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L’usage d’une marque conformément à sa fonction publicitaire peut-il participer à la reconnaissance d’un usage sérieux ?

Olivier Hubert


1La fonction essentielle de la marque consiste, selon la formule classique, « à garantir aux consommateurs l’identité d’origine du produit […] » ou du service visé à l’enregistrement (CJCE, 22 juin 1976, C-119/75, « Terrapin c./ Terranova »). Une marque permet donc de distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux provenant d’un autre opérateur. Toutefois, lorsqu’elle n’est pas ou plus utilisée, la marque ne remplit plus cette fonction si bien que le monopole qu’elle confère à son titulaire n’est plus justifié. L’action en déchéance pour défaut d’usage sérieux vise cette situation et répond à l’objectif affiché du législateur de voir les marques inutilisées disparaître au bout d’un certain laps de temps (J. Azéma, J.-Ch. Galloux, Droit de la propriété industrielle, 7e éd., Dalloz, 2012, Précis, n° 1616). Le propriétaire d’une marque peut en effet être déchu de ses droits s’il n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans (art. L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle). Il est ainsi classique qu’un défendeur à une action en contrefaçon invoque la déchéance des droits du demandeur sur la marque prétendument contrefaite afin d’échapper à toute condamnation. Il appartient alors au titulaire de rapporter la preuve de l’exploitation de la marque pour la période concernée.

2En l’espèce, la société titulaire de la marque française verbale Jet services et de la marque française semi-figurative associée, représentant un cheval ailé devant une mappemonde, toutes deux déposées en classe 39 et désignant les services de transport, a assigné en contrefaçon une société concurrente pour avoir d’une part, proposé un service de livraison de colis sous la dénomination Cool Jet associée à un logo représentant une tête de cheval et d’autre part, utilisé la dénomination « service.cooljet » pour exploiter un site internet assurant la traçabilité des envois de colis. La société défenderesse a alors soulevé, à titre reconventionnel, la déchéance des droits du demandeur sur lesdites marques pour défaut d’usage sérieux. En première instance, le tribunal a favorablement accueilli ces demandes reconventionnelles et a jugé que la société demanderesse était déchue de ses droits sur les marques en cause, avant de rejeter les demandes principales en contrefaçon. Appel a été interjeté.

3Selon l’article 564 du Code de procédure civile, « les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétention » si ce n’est, notamment, pour « faire écarter les prétention adverses ». L’article 567 du même code ajoute que « les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel ». Alors que le jugement de première instance s’était prononcé sur une période comprise entre le mois de mars 2002 et le mois de mars 2007, les demandes en déchéance des deux marques concernées portent, devant la cour, sur une période comprise entre le 1er janvier 2001 et le 1er janvier 2006 : « la période quinquennale pour laquelle l’examen est demandé à titre principal n’est pas celle qui ressort du jugement entrepris » et ces demandes en déchéance sont donc nouvelles. Néanmoins, ces demandes ne sont pas déclarées irrecevables par la cour au double motif que ces dernières « tendent à voir écarter les prétentions adverses en retirant son fondement à l’action en contrefaçon et sont de nature reconventionnelle ». Il revient donc au défendeur à l’action en déchéance de rapporter la preuve d’un usage sérieux de la marque française verbale Jet services et de la marque semi-figurative associée.

4Afin de démontrer qu’il a fait un usage sérieux de sa marque en tant que telle, c’est-à-dire dans la vie des affaires (Cass. com., 20 mars 2012, n° 11-10514) et « pour désigner les produits ou les services visés dans l’enregistrement » conformément à l’article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle, le titulaire indique à la cour que les marques visées par l’action en déchéance bénéficient d’un « taux de notoriété des plus élevés ». Néanmoins, « la renommée d’une marque pouvant perdurer longtemps après qu’elle [ait] cessé d’être utilisée […] », cette circonstance ne permet pas de prouver l’usage sérieux de la marque pour la période concernée et la cour écarte l’argument.

5L’usage sérieux pourrait ainsi être appréhendé à travers la fonction essentielle de la marque consistant à garantir aux consommateurs l’origine des produits ou des services visés. La marque exercerait en outre, selon la Cour de justice, d’autres fonctions, parmi lesquelles celle de publicité (CJCE, 18 juin 2008, C-487/07). Tel est le cas lorsque la marque est utilisée « en tant qu’élément de promotion des ventes ou en tant qu’instrument de stratégie commerciale » (CJCE, 23 mars 2010, C-236/08 à C-238/08, Google). Au cas particulier, la cour indique que « l’usage du signe Jet services pour nommer des voiliers de course peut contribuer, en renforçant sa notoriété et conformément à la fonction publicitaire de la marque, à développer la qualité de son image et à favoriser la recherche de débouchés en associant la qualité du service fourni sous cette marque à des performances de haut niveau ». Néanmoins, elle considère qu’un tel « usage ne peut prétendre, en l’espèce, participer à la création ou maintien des parts de marché s’il ne s’accompagne pas d’une présence sur le marché concerné ». Il est alors légitime de s’interroger sur le point de savoir si le seul usage publicitaire de la marque peut ou non suffire à démontrer, de manière autonome, l’usage sérieux. En théorie, l’usage publicitaire pourrait s’avérer suffisant dans la mesure où la publicité viserait des produits ou services couverts par l’enregistrement. Tel n’est pas le cas en l’espèce puisqu’il s’agit d’un sponsoring sans lien direct avec les produits ou services en cause. En pratique, un usage publicitaire s’accompagne d’ailleurs systématiquement d’une exploitation commerciale. En tout état de cause, l’usage publicitaire n’a en l’espèce pas été réalisé pendant la période visée par l’action en déchéance. Le titulaire n’étant pas parvenu à démontrer l’usage sérieux de ses marques, se voit déchu de ses droits à compter du 1er janvier 2006. L’action en contrefaçon reposant sur des faits postérieurs est donc rejetée.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re chambre civile A, 27 septembre 2012, n° 11/01242



Citer ce document


Olivier Hubert, «L’usage d’une marque conformément à sa fonction publicitaire peut-il participer à la reconnaissance d’un usage sérieux ?», BACALy [En ligne], n°2, Publié le : 17/01/2013,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1482.

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À propos de l'auteur Olivier Hubert

Doctorant en droit, Université Jean Moulin Lyon 3


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