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Des inconvénients normaux de voisinage en zone arborée

Soraya Ziouche

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1La théorie des troubles anormaux du voisinage est une limitation jurisprudentielle de la propriété, selon laquelle, « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (Cass. civ. 3e, 24 octobre 1990, n° 88-19383).

2Les époux B sont propriétaires d'une maison jouxtant la propriété de Monsieur S sur laquelle sont implantés des arbres trentenaires ainsi que des haies. Les époux B ont considéré, cinq années après l'installation de Monsieur S, que les arbres et haies implantés sur la propriété de ce dernier leur occasionnaient divers troubles et dommages. Les époux B ont assigné Monsieur S devant le tribunal d'instance de Lyon aux fins qu'il soit contraint sous astreinte, à élaguer les cèdres se trouvant sur sa propriété, à tailler les haies implantées à proximité de la clôture de séparation ainsi qu'au paiement de diverses sommes.

3Par jugement du 30 octobre 2014, le tribunal d'instance de Lyon a, d'une part, constaté que la haie en cause avait été enlevée par Monsieur S et a, d'autre part, enjoint à Monsieur S de veiller au bon entretien de sa végétation. Le tribunal a également condamné Monsieur S à réparer le préjudice subi par les époux B du fait de la présence dans les chéneaux de leur maison d'aiguilles provenant de ses arbres.

4Monsieur S a relevé appel de ce jugement. Il demande à la cour, de constater que les branches de ses arbres trentenaires implantés sur sa propriété ne surplombent pas la propriété des époux B, de juger que la présence de ces arbres ne donne lieu à aucun trouble anormal de voisinage même si les cèdres perdent leurs épines, enfin de condamner les époux B au paiement de diverses sommes. Ses arbres sont en outre, plantés sur sa propriété, bien au-delà de la ligne séparative.

5La cour d'appel de Lyon, dans son arrêt rendu le 4 février 2016, a constaté que les arbres implantés sur le terrain de Monsieur S sont régulièrement entretenus et que les époux B ne rapportent pas la preuve du défaut d'entretien. En outre, même si d'après l'expert forestier missionné par Monsieur S, il semblerait qu'une fine branche de houppier dépasse sur le terrain des époux B, ce dépassement est insuffisant à établir la réalité d'un empiètement sur le fonds voisin, sans se livrer à une lecture optique pour en être sure.

6La cour considère enfin que le fait que les aiguilles de cèdre aillent se loger dans les chéneaux de l'habitation voisine, n'excède pas les inconvénients normaux du voisinage en zone fortement arborée et que les troubles du voisinage subis par les époux B, n'étaient pas anormaux. Cependant, il semble important de rappeler que le respect des limites légales de plantation n’exclut pas la présence d’un trouble anormal de voisinage.

7La difficulté est de démontrer l'anormalité du trouble causé. Est-on en présence de troubles dépassant les inconvénients normaux du voisinage ?

8Le propriétaire en cause dans ce type de litige, fait un usage excessif de son droit, ce qui distingue cette situation de celle de l'abus de droit. Pour invoquer un trouble anormal du voisinage, les demandeurs n'ont pas besoin de rapporter la preuve d'une faute. La seule anormalité du trouble suffit. Il faut s'intéresser aux éléments de fait. Les juges se livrent à une appréciation in concreto des circonstances de temps, de lieu, etc. Ils doivent également apprécier la fréquence et la gravité du trouble. (ex : la perte d'ensoleillement peut entrainer une diminution de la valeur du bien, Cass. civ. 3e, 14 janvier 2004, n° 02-18564).

9En l'espèce, le cadre environnemental des troubles causés par les arbres de Monsieur S a été pris en compte pour apprécier l'anormalité. Les juges du fond ont relevé que dans une zone d'habitation fortement arborée, les propriétaires d'une maison ne pouvaient se prévaloir de l'anormalité de la perte d'épines des cèdres de leur voisin, alors même que ces épines viennent se loger dans les chéneaux de leur maison. Les époux B ne pouvaient ignorer, en s'installant en zone fortement arborée, les inconvénients de cet environnement. Ces inconvénients étaient prévisibles puisque les arbres en causes préexistaient à l'arrivée des époux B, et qu’ils ne sont pas anormaux. La préoccupation peut être une cause d’exonération possible mais elle est appréciée de manière restrictive. Pour la jurisprudence, si une activité est potentiellement nuisible, mais qu’elle est conforme aux lois et règlements en vigueur et qu’elle préexiste à l’installation de la victime, elle ne constitue pas un trouble anormal de voisinage. Il a, par exemple, été considéré que les nuisances provoquées par une scierie, qui était en activité antérieurement à l'arrivée à proximité, de nouveaux propriétaires, ne constituait pas un trouble anormal de voisinage, Cass. civ. 3e, 27 avril 2000, n° 98-18.838). Force est de constater que les juges du fond ont appréciée plus largement la préoccupation pour considérer que le trouble invoqué n’était pas anormal compte tenu de l’environnement d’installation.

10La cour d'appel a, à bon droit, considéré qu'il n'y avait pas lieu de condamner Monsieur S à réparer le préjudice subi par ses voisins, les troubles invoqués n’excédant pas les inconvénients normaux du voisinage. Dans le cas contraire, les juges auraient enjoint à l'auteur du trouble, de le faire cesser et l'aurait éventuellement condamné à payer des dommages et intérêts aux victimes.

11Les troubles anormaux du voisinage doivent être appréciés in concreto, ce qui explique la grande disparité des solutions jurisprudentielles en la matière.

Arrêt commenté :
CA Lyon, chambre 6, 4 février 2016, n° 14/09764



Citer ce document


Soraya Ziouche, «Des inconvénients normaux de voisinage en zone arborée», BACALy [En ligne], n°9, Publié le : 23/11/2016,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=607.

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À propos de l'auteur Soraya Ziouche

Doctorante à l'Université Jean Moulin Lyon 3


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