressources : moocs, cours rédigés pour le Web et ebooks. L’accès est soit gratuit en ligne, soit payant pour bénéficier d’un suivi pédagogique, télécharger les cours ou imprimer à la demande. Ce projet laisse entrevoir les possibilités du livre enrichi et de l’hybridation des contenus textuels et multimédias.

L’idéal serait d’encourager la création par les enseignants-chercheurs de livres nativement ouverts et libres. Cela existe dans le secondaire, comme SésaMath10. Dans ce projet « communautaire », les enseignants-auteurs rédigent eux-mêmes de la documentation et des manuels en s’appuyant sur un éditeur partenaire.

Conclusion : les nouvelles voies de l’open access ?

L’édition d’ebooks en open access passe soit par la libération des droits d’exploitation, soit par une publication native. Dans tous les cas, un partenariat avec un éditeur est nécessaire pour accéder à son fonds ou utiliser ses compétences techniques. L’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché de l’édition, pure players et agrégateurs, bouscule le cycle d’exploitation traditionnel du livre. La diversité des supports et des droits permet de concevoir des modes d’exploitation différents (PDF, streaming, imprimé…). Les bibliothèques jouent alors un rôle central de procuration et de coordination des projets qui mobilisent éditeurs, comités de lecture, institutions et auteurs. Dans le prolongement de sa Septième Journée sur le livre électronique, Couperin a déjà mis en œuvre des projets de partenariats pour la libération de livres.

1 http://jle-couperin.sciencesconf.org/resource/page/id/1

2 www.springeropen.com/books

3 Horizon 2020, Lignes directrices pour le libre accès aux publications scientifiques et aux données de recherche dans Horizon 2020, 11 décembre 2013

4 www.couperin.org/relations-editeurs/bonnes-pratiques/293-les-10-commandements/599-les-10-commandements-de-lediteur-de-books-pour-une-offre-ideale

5 www.bibliothequescientifiquenumerique.fr/?Charte-des-bonnes-pratiques-pour-l

6 https://unglue.it

7 http://books.openedition.org

8 www.knowledgeunlatched.org

9 http://openclassrooms.com

10 http://www.sesamath.net

Notes

1 http://jle-couperin.sciencesconf.org/resource/page/id/1

2 www.springeropen.com/books

3 Horizon 2020, Lignes directrices pour le libre accès aux publications scientifiques et aux données de recherche dans Horizon 2020, 11 décembre 2013.

4 www.couperin.org/relations-editeurs/bonnes-pratiques/293-les-10-commandements/599-les-10-commandements-de-lediteur-de-books-pour-une-offre-ideale

5 www.bibliothequescientifiquenumerique.fr/?Charte-des-bonnes-pratiques-pour-l

6 https://unglue.it

7 http://books.openedition.org

8 www.knowledgeunlatched.org

9 http://openclassrooms.com

10 http://www.sesamath.net

Illustrations

Sitting on History, une sculpture de Bill Woodrow.

Sitting on History, une sculpture de Bill Woodrow.

Steve James / Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)

Citer cet article

Référence papier

Sébastien Respingue-Perrin, « Vers un « livre libre » ? Les voies du ebook en open access », Arabesques, 79 | 2015, 16-17.

Référence électronique

Sébastien Respingue-Perrin, « Vers un « livre libre » ? Les voies du ebook en open access », Arabesques [En ligne], 79 | 2015, mis en ligne le 08 janvier 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=808

Auteur

Sébastien Respingue-Perrin

Directeur adjoint, Bibliothèque de l’université Évry Val d’Essonne Responsable Cellule ebook de Couperin

sebastien.respingueperrin@univ-evry.fr

Droits d'auteur

CC BY-ND 2.0