Michael Köhlmeier, Deux messieurs sur la plage

p. 2

Référence(s) :

Michael Köhlmeier, Deux messieurs sur la plage, Paris, Jacqueline Chambon, 2015 [2014], 250 p., 22 euros.

Texte

C’est dans l’après-coup qu’apparait plus clairement ce qui fait le charme (au sens quasi-magique du terme) de Deux messieurs sur la plage : il tient au contraste entre une écriture élégante, subtile, discrète, et les deux personnages principaux, particulièrement célèbres : Winston Churchill et Charlie Chaplin. Ce contraste redouble celui de la vie de ces deux personnages célèbres, reconnus, actifs, mais aussi hantés par la dépression, « le chien noir ».

Lors d’une soirée mondaine, l’un et l’autre s’isolent sur la terrasse de la somptueuse villa que l’on inaugure. Sans forcément se reconnaitre d’abord dans le noir, ils partent marcher sur la plage, confient l’un à l’autre la menace que fait peser sur leur vie, sur leurs jours, la dépression qui s’abat parfois sur eux. Quelques jours tard, ils se confieront l’un à l’autre leur moyen personnel pour faire reculer le chien noir : la peinture pour Churchill, la technique du clown (se coucher sur une grande feuille de papier et écrire en spirale) pour l’autre. Mais dès le premier soir, ils passent un pacte : lorsque l’un se sentira menacé par le chien noir, il appellera l’autre qui arrivera le plus vite possible.

Nous sommes en 1929, le monde donne de ses tristes nouvelles aux États-Unis avec la crise qui commence, qui fait tache d’huile, en Allemagne bientôt avec la montée du nazisme…

Les deux hommes se voient peu, pris qu’ils sont par la vie, la politique, la création, le monde, la famille. Les deux hommes se voient peu mais ils sont présents dans la pensée de l’autre, il existe quelque part quelqu’un qu’il est possible d’appeler, quelqu’un qui, tout important socialement qu’il soit, accourra. Même si, dans la réalité, ils font très peu appel, il y a quelqu’un à appeler, quelqu’un qui sait ce que c’est et qui, lui aussi, lutte.

Ce qui fait le charme, aussi, c’est le jeu du récit qui est raconté par un fils, un fils qui a hérité des papiers de son père qui se passionna pour la vie de Churchill, un fils qui a perdu sa mère tôt, qui a failli perdre psychiquement son père prisonnier de sa peine de veuf. « Un jour, je dus trainer mon père inconscient [ivre] jusqu’à sa chambre, puis lui enlever son manteau, sa veste et ses chaussures. Le lendemain matin, au petit-déjeuner, je déclarai que je n’avais plus envie de vivre. Mon père éclata en sanglots. Il ne but plus jamais d’alcool. » Quelle économie d’écriture !

Ce livre est une manière subtile de nous rappeler ce que, comme psychologue, mais être un humain attentif peut suffire ! nous découvrons en approchant le cœur des vies : de loin, certaines ont l’air réussi, voire très réussi : ainsi d’un grand premier ministre qui participa à sauver la Grande-Bretagne (et le monde occidental) de la violence nazie, ainsi d’un des plus grands cinéastes du monde qui œuvra aussi contre le nazisme avec le film sur lequel fini Deux messieurs sur la plage. De près, comme pour les peintures anciennes, on voit les craquelures ; elles donnent de l’épaisseur, de la profondeur, à chaque vie ; elles humanisent.

Ce qui fait le charme de ce livre, encore, ce sont les entrelacs, les résonances, entre le père du narrateur, le narrateur, Churchill, Chaplin… entrelacs à découvrir au fil de cette, j’hésite sur l’adjectif : douce, tendre… lecture.

« Leur première rencontre avait laissé à Chaplin un profond sentiment de gratitude ; et comme la gratitude – ainsi que la justice, la liberté, la politesse et quelques autres grandes valeurs – faisait partie du bagage essentiel de Charlot, il accordait beaucoup d’importance à ce sentiment. »

C’est un lecteur plein de gratitude qui relève cette phrase.

Citer cet article

Référence papier

Jean-Marc Talpin, « Michael Köhlmeier, Deux messieurs sur la plage », Canal Psy, 122 | 2018, 2.

Référence électronique

Jean-Marc Talpin, « Michael Köhlmeier, Deux messieurs sur la plage », Canal Psy [En ligne], 122 | 2018, mis en ligne le 09 avril 2021, consulté le 18 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1867

Auteur

Jean-Marc Talpin

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