Tribune

p. 26-27

Texte

À cette dernière rentrée scolaire, la théorie du genre a occupé le devant de la scène suite à une polémique autour de sa prise en compte dans les nouveaux programmes de SVT (Sciences et Vie de la Terre). En effet, dans une circulaire du 30 septembre 2010, le ministère de l’Éducation nationale indiquait que les programmes de SVT pour les classes de 1res ES et L devaient comporter un chapitre intitulé « Devenir homme ou femme », dans lequel il s’agira de « différencier, à partir de la confrontation de données biologiques et de représentations sociales, ce qui relève :

  • de l’identité sexuelle, des rôles en tant qu’individus sexués et de leurs stéréotypes dans la société qui relèvent de l’espace social ;
  • de l’orientation sexuelle qui relève de l’intimité des personnes. » (Bulletin officiel de l’Éducation Nationale, spécial n° 9 du 30 septembre 2010).

À la rentrée 2011, c’est chose faite, sachant que chaque maison d’édition est libre de sa rédaction dans l’application des circulaires et que, de plus, chaque établissement reste libre quant au choix des manuels.

Dès mai 2011, certains s’étaient déjà insurgés : un courrier du Secrétariat général de l’Enseignement catholique invite les chefs d’établissement au discernement quant au choix des manuels de SVT. La mise en garde concerne ce chapitre intitulé « Devenir homme ou femme » qui « privilégie “le genre”, considéré comme une pure construction sociale, sur la différence sexuelle. L’identité masculine ou féminine, selon cette théorie, n’est donc pas une donnée anthropologique, mais une orientation ». Alors que la circulaire ministérielle différencie bien les deux niveaux de l’identité et de l’orientation, on retrouve dans cet amalgame la peur entretenue par l’Église du mariage homosexuel et de l’homoparentalité. Ce courrier est relayé par une pétition des Associations familiales catholiques, Défendons la liberté de conscience à l’école, dont Christine Boutin se fait la porte-parole dans une lettre ouverte à Luc Chatel (le 31 mai 2011), immédiatement suivie d’une riposte par l’Institut Émilie du Châtelet avec une Lettre ouverte « Enseigner le genre : contre une censure archaïque », parue dans Le Monde, lettre recueillant par la suite plus de 2 300 signatures.

Puis vient à la rentrée l’attaque frontale, bien que tardive, avec fin août la demande de quatre-vingts députés UMP adressée à Luc Chatel de retirer des nouveaux manuels scolaires SVT ce qui concerne la « théorie du genre sexuel » : « Selon cette théorie, les personnes ne sont plus définies comme hommes et femmes, mais comme pratiquants de certaines formes de sexualités : homosexuels, hétérosexuels, bisexuels. transsexuels. »

L’argument repose donc essentiellement sur un amalgame abusif : de l’idée que le genre est une construction sociale, à une transformation des définitions qui ouvrirait la porte à toutes les transformations du monde ? Certains, notamment des professeurs de biologie du public, s’inquiètent du fondement scientifique de la théorie en question, le label scientifique ne pouvant pour eux s’appliquer qu’aux sciences dites dures, dont relèvent les sciences de la vie et de la nature. Début septembre, une pétition est adressée au Premier ministre : « Il nous semble impensable d’apprendre à des adolescents que leur identité sexuelle est d’abord une construction sociale et culturelle dans un cours où seules les exigences de la raison ont droit de cité. Aidez-nous à défendre la neutralité de l’école et le respect des exigences de la raison ! » (L’école déboussolée.)

Mais tous les catholiques ne souscrivent pas à cette analyse : dès le 6 mai, le SUNDEP, syndicat national démocratique des personnels et des enseignants de l’enseignement privé, a réaffirmé que « les programmes doivent être respectés sans restriction, et que les théories et approches doivent être abordées sans censure bien sûr et sans approche morale ni dogmatique, mais au contraire avec un esprit d’ouverture et d’objectivité ». La querelle n’est évidemment pas sans évoquer celle qui fit s’opposer certains fondamentalistes religieux à l’enseignement de l’évolutionnisme dans le système scolaire états-unien, et qui oblige encore, dans certaines écoles de ce pays, les enseignants à présenter, comme si elles étaient de même nature, les théories darwinienne et créationniste.

Arrêtons-nous donc sur cet argument de scientificité, en opposition aux Sciences humaines, récurrent dans un certain monde académique alors qu’une neurobiologiste reconnue comme Catherine Vidal, directrice de recherche à l’Institut Pasteur, insiste depuis longtemps sur la plasticité neuronale du cerveau pour essayer de couper court aux offensives vulgarisées et répétées sous le titre du sexe du cerveau... Elle rappelle que « le genre est un concept qui repose sur un corpus de recherches validées dans tous les domaines, biologie, psychologie, sociologie, philosophie, anthropologie, histoire » (Libération, le 7 septembre 2011).

Catherine Vidal fait donc référence, entre autres, aux travaux bien connus en psychologie d’Irène Lézine qui, bien antérieurement à la théorie du genre, dès 1975, montrait combien dès la naissance le comportement maternel entraînait entre les bébés filles ou garçons des différences qui ne faisaient que se renforcer au fil du temps. C’est d’ailleurs pourquoi on parle en psychologie de l’enfant en termes de différenciation plutôt que de différences. Puis le concept d’identité de genre s’élabore à partir des travaux d’un psychanalyste nordaméricain, Robert Stoller, pour qui le noyau de l’identité de genre résulte d’un ensemble de facteurs aussi bien biologiques que sociaux. Peu à peu, sous l’influence américaine, le terme de genre s’est imposé en Europe pour insister, sans nier l’apport biologique, sur la construction sociale et culturelle de l’identité sexuelle.

Si la valeur scientifique de la théorie du genre n’est plus contestée au niveau international, le problème réside peut-être plus dans le fait de n’avoir voulu la faire figurer que dans le seul domaine des SVT, alors que la circulaire elle-même parle de données biologiques et de représentations sociales, les représentations sociales relevant de disciplines des sciences humaines et sociales pourtant enseignées au lycée. Pour conclure, le plus raisonnable est sans doute de se rallier à la proposition contenue dans cette dernière lettre ouverte, en date du 12 septembre, à l’initiative d’un groupe de chercheurs en sciences sociales : « De notre point de vue, les programmes doivent aller plus loin encore et aborder ces points dans toutes les filières générales, techniques et professionnelles. »

 

 

Marc-Antoine Buriez

Bibliographie

http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/140911/pourquoi-cacher-le-genre-monsieur-le-ministre

http://ecole-deboussolee.org/?page_id=147

http://www.chretiente.info/201106012547/lettre-ouverte-de-christine-boutin-a-luc-chatel-sur-le-gender/

http://www.eglise.catholique.fr

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/06/14/enseigner-le-genre-contre-une-censure-archaique_1535573_3232.html

http://www.libertepolitique.com/Aller-plus-loin/Dossiers-thematiques/Le-gender-a-l-ecole/Gender-les-AFC-lancent-une-petition-et-ecrivent-au-ministre

http://www.sundep.org/spip.php?article1177

Stoller Robert, Masculin ou féminin (traduit de Presentation of gender, 1985), PUF, Paris, 1989.

Vidal Catherine, Hommes, femmes, avons-nous le même cerveau ?, Le Pommier, Paris. 2007.

Illustrations

 

 

Marc-Antoine Buriez

Citer cet article

Référence papier

Annik Houel et Patricia Mercader, « Tribune », Canal Psy, 98 | 2011, 26-27.

Référence électronique

Annik Houel et Patricia Mercader, « Tribune », Canal Psy [En ligne], 98 | 2011, mis en ligne le 19 octobre 2021, consulté le 18 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2314

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Annik Houel

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