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Application du principe d’interprétation stricte de la loi pénale en matière d’agression sexuelle

Mathilde Hirsinger


1À la suite d’une plainte déposée pour viol, une information judiciaire est ouverte. Le suspect est mis en examen et l’affaire, correctionnalisée, est renvoyée devant le tribunal correctionnel de Lyon. Après une décision de relaxe, le ministère public et la partie civile interjettent appel mais la cour d’appel de Lyon confirme le jugement rendu en premier ressort. Un pourvoi est alors formé devant la chambre criminelle de la Cour de cassation qui casse et annule l’arrêt et renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Lyon autrement composée.

2Si, durant l’instruction, la plaignante affirme avoir clairement exprimé son refus à tout acte sexuel, le mis en cause maintient que ce refus ne concernait que la pénétration vaginale par le sexe et non la pénétration digitale à laquelle elle avait, selon lui, consenti. La cour d’appel prononce finalement la relaxe du prévenu dans son arrêt du 5 février 2018, par une application stricte de l’article 222-22 du Code pénal, tant concernant le défaut de consentement (I) que l’intention de passer outre (II).

I/ L’insuffisance d’un refus verbal comme preuve du défaut de consentement

3L’article 222-22 du Code pénal ne définit pas l’agression sexuelle en faisant référence à la notion de consentement mais en se référant aux notions de « violence, contrainte, menace ou surprise ». C’est donc par une rigoureuse application du principe d’interprétation stricte de la loi pénale que la cour d’appel juge le refus verbal de la plaignante comme insuffisant au regard de la complexité de l’élément matériel de l’infraction. Elle relève à cet égard que, malgré un refus explicite, aucun élément objectif ne permet de caractériser la violence ou la contrainte.

4En effet, il ressort des déclarations des deux parties qu’aucune violence n’a été utilisée afin de contraindre la plaignante à l’acte sexuel. La cour relève également que cette dernière pratiquait un sport de combat qui se révèle incompatible avec un état d’emprise physique. En ce qui concerne la contrainte, la Cour de cassation énonce qu’elle doit s’apprécier de façon concrète en fonction de la capacité de résistance de la victime (Cass. crim., 8 juin 1994, n° 94-81376). Sous l’égide de cette lumière prétorienne, la cour d’appel conclut à l’absence de contrainte morale en précisant les « capacités de résistance » de la plaignante. Ainsi soulève-t-elle son intelligence, sa maîtrise de la langue française, son insertion sociale et in fine l’absence de « signe de vulnérabilité psychologique et physique particulière ».

5De fait, eu égard à l’absence d’éléments objectifs « permettant d’établir de façon certaine que le défaut de consentement […] résulte de la contrainte et de la violence », la cour d’appel, en reconnaissant le défaut de consentement sans pouvoir le lier à la violence, contrainte, menace ou surprise, souligne les failles d’un texte de loi rigide.

II/ La nécessité de la conscience du défaut de consentement

6L’agression sexuelle constituant une infraction intentionnelle, il convient de prouver à la fois la conscience du défaut de consentement de la victime, mais également la volonté du prévenu de passer outre. Sur ce point, la cour d’appel se réfère aux déclarations de ce dernier, qui a interprété le refus de la plaignante comme ne concernant qu’une pénétration vaginale par le sexe, raison pour laquelle il a procédé à une pénétration digitale. La cour précise également certains éléments (absence de résistance et de réprobation de la plaignante) permettant d’attester que le prévenu n’a pas eu l’intention et la conscience de passer outre l’absence de consentement.

7Par ailleurs, la cour relève que les déclarations de la plaignante, qui vont à l’encontre de celles du prévenu, sont contestées « par l’attitude qu’elle a adoptée après les faits », notamment le fait qu’elle soit restée dans l’appartement du prévenu, qu’elle ait accepté d’être accompagnée par lui en voiture le lendemain, ou encore qu’elle ait sollicité une somme d’argent en échange du retrait de sa plainte. Ces différents éléments apparaissent, pour la cour d’appel, « incompatible[s] avec le sentiment de peur et l’état de sidération tels que décrits par la plaignante ». Des conclusions qui semblent faire abstraction de l’examen psychiatrique qui ne révélait aucun « signe clinique susceptible de mettre en doute sa crédibilité », ou de l’attestation d’une psychologue qui soulignait « l’existence de symptômes post-traumatiques ». Malgré tout, cette décision demeure tout à fait correcte en termes juridiques, la cour d’appel ayant fait une application consciencieuse du principe d’interprétation stricte de la loi pénale.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 9e chambre, 5 février 2018, n° 18/91



Citer ce document


Mathilde Hirsinger, «Application du principe d’interprétation stricte de la loi pénale en matière d’agression sexuelle», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2185.

Auteur


À propos de l'auteur Mathilde Hirsinger

Doctorante en droit pénal, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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