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L’obligation de non-concurrence des dirigeants sociaux : une notion malléable

Alexandra Avitabile

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1Le dirigeant social peut-il agir envers sa société comme bon lui semble ? Existe-t-il des limites à son comportement ? Cette question peut paraître basique et résolue puisque la loyauté et la fidélité du dirigeant ne font plus aucun doute. Mais le peu de décisions, d’autant plus très factuelles, nous montre que les contours de ces obligations « implicites » ne sont pas encore bien définis. L’arrêt de la cour d’appel de Lyon en est un exemple.

2M. C, associé et gérant de la société Sofrasad, démissionne de ses fonctions en 2009. Il fonde la société D qui acquiert des parts de capital de la société At’Home, société concurrente.

3La société Sofrasad, s’estimant victime de concurrence déloyale, a alors assigné la société At’Home et M. C devant le tribunal de commerce afin d’obtenir réparation de son préjudice. Ayant été déboutée, elle a interjeté appel.

4Elle estime que M. C a assumé des fonctions dans la société concurrente avant sa démission de la société Sofrasad et argue d’un débauchage massif de personnel ayant conduit à sa désorganisation, du démarchage de sa clientèle ainsi que d’actes de dénigrement.

5La cour d’appel conclut sur deux moyens : l’obligation de loyauté n’a pas été violée et le débauchage massif de salariés, la désorganisation de l’entreprise et la perte de clientèle ne reposent sur aucune faute de la part de la société At’Home et M. C.

6Ceci appelle deux remarques.

I/ Un assouplissement de l’obligation de loyauté du dirigeant de SARL

7L’obligation de loyauté du gérant de SARL est largement admise. Pour tracer ses contours, on opère classiquement une distinction entre dirigeants et associés. La Cour de cassation avait reconnu dans un arrêt de 2011 (Cass. com., 15 novembre 2011, n° 10-15049, JurisData n° 2011-025126) que s’agissant de l’associé « sauf stipulation contraire, l’associé d’une société à responsabilité limitée n’est, en cette qualité, tenu ni de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société ni d’informer celle-ci d’une telle activité et doit seulement s’abstenir d’actes déloyaux » mais que s’agissant du dirigeant, vis-à-vis de la société, il doit se montrer loyal dans l’exercice de sa fonction et ne pas prendre de décision qui s’avèrerait néfaste en considération des intérêts de la première société dont il est gérant. Finalement, il ressortait de cette distinction que tout acte de concurrence de la part d’un gérant constituait un manquement à son obligation de loyauté et de fidélité dont il est redevable envers la société tant qu’il n’a pas démissionné, d’où une obligation plus stricte que pour les associés.

8Dans ce contexte, il est étonnant que la cour d’appel ne retienne pas la violation de l’obligation de loyauté alors que M. C avait une activité dans la société concurrente avant sa démission au sein de la société Sofrasad.

9Doit-on en déduire que la tendance à l’avenir sera d’assimiler l’obligation de loyauté du dirigeant avec celle de l’associé ? Ou bien doit-on considérer cet arrêt comme étant un arrêt factuel où la cour a décidé de privilégier la position d’associé à celle de dirigeant ?

II/ Le débauchage massif de salariés et la désorganisation de l’entreprise : une décision en accord avec la jurisprudence de la Cour de cassation

10En soulignant qu’aucune manœuvre déloyale ne peut être attribuée à la société litigieuse et à M. C, la décision de la cour n’est pas surprenante et s’aligne sur les arrêts rendus par la Cour de cassation.

11Dans un arrêt inédit (Cass. com., 29 mars 2011, n° 10-17647), la cour, tout en reconnaissant que « le recrutement massif de salariés d’une entreprise concurrente ayant pour effet, hors même toute manœuvre déloyale, de désorganiser cette dernière, est constitutif d’un acte de concurrence déloyale » a estimé que le départ de salariés ne résultait pas de manœuvres de la société litigieuse mais du climat social dégradé régnant à l’époque des démissions dans la société et qu’il n’était pas démontré que le transfert d’une partie de sa clientèle était dû à des manœuvres déloyales. Elle en a donc déduit l’absence de caractère fautif des comportements dénoncés.

12Un autre arrêt (Cass. com., 03 juin 2008, n° 07-12437) va dans ce sens puisque la cour rappelle que la concurrence déloyale suppose l’existence d’une faute et que les départs concomitants de salariés d’une société et leur embauche simultanée par une société concurrente ne sauraient être considérés en soi comme révélateurs d’une faute du nouvel employeur en l’absence de manœuvres déloyales tendant au débauchage des salariés. Elle précise ensuite que le seul déplacement de clientèle à la suite de l’embauche de salariés démissionnaires d’une entreprise concurrente dans le même secteur d’activité n’emporte pas présomption d’une volonté de désorganiser le fonctionnement de la société concurrente et de détourner la clientèle.

Arrêt commenté :
CA Lyon, Chambre civile 1 A, 17 Avril 2014, n° 12/07993



Citer ce document


Alexandra Avitabile, «L’obligation de non-concurrence des dirigeants sociaux : une notion malléable», BACALy [En ligne], n°5, Publié le : 14/07/2014,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1050.

Auteur


À propos de l'auteur Alexandra Avitabile

Étudiante en M2 Droit des affaires approfondi, Université Jean Moulin Lyon 3


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