Pour Wolfgang Kayser, auteur d’une étude sur le grotesque qui fait encore référence aujourd’hui1, l’expérience la plus tangible du grotesque est sans conteste celle qu’offre une déambulation dans le Musée du Prado, avec quelques temps d’arrêt, notamment devant les célèbres Ménines de Vélasquez2 : dans ce tableau qui a pour personnage principal l’angélique infante Marguerite, entourée de ses demoiselles de compagnie et également d’un groupe de nains, décalé au premier plan et redoublant celui que forment les courtisans, situés en retrait3, beauté et difformité sont mises en regard, en un jeu de contraste d’autant plus saisissant que cette a-normalité n’apparaît pas, nous dit Kayser, comme « quelque chose de tout à fait autre », mais comme « partie intégrante de cette cour »4.
C’est également dans une cour, mais cette fois en son centre, qu’est placé le monstrueux « roi des légumes » mis en scène par Hoffmann dans La fiancée du roi, un conte rédigé en 1821 et publié dans le 4ème et dernier volume des Frères Sérapion5. Rarement peut-être un texte d’Hoffmann a-t-il divisé aussi nettement la critique, pour peu qu’elle s’intéresse à ce récit assez bref, souvent éclipsé par d’autres productions unanimement reconnues, elles, comme chefs d’œuvre (Le Vase d’or, L’homme au sable, Princesse Brambilla pour n’en citer que quelques-unes…). Tantôt jugé comme une démonstration de « fantastique comique » certes virtuose, mais tournant à vide – en somme, un « grand divertissement »6, rien de plus –, tantôt salué comme une performance avantgardiste en matière de « comique fantastique absolu », selon les termes de G. Vitt-Maucher7 – un éloge que lui fera par ailleurs Baudelaire, nous y reviendrons –, le conte reste un « étrange produit hybride »8, né du croisement de multiples influences (du conte populaire à la commedia dell’arte, en passant par les contes de fées français et leurs transpositions allemandes au XVIIIe siècle9).
Nous l’aborderons sous l’angle, certainement plus consensuel, de la difformité et de son lien manifeste avec la grotesque, non sans reprendre au préalable la question posée d’emblée par W. Kayser : la simple présence, dans une représentation, d’un élément ou d’une figure difforme suffitelle pour que l’on puisse lui appliquer le qualificatif de grotesque10 ? La réponse était déjà partiellement contenue dans l’évocation des Ménines : c’est en s’inscrivant dans un « contexte », en tant qu’élément à la fois structurel et signifiant, que la forme singulière du monstrueux relève du grotesque11.
Qu’en est-il chez Hoffmann et plus spécifiquement dans la Fiancée du roi ? Dans quel ensemble la difformité qu’incarne l’horrible créature briguant les faveurs d’une belle jeune fille de la campagne vient-elle s’intégrer ? Sa mise en perspective avec d’autres manifestations du difforme dans l’œuvre, essentiellement narrative, d’Hoffmann permettra un premier rattachement à l’univers de la grotesque, certes probant, mais non suffisant pour ce conte traité sur le mode de la burla. S’il opère le passage du grotesque au burlesque, le rire apparaîtra aussi comme le correctif d’une difformité qui, aussi paradoxal que cela puisse paraître au premier abord, se rapporte à la Nature, ainsi que le stipule le sous-titre du conte : « ein nach der Natur entworfenes Märchen », soit « un conte élaboré d’après nature ».
Éloge de la difformité
Résumons tout d’abord, pour plus de clarté, l’histoire qui nous est exposée en six chapitres, systématiquement introduits par un sommaire moins destiné à véritablement renseigner le lecteur qu’à l’initier à une forme d’« arabesque humoristique12 », comme par exemple lorsque le narrateur auctorial s’amuse à souligner le caractère indispensable d’un chapitre pour l’économie même du conte13. Un gnome faisant irruption un beau jour dans le petit village de Dapsulheim14 veut emporter dans son univers souterrain – on songe ici, entre autres réminiscences possibles, au mythe de Perséphone – la jeune et belle Anna de Zabelthau, qu’une prédilection quasiment innée pour la culture potagère semble prédisposer à un tel dessein. Afin de ne pas éveiller la méfiance du père, le sieur Dapsul de Zabelthau, féru de sciences occultes et donc susceptible de découvrir le pot aux roses, le prétendant se fait passer pour le descendant d’une haute lignée d’esprits élémentaires, le baron Porphirio de Ockerodastes. Si le sieur Dapsul, voyant son propre projet de mariage avec une sylphide par là même favorisé, se laisse aisément duper, la Demoiselle Annette, elle, n’éprouve au premier abord que de l’aversion pour « l’affreux baron »15 ; elle appelle alors à la rescousse son fiancé « humain », l’étudiant Amandus de Nebelstern, « au reste un gai et franc jeune homme »16, mais suffisamment influençable pour croire le premier venu, qui voit en lui un « prodigieux génie poétique »17. Néanmoins, la révélation par le baron lui-même de son rang au royaume des légumes (il n’est rien de moins que le roi Daucus Carotta Ier) amadoue la jeune fille sensible aux titres, au point qu’elle accepte de devenir sa fiancée. S’ensuit une période d’entente harmonieuse entre les trois personnages, jusqu’à ce que le sieur Dapsul découvre la véritable origine de son futur gendre, un gnome « de la plus basse espèce »18. Afin de convaincre sa fille du sort funeste qui l’attend, il lui fait alors entrevoir la face cachée, proprement répugnante, du royaume souterrain et cherche à la libérer de l’emprise du « gnome ennemi19 », n’hésitant pas à l’affronter dans un duel pour ainsi dire culinaire20 qui échoue lamentablement. Le salut peut encore venir d’Amandus, mais ce dernier, revenu entre-temps de la ville, est engagé par le « roi des légumes » comme poète de cour. Une démonstration de son talent provoque de tels maux de ventre chez son monstrueux mécène que ce dernier disparaît sous terre sans demander son reste. Le mariage des deux jeunes gens peut alors avoir lieu : « tout est bien qui finit bien », comme le veut la formule consacrée…
Au beau milieu du conte, précisément dans le troisième chapitre, apparaît donc une créature qui s’apparente à un monstre, soit si l’on prend la deuxième acception proposée pour ce terme par le dictionnaire Robert à un « être vivant ou organisme de conformation anormale (par excès, défaut ou position anormale de certaines parties de l’organisme »21. Voici comment le narrateur nous la dépeint :
Pour ce qui était de l’élégance de ses formes, le baron était loin de pouvoir être comparé à l’Apollon du Belvédère et au Gladiateur mourant : car, outre qu’il avait trois pieds de haut à peine, le tiers de son corps consistait en une énorme tête qu’ornaient agréablement un long nez recourbé et deux gros yeux saillants en forme de boule, et comme le corps était aussi assez long, il ne restait que quatre pouces environ pour les cuisses22.
La difformité se traduit ici par une disproportion frappante entre la tête, d’une taille anormale, et la partie inférieure du corps, réduite au strict minimum. Cette anomalie touche également le cavalier envoyé en éclaireur, un « petit homme » qui, en dépit de l’impression produite par une tête rendue « informe » par sa grosseur23, n’a « rien qui rappelât un nain »24, relève le narrateur, essentiellement parce qu’il est doté d’un long buste.
Ce « petit monstre »25, ainsi que le qualifie celle sur laquelle il a jeté son dévolu, n’est pas une figure isolée dans l’univers narratif d’Hoffmann. Par sa difformité, bien qu’atténuée par ces « agréables ornements » du visage que sont le nez et les yeux (pourtant jugés protubérants !) et même par une certaine grâce de l’ensemble26, le baron Porphirio figure en bonne place dans ce « cabinet de curiosités » qu’Hoffmann, des Fantaisies à la manière de Callot (1814-1815) aux Frères Sérapion (1819-1821) s’est plu à se constituer : le « Magister Tinte » (« Maître Encre ») dans le conte Das fremde Kind (L’enfant étranger), un nain avec une « tête informe » et de toutes petites et fines « jambes d’araignée » qui contrastent « étrangement » avec un corps très large27, l’« horrible enfant difforme » (« abscheuliche[r] Wechselbalg »28) que Lothar, un autre des « Frères Sérapion », dépeint dans un bref récit précédant la lecture du conte Die Brautwahl (Le choix de la fiancée), une « chose » à mi-chemin entre l’homme et l’animal, pourvue notamment de « deux cornes » et manifestement invertébrée29 ; le « Petit Zachée surnommé Cinabre » (Klein Zaches genannt Zinnober), autre exemple, certainement plus connu que le précédent et plus monstrueux encore, de « Wechselbalg » que nous évoquerons plus loin ou encore « Maître Puce » (« Meister Floh »), le « petit monstre » (« kleine[s] Ungeheuer ») qui apparaît dans la troisième aventure du conte éponyme d’Hoffmann et frappe tout particulièrement par la configuration anormale et proprement fantastique de ses membres, les bras (situés dans le prolongement de la « tête d’oiseau » de cette étrange créature30) et les jambes (« deux pattes très fines, puis, plus loin, deux autres »31) étant munis d’une « double articulation »…
Dans sa pratique du récit comme dans celle, qui lui est étroitement liée, du dessin (et de la caricature), Hoffmann semble donc prendre un réel plaisir à représenter l’anormalité (« das Abnorme »), comme le souligne Hyun-Sook Lee32, et éprouver une nette prédilection pour des figures de nains dotés d’une trop grosse tête. En matière de difformité, sa source d’inspiration est double. Outre la lecture de récits que produisent, à la même époque, d’autres auteurs romantiques (Achim von Arnim notamment et son Isabelle d’Égypte, qui attire Hoffmann par sa mise en scène d’une figure de mandragore33), celle de « chroniques anciennes », de véritables « mines » selon Lothar pour qui veut écrire des « récits, contes, nouvelles et drames »34, vient nourrir une imagination naturellement fertile. Les monstres découverts dans ces « étranges et folles fables » complètent alors la collection de créatures fantastiques que conçoit, la plupart du temps en rêve35, Hoffmann. Cette veine est alimentée également par des représentations plastiques de la difformité, comme la série des « bossus » (« i gobbi ») de Jacques Callot, ce graveur français du début du XVIIe siècle qu’affectionne tout particulièrement Hoffmann, au point de lui emprunter sa « manière », comme l’annonce le sous-titre de ses Fantaisies.
Pourquoi ne puis-je me rassasier à la vue de tes ouvrages bizarres et fantastiques, ô toi maître sublime ! Pourquoi toutes tes figures, dont souvent un seul trait hardi suffit à marquer les contours, restent-elles si bien gravées dans mon esprit36 ?
Cette question, qui ouvre l’essai consacré à J. Callot au début des Fantaisies, mérite en effet d’être posée : pourquoi Hoffmann éprouve-t-il une telle fascination pour toutes ces formes de monstruosité que sont le nanisme, la gibbosité ou encore l’excroissance de certaines parties du corps ?
Il est possible de trouver un élément de réponse dans le portrait que brosse Gabrielle WittkopMénardeau du jeune Hoffmann, manifestement peu gâté par la nature :
À cette époque, son corps et son visage ont déjà pris cet aspect caractéristique qui ne subira que d’infimes modifications au cours des ans. Le jeune homme est d’une taille largement au-dessous de la moyenne, très maigre, un peu penché en avant. Ses cheveux d’un noir bleuté tombent en désordre sur le front haut placé, le nez est busqué, le menton en galoche, le teint jaune, la grande bouche semble fermée sur un secret ; les yeux, magnifiques et myopes, de la couleur de la pierre de lune, brillent et scintillent d’un feu inquiétant entre les longs cils. Cette silhouette de mandragore toute entière est animée de mouvements permanents, gigotant, gesticulant continuellement. C’est ainsi qu’il apparaît à sa première élève, qui devient aussi son premier amour37.
Ces diverses imperfections physiques, au premier rang desquelles figure l’anormale petitesse de la taille, entrent de manière systématique dans la composition des monstres hoffmanniens. Cela vaut bien sûr pour le « petit baron » de Porphirio tel que nous l’avons découvert précédemment, ce « vilain petit homme jaune »38 qui brigue les faveurs de Demoiselle Annette et semble affecté du même syndrome que son fébrile créateur : une gesticulation permanente. En lien avec ce que l’on pourrait appeler ici, tant ce motif végétal semble prégnant chez Hoffmann39, le « complexe de la mandragore », la représentation du difforme semble donc opérer comme une auto-critique non dénuée d’humour, voire comme une catharsis plus ou moins consciente : Rüdiger Safranski, dans son récent essai sur le romantisme, ne parle-t-il pas d’Hoffmann comme du « petit gnome aux traits mobiles »40 ?
Venons-en enfin au « petit monstre » qui apparaît d’emblée dans le conte du Petit Zachée surnommé Cinabre41. Le visage de « l’affreux avorton » (« de[r] abscheulich[e] Wechselbalg ») fait également penser à « une petite mandragore », en raison de la difformité de ses traits (« un long nez pointu », « deux petits yeux noirs et flamboyants », l’ensemble étant « sillonné de rides profondes »42) ; mais là n’est pas la seule de ses ressemblances avec l’univers végétal, comme le confirme la description de son corps :
La tête de ce phénomène était enfoncée entre ses épaules ; le dos était marqué par une excroissance en forme de courge et, juste au-dessous de la poitrine, de petites jambes aussi minces que des baguettes de courdrier pendaient, de sorte que le gamin ressemblait à un radis fendu en deux43.
Plus loin, alors qu’il tente de se maintenir en selle sur un grand cheval, ce « singulier petit monstre » (« [dies] seltsame kleine Ungetüm ») sera même comparé à une « pomme plantée sur une fourchette et dans laquelle on aurait taillé un masque grotesque »44.
C’est précisément cette corrélation cocasse avec des éléments végétaux, exploitée à l’extrême dans le conte de la Fiancée du roi, qui donne à la représentation du difforme chez Hoffmann sa signification profonde, qui, en d’autres termes, lui vaut son caractère « grotesque ».
Du grotesque au burlesque
Par son lien avec le monde végétal, la représentation du monstrueux « roi des légumes » s’apparente à la grotesque, soit, si l’on reprend la définition de G. Vasari, cette « catégorie de peinture libre et cocasse inventée dans l’Antiquité pour orner les surfaces murales où seules des formes en suspension pouvaient trouver place »45. La profusion d’éléments hétérogènes, l’hybridation effaçant les frontières entre le domaine végétal ou animal et celui de l’humain, ainsi que le jeu d’une imagination débridée en sont les principales caractéristiques, appliquées pour l’essentiel à la représentation de « difformités monstrueuses » :
Les artistes y représentaient des difformités monstrueuses créées du caprice de la nature ou de la fantaisie extravagante d’artistes : ils inventaient ces formes en dehors de toute règle, suspendaient à un fil très fin un poids qu’il ne pouvait supporter, transformaient les pattes d’un cheval en feuillage, les jambes d’un homme en pattes de grues et peignaient ainsi une foule d’espiègleries et d’extravagances. Celui qui avait l’imagination la plus folle passait pour le plus doué46.
Hoffmann s’est lui-même essayé à la réalisation de grotesques, comme en témoigne par exemple la couverture47 réalisée pour le Chat Murr (Kater Murr). Néanmoins, c’est dans la mise en scène de créatures grotesques, directement inspirées des figures « à moitié humaines, à moitié bestiales » de J. Callot, que l’auteur des Fantaisies excelle. Nous nous contenterons de citer ce passage des Aventures de la nuit de la Saint-Sylvestre (Abenteuer der Silvester-Nacht) où le narrateur, après avoir bu du punch (« boisson favorite » de ce double d’Hoffmann qu’est le maître de chapelle Kreisler48 !), voit apparaître une étrange créature « aux jambes d’araignée, avec des yeux de grenouille » qui vient lui réclamer sa « femme »49, la belle Julie, autre exemple de cohabitation (mais officialisée cette fois par le mariage !) entre difformité monstrueuse et beauté angélique. Dans la Fiancée du roi, on trouve également ce que le « petit homme » (« der Kleine ») croisé dans les Aventures de la nuit de la Saint-Sylvestre – un personnage aux allures de revenant, dépossédé non de son ombre comme le célèbre Peter Schlemihl, mais de son reflet – nomme un « tableau d’avertissement » réalisé à la manière de « Bruegel50, Callot ou Rembrandt »51, trois références interchangeables aux yeux d’Hoffmann en matière de grotesques. Il s’agit de la vision « en négligé »52 du royaume, qui révèle à la jeune promise séduite par l’apparente magnificence de ce dernier la réelle « extraction » du pseudo Baron de Porphirio :
Juste ciel ! qu’aperçut-elle en place du beau potager, en place de la garde des carottes, des pages Lavande, des princes Salades, et de tout ce qui lui avait paru si magnifique ? Elle vit un marais profond qui paraissait rempli d’une vase dégoûtante, et dans cette vase s’agitait un peuple affreux qui sortait de la terre. De gros vers s’entrelaçaient lentement ensemble, pendant que des espèces d’escargots rampaient avec de gros ognons, qui, avec une laide figure humaine, coassaient, louchaient de leurs yeux jaunes, et avec les petites griffes qu’ils portaient auprès des oreilles s’efforçaient de les saisir par leur grand nez et de les tirer dans la vase ; tandis que de grandes limaces nues dans leur paresse écœurante se roulaient l’une sur l’autre, et leurs longues cornes sortaient du gouffre.
Demoiselle Annette, à cet affreux spectacle, fut sur le point de s’évanouir. Elle mit sa main devant sa figure, et s’enfuit rapidement53.
Toutefois, à l’exception de cette vision d’épouvante que seule la médiation de la magie permet de percevoir (Anna est enveloppée au préalable, « de la tête aux pieds », d’une « quantité de rubans jaunes, rouges, blancs et verts »54 par son père féru de cabale), la représentation grotesque de la difformité s’accompagne dans le conte d’un souci d’esthétisation. Ainsi, le corps contrefait du « petit Baron » n’est pas dépourvu d’une certaine grâce, ni même d’une certaine harmonie, aussi paradoxal que cela puisse paraître : sa partie inférieure, pourtant rachitique, semble « assez bien utilisée » (elle se termine par les « pieds les plus jolis et les plus barons que l’on pût imaginer »55) et même les chutes du bancal personnage s’apparentent aux « évolutions d’une danse »56. Quant à la description de l’arrivée de sa cour à Dapsulheim, un « ballet en miniature » pour Gisela VittMaucher57 – « rien n’est plus beau à voir » disait Baudelaire58 –, elle illustre de manière magistrale la transposition, dans le domaine narratif, de la « manière » de Callot, parvenant à « rassembler dans un petit espace un nombre infini d’objets59 » sans que cette profusion nuise à l’harmonie de l’ensemble :
Un beau et long cortège monta la rue. En tête s’avançaient de soixante à soixante-dix cavaliers de petite taille montés sur des chevaux jaunes, leurs habits étaient jaunes aussi comme celui de l’ambassadeur. Ils portaient des bonnets pointus et des bottes de bois d’acajou. Ils précédaient une voiture attelée de huit chevaux jaunes et du plus pur cristal. Environ quarante autres voitures moins brillantes, et attelées tantôt de six, tantôt de quatre chevaux, suivaient la première. Une foule de pages, de coureurs et d’autres domestiques s’agitaient de toutes parts couverts de riches costumes […]60.
Surtout, c’est par sa mise en scène humoristique que le « roi des légumes » sort du lot de créatures grotesques imaginées par Hoffmann. L’effet produit par le déploiement de toute sa cour est à la fois « étrange » et « comique »61 ; de même, son « ambassadeur » est « d’une tournure assez singulière et drôle »62. Cette dimension comique n’est certes pas étrangère à la nature même de la grotesque, qui consiste, nous l’avons vu, « en une foule d’espiègleries et d’extravagances » (des « peintures fantasques » dira Montaigne63). Toutefois, dans le conte de la Fiancée du roi, son amplification est telle qu’un basculement s’opère, d’une forme de grotesque fantastique – celle-là même qui, d’après W. Kayser, naît de la découverte mi-amusée, mi-effrayée de l’étrangeté du monde64 – à un type de grotesque essentiellement ludique, presque jouissif, proche de l’univers de la commedia dell’arte, et pour lequel le terme de burlesque paraît plus approprié.
En témoigne l’utilisation du motif de l’hypertrophie de la tête, marque de fabrique du grotesque « homme-carotte » Daucus Carota 1er. Cette difformité est l’objet d’un long développement théorique, placé dans la bouche de l’érudit Dapsul : étayé tout d’abord par un syllogisme de son propre cru (« la beauté c’est la sagesse, la sagesse est dans la pensée, et la tête est le symbole physique de la pensée »65), il s’achève par la formulation d’un idéal pour le moins cocasse, celui d’une humanité faite de corps tronqués, se résumant à l’éminence (au propre comme au figuré) de la tête :
Plus la tête est grosse et plus sont grandes la sagesse et la pensée ; et si l’homme pouvait regarder tous les autres membres comme des articles de luxe qui lui sont donnés pour lui nuire, il arriverait au sublime de l’idéal.
D’où viennent toutes les peines, tous les ennuis, toutes les dissensions, toutes les disputes, en un mot les causes de ruine des mortels ? N’est-ce pas des désirs impies des membres ? O quelle tranquillité, quelle béatitude s’établiraient sur la terre si l’humanité était privée du corps, des bras et des jambes ! De là l’heureuse idée des sculpteurs de représenter en buste les grands hommes d’État et les grands savants pour désigner d’une manière symbolique la nature supérieure qui doit vivre en eux en vertu de leur place ou de leur livre. Ainsi, ma fille, qu’il ne soit plus question de laideur ou d’autres reproches de ce genre adressés au plus noble des esprits. Tu es et demeures la fiancée du magnifique Porphirio de Ockerodastes66.
Le lecteur ne sera alors pas étonné d’apprendre, au détour d’une lettre envoyée par la prosaïque Anna à son fiancé Amandus (qui s’est mis en tête de devenir poète et, du même coup, la perd !), qu’un buste de Charlemagne trône dans la salle de réception familiale67. Même coiffé d’un chapeau de paille par la jeune fille dont les « sens terrestres et grossiers » sont peu perméables à la « céleste sagesse »68 (ayant utilisé son carton à chapeaux pour envoyer du tabac à son fiancé, elle s’en sert comme d’une simple patère), ce buste incarne l’aspiration de Dapsul à se tourner exclusivement vers la sphère céleste – projet qu’un trop grand attachement aux « besoins terrestres69 » (« je mange horriblement »70, confesse-t-il sans retenue à sa fille) vient manifestement encore trop souvent contrecarrer…
Repris plus loin dans une version végétale, lors du duel opposant le radis rebelle71 au « roi des légumes », cet éloge de la difformité sur le mode burlesque nous renvoie au traitement spécifique des images du corps dans la culture comique populaire, telles que les a disséquées Mikhaïl Bakhtine dans son étude sur Rabelais72. Qu’il s’agisse du ventre ou du phallus (dont le nez est un traditionnel substitut) ou encore de certaines parties du visage, dont la tête – mais seulement lorsqu’elles se transforment, précise Bakhtine, « en formes d’animaux ou de choses » et deviennent donc « grotesques », au sens rappelé plus haut –, ces éléments sont « l’objet de prédilection d’une exagération positive, d’une hyperbolisation » et peuvent même « se séparer du corps, mener une vie indépendante », le restant du corps étant ainsi « relégué au second plan »73, voire tronqué comme en rêve le sieur Dapsul. Même si Bakhtine continue d’employer ici le qualificatif de grotesque74 là où le terme de burlesque nous semblerait plus justifié, il conforte notre découverte, chez Hoffmann, d’une difformité qui prête essentiellement à rire.
Le conte de la Fiancée du roi ne serait-il alors, comme le jugent souvent sévèrement certains critiques, qu’une simple farce carnavalesque, mettant en scène un « répugnant épouvantail » (« widerwärtige[r] Popanz »75) ? De nombreuses scènes de « rabaissement », trait marquant du « réalisme grotesque » pour Bakhtine (soit le « transfert de tout ce qui est élevé, spirituel, idéal et abstrait sur le plan matériel et corporel, celui de la terre et du corps dans leur indissoluble unité »76), invitent à aller dans ce sens : celle du combat final77 dans la cuisine entre le pseudo magicien Dapsul et le « gnome ennemi »78 en est un très bon exemple, surtout si l’on pense en la lisant à son versant mythologique dans le célèbre Vase d’or d’Hoffmann (le duel du « Prince des esprits »salamandre contre la sorcière-betterave, libérant Anselme du « principe hostile » qui l’empêchait d’accéder à l’univers poétique d’Atlantis79). Ici, les armes se réduisent à des ustensiles ménagers et le combat à une recette de cuisine, dont Dapsul fait lui-même les frais (il finit « cuisiné » à la place du gnome), ce qui rappelle bien sûr le Quichotte de Cervantès, une référence pour Bakhtine en matière de « carnaval grotesque ». En outre, « divertissant » (« ergötzlich ») est le qualificatif sur lequel s’accordent les Frères Sérapion à l’issue de la lecture du conte80 et qu’il nous faut replacer, pour en saisir toute la portée, dans la terminologie hoffmannienne, opposant ce qui est simplement « drôle » (« d[as] Drollig[e] ») à ce qui s’avère « véritablement comique » (« [das] wahrhaft Humoristisch[e] » ou « [das] wahrhaftig Komische »), soit ce curieux mélange de joie et de douleur que seule la dualité foncière de la nature humaine peut expliquer81.
Pour autant, le traitement burlesque de la difformité dans le conte de La Fiancée du roi n’est pas dénué de profondeur, ni même d’ironie, au sens où l’entend Hoffmann82. S’il se rapproche du rire carnavalesque, c’est également parce qu’il fonctionne lui aussi comme correctif. Le malencontreux (en apparence) coup de bêche donné sur la tête d’Amandus, difforme au second degré (le poète en herbe a, dirait-on familièrement, « pris la grosse tête » !) ne relève pas d’un simple comique de situation ; de la même manière, dans une des scènes de la commedia dell’arte, Arlequin vient au secours d’un bègue en lui donnant un coup de tête dans le ventre, ce qui permet de le faire « accoucher » du mot compliqué qu’il ne parvenait pas à prononcer. Ainsi, par ce coup reçu sur la partie (métaphoriquement) hypertrophiée de son corps – un « geste traditionnel » selon Bakhtine83 –, Amandus est définitivement guéri de sa « folie » poétique.
Cet aspect correctif induit nécessairement la présence d’une norme, à l’aune de laquelle peut être mesurée la difformité burlesque : dans la Fiancée du roi, un « conte élaboré d’après nature »84, c’est bien la Nature qui remplit cette fonction normative.
La norme de la Nature
Que la Nature soit choisie comme référence dans un récit où la difformité, l’anormalité ont une place aussi prépondérante peut surprendre et ce, même si sa conception élargie en tant que natura naturans – notamment dans le contexte spécifique du XVIe siècle, ainsi que le relève A. Muzelle, soucieux de relativiser la notion d’art mimétique appliquée à la grotesque85 – autorise bien des écarts : « […] de raison il n’y en a aucune, fors de dire que Nature se joüe en ses œuvres », en concluait Ambroise Paré dans son traité sur les [M]onstres et prodiges86 (1573), illustrant l’extraordinaire capacité de la Nature à se faire « chambrière du grand Dieu87 ». Rappelons également que nous avons ici affaire à un « conte » (« Märchen »), soit, par définition88, à un récit où le merveilleux (y compris sous ses formes les plus horribles) trouve une justification « naturelle ».
En fait, ce n’est pas dans le sens d’une reproduction mimétique qu’il faut comprendre la mention mise en exergue au récit. Rares sont en effet les descriptions qui prennent « réellement » la nature pour objet, à l’exception de cette scène d’orgie naturelle qui, nous le verrons, ouvre le conte. Comme le relève G. Vitt-Maucher, Hoffmann nous livre plutôt un « conte sur l’essence de la nature »89, trahissant nettement l’influence de la Naturphilosophie de G. H. Schubert90. Le domaine qui échoit en héritage au sieur Dapsul, revenu sur ses terres natales après avoir mené pendant quelques années une vie aventureuse91, et qui se réduit alors au petit village de Dapsulheim – appellation métonymique qui résume à elle seule la manière dont fut administré le riche patrimoine familial en l’absence de Dapsul – apparaît en effet comme un microcosme concentrant les différentes composantes de « l’organisme » naturel : inorganiques et métalliques tout d’abord (l’anneau d’or et les ustensiles de cuisine utilisés comme armes contre le gnome), végétales ensuite (le monde potager dans toute sa variété), humaines enfin (l’hybride « roi des légumes » et sa cour). Entre les règnes de l’inorganique et du végétal, comme entre l’existence de l’homme et le développement des végétaux existe une corrélation (« Wechselbeziehung »), idée-clé chez Schubert, qui organise l’ensemble et lui donne son sens, chaque élément aspirant à accéder à l’étape supérieure de son évolution naturelle : la forme humaine pour l’animal, l’Idéal pour l’homme – une « philosophie de la nature » qu’illustrent, dans la Fiancée du roi, tant le désir d’union d’un esprit élémentaire avec une mortelle que les élans mystico-cosmiques du « magicien » Dapsul, et ce, en dépit des « rabaissements92 » opérés par le narrateur93. Plus encore, l’omniprésence du thème de la fertilité, de la productivité dans le conte – sa force à la fois « motrice » et « (ré)conciliatrice » pour G. Vitt-Maucher94 – s’explique par la valeur particulière qu’accorde Schubert aux temps de floraison, de fécondation et d’accouplement, moments où ce phénomène de corrélation « internaturelle » est le plus probant.
« C’était une année bénie », constate le narrateur auctorial en guise d’entrée en matière, avant de dérouler les images d’une nature littéralement saturée :
Dans les champs, le grain, l’orge et l’avoine verdoyaient et fleurissaient, les jeunes paysans s’en allaient dans les pois verts, le bétail foulait le trèfle, et les arbres étaient rouges de cerises malgré la voracité des moineaux. Tout être trouvait chaque jour à la grande table de la nature une pâture abondante […]95.
La personnalité des principaux protagonistes du conte est également placée sous le signe de la productivité : Anna entretient une relation affective, héritée de sa propre mère (dont l’attachement à un troupeau de chèvres lui avait valu en son temps le sobriquet de « fille aux chèvres96 »), avec son jardin potager (les carottes sont ses « Möhrenkinder »97 et une fois « adopté », le petit Baron se laisse alimenter comme un enfant98) ; de son côté, Dapsul se dit aimé d’une sylphide à laquelle il souhaiterait s’unir99 – une possible variation du leitmotiv de la productivité – ; enfin, Amandus connaît des élans de création poétique dont sa prosaïque fiancée est la première destinataire. Néanmoins, chez tous les trois, cette productivité a un caractère excessif : si la jardinière passionnée est trop profondément ancrée dans le monde terrestre, l’adepte invétéré des sciences occultes est, lui, trop tourné vers le domaine céleste ; quant au poète impénitent, il s’est laissé entraîner à « faire dans l’excès »100, comme le constate, peut-être en une forme d’autocritique, le narrateur, porté parfois lui aussi, nous le verrons, à « dépasser les bornes ». Or, la démesure est inscrite d’emblée dans la nature elle-même, à la « table » de laquelle tous viennent « faire bombance à satiété »101 sans l’épuiser pour autant, puisque la moitié des cerises restent sur l’arbre malgré la « voracité » des moineaux. De cette prodigalité anormale découle « tout naturellement » le comportement excessif de l’homme, comme l’atteste la fin de la description orgiaque de la nature :
[…] mais les légumes étaient surtout si admirablement beaux dans le jardin du sieur Dapfuhl de Zabelthau que mademoiselle Annette ne se possédait plus de joie.
Le goût immodéré de la jeune fille pour la culture potagère ne peut être qu’encouragé par le spectacle d’une nature ayant perdu tout sens de la mesure, a fortiori lorsque l’on est soi-même déjà guetté à l’origine par la difformité : si des « yeux bleus et clairs » (un invariant dans la constitution des personnages féminins chez Hoffmann), confèrent à Annette une certaine beauté, ses « formes » présentent en revanche « un peu trop de rondeur »102 ; en outre, alors qu’elle pense être la droiture même, comme elle l’écrit à son « cher Amandus » dans l’un de ses post-scriptum à tiroirs, son écriture demeure « quelque peu tordue »103. En d’autres termes, et pour reprendre le sous-titre du conte, c’est bien « d’après nature » que se conçoit la difformité d’Anna, sa « pathologie » (une absence de rapport équilibré, mesuré, avec la nature organique) étant induite par une nature prête à tous les excès, comme au surgissement en cette année « bénie » – on relèvera ici l’ironie du narrateur – d’une créature monstrueuse.
Enfin, cette productivité semble s’appliquer à la langue elle-même, avec tous les risques de difformité que cela comporte. En témoigne cette scène étonnante où tout le « petit peuple » de la cour potagère s’anime en « mètres » antiques :
[…] plus de cent petits hommes, partie sur les pieds, partie sur la tête, se mirent à danser, comme l’avait fait le courrier, des pyrrhiques, des trochées, des spondées, des dactyles, des choriambes, que c’était un plaisir de les voir104.
À l’instar de l’« habile écuyer gymnaste » qui les a précédés et a réalisé une vraie performance en écrivant son message « sur la terre de la cour » grâce à « toutes sortes de mouvements » réalisés autour de son cheval105, les petits personnages font ici la démonstration de la capacité productive, créatrice de cette langue du corps qui est la leur. L’énumération de termes techniques, plus symptomatique encore dans le texte allemand où elle procède en dix temps, est la marque d’une « prolifération automatique » de la langue elle-même, comme l’analyse G. Vitt-Maucher106. Ce qu’elle reconnaît comme un mode de narration moderne, voire avant-gardiste – en tout cas résolument nouveau107 – peut aussi être identifié comme une forme d’expression maniériste, qui parviendrait à rendre compte de l’animation de la langue, calquée sur celle des corps, au prix même de son inflation, de sa déformation108…
Ainsi, c’est à un autre tableau que nous fait penser pour finir le traitement, dans la Fiancée du roi, d’une difformité « d’après nature » : il s’agit du portrait de Rodolphe II, réalisé en 1591 par Arcimboldo (1527-1593), un assemblage composite d’éléments végétaux censé représenter le « prince des collectionneurs »109 en Dieu Vertumne. La symbolique attachée à cette divinité, qui incarne les « changements qui se manifestent dans la nature, et surtout le passage de la floraison à la fructification »110 (Vertumne était le Dieu fétiche des jardiniers) ne fait que renforcer le parallèle avec notre grotesque « roi des légumes », dont l’arrivée est associée à un moment d’extraordinaire fécondité (« magique » ou « magnétique » selon Schubert) de la nature tout entière.
Toutefois, là où le peintre maniériste ose l’écart par rapport à la norme (l’image idéale et supérieure de l’homme de la Renaissance), l’écrivain postromantique, affichant même dans cette histoire de jardin potager (trop) amoureusement cultivé une sensibilité Biedermeier, cherche manifestement à la rétablir. À l’issue du conte, après que la créature monstrueuse, terrassée par les « vers sublimes »111 de son tout nouveau poète de cour (qui n’est autre qu’Amandus), a regagné son royaume souterrain avec armes et bagages, l’héroïne semble définitivement « vaccinée » contre tout excès de culture potagère. Toutefois, derrière ce traditionnel retour à l’ordre, garanti par la structure même du conte, transparaissent d’autres enjeux, d’ordre poétologique tout d’abord. La question, envisagée sous l’angle de la difformité, du juste rapport de l’homme à la Nature est aisément transposable au domaine de la création poétique. Dans la discussion qui s’engage après la lecture du conte, Ottmar, l’un des Frères Sérapion, souligne en effet le danger pour un poète qui donnerait libre cours à son imagination fantastique de prendre la « mesure de sa force comme la norme de ce qui peut être offert à l’esprit humain »112 ; l’œuvre produite aurait alors beau paraître « géniale », elle ne présenterait jamais ce caractère achevé que seule « la plus grande des pondérations » – « die größte Besonnenheit », principe de création majeur chez Hoffmann – peut lui conférer113. Dans la Fiancée du roi, texte tardif et souvent présenté par la critique114 comme le « produit d’un délassement de l’esprit » (« Entspannungsprodukt »), la difformité que pourrait engendrer la simple subordination au pouvoir de l’imagination est essentiellement corrigée par le rire. Porté à un degré « absolu », comme le relève Baudelaire dans son essai sur L’essence du rire, il devient « l’expression de l’idée de supériorité […] de l’homme sur la nature »115.
Enfin, replacé dans son contexte historique, le conte peut également se lire comme une allégorie de la « difformité » qui a atteint l’Allemagne dans les décennies qui ont précédé la phase dite de Restauration (à partir de 1815) : difformité politique, due essentiellement aux changements opérés par ces deux « monstres » que furent la Révolution française et l’occupation napoléonienne (comment ne pas faire le parallèle entre cette cour potagère que le narrateur s’amuse à nous dépeindre et celle qu’Hoffmann avait côtoyée à Bamberg116, réduite sur le plan politique à un état végétatif depuis que le grand-duché de Berg, d’abord annexé par la Bavière en 1802, était passé sous administration française ?) ; difformité culturelle également, liée au repli des poètes euxmêmes dans la haute sphère de l’idéalisme (au point de se défiler, comme Amandus, lorsqu’il est question d’un duel contre le « gnome ennemi »). C’est donc en « véritable reine » que Demoiselle Annette règne finalement sur son potager, laissant aux servantes le « travail des mains »117, non sans avoir appris à ses propres dépens que, sans mesure ni norme(s), nul ne peut « cultiver [son] jardin »…