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Appel à contribution pour le n° 23
Droit et folie en situation coloniale

Perspectives impériales comparées (xixe-xxe siècles)

Clio@Themis. Revue électronique d’histoire du droit. N° 23, 2022.

Coord. par Silvia FALCONIERI (CNRS, IMAF)

Calendrier et modalités des propositions d’articles

Les propositions d’articles (d’un maximum de 3500 caractères, espaces comprises) devront être envoyées à l’adresse suivante : silviafalconieri@gmail.com pour le 1er juin 2021.

  • Remise des articles au 1er décembre 2021.
  • Première évaluation des articles début 2022.
  • Remise des articles corrigés au 1er mai 2022.
  • Seconde évaluation des articles mi-2022.
  • Parution prévue en novembre-décembre 2022.

Argumentaire

L’histoire juridique de la folie en situation coloniale demeure un domaine quasiment inexploré dans le panorama de l’historiographie juridique française et, plus largement, européenne. Alors que dans la dernière décennie les études des historiens de la psychiatrie coloniale se sont multipliées et que les conceptions autochtones des « maux de l’âme » ont depuis longtemps retenu l’attention des anthropologues, les aspects juridiques du traitement de la maladie mentale dans les espaces ultramarins n’ont fait l’objet de l’attention des chercheurs que d’une manière résiduelle et accessoire.

  • 1 Référence est faite au projet de recherche « Aliéné mental » et « indigène ». Histoire d’une doubl (...)

S’inscrivant dans un terrain en friche et dans la continuité d’un chantier de recherche en cours1, ce numéro de Clio@themis se propose de poser les premiers jalons pour une étude historico-juridique de la folie en situation coloniale, aux xixe et xxe siècles. Il s’agit d’entamer la reconstruction d’un pan encore largement méconnu de l’histoire du droit et de la justice coloniale et d’analyser, sous une perspective comparée et pluridisciplinaire, les facettes multiples des rapports du droit à la maladie mentale dans le contexte de la colonisation européenne. Le droit en situation coloniale se caractérise par l’application du principe de la personnalité de la loi dont le pluralisme juridique est le corollaire. En outre, les lois métropolitaines ne sont pas toujours directement applicables dans les espaces ultramarins, alors que la réglementation par décrets émanant des autorités locales est abondante. L’administration joue un rôle central et insolite dans la production des normes tout comme dans le déroulement de la justice. Les conflits entre juridictions et administrations sont d’ailleurs fréquents. L’expression « droit en situation coloniale » désigne dès lors, ce mode de fonctionnement spécifique et cette articulation particulière entre la justice et l’administration.

Dans ce cadre si particulier, est-il possible d’émettre l’hypothèse d’une approche juridique spécifique de la maladie mentale, surtout par rapport aux populations colonisées ? Quand le droit colonial se saisit-il de la maladie mentale ? Suivant quelles modalités ? Quels en sont les enjeux ? Qu’est-ce que la folie pour le législateur, pour les juristes et pour les administrateurs coloniaux ? Est-ce que le traitement juridique de la maladie mentale des « indigènes » présenterait des spécificités par rapport au traitement des troubles psychiques chez les « Européens » ? Inspiré par ces questionnements, le dossier Droit et folie en situation coloniale veut adopter un regard large, apte à capter la multiplicité des manifestations de la maladie mentale dans les discours et dans les pratiques juridiques outre-mer, dans le but d’en faire jaillir les spécificités liées au contexte de la colonisation.

La perspective comparative devra permettre de dresser un état des lieux des recherches sur le sujet dans le cadre historiographique. Il s’agit d’abord de faire attention aux différents pays européens ayant bâti un empire colonial à partir de la deuxième moitié du xixe siècle, mais pas seulement. Dans l’analyse du rapport du droit colonial à la folie, comparer veut dire également prendre en compte les spécificités territoriales, au sein d’un même empire, en considérant les différences de statuts (territoriaux et personnels). Dans cette direction, une importance centrale est accordée à la comparaison entre les espaces ultramarin et métropolitain. La comparaison peut enfin être entendue comme circulation de solutions, de techniques et de pratiques juridiques, en centrant l’attention sur les échanges entre les différentes expériences européennes de la colonisation.

Les contributions à ce dossier suivront trois thèmes principaux qui, compte-tenu du caractère pionnier des recherches en la matière, permettront d’aborder en même temps des questions de nature méthodologique. Les trois lignes directrices n’étant évidemment pas étanches, les articles proposés pourront les parcourir de manière transversale. Le regard pluridisciplinaire est également le bienvenu.

I. Sources pour une histoire juridique de la folie en situation coloniale

Quelles sources pour écrire une histoire juridique de la folie en situation coloniale ? Comment les repérer, les exploiter et les analyser ? Comment les croiser avec les sources émanant d’autres disciplines ? Quels outils mettre en place pour leur fichage et pour leur analyse ? Quoique propre à toute recherche historique, la question des sources s’impose avec une force majeure dans l’étude des discours et des pratiques juridiques sur la folie en situation coloniale. L’exploitation des documents d’archives, par exemple, soulève plus que quelques problèmes, pour des raisons qui tiennent à la fois à la difficulté de les faire parler, à la nécessité de mobiliser des documents extrêmement hétérogènes (archives administratives, judiciaires, des hôpitaux psychiatriques) et dispersées, non seulement d’un point de vue géographique mais aussi au sein d’un même fond d’archives. Dans le cas de l’empire français, par exemple, au sein des archives administratives coloniales (ANOM, Aix-en-Provence), il est rare que des cartons entiers soient consacrés à l’aliénation mentale. Et cela en dépit de la fréquence avec laquelle l’occurrence d’autres maladies (surtout infectieuses) apparaît dans les inventaires. Une disparité très forte existe également entre les différents territoires de l’empire, du moment que pour certains d’entre eux – tels que l’Algérie ou l’Indochine – la documentation apparaît bien plus riche. L’état matériel des archives et, d’une manière plus large, des sources relatives au traitement juridique de la folie fournit des informations incontournables sur la manière dont la folie a été considérée dans le contexte colonial.

Ce premier thème a donc vocation à accueillir des contributions portant sur le repérage, le fichage et l’analyse des sources – dans leur hétérogénéité (y compris les sources orales) – nécessaires à l’écriture d’une histoire juridique de la folie outre-mer. Le regard croisé sur des sources non juridiques fait intégralement partie de la démarche. Les contributions concernant la mise en place d’outils numériques, visant à accompagner et à faciliter le repérage, le fichage et l’analyse des sources, seront les bienvenues.

II. Contextes de prise en charge de la folie et frontières entre « normal » et « pathologique »

Le deuxième thème de ce dossier est consacré au repérage et à l’analyse de contextes disparates dans lesquels le droit colonial se saisit de la maladie mentale. L’attention des contributeurs pourra ainsi porter sur les actions relatives à la tutelle et à la curatelle ; sur les actions criminelles pour interdiction et enfermement des « fous furieux », ainsi que sur les cas d’exclusion de la responsabilité pénale ; sur les procédures d’internement dans les hôpitaux psychiatriques et dans les structures asilaires ; sur les mesures de police. À côté de ces contextes plus ordinaires et connus dans le cadre de l’histoire juridique de la folie, d’autres sembleraient propres à la situation coloniale. Parmi ceux-ci, les procès et les mesures frappant la pratique de la sorcellerie ; les mesures sanitaires relatives à l’alcoolisme et aux maladies infectieuses qui dans la littérature médicale de l’époque sont souvent considérés comme étant à l’origine de l’altération de l’état mental ; les procédures de transfert de patients psychiatriques des territoires d’outre-mer vers de structures de soin situées dans la métropole ; les procédures d’internement administratif pour rébellion ou révolte, suivant les codes de l’indigénat.

Ces derniers contextes – qui concernent de manière prioritaire les populations indigènes – font souvent émerger l’ambiguïté de la notion de « maladie mentale », ou de « folie », dans les discours et dans les pratiques juridiques en situation coloniale. La frontière entre les pathologies de l’« âme indigène » et la « mentalité indigène », pour ainsi dire, « ordinaire » n’est jamais étanche. Les contributions qui problématisent la question du « pathologique » en droit colonial trouveront ici toute leur place.

III. Les usages juridiques des sciences et des savoirs sur le psychisme

Les savoirs juridiques sur la folie et sur la santé mentale se forgent dans un rapport d’emprunts, d’échanges, de collaboration et de conflit avec d’autres savoirs sur le psychisme. Que cela passe par le biais plus connu de l’expertise judiciaire ou par l’utilisation de publications afférant à d’autres domaines disciplinaires de la part des juristes ou, encore, par la participation contextuelle à des rencontres scientifiques, les spécialistes du droit colonial, les administrateurs et législateur ne peuvent pas se passer des connaissances de l’époque sur le psychisme et sur le fonctionnement mental des populations indigènes. Quels sont les savoirs mobilisés dans le traitement juridique de la folie ? Quels usages en font les spécialistes du droit dans leurs discours et dans leurs pratiques ? Pourquoi certains savoirs sont-ils sélectionnés par les acteurs du droit colonial en dépit d’autres ? Quels sont les enjeux de cette sélection ? Quels échanges les juristes bâtissent avec les spécialistes du psychisme autour de la folie ? Quand et pourquoi, en revanche, les juristes s’érigent eux-mêmes en spécialistes ?

Le xixe siècle connait l’essor des sciences du psychisme – telles que la psychiatrie, la psychanalyse, la psychologie, aussi dans leurs différentes déclinaisons, étroitement liées à l’expérience coloniale. La « psychologie des races », l’étude des mentalités, la « psychologie coloniale », la « psychiatrie coloniale » font leur émergence à compter de la fin du xixe siècle, avant de trouver leur plein épanouissement dans les années 1920 et 1930. Les savoirs autochtones traditionnels sur la folie, sur les origines du mal et sur la maladie complètent ce cadre. Les contributions en lien avec ce troisième noyau thématique porteront sur les usages juridiques des sciences et des savoirs sur le psychisme et sur la maladie mentale en contexte colonial. Sans que l’indication soit exhaustive, elles pourront traiter des lieux de rencontres des juristes, des scientifiques et des spécialistes de la santé mentale ; du poids acquis auprès des juristes et des administrateurs coloniaux par certains ouvrages ou revues médicales ; de la place accordée aux savoirs sur le psychisme dans la formation des juristes et des administrateurs coloniaux ; de l’apprentissage des conceptions locales de la folie.

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Notes

1 Référence est faite au projet de recherche « Aliéné mental » et « indigène ». Histoire d’une double discrimination de statut en Afrique française – AMIAF, financé par l’ANR (2018-2022).

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