Canal Psy https://publications-prairial.fr/canalpsy Créée en 1993, la revue Canal Psy propose tous les trois mois un dossier de fond sur une thématique relative aux champs et aux pratiques de la psychologie, une bibliographie, des rubriques, des interviews, des pages culturelles, des fiches méthodologiques, des recherches en cours ... le tout dans un soucis de transmission et d’ouverture aux disciplines de sciences humaines. fr Les règles du mikado, Erri de Luca, Paris, Gallimard, 2024, 154 p., 18 € https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3612 Il y a un tel, écrivain qu’on lit avec plaisir, il y a une telle, écrivaine qu’on lit avec intérêt. Ils et elles sont en nombre, qui valent le risque de les lire. Et puis, il y a Erri de Luca, un coup de cœur à vie. Une ligne dure de la littérature mondiale, un axe, comme il l’écrit dans Les règles du mikado, dans une vie de lecteur. Et, lui qui est aussi alpiniste, une pierre dure. Ses phrases sont dures, denses, pour une œuvre d’une immense humanité sans complaisance. Quand on commence, quand on avance dans Les règles du mikado, on se dit que c’est bien du "de Luca". Les phrases polies, si précises qui demandent qu’on s’y arrête, qu’on les laisse se déployer en soi, tout en se disant qu’on y reviendra. Deux êtres qui se rencontrent : lui, un homme déjà vieux (être vieux, c’est quand on dit plus souvent encore : je fais encore ceci, cela) campe dans la montagne, elle, une toute jeune femme, la quinzaine, fuit sa famille et un mariage arrangé, forcé. On repense à un proverbe de Chrétien de Troyes cité par Éric Rohmer (un tout autre univers) : Qui trop parole, il se méfait. Nul ne parle trop chez "de Luca". On s’observe, on ne se livre pas, ou ce qu’il faut. Il la protège, l’aide à s’installer, à se faire une autre vie loin de sa tribu, loin de sa culture. Il lui fait découvrir la mer, elle y fera son métier, une famille, une vie. Quand on a dit cela, et c’est déjà beaucoup, et c’est un bonheur de lecture, on n’en a pas dit la moitié. Et on taira le reste car ce livre de "de L ven., 21 févr. 2025 00:00:00 +0100 https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3612 Au risque de la sédition, la triche comme coopération entre les élèves https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3589 Avant-Propos C’est une salle de classe vide comme il en existe un peu partout dans l’école de la République. Une trentaine de chaises assorties à autant de bureaux, un tableau blanc et des néons qui grésillent. À une de ces tables, sur une de ces chaises, est assis Dimitri, élève de troisième dans un collège rural. Dimitri n’est pas très grand pour son âge, il porte des lunettes, un sweat trop grand et ses cheveux lui cachent une partie du visage. À côté de lui est assis son « copain, [son] pote », Arthur, élève de troisième également, les cheveux en brosse, plus grand et massif que lui. Sur la table à laquelle ils font face, trois gobelets en carton opaques sont disposés en ligne, une balle de ping-pong posée devant celui du milieu. Je suis assise face à ces deux élèves, je leur propose « un petit jeu, rien de bien compliqué, il faut trouver sous quel gobelet se trouve la balle ». Dimitri hoche la tête en souriant, il fixe les gobelets, bras croisés, en retrait sur sa chaise, Arthur quant à lui est penché vers la table, stoïque et concentré. Je triche. Il n’existe pas une balle, mais deux, je vais faire perdre les deux élèves. Ils n’ont pas le droit de toucher les gobelets que je suis la seule à manipuler. À la deuxième manipulation, Dimitri approche sa main des gobelets, je lui demande de « ranger [sa] main », il glisse donc sa main dans la manche de son sweat et approche sa manche vide des gobelets, je précise « la manche aussi, il n’y a que moi qui aie le droit de toucher lun., 17 févr. 2025 00:00:00 +0100 https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3589 Co-construire la recherche en oncologie : l’exemple du développement du projet de recherche collaboratif Draconis https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3591 Depuis les années 1990, un contexte favorable à la reconnaissance et à l’action des usagers se dessine dans le champ de la santé. Cette évolution se concrétise par la promotion de la démocratie sanitaire (Compagnon, 2014), notion inscrite dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. En 2020, la Haute Autorité de Santé a publié des recommandations visant à renforcer l’implication des usagers dans l’ensemble des secteurs de la santé. La participation des patients à la recherche est désormais reconnue comme constituant un élément clé de la pertinence des recherches en santé (Noël-Hureaux, 2019), ce que souligne par exemple l'existence d’appels à projets dédiés au sein desquels les financements de recherche sont explicitement conditionnés à la participation d’au moins un patient aux côtés des chercheurs et de la qualité de la construction du partenariat entre patients et chercheurs (e.g. Appel à projets Oncostarter thématisé Expérience Patient du Cancéropôle Lyon Auvergne Rhône-Alpes). C’est dans cette dynamique de reconnaissance croissante de l’expertise du vécu des patients qu’a été pensé en 2023 le projet Draconis (Description des tRoubles neurocognitifs et psychiatriques Associés aux thérapies Ciblées utilisées dans le traitement des cancers du poumOn avec fusioN ALK/ROS1 et de leurs conséquences sur la qualité de vie des patients : construction par une approche collaborative patients-chercheurs d’une filière expérimentale de lun., 17 févr. 2025 00:00:00 +0100 https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3591 Comment les humains coopèrent-ils pour transmettre et améliorer leurs techniques ? https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3583 Introduction Les plus anciens outils que nous connaissons sont les outils en pierre taillée dont la technique de fabrication consiste à frapper deux pierres l’une contre l’autre. Comme la technique semble simple, d’aucuns pourraient croire que son apprentissage l’est également. Peut-être suffit-il de pouvoir observer, une ou deux fois, un congénère dans le feu de l’action et de pouvoir s’exercer ensuite quelques minutes ? La réalité est tout autre. Stout et coll. (2015) ont rapporté que près de 170 heures d’entraînement de taillage de pierre en compagnie de deux experts comme enseignants étaient loin d’être suffisantes pour que des novices maîtrisent la création de bifaces, à savoir ces pierres dont plusieurs éclats ont été retirés pour leur donner une forme de pointe. Évidemment, l’entraînement finit forcément par fonctionner, puisque sinon la technique aurait disparu depuis longtemps. Quoi qu’il en soit, à l’égard à ces résultats se pose une question fondamentale à la croisée de l’anthropologie et de la psychologie. Puisque l’apprentissage de la fabrication de bifaces est si exigeant, serions-nous capables d’inventer ces bifaces par nous-mêmes, sans aucune aide ? Est-ce qu’un individu vivant depuis sa naissance, seul, sur une île déserte, sans aucune trace humaine, sans aucun contact humain, pourrait enchaîner une succession de découvertes sur la taille de pierre l’amenant à produire de lui-même un biface ? La réponse qui fait actuellement consensus dans la communauté est n lun., 17 févr. 2025 00:00:00 +0100 https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3583 Édito https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3588 «  La seule chose qui sauvera l’humanité est la coopération.  » — Bertrand Russell, 1954. La coopération, fil rouge entre espèces, savoirs et humanité. Dans un monde marqué par des crises écologiques, sociales et sanitaires, la coopération apparaît comme une clé essentielle pour notre avenir. Elle structure nos interactions, stimule nos progrès et transcende les frontières entre espèces. Si elle est cruciale pour la survie de nombreuses espèces, elle occupe une place singulière chez l’humain. Dès l’enfance, la coopération favorise le développement cognitif et social. Les travaux de Bowlby et Piaget montrent qu’en jouant et en collaborant avec leurs pairs, les enfants apprennent à communiquer, résoudre des problèmes et gérer leurs émotions. Elle stimule également la créativité, encourage l’exploration de perspectives variées et favorise l’innovation. Au-delà de l’individu, la coopération est un moteur essentiel pour les groupes et organisations, permettant d’atteindre des objectifs communs. Elle renforce aussi l’estime de soi et le sentiment d’appartenance, en procurant sécurité et confiance. Mais elle interroge aussi les dynamiques de compétition. Comme l’expliquait Bourdieu, dans la recherche scientifique, une tension existe entre la compétition — moteur de progrès — et la coopération, indispensable pour partager les connaissances et résoudre des problèmes complexes. Ce numéro de Canal Psy explore la coopération sous des angles variés, mettant en lumière sa richesse et sa co ven., 14 févr. 2025 00:00:00 +0100 https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3588 Le mouvement entre topie et atopie : ritournelles groupales, ritournelles doctorales https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3608 Cet article conjoint se trouve à l’intersection de plusieurs espaces et temporalités. Temporalité de la thèse qui touche à sa fin, espace entre-deux du contrat doctoral unique (financement de la thèse), espace-temps particulier de la recherche de terrain auprès de groupes en mouvement. Bien que portant sur des thématiques différentes, qui semblent même éloignées — d’une part les dispositifs à médiation et d’autre part l’approche groupale de l’équipe pluriprofessionnelle — nos travaux se recoupent à l’endroit d’un topos particulier qui semble difficile à saisir. Nous nous sommes donc appuyées sur la figure de la ritournelle, chère à Deleuze, mêlant le temps à l’espace. Celle-ci a permis de donner une première forme à nos intuitions et a constitué un objet commun de notre réflexion. En écho direct avec l’expérience doctorale, il sera question des espaces et des rythmes qui permettent tant de s’abriter, que de traiter l’expérience chaotique. La ritournelle, en mouvement circulaire, est aussi en lien avec la collaboration — entre nous d’abord, puis émergente des groupes étudiés, dans les différents espaces de la réalité psychique. ven., 14 févr. 2025 00:00:00 +0100 https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3608 Questions à René Kaës https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3611 Jean-Marc Talpin : C’est toujours une joie que de voir paraitre un nouveau livre de toi, on se dit que cela va venir alimenter notre réflexion.Je te propose de commencer par une question d’actualité, ce livre étant sorti au printemps 2024, un peu avant les élections européennes, les résultats de l’extrême droite à celles-ci et la décision de dissolution du parlement par E. Macron. Le titre de ton nouveau livre parle de catastrophe et de désir de changement. Comment articules-tu ces événements et les éléments du titre ? René Kaës : Cher Jean-Marc, je te remercie de tout cœur de m’avoir proposé de parler avec toi de mon dernier ouvrage, Les utopies, et de reprendre à cette occasion quelques précisions au sujet de sa spécificité.J’ai commencé à travailler sur l’utopie, il y a bien des années, en lisant les travaux des philosophes créateurs d’utopie, des historiens, des sociologues, des linguistes commentateurs de ces ouvrages… J’en ai retiré le plus grand profit. J’apprenais avec intérêt que la plupart des utopies apparaissaient dans le contexte d’une catastrophe collective et exprimaient le désir d’un changement radical dans l’organisation et la finalité d’un monde autre, la plupart du temps éloigné dans l’espace et le temps. C’est ce que je relate dans les premiers chapitres de mon ouvrage.Parallèlement, dans la clinique de la cure psychanalytique et dans celle du travail psychanalytique avec les groupes, j’étais confronté à une autre question : comment et avec quels effets l’ ven., 14 févr. 2025 00:00:00 +0100 https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3611 Clémentine Mélois, Alors c’est bien, Paris : L’arbalète/Gallimard, 2024, 202 p., 19,50 € https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3563 La joie, ça éclate, c’est fait pour ça, la joie, se diffuser, se répandre. La joie, et la tendresse aussi. Et la tristesse quand elle vient mâtiner les deux autres, et réciproquement. En un mot, cela s’appelle la vie. Alors c’est bien est de ces livres qui vous mettent en joie et vous bercent le cœur dans la créativité d’une écriture qui fait entendre les mots, le plus souvent des mots simples, alors qu’on finit souvent par ne plus les entendre. Clémentine revient sur son enfance, son adolescence, sur leurs lieux, déploie la mythologie familiale, une mythologie heureuse et fantaisiste, dans l’accompagnement de la maladie, de la fin de vie, de la mort de son père. Et si les larmes sont là par moment ce sont au fond des larmes de consolation, des larmes de tristesse de la perte (ne plus revoir ce père aimé, et parfois agaçant quand il termine, et salope, ce que vous aviez commencé), des larmes de reconnaissance aussi pour cette belle vie partagée, pour cette belle vie permise aussi dans la liberté. « Alors c’est bien » ce sont les derniers mots du père. Quel cadeau à sa fille qui se tient sans crainte auprès de lui. Dans cette famille créative, un peu bohème, foutraque serait sans doute plus juste, dans cette famille enrichie des amis, l’enterrement du père a été préparé avec lui, on a trié avec lui dans ses œuvres, on a fait une expo dans le capharnaüm enfin ordonné de son atelier, on a créé aussi la plaque pour sa tombe avec ce métal émaillé qui faisait ses créations. Et l’en ven., 22 nov. 2024 00:00:00 +0100 https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3563 De l’environnement à la nature : comprendre et améliorer les relations des individus à leur cadre de vie https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3565 Conceptualiser les relations individus-environnement. Dès ses origines, la psychologie environnementale s’est penchée sur les relations individu-environnement au sens large, c’est-à-dire en se rapportant à trois dimensions : une dimension globale, centrée sur les relations avec l’environnement naturel ; une dimension sociale, qui intègre les relations inhérentes à la société ; et une dimension idéologique et culturelle (pour un court historique, voir Günther, 2022). Ces trois aspects se rapportent à des influences mutuelles et ne sont pas sans rappeler trois des niveaux d’analyse de Doise, bien connus en psychologie sociale (Doise, 1982) : interindividuel, positionnel, et idéologique ; ou encore le modèle écologique de Bronfenbrenner. Ce dernier (Bronfenbrenner, 1977) positionne l’individu au centre de cercles concentriques représentant le microsystème (interactions immédiates de l’individu avec son environnement proche), le mésosystème qui intègre les relations entre deux microsystèmes, l’exosystème, qui inclut les structures et organisations sociales, et enfin le macrosystème qui correspond au niveau idéologique d’une culture. Dans tous les cas, la définition générale de la psychologie environnementale reprend cette idée d’analyses « des relations, interactions et transactions entre les personnes, les groupes sociaux, les organisations et les communautés, avec leurs environnements sociophysiques (naturel, construit et technologique), et les ressources disponibles. Elle ente ven., 22 nov. 2024 00:00:00 +0100 https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3565 Changement climatique et chocs écologiques : quelle contribution des approches en psychologie ? https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3567 Introduction Si elle pouvait nous paraître distante et abstraite, l’évolution du climat fait partie de notre quotidien. Son traitement est journalier dans les médias, et la population générale en France (particulièrement dans les territoires d’outre-mer) fait l’expérience des anomalies, dérèglements et aléas imputables au changement climatique d’origine anthropogénique. Comme lors de la crise sanitaire de la COVID-19, nombre de collègues semblent souhaiter se reconvertir pour apporter leurs théories, outils et résultats à la lutte contre le changement climatique et ses effets. S’il faut saluer cette tendance, il faut aussi se poser la question de ce que peuvent contribuer les approches en psychologie, notamment ses approches cognitivistes. Certains de ses tendances profondes (notamment son individualisme méthodologique [Chater & Loewenstein 2023] ; ses difficultés et/ou réticences à intégrer les approches d’autres sources de connaissances ; aussi son inscription épistémologique portée sur le test frénétique d’hypothèses [Rozin 2001 ; Eronen et coll. 2021]) peuvent nuire à cette ambition. Avec ce court article, je souhaite discuter de la contribution possible des outils et approches en psychologie et approches cognitives à la question non pas de comment la psychologie peut aider à réduire notre coût carbone et les effets du changement climatique (voir Vlaneascu et coll. 2024), mais à comment les individus et populations peuvent continuer à faire cohésion après des aléas qui me ven., 22 nov. 2024 00:00:00 +0100 https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3567