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Acquisition de la nationalité française par un époux et condition de communauté de vie

Alice Astori


1En 2008, un couple a contracté mariage en Tunisie. En 2016, l’époux, de nationalité tunisienne, a souscrit une déclaration en vue d’obtenir la nationalité française. Or, les autorités compétentes ont refusé de procéder à son enregistrement. L’époux a alors assigné en justice le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon. Par jugement en date du 6 juillet 2018, le tribunal a fait droit à sa demande en ordonnant l’enregistrement de la déclaration. Le 17 juillet 2018, un appel a été interjeté par madame la procureure générale.

2L’argumentaire des parties se fonde sur une unique disposition du Code civil : l’article 21-2. Au terme de celui-ci, « l’étranger qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration ». Deux conditions encadrent le texte : à la date de cette déclaration, la communauté de vie tant affective que matérielle des époux ne doit pas avoir cessé depuis le mariage et le conjoint doit avoir conservé sa nationalité.

3Si le délai de quatre ans ainsi que la conservation de la nationalité par l’époux ne posent pas de difficulté en l’espèce, il en va autrement de la condition de non-cessation de la communauté de vie. Pour le procureur de la République et madame la procureure générale, la communauté de vie des époux ne peut ici « être considérée comme stable et convaincante ». En effet, elle aurait été interrompue à plusieurs reprises depuis la célébration du mariage. Pour cause, le mari avait quitté le domicile conjugal en 2011 ; une intervention de police avait été nécessaire pour régler des différends entre époux ; les avis d’imposition de 2014 attestent que ces derniers ont résidé dans deux domiciles distincts ; l’époux s’était déclaré divorcé auprès de l’administration fiscale et aucun élément ne permet d’affirmer qu’au jour de la souscription de la déclaration les époux avaient repris une vie commune. Autant d’éléments qui permettent de considérer que les conditions de l’article 21-2 du Code civil ne sont pas réunies.

4Selon la procureure générale, « toute rupture de la communauté de vie, même de courte durée, du mariage au jour de la déclaration vicie la communauté de vie » et empêche la déclaration de nationalité d’être enregistrée. Pour autant, la cour d’appel donne gain de cause à l’époux. Les juges retiennent qu’une période de décohabitation, bien que réelle et vérifiée, ne suffit pas à priver l’époux de la possibilité d’acquérir la nationalité française. En présence d’une reprise de la vie commune à la date de la déclaration et en l’absence d’introduction d’une instance de divorce, la communauté de vie a perduré.

5Tel que soulevé par le défendeur, l’esprit du texte doit primer sur la lettre de l’article 21-1. Les crises conjugales comme les séparations temporaires ne suffisent pas à remettre en cause l’intention matrimoniale. Bien que l’article impose une communauté de vie continue, cette exigence n’est finalement pas si stricte qu’elle n’y parait. De plus, les deux conditions prévues par l’article ne s’apprécient pas de manière cumulative mais globale. La charge de la preuve incombant « à celui dont la nationalité est en cause », comme rappelé par la cour, l’appréciation faite par les juges ne peut se faire autrement qu’in concreto.

6L’époux acquiert ainsi la nationalité française au jour de la souscription de sa déclaration. En définitive, la seule option dont peut encore user le procureur de la République pour remettre en question l’acquisition de la nationalité française par l’époux est de s’opposer, pour indignité ou défaut d’assimilation autre que linguistique, à l’acquisition de la nationalité, ceci par décret en Conseil d’État, dans un délai de deux ans à compter de cette décision du 17 décembre 2019.

Arrêt commenté :
CA de Lyon, 2chambre A, 17 décembre 2019, n° 18/05221



Citer ce document


Alice Astori, «Acquisition de la nationalité française par un époux et condition de communauté de vie», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2205.

Auteur


À propos de l'auteur Alice Astori

Étudiante du Master 2 droit de la famille, université Jean Moulin Lyon 3


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