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Querelle de gardiennage et préjudice commercial

Adrien Bascoulergue


1Comme on le sait, la liberté du commerce impose de laisser une certaine marge de manœuvre aux entreprises afin de leur permettre de développer pleinement leur activité économique. Et pourtant les faits susceptibles de constituer des actes de concurrence déloyale, et reconnus comme tels par la jurisprudence, sont aujourd’hui de plus en plus nombreux en raison de la nécessité d’encadrer aussi le marché. C’est tout ce paradoxe qu’illustre, une nouvelle fois, la décision rendue par la première chambre de la cour d’appel de Lyon le 7 février 2013.

2En l’espèce, une société spécialisée dans la surveillance était titulaire d’un contrat annuel de gardiennage auprès d’un magasin de bricolage. Après avoir procédé à un appel d’offre, cette dernière avait retenu une société concurrente pour lui succéder à compter du mois de février 2010.

3Mécontente de ce choix, la société écartée avait assigné devant le tribunal de commerce de Lyon son concurrent, lui reprochant d’avoir commis une faute l’ayant privée de la poursuite de ce contrat, pour avoir présenté une offre sans être titulaire de l’autorisation administrative exigée en la matière. Cette demande avait été accueillie favorablement. Un appel ayant été interjeté, revenait alors à la cour d’appel de Lyon la mission d’infirmer ou non la solution rendue. Ce qu’elle se refuse à faire ici. Dans son arrêt en date du 7 février 2013, la première chambre civile de la cour d’appel de Lyon confirme en effet partiellement le jugement de première instance, considérant dans un premier temps qu’une faute est bien commise en l’espèce par l’appelant qui n’a pas respecté la réglementation imposée par l’administration (I), estimant, en revanche, dans un second temps, que le préjudice réparable ne peut correspondre à la perte d’un chiffre d’affaires pendant une période donnée (II).

I/ La faute du concurrent

4Selon l’article 1er de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 modifiée, qui réglemente les activités privées de surveillance et de gardiennage, l’exercice d’une telle activité est subordonné à une autorisation dont les modalités de délivrance sont précisées au décret n° 86-1058 du 26 septembre 1986. Une entreprise de sécurité ne peut exercer son activité de surveillance que si elle dispose de cet agrément. Et c’est précisément cette autorisation, ou plutôt son absence, que soulevait, dans la présente espèce, le concurrent lésé pour engager la responsabilité de son homologue, estimant que ce non-respect de la réglementation administrative constituait bien une faute au sens de l’article 1382 du Code civil. De ce point de vue, le raisonnement était parfaitement fondé. En vertu d’une jurisprudence constante, le défaut de respect de la réglementation administrative dans l’exercice d’une activité commerciale constitue une faute génératrice d’un trouble commercial pour un concurrent. La Haute juridiction l’a rappelé dans un arrêt en date du 19 juin 2001 (Com., 19 juin 2001, n° 99-15.411). Peu importe que cet agissement fautif soit intentionnel ou non. Comme l’a précisé un auteur, « contrairement à ce que pourrait laisser supposer l’expression même de concurrence déloyale, mâtinée de morale et d’économie, la concurrence déloyale n’exige pas aujourd’hui la mauvaise foi, autrement dit la déloyauté » (Y. Picod, Rép. Com., Dalloz, spéc. § 93). Si par, le passé, une distinction tendait à être faite par certains auteurs entre la concurrence déloyale qui supposait l’intention de nuire et la concurrence illicite qui n’exigeait qu’une simple faute d’imprudence ou de négligence, on sait que cette subtilité a depuis longtemps été abandonnée par la jurisprudence pour qui la concurrence déloyale suppose désormais « seulement l’existence d’une faute sans requérir un élément intentionnel » (Pour un rappel récent, V. Com. 19 septembre 2006, n° 03-20.511, D. 2006, Pan. 2930, obs. Y. Picod). L’appelant n’était donc pas fondé en l’espèce à invoquer son absence de volonté de transgresser la réglementation et sa bonne foi présumée pour s’exonérer. Dans la mesure où il avait exercé son activité de gardiennage sans être titulaire de l’autorisation nécessaire, il avait engagé sa responsabilité.

II/ Le préjudice commercial : la perte de chance

5Il était en revanche ici tout à fait justifié de critiquer le préjudice réparé par le premier juge. En effet, dans sa décision en date du 16 février 2011, le tribunal de commerce de Lyon avait choisi d’indemniser le concurrent lésé pour la perte de chiffre d’affaires sur une période de trois mois. Une telle solution était évidemment discutable dans la mesure où le préjudice causé par des agissements déloyaux est par essence toujours plus ou moins virtuel. Dans le cas d’une perte de clientèle, il est difficile, par exemple, de considérer que cette perte est toujours due aux actes fautifs qu’on dénonce alors que la clientèle est par principe volatile. Ici, c’est le même raisonnement qu’on pouvait appliquer aux faits de l’espèce dans la mesure où aucune certitude n’existait quant à l’attribution du contrat discuté à la société non retenue. Certes, par ces agissements déloyaux, la société désignée lui avait fait perdre une chance sérieuse d’être choisie pour poursuivre le contrat. Pour autant, rien n’indiquait qu’en l’absence de ce concurrent fautif le contrat lui serait forcément revenu alors que le commanditaire avait manifesté son souhait de rechercher une offre de prestataire plus large. C’est donc seulement sur le terrain de la perte de chance qu’une indemnité pouvait être versée comme le décide à juste titre la cour d’appel de Lyon.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re chambre civile A, 7 février 2013, n° 11/05630, JurisData n° 2013-002041



Citer ce document


Adrien Bascoulergue, «Querelle de gardiennage et préjudice commercial», BACALy [En ligne], n°3, Publié le : 03/07/2013,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1272.

Auteur


À propos de l'auteur Adrien Bascoulergue

Maitre de conférences à l’Université Lumière Lyon 2


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