Violences dans la formation ?

DOI : 10.35562/canalpsy.2300

p. 5-6

Notes de l’auteur

Éléments d’argumentaire pour une université d’été, 29 janvier 2008.

Texte

Si l’émergence de la violence dans les espaces éducatifs, en particulier scolaires, semble bien reconnue et analysée aujourd’hui par de multiples et pertinents travaux, il paraît ne pas en être de même en ce qui concerne le domaine de la formation des adultes. Celui-ci serait-il indemne de toute violence ? Ou bien les violences susceptibles de s’y exercer sont-elles plus difficiles à appréhender ? Ou encore, s’agirait-il là d’un sujet « tabou » qu’il siérait de passer sous silence ?

Toute formation d’adultes s’inscrit inévitablement dans un contexte économique : elle constitue un « investissement », tant pour le formé que pour le financeur de la formation. Elle a un coût, elle implique des négociations entre les partenaires concernés et peut donc susciter des rapports de force. Comment cette dimension économique vient-elle contraindre et, possiblement, faire violence sur la forme, les contenus et le déroulement même de la formation ?

Toute formation implique une « demande », laquelle débouche sur une « commande ». Or, la demande confronte le formateur à la complexité de l’institution qui s’adresse à lui (institution de soin, éducative, médico­sociale…). Dès lors, qui demande au juste ? Les formés eux-mêmes ? L’équipe de cadres ? La direction ? L’employeur ? Comment ne pas apercevoir, dans la disparité de ces registres, mille potentialités violentes ? Et qu’est-ce qui est demandé ? Y a-t-il consensus – sur la formation, son objet, ses finalités – entre les divers partenaires concernés, ou plutôt divergences, voire conflits ? Est-elle proposée, cette formation, ou imposée ? Est-elle présentée aux formés comme la correction de leur incompétence, ou au contraire la condition de leur promotion ? Nul doute que les circuits de l’information et leurs modalités au sein de l’institution demanderesse sont éminemment concernés par une telle dimension de l’analyse.

De la finesse de l’« écoute » de cette demande, comme de la pertinence de l’analyse qu’en effectue le formateur, dépend la construction d’un « projet de formation », lequel doit prévoir contenus et méthodes, mais aussi dispositif et cadre. Celui-ci peut-il être co-construit avec les demandeurs ? Est-il en adéquation avec le niveau des futurs formés, en conformité ou en décalage avec leurs attentes ? Et comment les compétences intrinsèques du formateur peuvent-elles éviter d’effectuer un forcing sur les représentations qu’ont les futurs formés de leurs besoins propres ? Dès cette étape, on peut entendre si l’on est dans un authentique espace de formation d’adultes ou dans une simple transposition de la pédagogie scolaire.

 

 

Nicolas Brachet

 

 

Nicolas Brachet

Toute formation se doit de comporter simultanément la définition d’un « dispositif » (les aspects matériels et spatio-temporels) et d’un « cadre » qui lie formateur(s) et formé(s).

Dispositif et cadre assument des fonctions psychiques de contenance et d’étayage de la transitionnalité engagée par les processus formatifs. Or, c’est au niveau de la précision du dispositif et de la consistance du cadre, dont le formateur est le garant, que peuvent surgir des effets de violence : trop laxiste, incohérent, voire paradoxant, le cadre rend alors l’espace de la formation dangereux et menaçant ; trop rigide, il infantilise les formés et est vécu comme un carcan.

Toute formation d’adulte se déploie au sein d’un espace relationnel complexe, groupal et multipolaire. S’entrecroisent nécessairement les relations du formateur par rapport à chacun des formés comme à l’égard du groupe qu’ils constituent, la relation des formés entre eux et vis-à-vis du formateur, éventuellement la relation des formateurs entre eux (en cas de co-animation)… C’est peu de dire que la relation des formés au formateur est marquée par la dépendance ; une dépendance acceptée, forcée, refusée ? En outre, la positivité initiale de la dynamique transféro-contra­transférentielle (l’« illusion groupale ») ne manquera pas de se retourner en son envers, avec l’apparition d’affects tels la méfiance, la crainte, le ressentiment, la haine… qui en appellent à être gérés par le formateur, sans qu’il se déloge de sa position de neutralité bienveillante !

Mais, sur un plan plus profond, il s’agira de s’interroger également sur la violence qui peut être impliquée dans la fantasmatique même de toute formation. Parce qu’elle est déformation – perte d’une forme première – et transformation, la formation engage la perte d’une identité antérieure, dans l’espoir toujours incertain d’en édifier une autre, plus enviable, plus valorisée. Sous cet angle, elle est nécessairement « mise en crise » des formés. Et, qu’elle s’organise sur un versant maternel (accouchement, mise au monde, re-naissance, genèse…) ou selon un versant paternel (le formateur comme potier, sculpteur, forgeron…), une telle fantasmatique se configure toujours sous l’aspect d’une « épreuve » existentielle.

 

 

Nicolas Brachet

Enfin, toute formation débouche en son terme sur une phase d’évaluation qui est censée porter sur les contenus et méthodes, certes, mais qui ne peut manquer de concerner le formateur lui-même, ses attitudes, ses compétences, sa disponibilité, la qualité de son animation… Or, là où il y aurait lieu de prendre en compte ce qui a été transmis et transformé par la formation, maints dévoiements peuvent se faire jour : règlements de compte, retaliations1 narcissiques, évitement de la régulière confrontation à l’inachèvement que comporte toute formation humaine…

Au total, formation et violence apparaissent strictement antinomiques dans leurs visées respectives. La violence cherche toujours à réduire l’autre, l’altérité de l’autre, au même ; elle annule la différence, elle entraîne des effets de désubjectivation ; elle fige ce qu’elle atteint, là où la formation entend accompagner en l’autre le désir de grandir, là où elle est mise en mouvement du sujet. Argument supplémentaire pour que s’organise une rencontre qui permette d’interroger la violence dans la formation et la formation de la violence.

1 Dominique Ginet utilise ici un mot plutôt rare signifiant rétorsion, vengeance, représailles.

Notes

1 Dominique Ginet utilise ici un mot plutôt rare signifiant rétorsion, vengeance, représailles.

Illustrations

 

 

Nicolas Brachet

 

 

Nicolas Brachet

 

 

Nicolas Brachet

Citer cet article

Référence papier

Dominique Ginet, « Violences dans la formation ? », Canal Psy, 98 | 2011, 5-6.

Référence électronique

Dominique Ginet, « Violences dans la formation ? », Canal Psy [En ligne], 98 | 2011, mis en ligne le 18 octobre 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2300

Auteur

Dominique Ginet

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