Les réseaux sociaux scientifiques : visibilité et open access

DOI : 10.35562/arabesques.945

p. 16-17

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Selon une enquête récente du CNRS1, les chercheurs font un usage massif des réseaux sociaux qui sont intégrés au cœur de leurs pratiques professionnelles. Ces réseaux permettent une meilleure visibilité des travaux et démultiplient les possibilités d’identifier les ressources dont les scientifiques ont besoin pour poursuivre et étendre leur activité.

Les réseaux concernés sont majoritairement généralistes (Facebook, Linkedin). Mais les réseaux sociaux scientifiques semblent connaître un fort engouement. Cela a suscité, ces derniers temps, un débat sur divers médias en ligne, notamment la liste de diffusion [accès ouvert]. C’était l’objet d’une récente table ronde organisée par le Corist, dont ce papier se fait l’écho2. L’usage accru des réseaux sociaux scientifiques témoigne d’une quête de visibilité, mais révèle également un développement « spontané » et quelque peu anarchique de pratiques de dépôt en accès libre de la part des chercheurs. Ces pratiques questionnent les outils publics disponibles.

Les raisons de l’usage croissant des réseaux sociaux scientifiques

Research Gate, Academia.edu, etc. sont quelques‑uns de ces réseaux sociaux scientifiques qui ont le vent en poupe. Numériquement, leur usage semble limité selon l’enquête évoquée ci-dessus, mais il est facile d’observer, dès qu’on y est inscrit, que le nombre d’utilisateurs va croissant.

Christophe Benech, chercheur en archéologie et utilisateur d’Academia.edu, fournit plusieurs explications à ce succès3. L’inscription à ces réseaux est très facile et ils offrent la possibilité d’importer aisément les travaux déjà disponibles sur internet ou d’en déposer de nouveaux. Surtout, ces réseaux permettent, sur la base de mots-clés déclarés par les chercheurs, la constitution de communautés thématiques où l’on repère aisément les nouvelles publications et les chercheurs travaillant sur des sujets proches. Des notifications quotidiennes permettent un suivi aisé de cette actualité et, aussi, de prendre connaissance du nombre et de l’origine géographique des consultations dont le profil du chercheur ou ses publications ont fait l’objet. Selon Christophe Benech, cet outil permet des rencontres scientifiques et l’identification de ressources inédites : il se révèle donc utile et précieux.

Un accès libre au rabais et juridiquement fragile

Nombre d’observateurs constatent toutefois que les pratiques des usagers et celles des responsables de ces services aboutissent à une qualité très inégale des métadonnées disponibles. En effet, les informations diffusées sont souvent hétérogènes et présentent des lacunes. Parfois seul le titre d’un document est fourni, les co‑auteurs, la nature et le titre du support de publication ou l’année pouvant manquer. On peut regretter que les protocoles de saisie ne soient pas plus stricts et n’interdisent pas le dépôt d’un document dont les descripteurs ne sont pas correctement renseignés.

Pour optimiser la visibilité des documents déposés, certains auteurs optent pour des mots-clés très larges, étant ainsi assurés que leurs textes seront signalés à de nombreux autres usagers. Mais, comme l’observait Kumar Guha lors du débat, cette attitude opportuniste est en fait contreproductive.

À la longue, ces pratiques génèrent du bruit et une saturation de l’information qui ne mettent pas en valeur l’originalité des recherches.

Alors que l’un des intérêts mis en avant par les promoteurs de ces plateformes est l’accès libre aux fichiers, en pratique on ne trouve parfois qu’un lien, et encore. Cela peut s’expliquer par les règles imposées par les éditeurs qui interdisent la réutilisation des fichiers. Mais inversement, cette règle est parfois enfreinte par certains auteurs et une campagne récente menée par Elsevier contre Academia.edu a mis en avant l’existence d’infractions au copyright… soulevant du reste des contestations de la part des tenants du libre accès qui y ont vu un abus des éditeurs commerciaux. On est donc en présence d’un libre accès souvent tronqué, au rabais et juridiquement fragile.

Certaines fonctionnalités soulèvent d’autres questions. Stéphane Pouyllau relève ainsi que l’obligation de s’inscrire pour bénéficier du service produit une privatisation de l’open access, d’autant plus discutable que les métadonnées et parfois mêmes les fichiers aspirés par ces plateformes le sont sans qu’une licence de réutilisation le permette et parfois sans que les sources/lieux de dépôt de ces documents ne soient mentionnés4.

Les archives ouvertes face aux réseaux sociaux scientifiques

L’engouement constaté pour les réseaux sociaux scientifiques semble se faire au détriment des outils publics consacrés au libre accès, notamment Hal. Alors qu’une part mineure de la production scientifique française, au mieux 15 à 20 %, est disponible en archive ouverte, les pratiques des chercheurs apparaissent quelque peu contradictoires. Le manque de temps invoqué pour remplir Hal est un argument qui ne tient guère quand on voit la progression de l’usage des réseaux sociaux scientifiques. Une partie des chercheurs persiste à refuser Hal au nom d’un flicage possible de leur « production » scientifique par un Big Brother managérial visant le développement d’une évaluation individuelle quantitative. Mais n’est-il pas étonnant que certains – peut-être en fait parfois les mêmes ? – se précipitent pour offrir leurs données, les articles et leurs pratiques sociales numériques à des firmes sans visage…En effet, les géants du web investissent dans les réseaux scientifiques : Elsevier a acquis Mendeley, qui fonctionne aussi comme un réseau social scientifique en plus de son usage dans la gestion et la citation des références, tandis que Bill Gates et Facebook ont pris des parts dans Research Gate. Pourtant, ces entreprises n’offrent aucune garantie en termes de respect de la vie privée ou même de conservation de ces données. Dans ce contexte, les correspondants IST (Corist) qui s’investissent dans la promotion de Hal ont parfois l’impression de « prêcher dans un désert », comme le relève Françoise Gouzi, ingénieure référente pour l’IST en SHS à l’université de Toulouse II-Le Mirail5.

Les réseaux sociaux scientifiques : une visibilité et un équilibre à consolider.

Les réseaux sociaux scientifiques : une visibilité et un équilibre à consolider.

Pixabay (Public Domain CC0)

Les limites du dispositif d’open access et de communication scientifique

Vincent Battesti, sur la liste [accès ouvert], proposait d’interpréter le succès d’Academia.edu, et plus largement des réseaux sociaux scientifiques, non seulement par leurs fonctionnalités de réseau social et d’open access par défaut, mais aussi par celle de page web personnelle par substitution6. Sous ce rapport, Hal n’offre qu’un service peu paramétrable et manquant de simplicité, tandis que les sites web des labos et les annuaires d’université ne sont généralement pas aisément accessibles aux chercheurs pour des mises à jour. Le développement fulgurant d’Hypothèses, le portail des carnets de recherche du Cléo, s’explique entre autres parce que ce service répond précisément à ce manque et que la plateforme constitue un vecteur efficace et personnalisé de communication scientifique, dont la communauté constitue un réseau social de fait.

Une autre limite de l’accès libre aujourd’hui concerne les modalités de dépôt dans Hal qui doivent devenir plus ergonomiques et rapides. On pourrait imaginer un remplissage direct des métadonnées à partir des revues en ligne, des fichiers PDF, ou via des logiciels générant des citations, comme Zotero. Dans les sciences humaines et sociales, il conviendrait aussi de rendre Hal plus flexible pour des productions moins canoniques, et aujourd’hui exclues de Hal, comme les comptes rendus de lecture. Inutile, en revanche, de reprocher à Hal de ne pas être un réseau social en lui-même. Certes, on pourrait y ajouter des fonctionnalités soulignant mieux les liens entre les documents (par ex. une mise en exergue des liens DOI et autres citations). Mais Hal ne pourra jamais lutter à armes égales avec des plateformes dont l’intérêt majeur est la mise en relation des chercheurs par-delà les frontières, et ce n’est pas son objet.

L’usage croissant des réseaux sociaux scientifiques montre l’existence d’une demande de visibilité et un intérêt accru pour le dépôt des travaux en accès libre. Il montre aussi que les chercheurs français ne trouvent pas toujours adéquats les outils fournis par les institutions publiques. Certaines raisons sont techniques et pourraient être facilement levées. D’autres sont plus politiques : des garanties doivent être apportées quant au risque d’une évaluation quantitative individualisée. À ces conditions, on pourra plus facilement souligner les défauts de conception et les incertitudes qui entourent l’usage des données confiées à ces réseaux scientifiques et recommander des pratiques de prudence, fondées sur la complémentarité : l’open access via Hal, d’une part, et les réseaux sociaux scientifiques pour leur fonction de connexion, d’autre part. Aux professionnels de l’information scientifique et technique de porter ces messages vers les tutelles et vers les chercheurs !

1 Voir http://corist-shs.cnrs.fr/sites/default/files/evenements/brigitteperucca_reseauxsociaux.pdf

2 Ce texte est une refonte d’un article publié sur mon blog Rumor le 21 novembre 2013, fournissant en lien de nombreuses références, http://rumor.

3 Christian Benech, «Academia.edu : le réseau social scientifique préféré des SHS», ArchéOrient-Le Blog (Hypotheses.org), 12 avril 2013, http://

4 Stéphane Pouyllau, «Le libre accès privatisé ? », sp.Blog, 30 octobre 2013, http://blog.stephanepouyllau.org/709

5 Françoise Gouzi, «Réseaux sociaux académiques… Le débat ! », Archives Ouvertes, 29 novembre 2013, http://openarchiv.hypotheses.org/1883

6 https://groupes.renater.fr/sympa/arc/accesouvert/2013-11/msg00011.html

Notes

1 Voir http://corist-shs.cnrs.fr/sites/default/files/evenements/brigitteperucca_reseauxsociaux.pdf

2 Ce texte est une refonte d’un article publié sur mon blog Rumor le 21 novembre 2013, fournissant en lien de nombreuses références, http://rumor.hypotheses.org/3390

3 Christian Benech, «Academia.edu : le réseau social scientifique préféré des SHS», ArchéOrient-Le Blog (Hypotheses.org), 12 avril 2013, http://archeorient.hypotheses.org/792

4 Stéphane Pouyllau, «Le libre accès privatisé ? », sp.Blog, 30 octobre 2013, http://blog.stephanepouyllau.org/709

5 Françoise Gouzi, «Réseaux sociaux académiques… Le débat ! », Archives Ouvertes, 29 novembre 2013, http://openarchiv.hypotheses.org/1883

6 https://groupes.renater.fr/sympa/arc/accesouvert/2013-11/msg00011.html

Illustrations

Les réseaux sociaux scientifiques : une visibilité et un équilibre à consolider.

Les réseaux sociaux scientifiques : une visibilité et un équilibre à consolider.

Pixabay (Public Domain CC0)

Citer cet article

Référence papier

Eric Verdeil, « Les réseaux sociaux scientifiques : visibilité et open access », Arabesques, 74 | 2014, 16-17.

Référence électronique

Eric Verdeil, « Les réseaux sociaux scientifiques : visibilité et open access », Arabesques [En ligne], 74 | 2014, mis en ligne le 20 août 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=945

Auteur

Eric Verdeil

Géographe, CNRS, Environnement Ville Société, Lyon

eric.verdeil@normalesup.org

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