L’enfant et la souffrance de la séparation

Interview de Maurice Berger

p. 12

Notes de la rédaction

Maurice Berger accorde une interview à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage L’enfant et la souffrance de la séparation paru cet automne, aux éditions Dunod. Propos recueillis par Catherine Bonte.

Texte

 

 

Canal Psy : qu’est-ce qui vous a motivé à écrire cet ouvrage ?

Maurice Berger : c’est d’abord la fréquence des séparations auxquelles on est confronté dans la clinique : un tiers des parents divorcent, 110 000 enfants sont séparés de leurs parents, 4 100 adoptions en France par an… Ce champ est insuffisamment théorisé. D’une part, les théorisations qu’on propose sont habituellement trop simplistes, et d’autre part, la souffrance de l’enfant est très sous-estimée dans ces situations de séparation.

Canal Psy : ce ne sont pas vos premiers écrits qui évoquent l’accompagnement des enfants… Que pourriez-vous dire qui caractérise ce « dernier-né » ?

Maurice Berger : c’est probablement celui qui est le plus proche de la vie quotidienne et qui témoigne le plus de la condition humaine. Il est essentiellement clinique. Chacun peut y trouver des morceaux de son histoire ou de l’histoire de sa famille.

Canal Psy : c’est un ouvrage où le lecteur sent votre souci d’être très clair…

Maurice Berger : cette clarté est une sorte d’exigence personnelle. Je pense que « ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement ». C’est à celui qui parle ou à celui qui écrit de faire l’effort d’être compris. Mais c’est aussi la manière dont je suis obligé d’écrire. C’est-à-dire que j’écris quand il y a une confusion ou une surcharge d’informations dans mon esprit. J’ai alors besoin d’utiliser l’écriture pour clarifier les choses.

Canal Psy : vous insistez beaucoup sur le fait qu’il ne faut pas s’éloigner de la clinique de l’enfant…

Maurice Berger : oui. En ce qui concerne la séparation, il est très facile de donner des conseils, ou de proposer des solutions dans la réalité qui ne vont pas résoudre les difficultés intrapsychiques de l’enfant. Par exemple, on a constaté que lorsqu’on séparait un enfant de ses parents maltraitants ou très inadéquats sur le plan éducatif, même si cette séparation est indispensable, cela ne règle en rien sa problématique intrapsychique. Toutes les situations de séparations invitent à raisonner de manière trop simpliste. Le seul moyen d’éviter cet écueil, c’est de ne pas lâcher d’un millimètre la clinique de l’enfant. On se rend compte à ce moment-là qu’on est confronté à l’insuffisance de nos modèles théoriques. Un autre exemple : quand on dit que les enfants dont les parents divorcent, alors qu’ils ont 4/5 ans, sont en difficulté psychologique parce qu’ils étaient en pleine période œdipienne ; le fait que les parents se séparent réaliserait leurs fantasmes incestueux ou de rivalité… On se rend compte que de telles interprétations sont la plupart du temps inefficaces en psychothérapie. Ce que l’enfant vit au niveau de l’abandon, de la perte du couple originaire renvoie à des processus psychiques bien plus complexes et plus paradoxaux que ceux que l’on voudrait.

Canal Psy : aujourd’hui un vaste champ de recherche semble vous attendre.

Maurice Berger : je ne choisis pas, en ce qui me concerne, mon champ de recherche. Il s’impose sous la poussée de la clinique, et c’est une nécessité quand on fait du soin. On ne peut maintenir une activité de soin vivante que si elle s’accompagne de recherche. Ce qui s’impose actuellement, c’est la question : « Comment gérer les situations de double parenté ? » Il s’agit de situations où les enfants vivent et doivent grandir sans être avec leurs deux parents biologiques vivant ensemble. L’enfant est alors confronté systématiquement à une disjonction entre le sexuel et le parental. Habituellement, l’enfant peut refouler tranquillement les fantasmes sexuels qu’il a à l’égard de ses parents, là, c’est bien plus complexe. La double parenté va également confronter l’enfant à des angoisses d’abandon dont on a beaucoup de mal à réaliser l’intensité…

Par ailleurs, il va falloir créer des modèles théoriques sur les formes aberrantes de parentalité auxquelles nous ne sommes pas habitués. Par exemple : un parent qui veut son enfant simplement pour jouer à la poupée, sans jamais pouvoir s’identifier à ce que son enfant ressent. À propos des mécanismes de survie antifonctionnels que les enfants mettent en place, on peut aussi dire que nos modèles théoriques sont souvent mis en pièces.

Il va falloir mettre en place des dispositifs thérapeutiques nouveaux. Qui seront toujours plus lourds que ce que l’on souhaiterait en se méfiant toujours du risque de se contenter d’intervenir dans la réalité.

Il va falloir aussi réaliser un travail au sein de nos institutions judiciaires. La double parenté est maintenant un fait de civilisation. Il s’agit d’aménager des protocoles judiciaires permettant aux enfants de mieux vivre cette situation de double parenté sans qu’elle entrave trop leur développement psychique.

Canal Psy : ce sont des rendez-vous avec d’autres publications ?

Maurice Berger : je poursuis la recherche sur ces thèmes. Un autre domaine m’intrigue aussi actuellement : le fonctionnement psychique des enfants instables, qui est particulièrement mystérieux.

Illustrations

 

Citer cet article

Référence papier

Catherine Bonte et Maurice Berger, « L’enfant et la souffrance de la séparation », Canal Psy, 31 | 1997, 12.

Référence électronique

Catherine Bonte et Maurice Berger, « L’enfant et la souffrance de la séparation », Canal Psy [En ligne], 31 | 1997, mis en ligne le 09 juillet 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2259

Auteurs

Catherine Bonte

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