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Relevé de forclusion par un créancier étranger au-delà du délai de 6 mois

Charles Croze


1Nul n’ignore que les créanciers antérieurs d’une entreprise en difficulté doivent déclarer leurs créances au mandataire judiciaire dans un délai de deux mois à compter de la publication au BODACC du jugement d’ouverture et qu’à défaut, le créancier est susceptible de solliciter le bénéfice d’un relevé de forclusion.

2Les règles applicables en matière de relevé de forclusion ont évolué au gré des réformes législatives en droit français et notamment suite à l’ordonnance du 12 mars 2014 (n° 2014-326), qui a modifié l’article L. 622-26 du Code de commerce et doivent, lorsque le créancier n’est pas français mais établi en Europe, être combinées avec les dispositions des règlements communautaires en matière de procédures d’insolvabilités, qui ont aussi évolué (règlement du 19 mai 2000, n° 1346/2000 et règlement du 25 mai 2015, n° 2015/848).

3C’est sur ce thème que l’arrêt du 15 février 2018 de la cour d’appel de Lyon apporte un éclairage intéressant en ce qu’il constitue un guide pédagogique de raisonnement à tenir pour d’une part déterminer les règles applicables et d’autre part appliquer lesdites règles.

4En l’espèce, une société est placée en sauvegarde par jugement du 19 juin 2014. La sauvegarde est publiée au BODACC le 3 juillet 2014. Le 2 juillet 2015, une société de droit espagnol régularise une requête en relevé de forclusion. La requête est rejetée par le juge-commissaire et, sur opposition, par le tribunal de Commerce.

5Le créancier interjette appel et soutient, d’une part, que l’avertissement transmis par le mandataire judiciaire ne serait pas conforme à l’article 40 du règlement du 29 mai 2000 (n° 1346/2000) en ce qu’il aurait été adressé à une adresse qui ne correspondrait pas à celle du siège social et, d’autre part, que sa défaillance à déclarer sa créance dans les délais légaux ne serait pas due à son fait.

6La cour d’appel de Lyon confirme le jugement ayant rejeté la demande de relevé de forclusion en rappelant les règles applicables en l’espèce, puis en les appliquant.

7En premier lieu, la cour rappelle les dispositions applicables en droit interne en matière de relevé de forclusion, à savoir l’article L. 622-26 du Code de commerce, dans sa rédaction applicable à l’espèce.

8La procédure collective ayant été ouverte le 19 juin 2014, c’est donc l’article L. 622-26 du Code de commerce qui était applicable en sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 12 mars 2014 qui prévoit un délai de principe pour qu’une demande de relevé de forclusion soit recevable (6 mois de la publication du jugement d’ouverture au BODACC) et un délai exceptionnel (1 an de la publication du jugement d’ouverture au BODACC pour le créancier placé dans l’impossibilité de connaître sa créance avant l’expiration du délai de 6 mois).

9Il sera fait observer que désormais, depuis l’ordonnance du 12 mars 2014, le délai de principe existe toujours, mais le délai exceptionnel n’est plus d’un an à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC, mais de 6 mois à compter du jour où le créancier ne pouvait plus ignorer sa créance.

10En l’espèce, la société de droit espagnol ayant déposé sa requête en relevé de forclusion plus de 6 mois après la publication au BODACC, mais moins de 12 mois après ladite publication, se posait la question de savoir si le créancier était fondé ou non à se prévaloir du délai exceptionnel.

11En deuxième lieu, l’arrêt s’attache à vérifier si l’article L. 622-26 du Code de commerce s’applique ou non au créancier espagnol.

12La cour rappelle que cette règle impérative s’applique quand bien même le créancier est une société de droit espagnol dans la mesure où le règlement du 29 mai 2000 (n° 1346/2000), applicable à l’époque des faits, retient que la loi applicable à la procédure d’insolvabilité est la loi de l’Etat où la procédure d’insolvabilité est ouverte et que cette loi applicable détermine notamment les règles concernant la production des créances (article 4).
En l’espèce, la procédure a été ouverte en France. C’est donc le droit français qui doit s’appliquer sur les règles de déclaration de créances et les règles de relevé de forclusion.

13En troisième lieu, la cour, répondant au moyen invoqué par le créancier demandeur au relevé de forclusion, prend le soin de vérifier le respect des dispositions impératives en matière d’avertissement des créanciers connus par le mandataire judiciaire, prévues par les articles 40 et 42 du règlement du 29 mai 2000 (n° 1346/2000).

14Rappelons que ces articles prévoient l’obligation d’avertir les créanciers connus à leur résidence habituelle, leur domicile ou leur siège.

15La cour considère que le contenu de l’avertissement est régulier au regard des prescriptions de l’article 40 et ajoute que celui-ci ayant été transmis à l’adresse figurant sur les factures transmises par le créancier en août 2014 et apparaissant sur le site internet du créancier, ce dernier ne peut invoquer le fait que cette adresse ne correspondrait pas à l’adresse du siège social.

16En dernier lieu, l’arrêt mentionne que le créancier ne prouve pas avoir été placé dans l’impossibilité de connaître sa créance avant l’expiration du délai de principe du relevé de forclusion de 6 mois, mais se contente d’affirmer que sa défaillance ne serait pas due à son fait.

17La cour en conclut que le créancier ne justifie pas de son droit à bénéficier du délai exceptionnel de 6 mois qui serait susceptible de rendre sa requête en relevé de forclusion recevable. Le rejet de la demande de relevé de forclusion est donc confirmé.

18En conclusion, il sera souligné, d’une part, qu’il est inutile de prouver que la défaillance à déclarer dans les délais légaux n’est pas due au fait du créancier, si ce même créancier agit au-delà du délai de 6 mois en relevé de forclusion, sans démontrer, préalablement, qu’il était dans l’impossibilité de connaître sa créance avant l’expiration dudit délai de 6 mois et, d’autre part, que si la présente décision a été rendue sous l’empire de textes qui ne sont désormais plus en vigueur (C. com., dans la rédaction antérieure à l’ordonnance du 12 mars 2014 et règlement du 29 mai 2000, n° 1346/2000), le raisonnement et la solution demeurent parfaitement transposables aujourd’hui au visa des dispositions actuelles du Livre VI du Code de commerce et du règlement n° 2015/848 du 25  mai 2015.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 15 février 2018, n° 16/05300



Citer ce document


Charles Croze, «Relevé de forclusion par un créancier étranger au-delà du délai de 6 mois», BACALy [En ligne], n°11, Publié le : 19/10/2018,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=933.

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À propos de l'auteur Charles Croze

Avocat au barreau de Lyon


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