Science divinatoire et observation médicale

Regards croisés sur la monstruosité dans Guzmán de Alfarache de Mateo Alemán

DOI : 10.35562/celec.139

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Le roman picaresque espagnol a saisi le caractère irrationnel et sidérant du gueux, dont l’énormité en fait l’une des figures majeures du monstre au Siècle d’Or. Guzmán de Alfarache, le « héros de la marge »1 alémanien, est un exemple probant de cette mixité ontologique. Le gueux y apparaît sous les traits d’un être emporté, en proie aux impulsions d’une bestialité latente, comme l’attestent la médiocrité de cœur et l’esprit démesuré de vengeance par lesquels il se distingue d’ordinaire. Humain de par son hominité et inhumain au regard de sa moralité désaxée2, deux natures cohabitent en cet être hybride, vicieux et transgressif, prêt à se livrer à toutes les abjections pour satisfaire son besoin de reconnaissance.

Il est une relation intime entre l’autobiographie fictive du gueux et la monstruosité ontologique que le récit concrétise et problématise tout à la fois, en donnant chair au monstre. Deux approches confirment l’imbrication des dimensions anatomique et axiologique de la monstruosité. Un cas tératologique, scientifiquement avéré, – le monstre de Ravenne – ouvre cette réflexion corporelle de la monstruosité, en s’articulant dans le prolongement moral du portrait paternel. Un second type de monstre illustre la perméabilité de la frontière entre difformité et perversion. Le monstre artificiel qui clôt symétriquement la première partie, est doublement monstrueux : le gueux est appréhendé comme monstre en raison de sa difformité apparente. En outre, à cette époque, le comportement mimétique consistant à singer la Création en façonnant de grossières copies monstrueuses, est considéré comme particulièrement choquant et irrévérencieux. À tel point qu’Ambroise Paré, dans son traité Des monstres et prodiges3, range des récits similaires de gueux pathomimes, aux côtés de cas authentiquement pathologiques, parmi lesquels figure le prodige né à Ravenne. L’intertextualité avec les traités médicaux met en relation les enjeux littéraire et scientifique du questionnement sur le monstre.

Les deux sciences qui se disputent alors l’étiologie du monstre, engagent des réponses d’origine, ou transcendante, ou naturelle. La science divinatoire, issue de la christianisation de la tératomancie antique, voit dans le monstre le signe céleste d’événements à venir. Cette représentation traditionnelle du monstre comme prodige cherche les causes divines de son apparition : c’est l’interprétation que propose le récit concernant la naissance insolite du monstre de Ravenne. Cette conception se voit relayée dès la fin du XVIe siècle par l’émergence d’un discours médical qui prélude au fondement de la tératologie moderne. Un savoir médical, fondé sur l’observation anatomique, s’exerce à identifier les mécanismes physiologiques de la difformité et cherche une cause rationnelle à l’apparition des monstruosités. Au livre III de la première partie, Guzmán, qui simule des plaies pour mendier, cherche à échapper au regard suspicieux des médecins et des chirurgiens, capables de déceler l’imposture.

C’est de la perception du monstre que partira notre analyse : qui regarde le monstre et que nous dit le texte de la manière de concevoir la monstruosité au début du XVII? La science et la foi sont-elles incompatibles ou se complètent-elles dans leurs explications ? Et comment le récit intègre-t-il le débat idéologique sur le monstre à une réflexion anthropologique sur la monstruosité du gueux ?

I. Le débat sur l’étiologie du corps monstrueux

Deux réflexions sur le corps monstrueux encadrent la première partie du Guzmán de Alfarache : le monstre de Ravenne, au seuil du récit, et le monstre artificiel, à la fin du livre III. Pardelà l’opposition entre cas authentiquement tératologique et pathologie simulée, il nous importe de considérer la perception du corps jugé monstrueux, par l’une ou l’autre des sciences du monstre. Examinons tout d’abord l’approche ésotérique de la divination à travers l’exemple du monstre de Ravenne.

1.1. La divination

L’an 1512, alors que de cruelles guerres ravageaient l’Italie, il naquit à Ravenne, peu avant qu’elle ne fût pillée, un monstre étrange qui mit le monde en grand étonnement :
Au-dessus de la taille, il avait le tronc, la tête et le visage d’un homme, mais au front une corne. Il était sans bras, à la place desquels nature lui avait posé deux ailes de chauve-souris. Au milieu de la poitrine il portait l’Y de Pythagore et une † bien dessinée entre l’estomac et le ventre. Il était hermaphrodite, les deux sexes parfaitement formés, n’avait qu’une cuisse et une jambe, un pied griffu de milan, et un œil sur l’os du genou. Chacun admirait grandement ces monstruosités ; et les doctes, considérant que les monstres sont d’ordinaire signes célestes, se mirent à en tirer explication. Il s’en fit plusieurs, mais la seule bien reçue fut la suivante : que la corne signifiait la superbe et l’ambition ; les ailes l’inconstance et la légèreté ; l’absence de bras, défaut de bonnes œuvres ; le pied d’oiseau de proie, avarice, usure et voleries ; l’œil au genou, l’amour des choses basses et mondaines ; les deux sexes, la sodomie et la bestialité. Ces vices régnaient tous pour lors en toute l’Italie et lui faisaient encourir le châtiment de Dieu par le fléau de ces guerres et dissensions. Mais la † et l’Y étaient de bonnes marques, car l’Y en la poitrine signifiait vertu et la † sur le ventre promettait que s’ils refrénaient leur sensualité et recevaient la vertu dans leur sein, Dieu apaiserait son ire et leur donnerait sa paix4.

1.1.1. La représentation du corps monstrueux comme prodige

L’aberration du corps monstrueux appelle un discours cohérent qui redonne sens à l’insolite : la divination, qui s’achoppe à l’énigme du monstre interspécifique, se tourne vers la théologie pour expliquer l’étiologie monstrueuse. Cette sacralisation du monstre est loin d’être nouvelle. Le récit s’en remet à une tradition interprétative qui depuis l’Antiquité romaine, confiait à des Aruspices, le soin de prédire l’avenir en déchiffrant les signes célestes. Le déchiffrement du prodige incombe, dans le texte, à des personnes désignées de manière équivoque sous le nom de « doctes », qui s’adonnent à une pratique païenne ancestrale pour réinsérer la monstruosité dans l’ordre cosmique de la Création. À quoi tient la fortune de ce modèle interprétatif ? Le monstre de Ravenne est intuitivement présenté comme hybride, androgyne. Cette composition est le fruit d’une perception imaginative et analogique, propre à l’expérience sidérante, qui trouve une justification dans la cosmovision sacrale, propre au christianisme et aux religions polythéistes de l’Antiquité. Pour l’homme de l’Âge classique, qui tente d’apprivoiser l’étrangeté et de la ramener dans l’ordre du connu, Dieu a ordonné le monde en créant un réseau de signes qui entrent en correspondance les uns avec les autres par leur forme. La théorie des signatures attribue ainsi la découverte de la pharmacopée à la ressemblance visuelle entre la maladie et la forme de la plante médicinale qui en guérit. Il en va de même pour le corps monstrueux, dont la difformité évoque des formes animales : vu à travers le prisme de l’analogie, le monstre de Ravenne est un hybride d’homme, d’oiseau et de ruminant, un être interspécifique contre nature, qui n’a rien à envier aux chimères fantastiques de la mythologie. Pour reprendre les propos de Pierre Ancet, l’homme de cette époque « ne cherche pas à le ramener à une humanité déformée, il ne se demande pas si ce qu’il voit est de l’ordre d’une ressemblance plus supposée que constatée. Car ce qu’il voit a valeur de signe. »5 Partant de cette hybridité fondamentale du monstre, la tératomancie fait du monstre de Ravenne un prodige, un texte sacré et prophétique sur lequel un groupe d’herméneutes se livrent à une glose exégétique.

1.1.2. Une science incertaine

L’interprétation sémiologique du monstre de Ravenne s’effectue en deux étapes, clairement dissociées dans le récit. Dans un premier temps, une perception intuitive, et sans doute largement partagée, associe les difformités corporelles à des éléments hétérogènes, empruntés à diverses espèces animales. L’analogie pense la difformité en terme de substitution d’une partie du corps humain par son corrélat chez l’animal. C’est de cette représentation que part le travail interprétatif de la divination, qui cherche l’analogie du corps animal au symbole. L’ensemble des projections axiologiques alimente un discours prophétique controversé, partagé entre négativité de la bestialité, et positivité des symboles de la croix et du bivium. Au demeurant, la divination élabore un discours abouti sur le monstre. Mais s’agit-il pour autant d’une science ? La rhétorique, efficace et convaincante, pourrait le faire croire. La description du monstre de Ravenne présente l’armature solide et rigide des démonstrations scientifiques. La distribution tripartite de l’explication – contextualisation, tératoscopie, tératomancie – tient de la stratégie discursive. Il s’agit d’abord de reconstituer les étapes du raisonnement divinatoire pour donner une impression de rigueur scientifique. L’atermoiement de l’interprétation sémiotique, livrée seulement dans la dernière partie, ménage par ailleurs un effet de révélation particulièrement efficace. Si l’on ajoute à cela l’histoire textuelle du récit, repris dans de divers traités médicaux, on pourrait gager de la caution scientifique de l’interprétation. Cependant, ce serait sans compter la mention significative, dans le récit remanié par Mateo Alemán, de plusieurs autres compréhensions du monstre. L’ambivalence des signes conduit à penser que les pronostics divinatoires se limitent à de vaines conjectures chimériques. Dès lors que la tératologie ancienne se montre incapable d’élaborer un discours univoque sur le monstre et que l’on dénombre autant de spéculations ésotériques que de subjectivités, la divination perd tout crédit au regard de la science des monstres.

Ce point de détail, qui ébranle les fondements de la divination, prépare l’anamorphose du discours sur les monstres visible au livre III de la première partie où la médecine prend le relais de la divination pour aborder la question tératologique. Débarrassée du « démon de l’analogie », qui faisait du monstre le vecteur d’un message divin, la médecine commence à interroger le corps monstrueux pour ce qu’il est et à chercher les raisons physiologiques de la monstruosité.

1.2. Curiositas physica : les prémices d’une science médicale

1.2.1. La démarche médicale

Le récit offre de suivre pas à pas la démarche médicale et les tâtonnements d’une tératologie moderne au chapitre 6 du livre III, où Guzmán, qui feint d’être atteint d’une maladie incurable, s’expose à l’examen des chirurgiens engagés par le cardinal de Rome pour le soigner. Cet épisode consacre le point final et culminant d’un cycle de la mendicité, où Guzmán simule les plaies, et donne sa monstruosité artificielle en spectacle dans les rues d’Italie. Le défi, pour les deux chirurgiens, chargés d’examiner la jambe ulcérée de Guzmán, est de comprendre les mécanismes de la monstruosité. Il s’agit en l’occurrence de reconnaître un authentique cas tératologique de symptômes provoqués ou simulés, et de confondre l’infâme simulateur. La narration épouse le cheminement de la démarche médicale, qui lie la monstruosité à une raison purement physiologique. Dans un premier temps, les chirurgiens évaluent la gravité du mal : « Au premier examen les chirurgiens crurent que c’était mal d’importance ».6 Puis, ils s’intéressent aux circonstances d’apparition des symptômes pour en déterminer l’origine. Des incohérences physiologiques faussent le diagnostic, comme en atteste la dubitation des deux spécialistes : « Les chirurgiens m’avaient déjà vu et revu plus de cent fois »7. Guzmán se retrouve dans une situation limite où il doit sacrifier sa jambe à l’amputation ou souffrir la punition de l’imposture :

J’en ai pour deux heures à souffrir, à moins qu’il ne me jettent dans le Tibre. Je les passerai du mieux que je pourrai. Et s’ils me coupent la jambe, je n’en serai que plus à l’aise pour mendier, et j’aurai bénéfice assuré, si toutefois je n’en meurs point.8

La médecine a finalement raison de la mystification, car l’un des deux spécialistes détermine l’origine du mal. Cet épisode illustre les premiers tâtonnements de la médecine pour diagnostiquer la monstruosité.

1.2.2. La séparation de la théologie et de la médecine

Une suspicion nouvelle s’installe autour de la figure du monstre que la science médicale entreprend de sonder. La théologie ne se posait pas la question de savoir si la monstruosité était réelle ou factice. La divination s’intéressait au monstre en tant que signe : la démarche médicale oriente l’observation anatomique vers une nouvelle sémiotikè qui prend le corps monstrueux comme signe d’une pathologie corporelle, sans en référer à l’autorité divine. Le monstre devient accessible au raisonnement humain, capable de diagnostiquer les symptômes, et de comprendre les causes physiologiques de la monstruosité. La solution de l’énigme des monstres est ainsi relocalisée dans le corps.

C’est à la représentation traditionnelle du monstre qu’en appelle le gueux, qui engage un bras de fer avec les chirurgiens, représentants des convictions médicales sur le monstre. Au chapitre 5 du livre III, Guzmán est confronté à la rationalité cartésienne de l’examen médical, qui remet en cause l’efficience du mal de jambe dont il se plaint. Le gouverneur de la ville de Gaète lui fait remarquer l’incohérence de ses symptômes :

Le voilà qui me regarde au visage et me dit : — Avec ces couleurs et cet embonpoint, car tu es gros, dru et droit, comment as-tu ce mal de jambe ? L’un ne va pas avec l’autre. Je lui répondis, troublé : — Je ne sais, Monsieur. C’est le Bon Dieu qui l’a voulu9.

Désarmé face à la force des arguments allégués par le gouverneur, Guzmán s’en remet à la volonté divine pour échapper au discours médical susceptible de faire la transparence sur l’origine de ses symptômes. Le gueux s’en réfère au sacré et se range sous la protection de la volonté divine afin de relativiser la force du raisonnement humain et de minimiser l’impact de l’observation. Mais c’est peine perdue, car ce pis-aller n’a pas raison du chirurgien qui l’examine peu après : « Il envoya quérir un chirurgien pour m’examiner. Celui-ci vint et m’inspecta soigneusement. Il fut d’abord troublé, car il ne savait ce que c’était. Mais il ne tarda point à se détromper. »10 Avec le nouveau regard porté par la médecine sur le monstre, l’univers monstrueux quitte la sphère de l’insolite et du sacré au profit « d’une sécularisation et d’une rationalisation des modes d’observation »11, selon Jean-Jacques Courtine. Le discours aseptisé de la médecine menace de compromettre la mise en scène du monstre sacré par un « désenchantement de l’étrange », et une rationalité invasive qui empiète sur le domaine naguère réservé à la foi.

Guzmán engage un bras de fer avec le savoir médical, en faisant valoir son astuce pour mettre la médecine en échec et l’empêcher de lever le voile de son imposture. « Un matin que je me levais comme d’habitude, j’avais une jambe telle que je l’eusse pu soumettre aux plus habiles de la profession. »12 Par son astuce, Guzmán entre en compétition avec le savoir des chirurgiens qu’il défie de pouvoir expliquer son ulcère à la jambe. À Gaète, le gueux s’était contenté de mettre en scène le regard en appliquant linges et enduits sur sa jambe, pour qu’elle paraisse ulcérée. Guzmán a compris la leçon ; il met au point un dispositif plus complexe pour simuler le chancre :

Quoiqu’il y eût bien des façons de contrefaire les plaies, celle que j’avais alors se faisait avec une certaine herbe qui la rendait si hideuse qu’à la voir on l’eût jugée incurable, du moins sans le secours d’un puissant remède, car elle avait tout l’air d’un chancre. Il me suffisait d’interrompre trois jours l’application de ma drogue pour que la Nature rendît la chair aussi parfaite et saine qu’auparavant13.

Conscient que la médecine s’appuie sur des symptômes pour déterminer l’origine physiologique du mal, Guzmán se prend au jeu et utilise une plante pour provoquer des réactions cutanées que les chirurgiens ne seront en mesure ni de contester ni d’expliquer. En semant le doute dans l’esprit des chirurgiens, l’opération a pour but d’ébranler la foi aveugle en la médecine en suggérant un certain relativisme des connaissances médicales. Il est dans l’intérêt de notre imposteur de ramener les éminents spécialistes à l’humilité de la condition humaine face à la toute-puissance de Dieu et à ses mystères. Hélas pour Guzmán, le savoir du plus expérimenté des deux chirurgiens a raison de son imposture. Le dénouement de l’épisode consacre la victoire de la pensée rationnelle aux dépens d’une perversion de la sacralisation monstrueuse.

II. Tératologie et fiction littéraire : le prolongement axiologique du discours sur le monstre

Nous venons de confronter deux démarches, l’une théologique et sémiotique, l’autre médicale et expérimentale. Pour ce faire, nous nous sommes appuyée sur des passages du texte alémanien où étaient exposés des discours ou des pratiques scientifiques. De manière plus ou moins explicite, les praticiens de ces « arts » divinatoires ou médicaux figuraient dans la diégèse, et le texte les prenait à témoin de ce type de pratiques. Il nous importe à présent de montrer comment la fiction utilise ces démarches scientifiques pour en venir au sujet moral de l’œuvre.

2.1. La moralisation de la pratique médicale

2.1.1. La métaphore chirurgicale de l’anatomie du gueux

Francisco Ramírez Santacruz a montré l’ampleur de l’imaginaire médical qui affleure dans de nombreuses métaphores du Guzmán de Alfarache, ainsi que les affinités particulières qu’entretient l’auteur avec la pensée médicale. Prenons un exemple. « Ils faisaient de moi dissection »,14 constate Guzmán, traqué dans le moindre de ses faits et gestes par les serviteurs facétieux du cuisinier auprès duquel il trouve un temps refuge. L’expression est métaphorique. Les pages et les laquais, qui s’improvisent en chirurgiens de l’âme, anatomisent le comportement de Guzmán au moyen de tests et d’expérimentations, afin d’établir des preuves tangibles de sa monstruosité latente. L’image du gueux écorché se fait l’écho du souci de transparence qui anime André Vésale lorsqu’il procède publiquement à la dissection d’un corps féminin dans la cour de l’université de Padoue afin d’exhiber la « fabrique du corps humain ». Des thèses nouvelles sont avancées sur l’étiologie du monstre : on cherche les raisons physiologiques de la monstruosité, sans en référer à une cause surnaturelle. Guzmán fait les frais de ce nouveau savoir sur les mécanismes de la monstruosité, au livre III de la première partie, lorsqu’il tente de se faire passer pour un monstre.

« Ils faisaient de moi dissection » : l’assertion métaphorique n’est pas loin de recouvrer son sens littéral au chapitre 6 du livre III, lorsque le gueux pathomime s’expose à l’examen des chirurgiens engagés par le cardinal de Rome pour le soigner. « Je restai aussi muet qu’un cadavre, car j’étais saisi, et fus longtemps à me reprendre, à la vue de tant de préparatifs pour couper et cautériser »15. Les chirurgiens improvisent un théâtre de l’anatomie où le gueux, placé sur le devant de la scène, ne fait pas bonne figure. Le récit établit des liens thématiques et structurels entre les deux épisodes de l’examen médical et des brimades entre domestiques, quelques chapitres auparavant. L’emploi d’un lexique chirurgical à des fins littéraires atteste de la démarche médicale du protagoniste qui entend coucher ses erreurs passées sur le papier et livrer un examen de conscience en mettant son âme à nu. Un réseau lexical rapproche le plan moral de la pathologie physique, par le biais de références à des maladies.

2.1.2. Monstruosité morale

Mais revenons-en à notre point de départ, à notre pícaro éprouvé par les pages et les laquais de la maison. L’image chirurgicale fonctionne à plusieurs niveaux. Dans l’épisode des brimades entre domestiques tout d’abord, l’image de l’incision renvoie simultanément au vécu corporel de Guzmán, et au mobile poussant les domestiques à lui infliger divers tourments. Il n’était pas peu fréquent, nous dit le texte, que Guzmán s’endorme paisiblement au coin du feu… « Mais lors ces marauds de laquais et de pages me baillaient coups de poêle sur le cul, me donnaient l’anguillade ou le moine, m’appliquaient mouches de cire ou m’enfumaient les narines de leurs camouflets »16. Guzmán joue le rôle du patient : il souffre dans son corps de ces mascarades qu’il ne peut ébruiter. L’image hyperbolique de la passivité douloureuse constitue un niveau de compréhension de l’expression, mais ce n’est ni le seul ni le plus évident. Transposé au domaine moral, Guzmán devient le sujet d’expérimentation de ceux qui ne croient pas à son angélisme affecté : « ils préparaient des appâts pour me mettre à l’épreuve et disposaient quelque pièce de monnaie en lieu où je la devais nécessairement trouver. »17 Tout est mis en œuvre pour le pousser à la faute : en bons praticiens, les apprentis chirurgiens de l’âme, cherchent à révéler les vices de Guzmán. La démarche est analytique et expérimentale : les pages et les laquais s’emploient à diagnostiquer le mal qui sommeille en lui. Rapporté à l’ensemble de la diégèse maintenant, la métaphore chirurgicale a son importance : d’abord, parce qu’elle anticipe une situation critique dans laquelle Guzmán échappe de justesse à la table d’opération ; ensuite, parce qu’elle assure le lien fécond entre expressions littérale (dissection physique) et figurée (anatomie de l’âme) de la pratique médicale. Opération du corps ou de l’âme, extraction du mal ou de la maladie, difformité corporelle ou monstruosité morale : la métaphore sert de ligature à une écriture de la médecine et de la morale. Le terme de « anatomía », utilisé dans le texte espagnol, n’est d’ailleurs pas anodin. C’est le même terme que l’on trouve de manière imagée sous la plume de Robert Burton dans son Anatomie de la mélancolie. C’est ce terme d’anatomie que l’on utilise à l’époque dans le sens d’observation méticuleuse et approfondie d’un phénomène, en référence à l’art médical de Vésale, et au sérieux prêté aux dissections anatomiques. Or, on l’aura compris, les suspicions qui pèsent sur Guzmán ne sont pas d’ordre purement physiologique. La pathologie est morale : là où les médecins du corps dissèquent les membres et mettent en évidence des lésions organiques, nos praticiens de l’âme se livrent à l’anatomie d’une monstruosité viscérale, ils révèlent le vice qui ronge de l’intérieur, sans toutefois être visible de l’extérieur.

Cette analogie féconde entre pathologie du corps et maladie de l’âme n’est certes pas nouvelle. Les Pères de l’Église filaient déjà la métaphore dans leurs sermons moraux18. Ce qui fait l’originalité de Mateo Alemán, c’est le choix du monstre, en ce qu’il permet de superposer deux domaines de connaissance de la physis – la médecine et la divination – que l’on peut aisément transposer au domaine moral et spirituel. Là où le champ métaphorique de la médecine et de la maladie condamne les comportements déviants et sermonne, la figure sibylline du prodige lance une prophétie apocalyptique, elle menace les méchants, mais son rôle, ne l’oublions pas, est de tirer l’alarme d’un désastre à venir pour forcer l’homme à faire usage de sa volonté et à choisir la voie contraire qui lui évitera une fin funeste.

2.2. Un écho au prodige de Ravenne : le fils de Pantalon Castellet

2.2.1. Parenté thématique et structurelle des deux récits

Retenons de l’analyse du monstre de Ravenne deux caractéristiques notoires : la description d’un monstre physique (tératoscopie) et le discours prophétique qui l’accompagne (tératomancie). Or, au chapitre 5 du livre II de cette première partie, un autre passage, similaire de par sa structure et ses thématiques, vient prolonger le discours divinatoire et faire le lien avec la dimension ontologique du monstre. Expliquons-nous. Au détour de quelques pérégrinations au cours desquelles notre gueux s’exerce à l’art de simuler des plaies pour mendier, le narrateur propose, à la fin du chapitre 4, de marquer un temps d’arrêt dans le récit pour écouter une histoire : « Fais halte en ce relais et t’y repose un peu : l’étape du chapitre prochain t’apprendra ce qui advint à un gueux de mon temps qui mourut à Florence. »19 Un mendiant, nommé Pantalon Castellet, mutile son enfant pour lui assurer un avenir prospère dans la profession de gueuserie. Cet enfant devenu adulte, puis vieillard, décide, sur son lit de mort, de racheter ses péchés en léguant l’argent qu’il avait amassé à son seigneur naturel. Avant de passer à l’interprétation proprement dite de cette histoire, considérons quelques points de convergence avec l’histoire du monstre de Ravenne. Ces deux récits intercalés constituent une pause dans le récit, une digression qui s’articule à la narration par le biais de l’analogie. C’est la notion d’artifice, cette expression du malin, qui fait le lien entre l’outrecuidance de Guzmán qui singe les monstruosités de la Création, et la prétention irrévérencieuse de Pantalon Castellet qui entend refaçonner un enfant selon sa propre imagination. À cette différence près que les monstruosités artificielles de l’un ne sont qu’apparat, celles de l’autre, déformation et défiguration irréversibles. Et c’est, en définitive, la monstruosité physique qui relie le monstre artificiel au monstre de Ravenne. Voici comment procède le mendiant pour remodeler le corps de son fils :

commençant par la tête, il la lui tordit et la lui portait en arrière, ou presque, le visage rabattu sur l’épaule droite. Les paupières, dessus et dessous, n’étaient que chair vive. Le front et les sourcils, rôtis, étaient creusés de mille rides. Son corps, bossu et recroquevillé, n’avait ni forme ni apparence humaine. Ses jambes déboîtées et mortes passaient par-dessus les épaules. Il n’y avait de sain en lui que les bras et la langue20.

La technique descriptive est sensiblement identique à celle employée pour le monstre de Ravenne : les monstruosités sont passées en revue de haut en bas, de l’ensemble du corps aux parties. Là encore, deux éléments positifs, insérés à la fin de la description, viennent en contrebalancer la négativité. À l’instar de la croix et de l’Y sur le corps du prodige, la santé des bras et des jambes constitue la marche de manœuvre grâce à laquelle le fils du mendiant pourra exprimer sa liberté, en paroles et en actes. Autre similitude : plusieurs points de détail nouent des liens entre les deux récits enchâssés, ainsi qu’entre cette matière textuelle hétérogène et la trame principale du récit. Il en est ainsi pour la relation père-fils, qui constitue le nœud de cette histoire. Dans sa folie démiurgique, Pantalon Castellet condamne son fils à embrasser une vie d’oisiveté à laquelle il n’était pas prédestiné par nature, puisque l’enfant était né sain. C’est du péché du père dont il est question, ainsi que l’indique la périphrase « le fils de Pantalon Castellet » que nous employons faute de mieux, pour nous référer au fils dont le nom n’est jamais prononcé. Or, cette fable s’intercale dans la narration au moment où Guzmán, rejeté par sa famille génoise, se prend à imiter les monstres, comme si ses racines paternelles (son oncle, et par-delà, son propre père) étaient à l’origine de sa monstruosité physique et de sa déchéance morale ; comme si Guzmán était victime dans son corps d’une malignité reçue en héritage. La chronique du monstre de Ravenne, raconte la naissance d’une progéniture monstrueuse, sans impliquer directement la responsabilité parentale dans la glose interprétative ; néanmoins, c’est par analogie avec le père de Guzmán que cette figure est convoquée. D’autres détails troublants, tels que la temporalité et la toponymie, invitent à sceller entre eux les deux récits intercalés, et à les comprendre dans l’articulation du parcours existentiel du gueux. Dans ses recherches sur le caractère autobiographique du Guzmán de Alfarache, Edmond Cros a montré la contemporanéité des naissances du père de Guzmán et du monstre de Ravenne21. À son tour, le narrateur raconte « ce qu’il advint à un gueux de [son] temps »22. Le monstre artificiel se situe dans le prolongement de la monstruosité initiale, attribuée à la figure paternelle, ce que confirme la toponymie. Ravenne, Gênes : le dénominateur commun est l’Italie, et plus précisément les espaces portuaires, lieux de mixité par excellence et de refuge pour les apatrides tels que le père de Guzmán. Les géniteurs respectifs de Guzmán et de l’enfant martyrisé sont tous deux originaires de Gênes, et c’est sur cette digression sur les Génois que rebondit le narrateur pour introduire l’histoire de mutilation qui nous intéresse :

quoiqu’en matière de cruauté l’Italie, dit-on, l’emporte, et sur tous les Italiens les Génois, je ne crois pas que la terre en soit cause, mais seulement leur pauvreté et avarice. C’est au point qu’en parlant des plus riches d’entre eux, gorgés de tous biens, leurs propres concitoyens les appellent Maures blancs. Et eux, pour s’en revancher et leur jeter le chat aux jambes, répondent que d’abord sent la vesse qui premier l’a faite, et que cela n’a pas été dit pour eux, mais pour les marchands de Gênes, qui portent leur conscience en une poche trouée, par où la perdent et pas un n’en a23.

Comment ne pas voir dans cette amorce une allusion cinglante au père, originaire du Levant, dont la famille s’installa momentanément à Gênes pour se livrer au commerce, et dont les déboires l’amenèrent à abjurer sa religion pour en embrasser une autre ? Ainsi donc nous avons voulu montrer que cet épisode intercalé prolonge d’une certaine manière la problématique de la filiation de la monstruosité lancée au chapitre premier.

2.2.2. L’accomplissement du pronostic de salut

Voyons à présent les implications de la reconduction de cette question. Si l’histoire du fils de Pantalon Castellet peut être considérée comme une variation sur le thème de l’hérédité monstrueuse, elle offre néanmoins des clefs nouvelles pour aborder cette problématique. En premier lieu, la contextualisation de la description est déterminante. Comme pour le monstre de Ravenne, une description du monstre prend acte de la mutilation, mais elle ne constitue pas une finalité en soi. Le corps monstrueux constitue le point de départ à l’exaltation d’une trajectoire morale et existentielle. C’est lorsque malade, le vieillard prêt à rendre l’âme, se rend compte qu’il s’est enrichi dans le péché, qu’il décide de s’amender. Le texte dit ainsi :

Lorsqu’il se vit réduit à cette extrémité et contraint de choisir entre le salut et sa damnation, comme il était de bon sens, il fit réflexion sur soi-même, et jugea qu’il n’était plus temps de rire ni de se gausser, et que les confessions de bienséances n’étaient plus de raison24.

La prophétie du monstre de Ravenne évoquait déjà, de manière figurée, ce choix salutaire de la foi, pour s’abstraire des passions du corps. Vu à travers le prisme de la divination, le monstre se décomposait en une série de formes monstrueuses, renvoyant, par analogie, à une liste de péchés capitaux. Par-delà la description d’un cas clinique, c’est le pouvoir figuratif de la difformité qui intéressait notre auteur, en ce qu’il exprime et imprime, par le sens de la vue, le vice et le malin contenu dans chaque homme. Le fils de Pantalon Castellet, doué d’entendement, utilise sa volonté à bon escient ; après s’être confessé et avoir écouté les remontrances d’un ecclésiastique, le vieillard choisit de restituer l’argent amassé au Grand Duc qu’il nomme son héritier et son exécuteur testamentaire. Ce don gratuit lui permet de gagner sa considération.

Le Grand Duc – précise le récit –, en puissant prince et généreux seigneur, fit fonder avec cet argent des services à perpétuité pour le salut et repos de son âme, montrant par là qu’il était un exécuteur fidèle et plus encore un noble cœur25.

Ainsi donc, le mérite de cette fable consiste à nouer ensemble les deux grandes orientations ontologiques et tératologiques à donner au mot monstre, autour de la problématique du rachat et de la rédemption du pécheur qui anime l’ensemble de l’œuvre. Dans un double rapport d’analogie, les deux récits intercalés se répondent l’un l’autre, et entrent en interaction avec la trame narrative principale. Disposés en miroir de part et d’autre du Guzmán de Alfarache de 1599, les deux récits monstrueux à valeur exemplaire s’interrogent, se confrontent. Le fils de Pantalon Castellet accomplit, d’une certaine façon, le renversement axiologique annoncé par la prophétie du monstre de Ravenne : le corps du vieillard se trouvant affaibli par la maladie, son âme repousse les passions de l’avarice et l’infirme fait usage de sa volonté pour l’orienter vers le bien, et s’adonner à une spiritualité longtemps oubliée. C’est en d’autres termes la crise du corps qui permet à l’âme de se rendre compte qu’elle est proche d’un point de non retour, et qu’il lui faut racheter ses erreurs. La filiation monstrueuse est porteuse d’un déterminisme, pas d’une fatalité. L’exemple du monstre artificiel montre qu’en dépit des influences négatives et des contraintes qui pèsent sur l’homme, il reste toujours libre de remédier à sa situation de pécheur. Ces considérations générales nous amènent à cette analogie seconde entre les discours intercalés et le parcours vital du gueux. Le narrateur écrit depuis les galères où il purge sa peine. Il prend la plume pour raconter sa vie passée qu’il expie, et convie tous les lecteurs à différencier ce qu’il était de l’homme averti qu’il est devenu, selon la prescription bien connue : « Lis de ton mieux ce que tu liras ; ne ris point de mes devis et prends garde d’en laisser échapper les avis. »26 La distinction, très nette dans le récit, entre le personnage impulsif et transgressif, et le narrateur volontiers moralisateur, prend acte d’une cassure ontologique, que le narrateur développe dans sa seconde partie de 1604, à travers les derniers chapitres consacrés à la conversion du galérien, touché par la grâce au moment même où il faisait l’expérience de la marginalité la plus marquée. La prophétie monstrueuse, et son prolongement à travers l’histoire de l’enfant rendu monstrueux par son père, sont une gageure : la première partie du Guzmán de Alfarache – qui aurait dû rester la seule si un auteur apocryphe ne s’était chargé d’en rédiger la suite – ne faisait pas suffisamment progresser l’action dans le temps pour réconcilier le personnage de Guzmanillo avec le narrateur-galérien rédimé. Il lui fallait, pour accréditer le non-dit du texte, esquisser un schème de pensée capable d’exprimer la réversibilité du mal en bien dans les situations les plus critiques. C’est la figure polyfacétique du monstre qui a été choisie pour exprimer cette tension. Dès lors que ce postulat avait été posé, et que la scission ontologique entre le personnage et le narrateur allait se résoudre dans le texte par le récit de la conversion de Guzmán, il devenait inutile de reprendre la figure du monstre dans la seconde partie, publiée quelques années plus tard en 1604.

III. L’articulation augustinienne d’une pensée théologico-médicale sur le monstre

Le récit alémanien fait du monstre un vecteur sémiotique puissant, capable d’incarner le mal sous ses formes corporelles et spirituelles, et, plus intéressant encore, il fait de lui un commutateur axiologique, c’est-à-dire, l’expression d’un renversement possible des valeurs. Pour comprendre les enjeux de cette vision complexe de la monstruosité qui affecte l’âme et le corps, il nous faut revenir au sens tératologique du mot monstre, et faire un détour par la pensée des Anciens.

3.1. Pensées d’Aristote et de saint Augustin sur le corps monstrueux

3.1.1. La confrontation de deux points de vue sur le monstre

Au détour du débat épistémologique sur le monstre, le récit confronte deux systèmes de pensée : la tératologie médicale, d’inspiration augustinienne, et la tératomancie divinatoire, imprégnée d’aristotélisme. Ces regards croisés sur le monstre prennent part à la réactualisation de la controverse antique sur l’origine du mal et de la laideur dans la nature. Aristote, Cicéron, Pline et saint Augustin avaient pris part à un grand débat sur l’anomalie monstrueuse pour répondre à cette question : pourquoi y a-t-il des monstres sur terre ? Aristote postulait un échec de la nature ; Pline au contraire, y voyait l’expression d’une toute puissance de la nature, en quête de variété et de renouvellement des formes. Dans un dialogue intitulé De divinatione, Cicéron mettait, quant à lui, en débat l’argument de la divination à travers un dialogue entre Marcus et Quintus. Pour Quintus, fervent partisan des idées stoïciennes, l’anomalie avait valeur de signe. Si la thèse divinatoire trouve une résonance chez ses lecteurs et passe à la postérité, Cicéron s’était pourtant gardé de défendre un seul point de vue, et prêtait aux participants de la joute verbale des arguments de validité égale. S’inspirant de la lecture de Pline, saint Augustin considère quant à lui que le monstre a été envoyé sur terre pour rappeler aux hommes la grandeur et l’harmonie de la Création. La fascination des hommes pour l’insolite avait émoussé en eux la capacité à s’émerveiller devant la beauté des plantes, des animaux, de l’homme et de la nature en général. L’entendement humain, limité, ne parvenait pas à voir l’harmonie du monde environnant. Il lui fallait, pour prendre conscience de la complexité merveilleuse de la nature, que le cours naturel connaisse des sursauts exceptionnels, que la nature engendrât des monstres hideux, pour que l’homme prenne conscience de la formidable complexité de l’Œuvre divine en apparence si simple et si évidente.

De la réflexion menée par ces quatre penseurs, l’Âge classique retient deux orientations principales consignées dans la préface de l’ouvrage d’Ambroise Paré intitulé Des monstres et prodiges : le prodige « du tout contre nature », tributaire de l’approche aristotélicienne, qui exclut le monstre de l’ordre naturel, et le monstre « outre nature », que saint Augustin réintègre dans l’ordre de la Création. Dans son De generatione animalium, Aristote établit une taxinomie tératologique et s’interroge sur la biologie du monstre, qu’il qualifie despectivement de jeu de nature – lusus naturae. Placé au rebut de la nature, le monstre consomme l’échec de la matière. Pour les lecteurs classiques d’Aristote qui exploitent l’argument a silentio27 de la divination, le monstre, envoyé par Dieu aux pécheurs, est contre nature. Il va à l’encontre du cours ordinaire de la nature (au sens aristotélicien), mais sa présence est surtout extraordinaire, elle engage la volonté de Dieu. Le monstre de Ravenne tel qu’il est présenté dans le récit obéit à cette relecture d’Aristote. Le monstre n’a pas d’existence propre en dehors de cette exposition anatomique visant à déchiffrer le mystère de ses symboles. Son corps n’est qu’une surface sémiotique, un parchemin griffonné dans un langage abscons. C’est l’image statique de ses difformités qui intéresse le récit, en ce qu’elle renseigne sur le sens à donner à son apparition. Contre nature, le monstre n’est pas considéré en tant qu’être vivant : il n’est pas à sa place. Le monstre de Ravenne illustre cette collusion d’une philosophie naturelle qui minimise l’intérêt en soi du monstre et d’une métaphysique divinatoire qui prend le monstre comme vecteur d’un message apocalyptique pour l’humanité.

Revenons à présent au livre III, où Guzmán prend l’initiative de remédier à sa santé naturelle en créant artificiellement des monstruosités. Le regard porté sur les infirmités est très différent. La pensée médicale, qui récupère l’idée d’un monstre « outre nature », prend la difformité comme objet d’étude et s’emploie à ramener le monstre à un ordre physiologique. Il s’agit de mesurer l’écart à la norme pour ramener le malade à l’état normal de santé. Avec le monstre artificiel, Mateo Alemán offre un point de vue controversé sur le monstre. L’émergence d’un discours médical est à rapprocher, selon Elena del Río Parra, de la résurgence d’un augustinisme28 qui valorise positivement la singularité du monstre comme objet d’étude. Le monstre, que la science médicale réintègre au cours naturel acquiert un intérêt en soi : dorénavant, le corps est intrinsèquement signifiant par ce qu’il révèle de lui même ; il cesse d’être le simple instrument pour accéder aux vérités métaphysiques. Pour l’auteur de la Cité de Dieu comme pour la médecine, le monstre permet, par contraste, d’apprécier la complexité et la beauté de ce qui est ordinaire en ce monde. Pour résumer, le récit confronte deux perceptions du corps monstrueux : pour la divination, le corps stigmatisé est le support d’écriture d’un dessein universel inscrit à même la peau. Idéalisé dans ses représentations et dans ses fonctions, le corps fait le lien entre l’âme humaine et l’ordre cosmique. Pour la médecine, en revanche, le corps ne renvoie qu’à lui-même. La discipline se veut scientifique et aspire de plus en plus à envisager les maladies et autres affections de l’organisme comme des phénomènes purement immanents et accessibles à la compréhension de l’homme. Le corps, et en l’occurrence, le corps monstrueux acquièrent un intérêt en soi pour les médecins qui le valorisent, tandis que la divination continue de mépriser le monstre pour ce qu’il est. Ces visions du corps monstrueux qui cohabitent dans le texte sont-elles pour autant incompatibles ?

3.1.2. Des regards convergents sur le monstre

En dépit de leur radicale opposition, les deux systèmes de pensée ne s’excluent pas dans le Guzmán de Alfarache, même s’il est souhaitable de hiérarchiser le rôle de ces conceptions dans l’économie du texte. Le prodige « du tout contre nature », tributaire d’une pensée aristotélicienne de l’exclusion, fait du monstre une erreur méprisable. À l’inverse, pour saint Augustin, qui croit en la nécessité contrastive du mal pour faire apprécier le bien, la monstruosité a sa place dans l’ordre naturel de la Création. Le monstre « outre nature », récupéré par la pensée médicale, devient objet d’étude d’un état pathologique, parfois réversible. Monstre hybride à double nature ou état pathologique, ces deux conceptions entrent-elles vraiment en compétition ? Un agencement différencié de ces approches permet de hiérarchiser la pensée du monstre. Contrairement à l’épisode du monstre artificiel, qui s’articule directement à la problématique de la monstruosité ontologique du gueux, le récit intercalé du prodige se situe sur un plan narratif de second ordre. Le récit intercalé du monstre de Ravenne, qui présente le monstre comme un prodige, ne satisfait guère d’un point de vue scientifique. Le monstre de Ravenne est employé comme référent culturel pour sa force visuelle et son pouvoir suggestif. De nombreux traités médicaux mentionnent la prophétie du monstre.

Comme l’a montré Philippe Rabaté,29 toute l’habileté de Mateo Alemán consiste dans la réécriture d’un texte médical, en accentuant ou en amplifiant certains traits – comme le détail des deux sexes parfaitement formés – pour faire fonctionner cette matière textuelle hétérogène avec la description du père de Guzmán, et de façon plus générale, avec la fiction du gueux. La description a un rôle figuratif : elle assure le lien avec l’idée d’une filiation de la monstruosité. L’appréhension augustinienne du mal – physique ou moral – tel qu’il est mis en œuvre dans la démarche médicale, constitue le modèle analytique de référence. Mateo Alemán met en débat la vision nouvelle du monstre qu’induit cette démarche avec le modèle aristotélicien, revu et déformé par le greffon de la divination. En reléguant le prodige à la simple métaphore, le récit alémanien se défait de l’influence d’Aristote : le monstre alémanien embrasse une conception augustinienne de la monstruosité. Le monstre de Ravenne sert de référent culturel, de moteur narratif uniquement, tandis que les monstres artificiels mettent en lumière un schéma interprétatif précis.

3.2. L’augustinisme du texte

Revenons à présent sur le livre III du Guzmán de Alfarache, et sur la notion d’artificialité. Dans son traité Des monstres et prodiges, Ambroise Paré traite les gueux pathomimes comme d’authentiques cas tératologiques. On pourrait y voir au moins deux raisons. D’abord, parce que, véritable ou feinte, la monstruosité est avant tout affaire de diagnostic pour qui tente de percer les mystères de la génération humaine et animale. Ensuite, parce qu’un tel travestissement fait ressortir un vice intérieur, qui affecte, non point le corps, mais l’âme du gueux. La tradition médicale, héritée de l’Antiquité insiste clairement sur le caractère indissociable des dimensions physique et spirituelle de l’homme. Le monstre, tératologique ou ontologique, est un être mixte habité par la malignité. Pour saint Augustin, qui croit en la nécessité contrastive du mal pour faire apprécier le bien, la monstruosité – y compris celle de Guzmán – a sa place dans l’ordre naturel de la Création. Transposé au plan moral, l’augustinisme médical laisse entendre qu’un renversement axiologique est possible pour le monstre artificiel, qui s’est fourvoyé en empruntant la voie du vice. Cette réversibilité du mal (physique ou moral) en bien accrédite la lecture de Michel Cavillac,30 convaincu de la sincérité du gueux rédimé, lorsque, confiné dans la marginalité la plus dégradante, le galérien avoue avoir été touché par la Grâce, et avoir pris conscience de ses péchés. C’est au service du comite, sur la galère à laquelle l’ont condamnés ses crimes passés que Guzmán fait l’expérience de la conversion :

Les malheurs commençaient désormais à me dessiller les yeux et à me faire voir la lumière de ceux qui suivent la vertu. C’est pourquoi après une ferme protestation de mourir plutôt que de commettre jamais chose indigne ni vile, j’avais seulement la mire à bien servir mon maître, à tenir ses habits nets, à bien dresser son lit et veiller au bon ordre de sa table31.

Conformément aux théories augustiniennes sur la Grâce, la voie de la rédemption se présente sous la forme d’une révélation lumineuse. C’est dans la nuit que la vérité s’impose à Guzmán comme une évidence : les déboires et les malheurs qu’il a connus par le passé ne tiennent ni de la fatalité ni du mauvais sort. Bien au contraire, ces épreuves sont autant de possibilités de rachat pour qui apprend à les traverser dignement. L’exemple du Christ souffrant la Passion montre que les maux endurés courageusement sur terre sont un bien pour l’homme pieux en quête de Salut. C’est ainsi que Guzmán s’endort et se réveille métamorphosé :

En ce discours et plusieurs autres qui en découlèrent je passai grande partie de la nuit et non sans verser bien des larmes, sur quoi je m’endormis et, quand je me réveillai, je me trouvai tout autre : ce n’était plus moi-même, ni ce vieux cœur d’auparavant. J’en rendis grâces à Dieu et le suppliai de me tenir en sa sainte garde32.

Selon saint Augustin, Dieu insuffle la volonté de vouloir ce qui est bon. C’est précisément ce qui se passe avec le gueux qui, victime de sa volonté pervertie, exerçait sa mémoire et son imagination à tramer diverses bourles pour abuser les bonnes gens. Guzmán, qui souffre la punition de ses exactions, reçoit de Dieu ce don gratuit de droite volonté, qui lui permettra de se convertir et de faire l’expérience de la bonté.

Or, la réhabilitation du gueux, ontologiquement monstrueux, prend paradoxalement appui sur la vision contraire du monstre comme prodige. Tributaire de la pensée d’Aristote qui voit dans le monstre « du tout contre nature », un rebut de la nature et une erreur méprisable, la pensée divinatoire pourrait illustrer une lecture antithétique de la fin de l’œuvre : si, comme le monstre de Ravenne, en marge de la Création, le gueux, en marge de la société, n’avait aucune prétention à pouvoir aspirer à une réhabilitation de son humanité, la quête du Salut dont il est question au dernier chapitre serait vidée de sa substance. Mais, l’imbrication structurelle des deux récits monstrueux dans l’économie de l’œuvre annule le conflit idéologique. Contrairement à l’épisode du monstre artificiel qui superpose la figure du gueux à celle du monstre tératologique, le monstre de Ravenne ne s’applique pas directement à l’un ou l’autre des personnages. L’insertion de cette matière intertextuelle hétérogène se fait sous le mode de la simple analogie conceptuelle. Outre « l’efficacité mnémotechnique »33 du monstre de Ravenne comme figuration visuelle du monstrueux, c’est surtout l’interprétation exégétique du monstre qui intéresse la problématique du gueux. La narration qui dévirtualise le potentiel scientifique du discours divinatoire prend l’anecdote de la naissance du monstre de Ravenne comme référent culturel. La figure expressive et symbolique du monstre sert moins d’argument scientifique pour défendre la divination face à la médecine que comme symbole de renversement moral. La description du monstre qui ouvre le récit est programmatique, en ce que ce symbole de laideur et d’imperfection exprime la potentialité d’une inversion de valeurs. Appliquée à l’autobiographie fictive du gueux, la mise en tension de cette inversion prend tout son sens dans la première partie de l’œuvre où le personnage et le narrateur restent deux entités clairement séparées sur le plan axiologique. Ainsi, la description du monstre de Ravenne sert en quelque sorte d’articulation pour assurer la cohésion et l’unité des deux entités fictives.

Épilogue

Au terme de cette analyse, il appert que le récit confronte deux regards sur la monstruosité qui s’interrogent et se complètent. Le texte alémanien matérialise ce « pluriperspectivisme » qu’évoque Elena del Río Parra au sujet des perceptions du monstre à l’Âge classique. Le récit croise les regards de la divination et de la médecine, du corps et de la morale pour mener une réflexion à deux niveaux. Tout d’abord, le récit met en débat l’étiologie du monstre, en confrontant une tradition sacrée à l’émergence d’un discours médical et rationnel sur la monstruosité qui vient relayer les croyances anciennes. Mais, au détour de cette exaltation anatomique, le texte entérine une pensée augustinienne, qui facilite la compréhension générale de l’œuvre. Dans l’articulation d’une pensée théologico-médicale, le récit pense la monstruosité morale du gueux en terme de réversibilité. Nous l’avons vu, la piste de la divination ne tient pas sur le plan épistémologique. En revanche, le récit intercalé du monstre de Ravenne fonctionne tout à fait comme clef d’interprétation symbolique : il exprime la possibilité d’une transmutation du négatif en positif. Or, c’est précisément cette tension entre bien et mal qui était nécessaire, dans la première partie des aventures du pícaro, pour justifier l’écart de moralité entre le narrateur de l’autobiographie fictive, repenti de ses fautes et assagi, et le jeune fripon qu’il était avant sa conversion. Dans un chapitre préliminaire intitulé « Declaración para el entendimiento deste libro », Mateo Alemán avait établi quelques présuppositions de lecture, pour donner plus de vraisemblance au récit : pour comprendre la fracture ontologique entre le Guzmán de l’action et le Guzmán de la rédaction, il fallait postuler que la vie du gueux avait pris un tournant décisif après les aventures jusqu’alors racontées. L’œuvre de 1599 se présentait formellement comme la première partie d’une autobiographie qui devait retracer la vie du gueux jusqu’à sa situation présente de forçat repenti. La figure ambivalente du monstre évoquait justement cette potentialité de renversement du mal en bien, si chère à la pensée augustinienne. Le monstre devenait donc un autre élément d’unité et de cohérence dans cette première partie, dans la mesure où le monstre en venait à exprimer sous forme de potentialité l’état de fait que présupposait l’écriture atalayiste. Les deux figures tératologiques qui encadrent la première partie attestent de cette volonté de clôturer l’œuvre de 1599 tout en la laissant paradoxalement ouverte. Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater que la narration évacue la figure du monstre dans la seconde partie, qui opère précisément la réunion ontologique du personnage de Guzmanillo avec le narrateur. Dès lors que la narration dans la deuxième partie s’apprête à rejoindre la situation d’énonciation, le symbole de mixité morale devient superflu. C’est pourquoi la seconde partie privilégie la métaphore médicale de la thériaque et des poisons pour préciser l’imminence de la conversion du gueux.

Notes

1 À l’expression « anti-héros », communément employée pour désigner le gueux, mais néanmoins problématique, Cécile Bertin préfère celle de « héros de la marge », qu’elle cite notamment dans le titre de l’ouvrage coordonné par ses soins : Les héros de la marge dans l’Espagne classique, Paris, Le Manuscrit Recherche-Université, 2007. Return to text

2 J’emprunte la distinction entre « hominité » et « humanité » pour définir le ressenti face au monstrueux à Pierre Ancet, qui l’utilise, dans un autre registre, pour décrire le moment de la rencontre sidérante avec la monstruosité physique. Voir Phénoménologie des corps monstrueux, Paris, PUF, 2006, p. 9. Return to text

3 Ambroise Paré, Des monstres et prodiges, Jean Céard (éd.), Genève, Droz, 1971. Return to text

4 Nous citons le texte d’après la traduction de Jean-François Reille et Maurice Molho, Romans picaresques espagnols, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, p. 77-78. Nous reportons ci-dessous le texte original, tiré de l’édition de José María Micó, à laquelle nous nous référerons toujours pour citer : « El año de mil y quinientos y doce, en Ravena, poco antes que fuese saqueada, hubo en Italia crueles guerras, y en esta ciudad nació un monstruo muy estaño, que puso grandísima admiración. Tenía de la cintura para arriba todo su cuerpo, cabeza y rostro de criatura humana, pero un cuerno en la frente. Faltábanle los brazos, y diole naturaleza por ellos en su lugar dos alas de murciélago. Tenía en el pecho figurado la Y pitagórica, y en el estómago, hacia el vientre, una cruz bien formada. Era hermafrodito y muy formados los dos naturales sexos. No tenía más de un muslo y en él una pierna con su pie de milano y las garras de la misma forma. En el ñudo de la rodilla tenía un ojo solo.
De aquestas monstruosidades tenían todos muy gran admiración; y considerando personas muy doctas que siempre semejantes monstruos suelen ser prodigiosos, pusiéronse a especular su significación. Y entre las más que se dieron, fue sola bien recebida la siguiente: que el cuerno significaba orgullo y ambición; las alas, inconstancia y ligereza; falta de brazos, falta de buenas obras; el pie de ave de rapiña, robos, usuras y avaricias; el ojo en la rodilla, afición a vanidades y cosas mundanas; los dos sexos, sodomía y bestial bruteza ; en todos los cuales vicios abundaba por entonces toda Italia, por lo cual Dios la castigaba con aquel azote de guerras y disensiones. Pero la cruz y la Y eran señales buenas y dichosas, porque la Y en el pecho significaba virtud; la cruz en el vientre, que si, reprimiendo las torpes carnalidades, abrazasen en su pecho la virtud, les daría Dios paz y ablandaría su ira », Mateo Alemán, Guzmán de Alfarache I [1599], José María Micó (éd.), Madrid, Cátedra, Letras Hispánicas [86], 1987, p. 141-142. Return to text

5 Pierre Ancet, op. cit., p. 42. Return to text

6 Romans picaresques espagnols, op. cit., p. 309. « A los dos cirujanos les pareció de la primera vista cosa de mucho momento. », Guzmán de Alfarache, éd. cit., I, III, 6, p. 425. Return to text

7 Ibid. « Habíanme mirado y dado cien vueltas. », p. 425. Return to text

8 Idem « Dos horas son de trabajo, si ya no me sepultan en el Tíber. Pasarélas como pudiere, y si me cortan la pierna quedaré con mejor achaque y cierta la ganancia, si no es que me muero. ». Return to text

9 Ibid, p. 303. « miróme al rostro, y dijo : — Con esos colores y frescura de cuerpo, que estás gordo, recio y tieso, ¿cómo tienes así esa pierna ? No acuden bien lo uno a lo otro.
Respondíle turbado : — No sé, señor, Dios ha sido servido dello. », I, III, 5, p. 417. Return to text

10 Idem « Mandó llamar un cirujano que me examinase. Vino y miróme de espacio. A los principios turbélo, que no sabía qué fuese; mas luego se desengañó ». Return to text

11 Jean-Jacques Courtine, « Le désenchantement des monstres », Histoire des monstres depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, Ernest Martin, Grenoble, Jérôme Millon, coll. Mémoires du corps, 2002, p. 9. Return to text

12 Romans picaresques espagnols, op. cit., p. 308. « Levantéme una mañana, según tenía costumbre, y mi pierna que se pudiera enseñar a vista de oficiales », I, III, 6, p. 423. Return to text

13 Idem, p. 308-309. « Aunque el fingir de llagas hacíamos de muchas maneras, las que tenía entonces era con cierta yerba que las hacía de tan mal parecer, que a quien las viera parecieran incurables y necesitadas de grande remedio, teniéndolas por cosa cancerada. Pero si solos tres días dejara la continuación de aqueste embeleco, la propia naturaleza pusiera las carnes con la perfección y sanidad que antes tenían. », I, III, 6, p. 425. Return to text

14 Ibid., p. 215. « En mí hacían anatomía. », I, II, 5, p. 310. Return to text

15 Ibid., p. 309. « A todo enmudecí como un muerto, que no estaba en mí ni lo estuve en mucho rato, viendo tanto preparamento para cortar y cauterizar », I, III, 6, p. 425. Return to text

16 Ibid., p. 215. « dábanme los bellacos de los mozos y pajes mucho del sartenazo, culebras y pesadillas; echábanme libramientos, ahogándome a humazos », I, II, 5, p. 309. Return to text

17 Idem., p. 215. « Otras veces para probarme hicieron cebaderos, poniéndome moneda donde forzosamente hubiese de dar con ella. », I, II, 5, p. 310. Return to text

18 Voir l’article de Bertrand Lançon : « Magna theriaca. La médecine dans la pensée des lettrés chrétiens de l’Antiquité tardive (IVe-VIe siècles) », Tradición e innovación de la Medicina Latina de la Antigüedad y de la Alta Media Edad, Actas del IV Coloquio Internacional sobre los « textos médicos latinos antiguos », Manuel Enrique Vázquez Buján (éd), Santiago de Compostela, Servicio de publicacións e intercambio científico da Universidade de Santiago de Compostela, 1994, p. 331-341. Return to text

19 Romans picaresques espagnols, op. cit., p. 296. « Descansa un poco en esta venta, que en la jornada del capítulo siguiente oirás lo que aconteció en Florencia con un pobre que allí falleció, contemporáneo mío, en quien conocerás el tacto nuestro si es como quiera bueno. », I, III, 4, p. 409. Return to text

20 Ibid., p. 299-300. « comenzando por la cabeza, se la torció y traíala casi atrás, caído el rostro sobre el hombro derecho. Lo alto y bajo de los párpados de los ojos eran una carne. La frente y cejas quemadas, con mil arrugas. Era corcovado, hecho un cuerpo un ovillo, sin hechura ni talle de cosa humana. Las piernas vueltas por cima de los hombros, desencasadas y secas. Tenía sanos los brazos y la lengua. » I, III, 5, p. 413. Return to text

21 Edmond Cros montre comment Mateo Alemán s’inspire de sa vie pour écrire le personnage de Guzmán. Ses travaux mettent en évidence une correspondance entre l’année de naissance de Guzmán et celle de l’auteur. Par voie de conséquence, le père du gueux et celui de Guzmán seraient tous deux nés aux alentours de 1512, date de l’apparition du monstre de Ravenne. Voir Edmond Cros, « El autobiografismo en Guzmán de Alfarache », Mateo Alemán : introducción a su vida y a su obra, Salamanca, Anaya, 1971, p. 145-162. Return to text

22 22 Voir note 19. Return to text

23 Ibid., p. 297. « Y aunque dicen que en materia de crueldad Italia lleva la gala y en ella más los de la comarca de Génova, no creo que va en la tierra, sino en la necesidad y codicia. Diciéndose destos que lo tienen todo, sus mismos naturales ciudadanos vinieron a llamarlos moros blancos. Ellos, para vengarse y echarles las cabras, dicen que quien descubre la alcabala, ése la paga; que no se dijo por ellos ni se ha de entender sino por los tratantes de Génova, que traen las conciencias en faltriqueras descosidas, de donde se les pierde y ninguno la tiene. », I, III, 5, p. 410. Return to text

24 Ibid., p. 300. « Viéndose en este punto y en el de salvarse o condenarse, como era discreto, revolvió sobre sí, pareciéndole no ser tiempo de burlas ni de confesiones para cumplir con la parroquia. », I, III, 5, p. 413-414. Return to text

25 Ibid., p. 301. « El Gran Duque, como príncipe tan poderoso y señor generoso, mandó que de todo ello se le hiciesen algunas memorias perpetuas, que le ordenó por su alma, como buen cabezalero y mejor caballero. », I, III, 5, p. 414. Return to text

26 26 Ibid., p. 62. « Haz como leas lo que leyeres y no te rías de la conseja y se te pase el consejo. », I, « Al discreto lector », p. 110. Return to text

27 Jean Céard, La nature et les prodiges. L’insolite au XVIsiècle [1977], Genève, Droz, Collection Titre Courant [2], 1996. Return to text

28 Elena del Río Parra met en relation l’enthousiasme du chirurgien face à l’étrangeté du corps monstrueux qu’il cherche à analyser et la démarche de saint Augustin qui fait du monstre un être utile, permettant, par sa laideur exceptionnelle, de faire redécouvrir la beauté et l’harmonie de ce qui est commun dans la nature : « autores de corte agustiniano como fray A. de Villamanrique habían observado que “lo común engendra menosprecio”, y que la única forma de ser digno de estimación consiste en ser “raro, único y singular”. La reflexión de Villamanrique puede extenderse a ciertos ámbitos del pensamiento del siglo XVII español, donde el empeño por apartarse de lo usual se prosigue a costa de cualquier cosa, monstruosidad incluida. La idea proviene originariamente del pensamiento de San Agustín, quien sostiene que los monstruos deben existir para poder, por contraste, definir y resaltar lo normal; además, éstos están sometidos a la intervención divina, que no crea nada sin causa justificada. Los seres deformes no sólo pertenecen al orden natural, sino que son útiles a la naturaleza, haciéndola hermosa, “y que se tenga en más”; por ello son seres que deben ser juzgados por el orden natural, no por el moral. », Elena del Río Parra, Una era de monstruos : Representaciones de lo deforme en el Siglo de Oro español, Madrid/Frankfurt am Main, Universidad de Navarra-Iberoamericana-Vervuert, 2003, p. 42. Return to text

29 cf. Philippe Rabaté, « Du portrait du père à l’évocation du monstre de Ravenne : la description chez Mateo Alemán (Guzmán de Alfarache, Première partie, I, 1). », Description et fiction de Jean de la Croix à Vargas Llosa. L’inquiétante étrangeté de l’écriture descriptive, M. Aranda (éd.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 117-141. Return to text

30 Michel Cavillac souligne les implications théologiques de cette fracture ontologique :« En vérité, la seule théologie orthodoxe susceptible d’expliquer de façon cohérente le “retournement” du Gueux, et la paradoxale transmutation rétrospective du mal en ferment du bien, est l’augustinisme dont l’une des idées-forces était justement que “dans la création, il n’est pas jusqu’à ce qu’on appelle un mal (etiam peccata) qui ne soit bien ordonné et mis à sa place de manière à mieux faire valoir le bien”, car “le Dieu tout-puissant, puisqu’il est souverainement bon, ne laisserait jamais un mal quelconque exister dans ses œuvres s’il n’était assez puissant et bon pour faire sortir le bien du mal lui-même”. », Gueux et marchands dans le Guzmán de Alfarache (1599-1604), Bordeaux, Institut d’Études Ibériques et IbéroAméricaines de l’Université de Bordeaux, 1983, p. 72. Return to text

31 Romans picaresques espagnols, op. cit., p. 740. « Ya con las desventuras iba comenzando a ver la luz de que gozan los que siguen a la virtud y, protestando con mucha firmeza de morir antes que hacer cosa baja ni fea, sólo trataba del servicio de mi amo, de su regalo, de la limpieza de su vestido, cama y mesa. », II, III, 8, p. 505. Return to text

32 Ibid. p. 741. « En este discurso y otros que nacieron dél, pasé gran rato de la noche, no con pocas lágrimas, con que me quedé dormido y, cuando recordé, halléme otro, no yo ni con aquel corazón viejo que antes. Di gracias al Señor y supliquéle que me tuviese de su mano. », II, III, 8, p. 506. Return to text

33 « La deformidad, en cualquier de las artes, es un estado mnemotécnicamente eficaz », Elena del Río Parra, op. cit., p. 11. Return to text

References

Electronic reference

Gaëlle Le Gal, « Science divinatoire et observation médicale », Cahiers du Celec [Online], 1 | 2010, Online since 23 mai 2023, connection on 20 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/celec/index.php?id=139

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Gaëlle Le Gal

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