Les droits de la personnalité au secours d’un éleveur d’animaux aux méthodes contestées
Index
Index thématique
1À l’heure où l’animal est en passe de bénéficier d’une étrange promotion, au sein du Code civil, d’un simple bien corporel meuble ou immeuble par destination à un être vivant doué de sensibilité (un amendement adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 15 avril 2014 et adopté par l’Assemblée dans la nuit du jeudi 30 octobre 2014 prévoit en effet un article 515-14 du Code civil posant : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels ») c’est par leur interprétation audacieuse des droits de la personnalité que certaines décisions étonnent tout autant. En l’espèce, une association de défense de la cause animale (ayant « pour objet principal la protection et la défense des animaux utilisés pour fournir des biens de consommation et des animaux pour l'expérimentation, le divertissement et pour toutes les pratiques dans lesquelles ils sont potentiellement en souffrance ») décida de dénoncer les conditions d'élevage de poules pondeuses au sein d’un GAEC et d'illustrer sa démarche par trois photographies et un film représentant des animaux de cet élevage. Ces images montraient plusieurs cadavres de poules en état de décomposition avancée au sein même des cages et au milieu d'autres poules infestées de parasites. Cette association menaça de diffuser les images ainsi obtenues dans les médias et notamment sur internet. Ces photographies avaient été prises clandestinement, mais sans qu’il fût établi la moindre intrusion illégale de l’association au sein de l’élevage. Le GAEC s’en plaignit devant le juge des référés saisi pour voir ordonner la saisie des supports photographiques et films vidéo pris par les membres de l'association lors de leur intrusion dans ses locaux d'exploitation, pour voir interdire à toute personne l'utilisation et la diffusion de ces photographies et films, sous peine d'astreinte de 50 000 euros par infraction constatée et pour avoir paiement à titre provisionnel de la somme de 100 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice. Le juge des référés interdit alors à l’association de publier les images litigieuses. Sur appel de l’association, la Cour de Lyon confirme la décision entreprise. En effet, elle juge, s’agissant de l’exploitation, « qu'il ne s'agit pas d'une activité publique » et que les images « étaient destinées à être diffusées au mépris du principe constitutionnel de respect de la vie privée, lequel a été étendu aux locaux professionnels, comme l'a justement relevé le premier juge ». Elle ajoute que « le fait de menacer l'exploitant de diffuser publiquement ces photographies en vue de l'engagement de poursuites judiciaires, alors que l'association n'a reçu aucune délégation de service public et ne saurait se substituer aux autorités publiques, constitue un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser en application des dispositions légales ». Il est par ailleurs jugé que le GAEC subit un préjudice non sérieusement contestable consistant en une altération de son image et justifiant l'octroi d'une indemnité provisionnelle. La décision étonne à plus d’un titre. D’abord, si le principe de respect de la vie privée, quoique absent de la lettre des textes constitutionnels, est bien pourvu de valeur constitutionnelle (la première décision en la matière étant : CC, n° 75-76 DC du 12 janv. 1977, loi autorisant la visite des véhicules en vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales, Rec., p. 33 ; JO, 13 janv. 1977, p. 344), on peut n’être pas totalement convaincu par la pertinence de sa convocation s’agissant d’une activité professionnelle. À cet égard, on rappellera que la Cour de cassation distingue elle-même en matière sociale la vie professionnelle, la vie personnelle et la vie privée. Ensuite, à supposer même le principe de respect de la vie privée (ici, celle de l’éleveur, les poules n’en bénéficiant pas, du moins pas encore...) applicable à l’espèce, celui-ci n’en doit pas moins se concilier avec d’autres impératifs, et spécialement la liberté d’information (art. 10 CEDH) dont on peut penser qu’elle pourrait, au nom de l’intérêt du public à connaître l’information, voire de la santé publique, s’appliquer à l’espèce, du moins dans un examen de l’affaire au fond…
Arrêt commenté :
CA Lyon, ch. 8, 2 déc. 2014, n° 13/06471
Citer ce document
Auteur
À propos de l'auteur Jeremy Antippas
Maître de conférences à l’Université Jean Moulin Lyon 3