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État de cessation des paiements : incidence des avances en compte courant

Quentin Némoz-Rajot

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1Longtemps critère d’ouverture de toutes les procédures collectives, l’état de cessation des paiements a perdu de sa superbe avec l’apparition de la procédure de sauvegarde et le développement constant des mécanismes préventifs. Il n’en reste pas moins fondamental lorsqu’il s’agit d’obtenir l’ouverture d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation judiciaire comme le rappelle le présent arrêt.

2En l’espèce, dans un jugement en date de 24 juillet 2013, le tribunal de commerce de Lyon, saisi par un créancier, avait prononcé l’ouverture d’une liquidation judiciaire à l’encontre de la SARL X. En application de l’article L. 640-1 du Code de commerce, il avait été alors constaté que la société se trouvait en état de cessation des paiements (la date était même fixée au 8 juillet 2013) et que son redressement était manifestement impossible. La qualité de débiteur soumis au droit des procédures collectives, au sens de l’article L. 640-2 C. com., ne faisant pas défaut, l’ouverture de la liquidation judiciaire semblait logique. La cessation totale d’activité par la société en avril 2010 ainsi que sa radiation du registre du commerce et des sociétés le 10 février 2013 ne faisaient d’ailleurs aucunement obstacle au prononcé d’une liquidation judiciaire. L’article L. 640-5 du Code de commerce autorise en effet la demande d’ouverture d’une liquidation judiciaire émanant d’un créancier si cette dernière intervient dans un délai d’un an suivant la radiation du débiteur au RCS. Le délai légal ayant été en l’espèce respecté, la liquidation pouvait bien être prononcée.

3Pourtant, la société débitrice interjeta appel devant la cour d’appel de Lyon estimant que les conditions d’ouverture d’une liquidation n’étaient pas remplies. C’est sur le terrain de l’état de cessation des paiements que la demanderesse se place en estimant notamment que le créancier n’avait en rien caractérisé la cessation des paiements de la SARL. Condition phare d’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, l’état de cessation se définit comme l’impossibilité, pour un débiteur, de faire face à son passif exigible avec son actif disponible (article L. 631-1 C. com.). S’il n’est pas établi, un redressement ou une liquidation ne peuvent être prononcés. Sa caractérisation est donc essentielle afin d’éviter toute instrumentalisation des procédures collectives par les demandeurs.

4La cour d’appel est donc amenée à se prononcer sur cet état de cessation des paiements qui doit être prouvé par tout moyen par le demandeur. La seule absence de paiement d’une créance est en effet insuffisante pour caractériser, à elle seule, l’état de cessation des paiements d’un débiteur (Cass. com. 27 avril 1993). De plus, en application de l’effet dévolutif de l’appel et dans le but de tenir compte de l’évolution de la situation du débiteur, la cour d’appel doit se placer à la date à laquelle elle statue afin de caractériser ou non cet état de cessation des paiements (CA Paris, 3e ch., 13 nov. 2008). C’est donc en se plaçant au 27 février 2014 que la cour d’appel de Lyon devait vérifier si la SARL était oui ou non en état de cessation des paiements afin de confirmer le jugement d’ouverture.

5Pour ce faire, elle se penche donc sur le passif exigible du débiteur ainsi que sur son actif disponible tout en s’appuyant sur les conclusions du liquidateur désigné en première instance. Au niveau du passif, elle relève l’existence d’une seule créance de 23 452,69 € dont le remboursement était prévu par mensualités. Celle de juin 2013 n’ayant été payée qu’en juillet de la même année, le créancier en a conclu à la déchéance du terme de la créance et a réclamé l’ouverture d’une liquidation judiciaire et le paiement de la somme 13 587,49 € correspondant aux mensualités encore dues. Au niveau de l’actif disponible, la cour constate l’existence d’une condamnation à payer à la société débitrice la somme de 46 281,48 €. Or dans l’attente de son encaissement, cette somme a fait l’objet d’une avance en compte courant de la part du dirigeant. Comme l’a précisé la Haute Juridiction, les avances en compte courant d’associés ne sont pas à prendre en compte au titre du passif exigible lorsqu’elles sont bloquées ou lorsque leur remboursement n’a pas été demandé, ce qui parait bien être le cas en l’espèce (Cass. com. 10 janv. 2012). Ne faisant pas partie du passif exigible, l’avance en compte courant est finalement considérée comme un élément de l’actif immédiatement disponible qui devient alors largement supérieur à l’unique créance du passif exigible. Dès lors, sans même qu’il y ait lieu de discuter la déchéance du terme ou non de la créance de 13 587,49 €, la cour d’appel estime à raison que l’actif disponible de la SARL, à savoir son actif immédiatement réalisable, est largement supérieur au passif exigible et elle refuse alors fort justement d’ouvrir une liquidation judiciaire à l’encontre d’un débiteur ne se trouvant pas en état de cessation des paiements.

6Cette solution est d’une logique implacable au regard des conditions d’ouverture d’une liquidation judiciaire dont les effets justifient une vérification scrupuleuse de ces dernières. En outre, cet arrêt s’inscrit dans le courant jurisprudentiel de la Cour de cassation qui retient « qu’une avance en compte courant, qui n'est pas bloquée ou dont le remboursement n'a pas été demandé, constitue un actif disponible » (Cass. com. 12 mai 2009). Enfin, la philosophie adoptée par le législateur semble également respectée puisque ce dernier entend retenir une définition souple de l’actif disponible qui peut désormais prendre en compte les réserves de crédits ou les moratoires dont bénéficie le débiteur.

Arrêt commenté :
CA Lyon, chambre civile 3 A, 27 février 2014, n° 13-06713, n° JurisData 2014-003597



Citer ce document


Quentin Némoz-Rajot, «État de cessation des paiements : incidence des avances en compte courant», BACALy [En ligne], n°5, Publié le : 14/07/2014,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1053.

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À propos de l'auteur Quentin Némoz-Rajot

ATER à l’Université Jean Moulin Lyon 3


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