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Un mandat représentatif peut en cacher un autre : lumière sur l’administration parlementaire sous la Cinquième République

Mohesh Balnath

Résumés

La doctrine en matière de représentation politique postule classiquement l’exclusivité du mandat représentatif national au profit des parlementaires. L’examen critique de ce postulat, fragile sous la Cinquième République, laisse entrevoir la possibilité d’une administration représentative, principalement au Parlement.

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Texte intégral

  • 1 L’administration parlementaire correspondrait ainsi à toutes les missions exercées au nom des deux (...)

1Les administrateurs du Parlement, des représentants de la nation ? Le mandat représentatif peut se comprendre comme « la fonction publique confiée par les électeurs à leurs représentants » (Avril, Gicquel, 2013). Comment imaginer dès lors que l’administration parlementaire, soit l’activité institutionnelle qui se détache de celle exercée par les parlementaires en application de l’alinéa 1er de l’article 24 de la Constitution constitue une activité de représentation sur mandat1 ? L’idée peut paraître saugrenue, d’autant qu’en tant qu’il procède de l’épreuve électorale dans l’imaginaire collectif, le mandat représentatif national demeure a priori l’attribut des parlementaires. Des membres actifs de l’appareil administratif de manière générale, y compris au Parlement ne devraient pas pouvoir exercer un tel mandat.

  • 2 La lecture de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est édifiante sur c (...)

2Cependant, les théories du mandat représentatif ne s’opposent pas à la conception d’une fonction de représentation exercée par l’administration. En effet, si l’on considère, au moins depuis que le suffrage universel est effectif, que les représentants doivent incarner le corps social dans son ensemble, les membres de l’appareil administratif sont en principe qualifiés pour symboliser l’hétérogénéité sociale, tout autant que les élus nationaux2. Pourquoi alors les administrations sont-elles considérées hors toute référence à la représentation nationale ? Des éléments de réponse à cette question sont à rechercher dans la conception du rôle des administrations au sein du système institutionnel avancée par les tenants de la théorie dominante, dite classique, du mandat représentatif.

  • 3 « Ce n’est qu’au xixsiècle, que se mettra véritablement en place la démocratie représentative grâ (...)

3Cette théorie ne présente aucun argument suffisamment convaincant pour ignorer l’hypothèse d’une administrative représentative. Ainsi, la quête de l’effectivité du principe démocratique conduit même les tenants de ce courant doctrinal à retenir, à titre complémentaire du mandat représentatif des parlementaires et faute d’une légitimité démocratique incontestable des gouvernants élus, l’idée d’une administration représentative. Les tenants du courant doctrinal majoritaire défendent le postulat de l’absence de caractère démocratique intrinsèque à l’activité administrative3. À ce titre ils envisagent la « démocratie administrative » comme un complément à la démocratie représentative, non comme une modalité de la démocratie représentative telle que pourrait l’incarner les membres de l’appareil administratif. Autrement dit, le recours au concept de « démocratie administrative » ne serait qu’une concession nécessaire au maintien de l’ensemble de l’appareil conceptuel adopté par les tenants de la théorie classique du mandat représentatif, celui-ci demeurant à leurs yeux l’apanage des gouvernants élus. Pourtant, à notre sens, le concept de « démocratie administrative » rend compte plutôt de la fragilité fondamentale de la position adoptée par le courant doctrinal majoritaire. En effet, la légitimité démocratique de l’administration ne tient plus seulement à sa situation d’« organe de la loi » (Auby, 2006, p. 7), mais bien aux modalités de son activité. La question de la légitimité démocratique est par ailleurs centrale dans la mesure où une théorie du mandat représentatif ne peut faire l’économie d’une approche des conditions du consentement des citoyens mandants. De ce point de vue, les catégories conceptuelles proposées par les tenants de la théorie classique du mandat représentatif ne suffisent pas à discréditer l’idée d’une administration représentative.

  • 4 L’article 3 alinéa 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que « la souveraineté nationale (...)

4La critique n’est pas nouvelle et a donné lieu à des réflexions sur les conditions de la reconnaissance de la qualité de représentant de la nation. Si cette qualité est refusée aux administrations au motif qu’elles sont dans une position subordonnée au regard de l’organe législatif et donc qu’elles ne disposent pas de la capacité à l’expression d’une « volonté primordiale et supérieure » (Carré de Malberg, 1962, p. 386), d’autres critères de reconnaissance de cette qualité peuvent justifier que l’hypothèse d’une administration représentative soit envisagée. À ce sujet, Pierre Rosanvallon tient selon nous un propos riche de sens. Suivant la typologie qu’il dresse des sources de la légitimité démocratique, il nous apparaît possible d’en déduire la pertinence de l’hypothèse de l’administration représentative, représentant de facto de la nation, principalement dans le cas de l’administration des assemblées parlementaires sous la Cinquième République. Cette hypothèse apparaît d’autant plus pertinente que le droit constitutionnel de la Cinquième République offre une latitude particulière au regard de l’interprétation de la notion de représentant, dans la mesure où celui-ci n’est pas identifié4.

5Les limites de la théorie classique du mandat représentatif à propos de l’idée d’une administration représentative (I) nous invitent ainsi à considérer à nouveau cette hypothèse, à la lumière du travail de Pierre Rosanvallon (II).

I. Une représentation nationale a priori exclusivement politique sous la Cinquième République

6L’hypothèse d’une administration représentative est écartée par les tenants de la théorie classique du mandat représentatif, bien qu’elle présente un intérêt indéniable, confirmé par l’expérience d’une administration élue (A). Leur argumentation repose de manière peu convaincante sur la subordination des administrateurs à l’égard du législateur (B).

A. L’administration, représentant possible

1. Les vertus institutionnelles pérennes d’une administration représentative

7Des compétences techniques et des qualités morales sont attendues du représentant de la nation. C’est d’ailleurs une des raisons qui conduisent à confondre élection et représentation, en ce sens que la première permet en théorie de faire émerger un individu qualifié et compétent. Il nous apparaît également que l’administrateur possède ces attributs, dans la mesure où il en fait la preuve lors de son recrutement et tout au long de sa carrière. Dès lors, l’hypothèse d’une administration représentative est envisageable.

  • 5 « Liberté n’est pas jalouse de faire » (AN 284 AP5D1, dossier n°°2) (Fauré, Guilhaumou, Valier, 199 (...)
  • 6 (Mavidal, Laurent, Clavel, 1878, p. 89) : « La confiance est le prix de la vertu et des talents, il (...)
  • 7 (Mavidal, Laurent, Clavel, 1878, p. 89) : la confiance est « le premier titre pour être élu ».
  • 8 (Mavidal, Laurent, 1888 b, p. 115) : « C’est en nommant l’homme en qui il a confiance dont les lumi (...)

8Ainsi, Sieyès considère le représentant comme l’individu compétent : « […] faire faire, c’est commettre pour faire, c’est choisir les plus experts […] la liberté consiste donc à choisir les experts et à en changer souvent »5. Par ailleurs, le représentant est caractérisé par d’autres constituants comme celui inspirant la confiance des représentés. Le Chapelier6 et Démeunier7 durant la séance du 18 novembre 1789 ou Barnave8 durant celle du 31 août 1791 ont défendu par exemple cette conception, qui ne semble pas exclure l’administrateur de fonctions de représentation, dans la mesure où celui-ci a vocation à agir, suivant une terminologie ultérieure, en « prêtre du temps long » (Nora, 1986). Agissant de manière prévisible, l’administrateur peut ainsi susciter la confiance. Le parlementaire, au contraire, paraît dépendant du cycle électoral, à la manière de tout élu.

  • 9 (Guizot, 1851, p. 150) : Le but du gouvernement représentatif est « de découvrir tous les éléments (...)
  • 10 (Brunet 2002, p. 41) : Sur proposition de Barnave et de Thouret, la Constituante a ainsi qualifié l (...)

9Si le critère distinctif du phénomène politique de la représentation peut se situer dans le principe de sélection des plus capables9, il ne se découvre pas nécessairement dans le principe électif10. Malgré tout, selon les tenants de la doctrine majoritaire, seule l’élection permet de faire émerger le représentant possédant les qualités et compétences requises par l’activité. Il est cependant possible de leur opposer l’argument suivant : l’administration élue a existé.

2. La contingence de l’élection des administrateurs

10L’administration élue a connu une occurrence notable en France, à savoir les assemblées provinciales de la période révolutionnaire. L’article 2 de la section 2 du chapitre IV du Livre III de la Constitution du 3 septembre 1791 prévoit que « les administrateurs n’ont aucun caractère de représentation » et qu’ils sont « des agents élus à temps par le peuple pour exercer, sous la surveillance et l’autorité du Roi, les fonctions administratives ». Ainsi, si l’élection des administrateurs ne fait pas de ces derniers des représentants, les parlementaires ne devraient pas non plus tenir de leur seule élection le caractère de représentant. Par ailleurs, doit-on conclure de manière définitive de cet article 2 que les administrateurs ne peuvent être considérés comme des représentants ? Le doute est permis. En effet, l’instruction du 8 janvier 1790 annonçait que l’administration départementale représenterait les citoyens : « les douze premiers articles contiennent des dispositions fondamentales de la nouvelle organisation du royaume en départements, en districts et en cantons et quelques règles communes à la double représentation élevée sur cette nouvelle organisation, savoir : la représentation nationale dans le Corps législatif, et la représentation des citoyens de chaque département dans les corps administratifs. » (Mavidal, Laurent, 1880, p. 195) (Nous soulignons).

11Bien qu’il s’agisse d’une pratique effectivement datée, en ce sens que le système de nomination des fonctionnaires s’imposera progressivement à partir du Directoire (Hamon, 2002, p. 26 et s), l’élection des administrateurs est un cas de figure limitant de manière certaine la valeur explicative de la théorie dominante du mandat représentatif associant élection et représentation. La doctrine majoritaire a vu dans l’élection le critère distinctif des parlementaires et partant, celui des représentants.

  • 11 (Mavidal, Laurent 1880, p. 192) : Le décret du 22 décembre 1789 concernant la constitution des asse (...)

12Si la portée du principe électif est exagérée par les tenants de la doctrine classique du mandat représentatif, il ne nous est pas possible de tirer davantage de conclusions de l’expérience incertaine de l’administration élue au regard de l’hypothèse d’une administration représentative. En effet, la qualité de représentant aux administrateurs fait l’objet durant la période révolutionnaire d’une attribution inconstante en droit positif, de l’instruction du 8 janvier 1790 à la Constitution du 3 septembre 1791 par exemple11. Analysant les théories de la représentation dans le cadre de sa thèse de doctorat, Pierre Brunet remarque que le droit positif n’est pas d’un secours particulier pour la réflexion sur la genèse des concepts et préfère réfléchir à partir de l’argumentation constituante, pour sa liberté de ton et la richesse du propos tenu.

  • 12 (Brunet, 2004, p. 3). Dans la préface de la thèse de Pierre Brunet, Michel Troper cerne, à la lumiè (...)

13À ce propos, les débats constituants durant la période révolutionnaire mettent en évidence que l’élection se justifie comme critère essentiel de la représentation seulement au regard de certaines circonstances historiques. En effet, ce critère a été mis en avant pour signifier le rejet de toute forme de régime reposant sur l’hérédité des fonctions publiques. À ce titre, durant la séance du 10 août 1791, Roederer affirmait : « sans élection, point de représentation ; ainsi, les idées d’hérédité et de représentation se repoussent l’une l’autre ; ainsi un roi héréditaire n’est point un représentant » (Mavidal, Laurent, 1888 a, p. 323). Un tel argument ne pourrait viser les administrateurs dans la mesure où ces derniers ne sont plus aujourd’hui titulaires d’une charge héréditaire mais bien sélectionnés de manière démocratique, par l’entremise d’un concours par exemple. Dès lors, la doctrine qui considère le principe électif comme critère essentiel de la représentation ne peut s’inscrire ailleurs que dans la lignée d’un projet politique, celui de marquer l’exclusivité du mandat représentatif au bénéfice des gouvernants élus12.

14De plus, Pierre Brunet note que s’il n’y a pas identité de fonction entre les parlementaires et les représentants des assemblées provinciales, il y a néanmoins identité de profil : « les élus aux assemblées provinciales et à l’Assemblée nationale sont tous à l’image de la nation et peuvent donc concourir à la représentation » (Brunet, 2004, p. 168). Ce faisant, il soulève des interrogations sur les motifs qui ont conduit les tenants de la doctrine classique de la représentation à écarter l’hypothèse d’une administration représentative.

B. L’administration, représentant occulté

1. L’impossible représentation par l’administration, organe subordonné

15Les débats constituants sont édifiants sur les raisons de l’exclusivité de la représentation nationale au bénéfice des parlementaires. Ainsi, Thouret, qui a pu défendre les vertus de la double représentation, n’en vient pas, durant la séance du 3 novembre 1789, à généraliser la fonction représentative à l’ensemble de l’administration, de peur que l’administration ne constitue un pouvoir doté d’une volonté propre : « craignons donc d’établir des corps administratifs assez forts pour entreprendre de résister au chef du pouvoir exécutif, et qui puissent se croire assez puissants pour manquer impunément de soumission à la législature. Les membres de ce corps seront déjà très forts par leur caractère de députés élus par le peuple : n’ajoutons pas à cette force d’opinion, la force réelle de leur masses » (Mavidal, Laurent, Clavel, 1877, p. 657).

16Le cas de l’adaptation locale de la législation a ainsi alimenté la crainte, peut-être infondée, d’une généralisation de l’adaptation non contrainte de la législation nationale : « il arrive que les municipalités ne publient pas les lois, qu’elles les suspendent, ou les modifient. Elles vont parfois déclarer qu’elles les approuvent. Autrement dit, les communes ressemblent parfois à de petites républiques, s’arrogeant elles aussi le pouvoir législatif » (Brunet, 2004, p. 207). Ce qui est en cause ici, ce n’est pas tant l’idée d’une administration représentative, dont la mission de représentation pourrait être remplie hors l’exercice du pouvoir législatif, mais bien le contrôle de légalité défaillant. Toujours est-il que le spectre d’un « pouvoir administratif » (Chardon, 1912) a justifié l’élaboration d’une théorie de la représentation excluant l’idée d’une administration représentative.

  • 13 Thouret rappelle la nécessité de la subordination de l’administration à l’occasion des débats parle (...)

17La doctrine de la subordination constitue une réponse à cette crainte de l’établissement d’un pouvoir administratif. Elle suppose l’idée selon laquelle, dans les théories de la représentation, l’administration agit prioritairement en exécution de la loi plutôt qu’en représentation de la volonté nationale ; le principe de subordination devrait donc primer dans toute conception du rôle institutionnel de l’administration13. Les parlementaires seraient les seuls en mesure de donner voix à la nation et de la faire exister, dans la mesure où ils votent la loi, au contraire des administrateurs, qui ne feraient que l’exécuter.

  • 14 Benoît Plessix défend par exemple cette conception : « C’est au Parlement, c’est dans les chambres, (...)

18La subordination de l’administration trouve notamment une consécration dans le projet de décret Le Chapelier, discuté durant la séance du 28 février 1791 et qui va jusqu’à nier le caractère de représentation de l’administration : « Il est extrêmement important que […] le peuple sache que la souveraineté ne réside que dans la nation entière, qu’elle ne s’exerce que dans l’Assemblée générale des représentants de la nation ; que partout ailleurs, il n’y a que des sujets qui doivent émettre leur vœu et obéir » (Mavidal, Laurent, 1886, p. 563). Si l’on considère, à la lumière de l’alinéa 1er du préambule du projet de décret Le Chapelier, que « la représentation se confond désormais avec la législation et l’Assemblée nationale avec la nation » (Brunet, 2004, p. 219), les administrateurs se trouvent ainsi définis par le lien de subordination à l’Assemblée nationale entretenu dans le cadre de l’exécution de la loi. Aujourd’hui, un consensus semble s’être formé au sein de la doctrine pour considérer l’administration dans ce rôle subalterne14. Pourtant, la doctrine de la subordination s’est élaboré sur la base d’un texte, le projet de décret Le Chapelier, qui n’est pas explicite sur le rapport de l’administration à l’idée de représentation.

2. Les approximations de la doctrine de la subordination

  • 15 (Burdeau, 1983, p. 35), cité par (Brunet, 2004, p. 219).

19Les trois articles du préambule du projet de décret Le Chapelier n’ont rien de définitif quant à la qualification du rôle dévolu aux administrateurs : « Certes, aucun de ces articles ne mentionne explicitement que « les administrateurs n’ont aucun caractère de représentation », et pourtant ces trois articles forment à eux seuls un système qui exclut cette hypothèse » (Brunet, 2004, p. 219). De ce fait, l’exclusion de la fonction représentative de l’administration relève d’une extrapolation, dont nous ne pouvons nous satisfaire. Pierre Brunet ne fait ainsi que mentionner dans une note de bas de page l’opinion contraire avancée par François Burdeau15, sans lui opposer d’argument convaincant : « On ne saurait souscrire à l’opinion de François Burdeau selon laquelle des raisons de fait finalement contraires aux intentions d’origine expliquent que les constituants aient renoncé à qualifier les administrateurs de représentants » (Brunet, 2004, p. 219). Certains de ces constituants ont pourtant évoqué le caractère représentatif des administrateurs. Roederer est de ceux-là et le fait qu’il considère l’élection comme principe cardinal de la représentation n’enlève rien au constat qu’il effectue, affirmant, durant la séance du 10 août 1792 de l’Assemblée constituante, que la différence entre parlementaires et administrateurs ne se situent pas dans la situation de représentant mais bien dans les modalités d’exercice de la fonction représentative : « Les députés au Corps législatif sont […] représentants du peuple pour exercer un pouvoir représentatif […] tandis que les administrateurs ne sont représentants du peuple que pour exercer un pouvoir commis, un pouvoir subdélégué et subordonné ».

  • 16 Le décret du 11 août 1789 parachève ce processus, en disposant en son article 1er que « l’Assemblée (...)

20Par ailleurs, les rapports entre l’organe exécutif et l’organe législatif ne sont pas nécessairement décrits sous l’angle de la subordination du premier au second. Maurice Hauriou estime par exemple que la théorie de la délégation, qui constitue une interprétation des rapports entre l’organe législatif et l’organe exécutif, n’a pas lieu d’être car elle suppose que la nation engendre le gouvernement, alors que ces deux entités se disputent l’exercice de la souveraineté : « on a supposé tous les pouvoirs et toutes les compétences centralisés dans la nation et délégués par celle-ci au Gouvernement qui n’est ainsi que le commis de la nation » (Hauriou, 1910, p. 425). À ce titre, Hauriou propose une interprétation des rapports entre Parlement et Gouvernement contredisant la lettre et l’esprit de l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lequel « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ». Selon Hauriou, l’histoire constitutionnelle atteste d’une revendication alternative de l’exercice de la souveraineté entre nation et gouvernement, sachant que « quand la souveraineté est du côté du gouvernement, il est remarquable que l’esprit cherche à la fonder sur autre chose que le gouvernement » (Hauriou, 1910, p. 428). Par exemple, Hauriou estime que la souveraineté est gouvernementale sous l’Ancien Régime, à partir du xvsiècle, par « l’abaissement progressif des barons féodaux qui représentaient alors la décentralisation nationale » (Hauriou, 1910, p. 429)16. Il précise sa pensée lorsqu’il affirme que « la souveraineté de la nation paraît chose plus naturelle que celle du Gouvernement ; mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que dans ces balancements de forces, chacune des deux conserve sa nature propre et son autonomie, même quand elle n’est pas actuellement la plus forte » (Hauriou, 1910, p. 429). Dans ce cadre conceptuel, l’administration existerait bel et bien hors toute référence à l’organe législatif. Plus encore, selon Maurice Hauriou, tant l’organe législatif que le pouvoir exécutif seraient des organes de gouvernement, ce qui nous permettrait de les considérer également admissibles à la qualité de représentant de la nation.

21Tout l’intérêt de l’approche de Maurice Hauriou en ce qui nous concerne réside dans sa théorie de l’investiture. Chez Hauriou, la nation incarne la liberté. Elle est titulaire à cet égard d’un pouvoir, d’un seul, celui de « refuser d’obéir, partant d’investir les organes de gouvernement » (Hauriou, 1910, p. 441). Pour faire émerger « la compétence et la faculté d’invention appliquées à la vie publique » (Hauriou, 1910, p. 440), la nation investit nécessairement des organes de gouvernement, qui exercent des « pouvoirs de domination » (Hauriou, 1910, p. 429), notamment le pouvoir de légiférer, dans le cadre d’une dynamique centripète du pouvoir. L’intérêt de l’approche de Maurice Hauriou réside dans l’idée selon laquelle le pouvoir exécutif et le Parlement sont des organes de gouvernement investis par la nation. Si l’activité de ces deux organes de gouvernement diffère, leur statut à l’égard de la nation est le même chez Hauriou.

22Cela dit, Hauriou n’emploie par le terme de représentation pour caractériser la relation d’investiture. Il estime même que « le mandat électif […] ne contient pas non plus de représentation véritable, l’élu vote à la Chambre et au Sénat suivant sa conscience et ses votes n’engagent pas ses électeurs, par suite ceux-ci n’ont transmis à leur député aucun pouvoir, ils ne lui ont rien délégué, ils se sont choisi un maître temporaire, ils se sont constitué un organe qui gérera leurs affaires avec autonomie » (Hauriou, 1910, p. 442). Le régime représentatif résiderait alors dans l’adaptation de l’autonomie des parlementaires aux électeurs (Hauriou, 1910, p. 442). Comment dès lors caractériser la relation existant entre les membres des organes du gouvernement et ceux de la nation, à savoir les citoyens ? Hauriou n’écarte pas définitivement le lien de représentation, et ce dernier nous apparaît le seul possible. En effet, Hauriou considère que « le gouvernement représentatif n’est pas un simple commis de la nation, le représentant du droit public se distinguant du mandataire en ce qu’il a un droit d’autonomie » (Hauriou, 1910, p. 426). Le raisonnement d’Hauriou semble conduire à la reconnaissance de la qualité de représentant de la nation, telle qu’elle se conçoit en droit public, aux membres du gouvernement, du fait de l’autonomie qui leur est accordée dans l’exercice des pouvoirs de domination.

23La réticence de Maurice Hauriou à admettre le lien de représentation tient à notre sens à la tension qui existe entre le statut des organes et la nature des activités exercées. Ainsi, si la théorie de l’investiture permet de ne pas raisonner en termes de hiérarchie des organes, elle ne semble pas venir à bout de l’idée d’une hiérarchie des activités. L’exécutif est un organe de gouvernement au même titre que le législatif, mais l’exercice de la fonction administrative est subalterne à celui de la fonction législative. En réalité, l’administration ne semble pas disposer d’une autonomie comparable à celle de l’organe législatif dans l’exercice de ses pouvoirs de domination, cependant que tous deux sont investis par la nation et n’entretiennent pas une relation de délégation de pouvoirs.

24Autrement dit, l’idée d’une subordination de l’administration est impropre à refuser à cette dernière la fonction de représentation, de même que le principe électif ne justifie pas que l’administration soit écartée de la représentation nationale. S’il apparaît que le principe d’une administration représentative n’est pas absurde et qu’il n’a tout simplement pas prévalu jusqu’à présent, il reste à examiner les conditions de réalisation d’une telle hypothèse. Le discours que Barnave tient le 10 août 1791, discours au cours duquel il concède au roi le rôle de représentant, doit orienter notre approche. Constatant le rôle que le roi peut jouer dans l’application de la législation, à savoir opposer sa volonté au Corps législatif par l’usage du veto royal, il affirme : « Que s’il a le droit de vouloir pour le peuple, il est donc son représentant ; ou bien il exerce un droit individuel : son pouvoir cesse d’être légitime et devient une tyrannie » (Mavidal, Laurent, 1888b, p. 331). L’administration a également les moyens de modérer l’application de la législation, notamment lorsque la publication des décrets d’application intervient tardivement ou que les décrets prévoient un nombre considérable d’exceptions à un principe fixé par la loi. Par exemple, nous en voulons pour preuve les décrets du 23 octobre 2014 relatifs aux exceptions du principe « le silence vaut acceptation » posé par la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens. Dès lors, si l’on suit le raisonnement de Barnave, il faut considérer soit que l’administration exerce un pouvoir tyrannique au sien du système institutionnel, soit qu’elle est un représentant, dans la mesure où son activité est perçue comme légitime.

25Le cadre conceptuel proposé par Maurice Hauriou, qui nous permet d’envisager l’hypothèse d’une administration représentative, se prête volontiers à une approche en termes de légitimité démocratique des représentants. Ainsi, chez Hauriou, les organes de gouvernement ne sont en mesure d’exercer leur pouvoir de domination que dans la mesure où la nation n’envisage pas de « refuser d’obéir » (Hauriou, 1910, p. 441), c’est-à-dire si ces organes de gouvernement sont légitimes. Si l’on en croit Pierre Rosanvallon, les sources de la légitimité démocratique connaissent sous la Cinquième République un renouvellement en ce sens, susceptible de rendre réaliste l’hypothèse d’une administration représentative. Ce renouvellement des sources de la légitimité démocratique pourrait conduire à la consécration d’un mandat représentatif au profit des administrateurs.

II. L’administration parlementaire sous la Cinquième République, irréductible administration représentative

26Sous la Cinquième République, l’idée d’une administration représentative trouve un nouveau souffle, notamment du fait de la modification des sources de la légitimité démocratique, si l’on en croit Pierre Rosanvallon (A). Cependant, il apparaît que seule une portion de l’administration parlementaire satisfait les conditions pour la reconnaissance de son caractère de représentant de la nation (B).

A. Un renouveau général de l’idée d’administration représentative sous la Cinquième République

1. La possibilité d’une forme nouvelle d’administration représentative

  • 17 D’autres auteurs ont identifié un apport considérable du thème de la légitimité démocratique dans l (...)

27Selon Pierre Rosanvallon, la Cinquième République a été marquée par une évolution significative des sources de la légitimité démocratique, susceptible de redessiner les titulaires de la fonction démocratique au sein des institutions17. Jusqu’alors, deux types de légitimité, incarnés d’une part par les élus d’autre part par les fonctionnaires, fondaient la mise en œuvre du principe démocratique : la légitimité d’établissement résultant du verdict des urnes et la légitimité d’« identification à la généralité sociale » née de la sélection objective des compétences par l’examen ou le concours, ces deux légitimités faisant système (Rosanvallon, 2008, p. 99). Au cours de la Cinquième République, notablement dans les années 1980, la « béquille du pouvoir administratif » n’aurait plus été susceptible de pallier le déficit de légitimité dont les représentants élus faisaient l’objet (Rosanvallon, 2008, p. 118). Notre auteur dégage à la lumière de ce constat trois types de légitimité associés aux principes d’impartialité, de réflexivité et de proximité. Il esquisse ainsi les nouvelles sources de la légitimité démocratique dont les dépositaires seraient respectivement les autorités indépendantes, les cours constitutionnelles et les gouvernants adeptes d’un art de gouverner inspiré de la proximité avec les citoyens.

  • 18 Sur la subjectivité du concept de représentation, notamment par l’emploi des termes de « légitimité (...)

28Partiellement à rebours du raisonnement tenu par Pierre Rosanvallon, il nous est possible de considérer que l’administration demeure une activité susceptible de remplir une fonction de représentation, pour autant qu’elle revêt les atours dont Pierre Rosanvallon pare les nouveaux dépositaires de la légitimité démocratique. Chez Pierre Rosanvallon, la reconnaissance de la qualité de représentant de la nation paraît provenir dans les faits des garanties démocratiques que leur activité, exercée au nom d’un organe institutionnel, présente18. Autrement dit, le mandat représentatif, exercé à titre individuel, trouverait sa source dans les caractéristiques collectives de l’organe institutionnel d’appartenance. L’association chez Pierre Rosanvallon des autorités administratives indépendantes à l’une des instances incarnant un type de légitimité démocratique justifie que fasse l’objet d’un nouvel examen l’idée selon laquelle l’administration comporte l’exercice d’un mandat représentatif.

29Pierre Rosanvallon met principalement l’accent sur le caractère indépendant des autorités administratives indépendantes pour justifier leur légitimité démocratique, tirée de l’exercice impartial de leur activité, sans que la légitimité des parlementaires nationaux ne soient mise en cause : « nous voyons dorénavant constitués deux pôles aux ressorts clairement distingués dans les démocraties contemporaines : d'un côté, l'ordre démocratique stricto sensu, organisé autour d'une sacralisation de l'élection, et de l'autre, un nouvel ordre représentatif sous les espèces de ces autorités indépendantes. Ils se font face et s'affrontent d'une certaine façon autour de l'enjeu de la légitimité. Mais ils font aussi système et apparaissent bien tous les deux comme le fruit d'une évolution historique qui traduit la dualité des attentes citoyennes » (Rosanvallon, 2008, p. 147). À notre sens, une attention particulière devrait être accordée au fait que les autorités administratives indépendantes exercent une activité administrative. Ainsi, les conclusions de Pierre Rosanvallon nous invitent à examiner la portée de l’hypothèse d’une administration représentative d’un genre a priori nouveau : l’administration impartiale.

2. Une forme exceptionnelle d’administration représentative

  • 19 Selon la science administrative américaine, le passage d’une « représentation passive » à une « rep (...)

30Jusqu’à présent, nous avons envisagé l’hypothèse de l’administration représentative suivant les caractéristiques des membres de l’appareil administratif, pour établir dans une certaine mesure leur représentativité. L’idée d’une administration représentative rencontre d’autres limites lorsqu’est en question la capacité de l’appareil administratif à exprimer une volonté sociale. Il ne s’agit pas d’exprimer n’importe quelle volonté sociale, particulièrement celle du groupe dont est issu le fonctionnaire ; de ce point de vue, nous refusons la distinction entre « représentation passive » et « représentation active »19. En réalité, l’idée d’une administration représentative telle que nous l’entendons suppose que l’appareil administratif soit en mesure d’exprimer la volonté nationale et que son mandant soit le citoyen.

  • 20 L’opposant notoire à Robespierre, Briois de Beaumetz, défend l’intérêt de cette réserve : « J’avoue (...)

31L’activité administrative en elle-même ne porte pas les caractères susceptibles de lui permettre d’exprimer la volonté nationale. Robespierre exprimait déjà cette idée durant la séance du 5 mars 1791 (nous soulignons le passage) : « Il faut bien se garder, Messieurs, de confondre le pouvoir des corps administratifs avec le pouvoir du Corps législatif. Les corps administratifs ne sont pas les représentants du peuple, ils ne sont que ses délégués ; ils ne peuvent juger des qualités politiques et individuelles de chaque citoyen » (Mavidal, Laurent, 1886, p. 674). De fait, l’administration ne pourrait donner voix à la nation parce que l’exercice de cette prérogative impliquerait, comme Robespierre le signifie, que les membres de l’appareil administratif soient en mesure de se prononcer sur la situation des citoyens, certes sous réserve de la compétence du juge à l’égard de la situation individuelle des citoyens20 et donc qu’ils puissent résister à l’expression arbitraire et à l’aliénation de la volonté nationale, ce qui n’est pas assuré. Ainsi, sous la Cinquième République, cet argument a pu justifier que la proposition de l’Assemblée nationale de mettre en place un service au sein du ministère de la Justice chargé de gérer l’usage des données informatiques à caractère personnel a rencontré une forte opposition et a donné lieu à l’émergence de la première autorité administrative indépendante, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

32En fait, toute l’administration ne peut prétendre à l’exercice d’un mandat représentatif en tant que l’activité administrative rencontre spontanément une « suspicion de partialité » (Rosanvallon, 2008, p. 130). La reconnaissance de la qualité de représentant semble donc provenir d’une forme de consentement au mandatement représentatif. À notre sens, ce consentement à l’égard de l’administration suppose que l’activité administrative présente des garanties démocratiques spécifiques d’impartialité. Les autorités administratives indépendantes présentent de telles caractéristiques et à ce titre peuvent prétendre a priori à la représentation nationale. Néanmoins, cette prétention ne peut être maintenue que si les autorités administratives indépendantes exercent leur activité de manière libre et indéterminée, ou « autonome » dans le vocabulaire d’Hauriou. Les autorités administratives indépendantes ne disposent pas d’une telle liberté, en ce sens que leurs larges prérogatives rencontrent en contrepartie la circonscription stricte de leur champ d’intervention. Faut-il pour autant estimer que l’administration représentative d’un genre nouveau, dont nous formons l’hypothèse, n’a pas de forme avérée et demeure, dès lors, de l’ordre de l’hypothétique ? À notre sens, l’administration parlementaire constitue une forme avérée, si ce n’est la seule, de cette administration impartiale et d’initiative libre.

B. L’administration parlementaire, concrétisation particulière de l’idée d’administration représentative sous la Cinquième République

1. L’impartialité administrative au Parlement

33À la manière des autorités administratives indépendantes, l’administration parlementaire semble s’exercer de manière impartiale, en ce sens que, conformément à la définition avancée par Pierre Rosanvallon, elle met à distance les positions partisanes et particulières. L’administration parlementaire constituerait ainsi une expression impartiale de la volonté nationale, dans la mesure où elle détermine d’une part le cadre réglementaire de l’interaction entre l’ensemble des citoyens et les deux assemblées parlementaires et d’autre part celui de l’exercice par les parlementaires des missions qui leur incombent en application de l’alinéa 1er de l’article 24 de la Constitution.

  • 21 Voir à ce sujet l’article 10 §1 du Règlement de l’Assemblée nationale et l’article 3 §1 du Règlemen (...)

34L’impartialité de l’administration parlementaire semble résider dans le fait que les bureaux des assemblées parlementaires, autorités d’administration de nature collégiale, sont composés de membres issus de l’ensemble des mouvements politiques présents dans les assemblées, proportionnellement à l’effectif de ces derniers. Les membres de ces instances sont de plus inamovibles et leur mandat connaît une limite stricte21.

35Compte tenu du fait que la légitimité d’impartialité est « sans cesse à conquérir » (Rosanvallon, 2008, p. 152), au moyen d’épreuves auxquelles est soumise l’activité, il convient de s’intéresser à celles mises en place au sein des assemblées parlementaires. En réalité, à ce titre, l’administration parlementaire est une administration représentative « en puissance » et non « en acte », suivant une distinction d’inspiration aristotélicienne (Hamelin, 1907, p. 4). En effet, les procédures assurant la publicité et à la transparence des actes d’administration n’en sont qu’à leur balbutiement. Ainsi, les actes réglementaires des bureaux sont consignés pour l’essentiel au sein des archives parlementaires et ne sont disponibles que sur demande expresse. Un compte-rendu des réunions des bureaux est cependant disponible depuis peu sur les sites internet des assemblées parlementaires. De plus, l’administration parlementaire développe les procédures de contrôle de son activité, notamment en collaboration avec la Cour des comptes. Il en va ainsi de la certification des comptes de chacun des assemblées parlementaires.

2. L’initiative libre en matière administrative au Parlement

36L’initiative libre en matière administrative pourrait relever du non-sens. En effet, le lien de subordination qui caractérise l’activité administrative en principe semble interdire l’initiative libre. Il a conduit de nombreux auteurs, comme nous l’avons évoqué supra, à cantonner l’activité administrative à celle d’exécution de la loi et donc à refuser la qualité de représentant aux membres de l’appareil administratif.

  • 22 (Rivero, 1934, p. 178) : « les assemblées parlementaires ne pourraient souffrir que s’ingère, dans (...)

37En tant qu’administration la plus indépendante22, l’administration parlementaire semble libérée dans une certaine mesure du lien de subordination. Des instructions extérieures aux assemblées parlementaires ne peuvent lui être données, au nom du principe d’autonomie parlementaire. Celui-ci consacre au profit de l’administration parlementaire un certain nombre de prérogatives, parmi lesquelles la libre détermination de ses moyens ou le pouvoir réglementaire propre, qui consolident l’idée d’administration représentative au Parlement.

  • 23 À supposer qu’ils exercent un mandat, les agents des services des assemblées parlementaires exercer (...)

38Le lien de subordination s’invite lorsque l’analyse porte sur la structuration de l’activité administrative. Les services administratifs des assemblées parlementaires connaissent de manière attendue le principe de hiérarchie administrative et sont subordonnés aux secrétariats généraux des assemblées parlementaires. L’organisation horizontale de l’activité administrative peut venir nuancer ce constat, étant donné la dualité des services administratifs parlementaires. Au Sénat, l’activité administrative est ainsi exercée par la Direction générale des Missions Institutionnelles et par la Direction générale des Ressources et Moyens. À l’Assemblée nationale, elle se partage entre services législatifs, services administratifs et services communs. En dernière analyse, cependant, cette organisation horizontale n’invalide pas le lien de subordination qui domine au sein des services des assemblées parlementaires. Les membres de ces services ne peuvent donc pas être titulaires d’un mandat représentatif23.

39Pour autant, l’administration parlementaire, au-delà des seuls services administratifs, ne connaît pas une structuration classique, qui pourrait laisser craindre, du fait de son autonomie, à l’établissement d’une bureaucratie au sein des assemblées parlementaires ou d’un embryon de « pouvoir administratif ». Par la bicéphalie, sinon la tricéphalie, de l’administration parlementaire, impliquant les présidents des assemblées parlementaires, les bureaux de ces dernières, éventuellement leurs questeurs, l’administration parlementaire entretient l’idée d’un « lieu vide » (Lefort, 2006) du pouvoir administratif. Ainsi, bien que le président puisse être considérée comme le « chef de l’administration de l’assemblée » (Duverger, 1973, p. 272), le bureau de l’Assemblée nationale a « tous pouvoirs pour régler les délibérations de l’Assemblée et pour organiser et diriger tous les services […] » suivant l’article 14 du Règlement de l’Assemblée nationale. De même, au Sénat, le pouvoir administratif semble se partager entre le bureau et le président du Sénat, en application de l’article 101 du Règlement du Sénat : « 1. Le président a, du point de vue législatif, la haute direction et le contrôle de tous les services du Sénat. 2. Au point de vue administratif, l’autorité sur les services appartient au Bureau ; la direction est assurée par les Questeurs sous le contrôle du Bureau ». Ainsi, le lien de subordination n’a donc pas une emprise définitive sur l’administration parlementaire. L’initiative libre de l’administration parlementaire semble possible à sa tête et avérée compte tenu du fait que les assemblées parlementaires ne sont liées du point de vue administratif que par les règles qu’elles se dotent par délibération. Preuve en est le fait que les assemblées parlementaires ne sont pas nécessairement liées par les règles administratives d’application générale, telles celles prévues par exemple par le Code des relations entre le public et l’administration, dont le champ d’application n’inclut pas les assemblées parlementaires, conformément à son article L. 100-3.

40Les différentes autorités d’administration des assemblées parlementaires pourraient donc être titulaires d’un mandat représentatif, pour remplir la fonction de représentation qui incomberait globalement à l’administration parlementaire, à la manière des parlementaires nationaux remplissant cette même fonction qui incombe au Parlement suivant l’alinéa 1er de l’article 24 de la Constitution.

41Le recours aux deux autres types de légitimité identifiés par Pierre Rosanvallon par les autorités d’administration des assemblées parlementaires achève de convaincre que l’activité administrative au sein de ces dernières tend à prendre une forme proprement démocratique. Ainsi, la légitimité de proximité gagne l’activité administrative au Sénat, dès lors que le président Larcher a invité les citoyens à un échange sur la réforme des méthodes du travail du Sénat sur la plateforme Twitter le 12 mars 2015. De plus, lorsque le questeur Dupont initie la mise en place d’un Institut du Sénat, il convoque des « tiers réflexifs » (Rosanvallon, 2008, p. 222) dont les remarques doivent inspirer l’administration du Sénat, si l’on en croit le discours du président Larcher tenu le 27 juin 2016 à l’occasion de la remise des diplômes de la première promotion de l’Institut du Sénat. L’administration parlementaire se pare donc également de la légitimité de réflexivité, qui ne se déduit pas de la seule action des cours constitutionnelles, mais également de celle de membres de la société civile (Rosanvallon, 2008, p. 234), ce qui est le cas en l’occurrence.

42En définitive, la notion de mandat représentatif ne saurait être mieux discutée sous la Cinquième République qu’à la lumière du phénomène administratif au sein des assemblées parlementaires, lequel prend une dimension particulière à la lecture de Pierre Rosanvallon.

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Notes

1 L’administration parlementaire correspondrait ainsi à toutes les missions exercées au nom des deux assemblées parlementaires et qui se distinguent en substance de celles prévues à l’alinéa 1er de l’article 24 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ».

2 La lecture de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est édifiante sur ce point : « […] Tous les citoyens, étant égaux [aux] yeux [de la loi], sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre que celle de leurs vertus et de leurs talents ». (Nous soulignons le passage). Tant les fonctions publiques électives que celles non électives sont susceptibles d’incarner l’hétérogénéité sociale en principe.

3 « Ce n’est qu’au xixsiècle, que se mettra véritablement en place la démocratie représentative grâce à la généralisation de l’élection des représentants au suffrage universel » (Favoreu, Gaïa, Ghevontian 2014, p. 606). Le développement de l’activité administrative n’a pas signifié l’affirmation de la démocratie représentative, selon les tenants de la théorie classique de la représentation.

4 L’article 3 alinéa 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum », sans faire état de l’identité de ces derniers, au contraire de l’article 3 dernier alinéa de la Constitution du 27 octobre 1946 qui prévoit que « [En toute autre matière que la matière constitutionnelle], [le peuple exerce la souveraineté nationale] par ses députés à l'Assemblée nationale, élus au suffrage universel, égal, direct et secret ».

5 « Liberté n’est pas jalouse de faire » (AN 284 AP5D1, dossier n°°2) (Fauré, Guilhaumou, Valier, 1999, p. 460)

6 (Mavidal, Laurent, Clavel, 1878, p. 89) : « La confiance est le prix de la vertu et des talents, il appartient à tout citoyen de décerner librement ce prix »

7 (Mavidal, Laurent, Clavel, 1878, p. 89) : la confiance est « le premier titre pour être élu ».

8 (Mavidal, Laurent, 1888 b, p. 115) : « C’est en nommant l’homme en qui il a confiance dont les lumières sont claires pour lui, dont la pureté lui est connue, que le peuple exprime vraiment son vœu ».

9 (Guizot, 1851, p. 150) : Le but du gouvernement représentatif est « de découvrir tous les éléments du pouvoir légitime disséminés dans la société, et de les organiser en pouvoir de fait, c’est-à-dire de les concentrer, de réaliser la raison publique, la morale publique, et de les appeler au pouvoir. Ce qu’on appelle la représentation n’est autre chose que le moyen d’arriver à ce résultat. Ce n’est point une machine arithmétique destinée à recueillir et à dénombrer des volontés individuelles. C’est un procédé naturel pour extraire du sein de la société la raison publique, qui seule a droit de la gouverner ». (Nous soulignons le passage).

10 (Brunet 2002, p. 41) : Sur proposition de Barnave et de Thouret, la Constituante a ainsi qualifié le roi de représentant le 10 août 1791 alors même que ce dernier n’est pas soumis à l’épreuve électorale.

11 (Mavidal, Laurent 1880, p. 192) : Le décret du 22 décembre 1789 concernant la constitution des assemblées représentatives et des assemblées administratives constitue, par les articles 8 à 11 de son préambule, encore un autre exemple, probant, de l’incertitude qui marque l’emploi du terme polysémique de représentant durant la période révolutionnaire.

12 (Brunet, 2004, p. 3). Dans la préface de la thèse de Pierre Brunet, Michel Troper cerne, à la lumière du travail de Pierre Brunet, les relations complexes qui se nouent entre les théories de la représentation et les prescriptions textuelles : « On comprend alors que les règles ne sont pas déduites des théories, mais que les théories sont le résultat de contraintes exercées par une série de règles adoptées en raison de choix politiques et de nécessités pratiques ».

13 Thouret rappelle la nécessité de la subordination de l’administration à l’occasion des débats parlementaires de la séance du 9 novembre 1789 : « Etablissez des administrations subordonnées, qui, sans pouvoir rien décider par elles-mêmes, puissent seulement délibérer sur tout ce qui importe à leurs districts (…) » (Mavidal, Laurent, Clavel, 1877, p. 726).

14 Benoît Plessix défend par exemple cette conception : « C’est au Parlement, c’est dans les chambres, c’est là où l’on délibère, que gît au quotidien la souveraineté nationale. Les autorités administratives, fussent-elles habilitées à administrer par voie de dispositions générales et impersonnelles ne sont jamais pour autant des représentants ; ce sont seulement des instruments » (Plessix, 2016, p. 246). Pour Benoît Plessix, l’administration ne peut vouloir pour la nation dans la mesure où « la part de volonté qui peut se nicher au cœur de l’acte administratif n’a jamais le caractère de volonté libre et initiale »(Plessix, 2016, p. 246).

15 (Burdeau, 1983, p. 35), cité par (Brunet, 2004, p. 219).

16 Le décret du 11 août 1789 parachève ce processus, en disposant en son article 1er que « l’Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal » et en son article 17 que « l’Assemblée nationale proclame solennellement le roi Louis XVI restaurateur de la liberté française ». L’exercice de la souveraineté est cependant rapidement revendiqué par l’Assemblée nationale, dans la continuité de la Révolution française débutée le 14 juillet 1789.

17 D’autres auteurs ont identifié un apport considérable du thème de la légitimité démocratique dans la définition du droit constitutionnel de la Cinquième République : « le recours au principe de légitimité et sa transposition en régime démocratique est [donc] une innovation de la Cinquième République » (Chagnollaud, Quermonne, 1996, p. 148)

18 Sur la subjectivité du concept de représentation, notamment par l’emploi des termes de « légitimité » et de « reconnaissance », nous souscrivons à l’opinion de Pierre Brunet commentant le propos suivant de Royer-Collard tenu le 24 février 1816 « contre la doctrine magique de la « représentation » » : « On attribue quelque fois la représentation à l’ensemble des pouvoirs qui composent un gouvernement ; mais c’est une expression vide de sens, à moins qu’on n’entende uniquement par là la légitimité de ces pouvoirs, et le fait qu’ils sont reconnus et obéis par la nation » (Manent, 2001). Selon Pierre Brunet, « c’est bien en ce sens que l’expression est employée depuis 1789. Le terme « représentation » sert toujours à justifier la compétence de certains organes par référence à un ensemble de règles autres que celles du droit positif » (Brunet, 2004, p. 298).

19 Selon la science administrative américaine, le passage d’une « représentation passive » à une « représentation active » (Mosher, 1968, p. 12), n’a rien d’évident et surtout suppose que ne soit représentée qu’une partie de la population, suivant « une manière de voir propre [au groupe social du fonctionnaire] » (Rosenbloom, Dolan, 2006, p. 260)

20 L’opposant notoire à Robespierre, Briois de Beaumetz, défend l’intérêt de cette réserve : « J’avoue qu’il me paraît difficile de ramener ce principe à son application et de faire le Corps législatif juge de toutes les questions de l’illégibilité personnelle qui peut s’appliquer à chaque citoyen. Ces contestations consumeraient un temps précieux au détriment de la chose publique. Or il me semble que dans l’embarras de donner cette attribution à un corps politique quelconque, je crois qu’il y a moins de danger de la donner aux corps judiciaires » (Mavidal, Laurent, 1886, p. 674)

21 Voir à ce sujet l’article 10 §1 du Règlement de l’Assemblée nationale et l’article 3 §1 du Règlement du Sénat.

22 (Rivero, 1934, p. 178) : « les assemblées parlementaires ne pourraient souffrir que s’ingère, dans leur vie intérieure et dans leur fonctionnement, un pouvoir distinct d’elles-mêmes ; c’est ce qui donne à leur réglementation intérieure ses caractères propres ; c’est ce qui a fait d’elles les types les plus achevés que notre droit public connaisse d’institutions autonomes ».

23 À supposer qu’ils exercent un mandat, les agents des services des assemblées parlementaires exerceraient un mandat impératif, du fait du lien de subordination qui donne lieu à la hiérarchie administrative : dans l’exercice de cet éventuel mandat, ces agents « [s’obligeraient] à user de [leur] pouvoir dans un sens dont [ils] ne [seraient] pas [seuls juges] » (Carcassonne, 1996, p. 143).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mohesh Balnath, « Un mandat représentatif peut en cacher un autre : lumière sur l’administration parlementaire sous la Cinquième République »Cahiers Jean Moulin [En ligne], 2 | 2016, mis en ligne le 05 décembre 2016, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/cjm/273 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cjm.273

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Auteur

Mohesh Balnath

Doctorant en droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

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