Comment s’entend et se manifeste l’« autorité » de l’enseignant universitaire par l’étude des discours magistraux ?

DOI : 10.35562/celec.169

Plan

Texte

Le cours magistral à l’université : de l’image hiérarchisée institutionnelle à la posture autoritaire enseignante

Dans cette présentation, nous tenons à identifier et à décrire la posture dite « autoritaire » chez l’enseignant universitaire à travers les discours qu’il prononce dans les cours magistraux. Cette caractéristique est supposée être issue de la hiérarchie de l’institution à laquelle l’enseignant appartient depuis le Moyen-Age. Preuve : sont décrits dans l’ouvrage Conpendium de Roubet Goulet des cortèges universitaires chaque année des étudiants et enseignants dans les universités européennes. Les différentes couleurs vestimentaires ainsi que les positions hiérarchisées s’expliquent par la distinction des domaines d’études, des titres des maîtres et aussi du statut social et du degré de notabilité des individus et des groupes sociaux. Pourquoi alors les cours magistraux ? Selon les histoires de l’éducation, il s’agit de la leçon ou du cours figurant à la première place parmi des activités pédagogiques en vigueur dans les universités. Ce qui nous intéresse particulièrement c’est non seulement « la forme la plus commune d’enseignement dans le monde »1, mais aussi son nom relatif au caractère du maître (magistral) que nous voulons aborder. En effet, en observant un enseignant dans un cours magistral, notre première impression serait d’être devant une personne ayant une position d’expérience, imposant son discours presque entièrement monologal face à un public, d’où sa posture « autoritaire ».

Nous nous sommes donc posé la question : comment se manifeste l’« autorité » de l’enseignant universitaire dans les discours magistraux ? L’université se définissant par « l’établissement d’enseignement supérieur constitué des unités de formation et de recherche »2, cet article présentera deux volets. Le premier sera axé sur la vocation de l’université de former. Pour assumer cette mission, l’enseignant a recours à des procédés linguistiques et discursifs pour transmettre des savoirs.

Comment l’« autorité » enseignante se manifeste-elle alors dans ce processus de « négociation de sens » à l’heure actuelle et dans ce phénomène d’enseignement particulier ? Dans la seconde partie de ce texte, nous nous sommes demandé comment décrire l’aspect « autoritaire » chez l’enseignant le cas échéant dans sa mission d’initier les étudiants à la recherche, de les intégrer à la communauté scientifique. Nous travaillons sur les extraits de notre corpus, élaboré à partir de trois cours magistraux enregistrés puis transcrits, à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, dans trois disciplines différentes : l’économie (CM1), la psychologie de l’adolescence (CM2) et le droit civil (CM3).

Avant de commencer notre analyse, nous voulons nous associer à l’idée de Bakhtine sur la « parole autoritaire ». Il s’agit de la parole d’autrui qui « n’est plus une information, une indication, une règle, un modèle, etc., elle cherche à définir les bases mêmes de notre comportement et de notre attitude à l’égard du monde, et se présente ici comme une parole autoritaire et comme une parole intérieurement persuasive »3. Cette définition nous amène à une autre interprétation sur l’image dite autoritaire. Ce n’est plus en effet l’idée « organiquement liée au passé hiérarchique » de l’autoritarisme mais celle d’un effet persuasif créé via la parole. Cette volonté de persuasion va établir des comportements et des attitudes chez le sujet parlant ainsi que chez l’auditeur, tout en tenant compte des caractéristiques de chacun.

L’autorité chez l’enseignant

Pour analyser notre corpus, nous nous appuyons principalement sur les théories linguistiques de Benveniste. D’après celles-ci, l’énonciation discursive est un acte qui « suppose un locuteur et un auditeur, et chez le premier l’intention d’influencer l’autre en quelque manière »4. C’est dans les études benvenistes qu’on observe la subjectivité humaine via les expériences linguistiques personnelles et temporelles. En effet, comme il l’a dit, la subjectivité « est la capacité du locuteur à se poser comme “sujet” », c’est de cette manière qu’il s’identifie5. L’apport théorique sur la polyphonie et de dialogisme de Bakhtine nous permettrait donc d’interpréter différents rôles associés au sujet enseignant-chercheur. Ensuite, au cours de la communication, le locuteur identifie sa relation avec autrui, car « immédiatement, dès qu’il se déclare locuteur et assume la langue, [le sujet] implante l’autre en face de lui »6.

Notre analysese développe en deux temps : nous essaierons d’abord de décrire l’image de l’enseignant via des moyens linguistiques et énonciatifs, au service de son enseignement et de sa relation avec ses étudiants, et, ensuite, d’effectuer une étude sociolinguistique afin d’analyser son implication dans la recherche, permettant d’initier ses étudiants à la culture scientifique. Par conséquent, nous nous posons de nouveau la question de l’autorité chez l’enseignant dans les cours magistraux : comment se traduit la posture autoritaire qui est attachée à l’enseignant dans ce milieu à forte connotation hiérarchique ?

L’autorité liée à une image pédagogique : quels moyens linguistiques ?

En premier lieu, l’enseignant représente diverses images pédagogiques à travers des emplois énonciatifs distincts, à savoir des marques personnelles et des outils linguistiques. Sur le plan de l’énonciation, nous tenons à étudier les marques personnelles afin d’identifier des rôles de l’enseignant qui apparaissent dans ses discours. Comme l’a dit Benveniste, « chaque Je a sa référence propre, et correspond chaque fois à un être unique, posé comme tel »7, nous allons analyser ses différents emplois dans le discours de l’enseignant. Le premier « je » renvoie au statut de celui qui a le droit d’acquérir le titre de « maître », c’est effectivement celui qui maîtrise bien son domaine. Observons les expressions suivantes :

(1) « je vais parler de l’adolescence » (l. 3, CM2)

(2) « comme je l’ai dit des moyens de communication qui sont évidemment un peu plus importants que il y a dix ans » (l. 31, CM1)

(3) « je vous ai dit en droit du mariage » (l. 131, CM3)

Il s’agit souvent de l’emploi des verbes parler et dire dans les structures du types : [je + V (au présent ou futur) + de + SN] (1), [je + (le/la/l’) + V (au passé)] (2), [je + V (au passé) + (que)] (3). Dans la structure (2), le pronom personnel se réfère à ce qui a été abordé par l’enseignant auparavant. Il y a d’autres constructions du même type, mais avec des verbes sémantiquement plus connotés :

« je pose ici trois explications » (l. 28, CM1)

« je problématiserai la notion de l’adolescence » (l. 65, CM2)

« j’évoquerai là la question du / du bouleversement » (l. 136, ibid.)

« je le préciserai par le nouveau projet de loi » (l. 22, CM3)

En traitant un sujet à l’oral en particulier devant un public, l’orateur est légitimement supposé être le « détenteur des connaissances », selon le sens de la didactique traditionnelle. Quand l’orateur aborde un thème de son discours de cette manière, il y inclut donc la présentation de lui-même. En effet, c’est lui qui exploitera des connaissances liées à des sujets qu’il connait bien. Ce n’est pourtant pas le seul moyen pour traiter un contenu. En effet, l’enseignant pourrait lancer un nouveau thème en utilisant, entre autres, d’autres pronoms personnels, l’appel direct au thème, ou une question :

« on va continuer sur le droit du pacs » (l. 4, CM3)

« deuxièmement quels sont les effets / extra patrimoniaux et patrimoniaux ? » (l. 577, ibid.)

« deuxième point macro quelques faits stylisés » (l. 65, CM1)

(Est-ce que) Je + pouvoir + dire = pédagogue faisant parler ses étudiants

Prenons l’exemple suivant (11) : « est-ce que je peux dire sur le long terme » (l. 25, CM1). En se posant une telle question, l’enseignant ne veut pas l’adresser aux étudiants en attendant leur réponse ou se demander s’il peut affirmer ce fait. C’est en fait qu’il se met dans la peau de ses étudiants pour les faire poser cette question comme s’il s’agissait d’un raisonnement du type « est-ce que je peux dire … ». Ce type de question apprend à l’étudiant à prendre l’habitude de « se demander », une capacité essentielle au profit de la pensée. S’ajoutent à ce procédé d’autres types de questions, dont celui de pourquoi.

Je + V d’expression mentale et émotionnelle = pédagogue chevronné compréhensif

Nous prenons, ici, un exemple contenant une suite d’énoncés de l’enseignant pour analyser un autre trait caractéristique du « maître ». Au moment de corriger des copies, l’enseignant retrace verbalement tout ce qu’il a senti : « je pense… », « je crois… », « j’observe… », « je sens… », « j’ai le sentiment… », « je trouve… ». En l’écoutant s’exprimer ainsi, nous observons l’implication du professeur dans son discours. Cela prouve par conséquent une grande implication émotionnelle qui commence lorsqu’il corrige les copies et ne cesse pas jusqu’au moment de l’énonciation. Examinons un exemple dans lequel nous mettons entre parenthèse ces marques de subjectivité :

assez souvent [je pense que] c’est ce problème-là qui produit des approximations des contresens des incompréhensions dans les copies / parce que par ailleurs / [je sens qu’] il y a une compréhension du / de l’aspect général des notions sauf que sous certains aspects / ça sens vraiment la prise de note défaillante (l. 39-42, CM2)

Dans ses commentaires des copies, à travers des verbes d’expression mentale et émotionnelle (penser, croire, observer, sentir, avoir le sentiment, trouver), nous trouvons que l’enseignant est très sensible à des causes, des comportements d’apprentissage qui entravent le résultat des étudiants. Il est considéré donc comme chevronné sur le plan d’apprentissage en saisissant les expériences de réussite et d’échec scolaires des jeunes étudiants.

Je + V (référant au domaine exercé) = enseignant affirmé

À côté de cela, il précise, en parlant de lui-même, ses activités en tant qu’enseignant à savoir l’enseignement (« j’enseigne », l. 13, CM2), la correction des copies (« j’ai corrigé », l. 5, ibid.). C’est là où l’on voit qu’il affirme son métier par ses actes professionnels, à la différence de sa façon de présenter des contenus, que nous avons traitée précédemment.

Je + V (de conseil) = pédagogue exigeant et responsable

Si l’autorité s’affiche vraiment via l’usage du « je », c’est peut-être quand il s’agit d’une demande, d’un conseil. Ces types d’énoncé servent à remettre en ordre, à demander aux étudiants de changer leurs comportements en vue de leurs études, par exemple dans le cours de psychologie : « je conseillerais aux gens… » (l. 33, CM2) ; « je vous demande vraiment de réfléchir à ça » (l. 42, ibid.). Nous constatons une présence restreinte de ce type de pronom dans le discours du professeur de droit et d’économie. Et si l’enseignante de droit l’utilise, outre l’objectif d’introduire une proposition avec les verbes de parole tels que parler, dire, c’est pour se rappeler ses responsabilités en tant qu’enseignante par rapport à la compréhension des étudiants :

« ah oui il faudrait que je revoie quelque chose en fin de cours » (l. 3, CM3)

« je vous en parlerai tout à l’heure » (l. 3, ibid.)

« je le préciserai par le nouveau projet de loi » (l. 22, ibid.)

« j’aurais dû les préciser qu’on appelle les empêchements dirimants » (l. 88, ibid.)

« je précise ici en +++ règles sur la nullité relative sur la protection » (l. 112, ibid.)

Cela se traduit donc par l’intérêt accru des étudiants. En employant « je », l’auteur ne veut pas émettre un ordre du type « je veux » ou « je vous demande » mais au contraire il le fait pour effectuer une tâche explicative pour éclairer un contenu.

Je + V illocutoire = enseignant gérant sa classe

Selon Austin, ce type de langage permet de réaliser l’activité définie par le sens du verbe au moment de l’énonciation. Les actes illocutoires attribuent à l’orateur une certaine autorité, dans son sens d’origine. En effet, par le statut de « maître », il est la personne qui anime son propre cours, toute l’organisation de la classe. Par exemple, l’enseignant gère le déroulement de son cours en disant : « dans une petite pause que je vous accorde » (l. 51, CM2). Nous venons de voir les différentes significations du « je » référant à l’enseignant en fonction des verbes différents.

Autres marques personnelles

A part le « je », les enseignants s’incluent eux-mêmes dans le pronom « nous » avec des étudiants pour lancer une activité d’apprentissage ou pour s’impliquer euxmêmes dans le même processus d’acquisition des savoirs. En occurrence, observons dans le cours de l’enseignante de droit : « nous reprenons l’étude » (l. 1, CM3) ; « du point de vue dans des conditions dont nous en sommes » (l. 60, ibid.). Pour favoriser la réception de son auditoire, pour leur donner l’impression d’être présents dans le discours, voire d’être l’origine du discours de l’enseignant, une des meilleures façons est de s’adresser directement aux étudiants : « je trouve que vous faites un travail quand vous êtes ici et quand vous êtes chez vous à préparer cette évaluation qui est plutôt profitable / vous avez quand même une tendance à réussir » (l. 59, CM2).

Les marques personnelles désignant l’interlocuteur sont également mobilisées, souvent en combinaison avec celles du locuteur :

« je voudrais pas vous donner l’impression que ma lecture de vos copies est uniquement négativée par ces questions-là / je trouve qu’assez globalement vous comprenez plutôt bien les notions dont vous parlez » (l. 55, CM2)

« peut-être il faut aussi que vous passiez plus de temps dans la petite pause que je vous accorde que je nous accorde à reprendre vos notes pour voir s’il y a pas aussi des contradictions des points d’incompréhension quitte à ce que vous me reposiez la question après la pause / pour que je reprenne des éléments qui vous paraissent suspects / dans vos / dans vos études » (l. 50-54, ibid.)

L’usage des pronoms personnels (je, me, vous, nous,) et des adjectifs possessifs (ma, vos) permettrait effectivement un dialogue entre les interlocuteurs. La fréquence de ce procédé énonciatif est alors proportionnelle au contact relationnel entre eux. Même les marques personnelles de la troisième personne sont utilisées afin de s’adresser à un public présumé :

« je n’ai pas de moyen de le la connaître » (l. 25, ibid.)

« je pense pas à eux… qu’il vaudrait mieux que qu’ils ne viennent pas en cours, qu’ils fassent prendre le cours par quelqu’un / qui prendrait le cours de manière sérieuse / au moins les notes sur lesquelles ils travailleraient leur évaluation / seraient beaucoup plus certaines / que les notes qu’ils cherchent à prendre tout en discutant avec le voisin ou la voisine » (l. 35-39, ibid.)

Nous notons que, dans un cours magistral, le temps de correction contribue à faire apparaître clairement la relation entre l’enseignant et les étudiants à travers des indices énonciatifs.

Nous venons de voir ainsi l’intérêt des marques personnelles pour les interactions entre l’enseignant et les étudiants. Le cours magistraux étant une forme de transmission des savoirs, nous allons relever les autres moyens linguistiques et discursifs qui permettront la compréhension des étudiants.

Autres moyens linguistiques : constructions emphatiques, champ lexical, synonymie-antonymie, etc.

Afin d’expliciter un point du cours, l’enseignante a recours à de multiples procédés. Par exemple, examinons le passage au sujet de l’interdiction du Pacs pour les mineurs :

« le point important c’est que ce contrat ne peut pas être et là l’article 515 tiret euh 1 est très net à ce sujet / le pacs ne peut être conclu entre personnes mineures / le pacs doit être conclu entre personnes majeures / c’est-à-dire ayant atteint l’âge de la majorité civile dix-huit ans / donc là aussi on peut penser que le pacs est interdit à des enfants / à des jeunes qui auraient entre seize et dix-huit ans même s’ils ont fait l’objet d’une mesure d’émancipation là aussi il y a dans le droit de pacs dans tous les cas il n’y a pas de différence +++ il est interdit de penser que c’est vraiment l’âge de la majorité / donc en traitant vous voyez / il y a même un durcissement du droit du pacs par rapport au mariage que le mariage du mineur n’est pas fondamentalement interdit il peut y avoir des autorisations » (l. 40-48, CM3)

Au début de ce discours, il s’agit d’une mise en relief du sujet dont elle va parler afin de captiver l’attention de ses étudiants : « le point important c’est que ce contrat ne peut pas être… » En effet, dans le souci de la réception des étudiants, l’enseignante surligne des passages essentiels dans ses paroles via des commentaires de ses propres discours à travers des structures emphatiques : « ça pourrait vous sembler utile » (l. 8, CM3) ; « ça c’est important » (l. 28, ibid.)

Les constructions spécificationnelles8 sont souvent utilisées pour aider le public à saisir plus facilement l’idée principale du propos :

« ce qui est surtout important pour vous c’est que » (l. 6, ibid.)

« le but de cet enseignement est de vous faire pressentir des ressemblances » (l. 16, ibid.)

« le point important c’est que » (l. 39, ibid.)

Dans ces structures, des verbes d’état sont mobilisés comme être, sembler pour donner l’avis du professeur sur le point à transmettre. Ensuite, nous soulignons la présence d’un champ lexical relatif à l’âge abordé dans le discours de l’enseignante : personnes mineures, personnes majeures, âge de la majorité civile, enfants, jeunes, mineurs. Elle explique le contenu de différentes manières, soit par des synonymes ou des antonymes, à l’aide de modalités différentes, en occurrence pouvoir, être interdit, devoir : « le pacs ne peut être conclu entre personnes mineures », « le pacs est interdit à des enfants » et « le pacs doit être conclu entre personnes majeures » ; soit par la précision paraphrastique avec une subordonnée : « le pacs est interdit à des enfants / à des jeunes qui auraient entre seize et dix-huit ans même s’ils ont fait l’objet d’une mesure d’émancipation ». De surcroît, le passage se renforce à la fin par une critique comparative de l’enseignante par rapport à ce qui est permis dans le mariage. Les constructions « il n’y a pas de différence », « Il est interdit que » insistent ainsi sur l’idée que le Pacs entre mineurs est prohibé contrairement à certains mariages d’exception.

Certains outils linguistiques que nous avons tenté de relever dans le discours de l’enseignant lui permettent d’établir une relation avec ses étudiants qui sont aussi ses auditeurs. Le cours magistral est devenu ainsi un acte de « négociation du sens » d’une façon implicite malgré la prestation monologale de l’enseignant. Grâce à ces outils linguistiques et énonciatifs, on voit clairement l’image de l’enseignant en tant que pédagogue, qui favorise la compréhension de son public, en manifestant d’une manière indirecte sa posture dite « autoritaire » au sens bakhtinien.

La seconde partie de l’étude de l’autorité enseignante s’appuie sur ses appartenances à une communauté de recherche, analysée via ses discours d’enseignement.

La terminologie et les structures spécifiques du domaine exercé

Dans le cours de droit civil, l’oratrice montre qu’elle maîtrise parfaitement les connaissances de son domaine. D’abord, ce qui lui permet d’exercer une autorité certaine, c’est qu’elle est spécialiste, ce qui est illustré par le vocabulaire qu’elle utilise. En effet, la rigueur lexicale s’exprime par le choix des termes spécifiques, même s’il s’agit des verbes. A titre d’exemple, dans le discours juridique, on note que le pacs : « a été introduit », « a été revisité », qu’« on annule pas le cas on le résout », qu’un consentement est « vicié par les vices ». La parole autoritaire se manifeste non seulement au niveau lexical mais aussi au niveau phrastique, par une syntaxe de type juridique dans les affirmatives :

« qui dit fait juridique dit preuve par témoins » (l. 27, CM3)

« qui dit nullité relative dit nullité de protection et qui dit la nullité de protection dit que article 1304 la nullité relative ne peut être engagé que par les personnes que la loi peut protéger » (l. 115, ibid.)

Par ailleurs, dans le domaine de droit, l’exigence est de retenir les dates précises, les numéros exacts de l’article de loi et les noms des actes juridiques quel que soit le contenu :

« le pacs civil de solidarité a été introduit en 99 a été revisité donc par l’ordonnance du +++ de 23 juin 2006 » (l. 20, ibid.)

« il faut absolument comprendre les deux définitions / tant de l’article 515 tiret 1 pour le pacs que de l’article 515 tiret 8 du concubinage » (l. 25, ibid.)

« l’article 151 prévoit effectivement que le pacs peut être conclu pour les gens passés par les curatelles / d’accord mais l’article n’est as pris dans l’ancienne loi en 99 » (l. 55, ibid.)

La voix passive

Les structures passives dans les discours prouvent un soin précieux et rigoureux des sujets que l’enseignante aborde d’une manière objective, au détriment des affections personnelles (38) : « le pacs civil de solidarité a été introduit en 99 a été revisitée donc par l’ordonnance du +++ de 23 juin 2006 » (l. 20, ibid.). Pour le même effet, elle utilise également des verbes pronominaux, ce qui donne une impression neutralisée et focalisante dans presque tous ses propos :

« c’est important… qu’il (le pacs) ne peut pas se faire / se conclure oralement » (l. 28, ibid.)

« règles de la nullité absolue qui s’applique sur les interdictions de pacs » (l. 111, ibid.)

« le pacs peut être senti et être conclu et s’est redit et ça c’est la nouvelle loi de 2007 » (l. 48, ibid.)

Les adverbes

Sans vouloir manipuler les discours, le fait que les adverbes sont intentionnellement utilisés par l’enseignante prouve sa maîtrise des connaissances jusqu’à un point précis et qu’elle prend conscience de la rigueur scientifique de ce qu’elle va transmettre :

« le mariage du mineur n’est pas fondamentalement interdit » (l. 47, ibid.)

« parce que le pacs est un acte suffisamment grave » (l. 58, ibid.)

« il y a certainement une difficulté rencontrée aujourd’hui par des juristes » (l. 70, ibid.)

« les règles de la nullité absolue du contrat de pacs du contrat de pacs devraient être appliquées exactement comme pour le mariage » (l. 85, ibid.)

Des faits culturels

De notre étude sur le discours scientifique ressortent des remarques sur les traits culturels investis, volontairement ou non, dans les cours dispensés par les enseignants-universitaires. Par exemple, dans le cours de droit civil, le thème du cours fait émerger un point particulier dans la société française : le Pacs. Il s’agit, comme le précise et le répète plusieurs fois l’enseignante, d’« une forme de vie en couple » entre les couples hétérosexuels ou homosexuels, ce qui pourrait faire écran aux étudiants d’autres cultures. Autour de ce thème, apparaissent d’autres éléments culturels. Un autre exemple reflète la culture occidentale dans la formation du couple, ce qui provoque fort probablement un choc culturel chez les auditeurs d’autres cultures dont l’avis des parents pèse grandement dans la vie des enfants : « en général lorsqu’un couple est jeune / euh que qu’il désire euh vivre en couple eh bien il vient consulter un juriste » (l. 10, ibid.). Il est important de souligner, entre autres, dans cette analyse, la présence d’un trait culturel français selon lequel un jeune arrive à sa majorité civile à l’âge de dix-huit ans, à la différence de certains autres pays du monde : « le pacs doit être conclu entre personnes majeures / c’est-àdire ayant atteint l’âge de la majorité civile dix-huit ans ».

L’image d’un enseignant universitaire, sur le plan de la recherche, se définit ainsi par une attention rigoureuse à ce qu’il étudie et à ce qu’il a à communiquer à son public, autrement dit vis-à-vis de l’objet de ses discours d’enseignement. S’y ajoute la mise en évidence de faits associant, à toute théorie, ses valeurs culturelles et sociales et initiant les étudiants à la culture scientifique du domaine.

Pour conclure

En bref, sans avoir pu examiner le corpus d’une manière exhaustive pour le présent article, nous retenons certains outils linguistiques et énonciatifs qui permettent d’analyser des discours enseignants et scientifiques. Ceux-ci permettront donc d’élaborer un code des énoncés communs des enseignants, qui contribue d’une part à construire l’image d’un enseignant-chercheur, et d’autre part à établir une relation entre lui et les étudiants et donc à favoriser la réception de ces derniers. C’est ainsi que s’entendrait l’autorité chez l’enseignant à travers leurs discours magistraux à l’université. Finalement, comment se traduit à travers des discours l’autorité de l’enseignant ? Pour nous, elle n’émerge pas, principalement et contrairement à ce qu’on pouvait croire, de sa supériorité scientifique9.

Notes

1 « Lecture », in The International Encyclopodia of Education. Research and Studies,, Torsten Husen et T. Neville Postlethwaite, Oxford, Pergamon Press, [1985]1991, p. 2987, cité par WAQUET, Françoise, Parler comme un livre. L’oralité et le savoir (XIVe-XXe siècles), Paris, Albin Michel, 2003, p. 72. Retour au texte

2 REY, Alain, Dictionnaire de la culture en langue française, Paris, Le Robert, 2005, p. 1677. Retour au texte

3 BAKHTINE, Mikhaïl, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1975, p. 161. Retour au texte

4 BENVENISTE, Emile, Problèmes de linguistique général, Paris, Gallimard, 1974, To. 1, p. 242. Retour au texte

5 Ibid., p. 259 ; dorénavant, PLG. Retour au texte

6 PLG, To. 2, p. 82. Retour au texte

7 PLG, To. 1, p. 252. Retour au texte

8 LEGALLOIS, Dominique, GREA, Philippe, « L’objectif de cet article est de… Construction spécificationnelle et grammaire phraséologique », in « Cahiers de praxématique » 46 (2006), disponible en ligne depuis 1er décembre 2009 sur le site : http://praxematique.revues.org/657. Retour au texte

9 Compléments bibliographiques : ALI, Bouacha, Le discours universitaire, Berne, Peter Lang, 1984 ; AUSTIN, John Langshaw, Quand dire, c’est faire. Paris, Editions du Seuil, 1970 ; BLANCHET, Philippe, La pragmatique, D’Austin à Goffman, Paris, Bertrand-Lacoste, 1995 ; KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, L’énonciation de la subjectivité dans le langage, Paris, Armand Colin, 1980 et Les actes de langage dans le discours. Théorie et fonctionnement, Paris, Armand Colin, 2005 ; Lusignan, Serge, La construction d’une identité universitaire en France (XIIIe-XVe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 1999 ; PARPETTE, Chantal, « Le cours magistral, un discours oralo-graphique : effets de la prise de notes des étudiants sur la construction du discours de l’enseignant », in Langages et Signification : l’oralité dans l’écrit et réciproquement, dir. Gauthier, R. et Meqqori, A., Albi, 2001, p. 261-266. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Viet Quy Lan Nguyen, « Comment s’entend et se manifeste l’« autorité » de l’enseignant universitaire par l’étude des discours magistraux ? », Cahiers du Celec [En ligne], 2 | 2012, mis en ligne le 31 mai 2023, consulté le 08 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/celec/index.php?id=169

Auteur

Viet Quy Lan Nguyen

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Droits d'auteur

CC BY 4.0