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Manquements contractuels du licencié et juste motif

Clara Grudler


1Le défaut d’exploitation d’une marque est une cause de déchéance du droit sur la marque. Mais la question se pose, lorsque le droit d’exploitation de la marque est concédé par son titulaire à un licencié exclusif, de savoir si le manquement du licencié au contrat de licence et le défaut d’exploitation de la marque qui en résulte, peut être une cause de déchéance du droit de marque. Ou, au contraire, le comportement fautif du licencié peut-il constituer un juste motif à cette inexploitation de la marque ?

2En l’espèce, la société Financière H avait déposé la marque française « FRESH’ALP » et consenti sur cette dernière une licence exclusive à titre gratuit à la société FRESH’ALP. Suite à la résiliation du contrat, la société Financière H. assignait FRESH’ALP pour usage illicite de sa marque, ce à quoi l’ex-licenciée répondait en réclamant la déchéance des droits du titulaire de la marque pour défaut d’usage.

I/ L’évolution des notions d’usage sérieux et de juste motif

A/ La notion d’usage sérieux

3L’OHMI a expliqué qu’une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (OHMI, 1re ch. recours, 8 octobre 2012, Optilingua Holding/Michèle E.). Conformément à cette jurisprudence européenne, la Cour de cassation indiquait que l’exploitation de la marque sous une forme modifiée par rapport à celle indiquée dans le dépôt et affectant son caractère distinctif ne peut être retenue à titre d’usage sérieux (Cass. com., 15 septembre 2015, n° 14-19.497).

B/ La notion de juste motif

4En 2007, la Cour de Justice a exigé que le juste motif constitue un motif indépendant de la volonté du titulaire et entretenant un lien direct avec la marque rendant l’usage impossible ou déraisonnable (CJCE, 14 juin 2007). La Haute juridiction indiquait que des modifications législatives emportant des risques de poursuites justifiaient la non-exploitation d’une marque (Cass. com., 2 février 2016, n° 14-17404), tandis qu’il est acquis que les circonstances liées à des difficultés commerciales échappent à la notion de juste motif (TUE, 9 juillet 2003, Giorgio Beverly Hills, T-162/01 ; TUE, 18 mars 2015, T-250/13, Smart Water).

II/ Impact des manquements du licencié sur le défaut d’usage

A/ Un défaut d’usage effectif de la marque

5Dans la mesure où le licencié exclusif est seul autorisé à utiliser la marque en vertu du contrat de licence, on pourrait considérer que ses manquements constituent un juste motif à son inexploitation. Dès lors, le propriétaire de la marque ne serait pas sanctionné d’une déchéance de ses droits sur le titre. La cour d’appel de Lyon en a toutefois décidé autrement en estimant que seul l’usage de la marque était confié au licencié. La responsabilité de l’exploitation revient donc au propriétaire légal du titre. En l’occurrence, la société Financière H. a bien tenté de prouver l’usage sérieux de sa marque en se prévalant de catalogues et de publicités. Toutefois, la cour a considéré que ces éléments ne faisaient pas apparaître un usage de la marque conforme à sa fonction essentielle.

B/ L’absence de juste motif du fait de la possible résiliation de la licence

6La cour a estimé que, si le licencié exclusif avait bien manqué à ses obligations contractuelles, le concédant avait la possibilité de procéder à la résiliation du contrat sur le fondement de l’article 9 du contrat de licence qui prévoyait qu’une résiliation en cours d’exécution du contrat était possible si l’une ou l’autre des parties venait à manquer à l’une de ses obligations contractuelles. La société Financière H. pouvait dès lors résilier la licence et faire directement usage de sa marque ou trouver un autre licencié. Les circonstances de l’espèce n’étaient donc pas totalement externes au titulaire et ne rendaient pas l’usage de la marque impossible ou déraisonnable.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1
re ch. civ. A, 24 janvier 2019, n° 16/05188



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Clara Grudler, «Manquements contractuels du licencié et juste motif», BACALy [En ligne], n°13, Publié le : 01/08/2019,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2101.

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À propos de l'auteur Clara Grudler

Étudiante, Université Jean Moulin Lyon 3, M2 Droit de la propriété intellectuelle


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