Version Métopes : 2.2
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Ce numéro de Canal Psy est un peu en retard… disons qu’il a su se faire désirer ?
Le point de départ de ce numéro se situait initialement dans notre volonté de proposer aux lecteurs de Canal Psy une trace écrite de la conférence du 24 avril 2014 qui a eu lieu à la Bibliothèque Municipale de La Part-Dieu dans le cadre des « Amphis de Lyon 2 » et de l’appel à projet « Réussite & qualité ». Psychologie sociale, Histoire, Neuropsychologie, trois intervenantes de trois disciplines différentes avaient tenté d’apporter des éléments de réponse à la question de l’oubli collectif et de la manière dont une société ou un groupe pouvaient le mettre en place.
Ou bien, nous pourrions situer l’origine de ce numéro à la proposition, déjà ancienne, de Denis Forest et de Loraine Gérardin-Laverge, de rendre compte des données de la Philosophie et des Neurosciences cognitives sur la question de la mémoire et de ses capacités de reconstruction…
À moins que… oui, à moins que ce ne soit lors de la 2e journée de réflexion du Groupe de Recherche en Psychologie Sociale sur les thématiques de la subjectivité et de la narrativité en 2009 que se situent les prémisses de ce projet ?
Nous ne nous souvenons plus vraiment…
Aujourd’hui, nous ne pouvons que constater que ce dossier sur l’oubli et les dimensions sociales de la mémoire va bien au-delà de ce projet initial : Du point de vue intra-individuel, les travaux de Catherine Thomas-Antérion font état de recherches à la jonction de la neuropsychologie et de la psychologie sociale puisque le collectif est convoqué par le biais de souvenirs autobiographiques liés à des événements publics. Les résultats riches présentés dans cet article montrent que ce qui ne reste pas sous la forme du souvenir (vivace) est « oublié ». Cependant, les neuropsychologues en étudiant « ce qui perdure » s’inscrivent alors dans une démarche en creux, consistant à mettre en évidence ce qui peut rendre un souvenir solide et donc étudier son mécanisme inverse (ce qui a disparu). Les travaux consacrés aux flashbulbs memories (souvenirs d’événements publics émotionnellement importants ancrés dans la mémoire autobiographique des sujets) permettent alors d’envisager les facteurs qui inscrivent plus durablement le souvenir (temps, émotions…) et de décrire sa nature.
Virginie Hollard évoque dans son article la mise en place de l’oubli institutionnel dans la vie politique romaine. Celle-ci a en effet prévu, dans le fonctionnement de ses institutions, un oubli politique permettant de faire disparaître de la mémoire collective la trace des mauvais dirigeants de la cité après leur mort. Cet oubli politique portait un nom : la damnatio memoriae. La richesse de cet article met en lumière à la fois la manière dont « l’effacement est visible » (par le biais du martelage des noms), mais aussi la manière dont la communauté construit collectivement cet oubli de manière à donner une version consensuelle, réunifiante et réconciliante de la cité pour l’avenir.
Raphaël Colson retrace avec finesse la façon dont les œuvres de fiction (et de science-fiction) rendent compte de la façon dont l’Histoire est transformée, reconstruite à travers le temps par la mémoire (personnelle et collective) et l’imaginaire des auteurs de livres, de bandes dessinées ou de films. À travers des exemples pris dans la transmission culturelle de la Grande Guerre, ce spécialiste de l’imaginaire populaire nous montre combien cette dernière est à la fois recomposée en fonction des époques et des enjeux sociétaux, mais qu’elle conserve tout autant des constantes qui rappellent le processus d’ancrage cher à la théorie des représentations sociales.
Jean-Marc Talpin nous invite enfin avec enthousiasme à la lecture d’un essai sur la « mémoire culturelle » au travers de la manière dont on parlait de l’époque nazie et de la Shoah au sein des familles allemandes des années 2000.
Si nous n’avons su hasarder que quelques hypothèses sur les raisons qui nous ont amenés à réaliser ce dossier sur l’oubli, nous ne pouvons qu’espérer qu’il sera le point de départ de nombreux projets de numéros articulant ainsi les différentes approches des sciences humaines et sociales, démarche qui n'aurait pas laissé indifférente la regrettée Danielle Morange à qui nous rendons hommage en fin de numéro.
Nous vous souhaitons une agréable lecture.