Une école reconfigurée par la pandémie

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Le 12 mars 2020, le président de la République annonçait la fermeture des écoles et établissements scolaires de France. Ainsi, à compter de cette date, l’ensemble des professionnels de l’éducation, tout comme les élèves et leurs parents, ont basculé brutalement dans une nouvelle configuration de travail et d’apprentissage, qui a impliqué de faire « l’école à la maison ». Après une première phase de sidération, chacun (enseignant, parent, personnel de direction, autres professionnels de l’éducation) a tenté de s’organiser pour assurer les conditions d’une forme de « continuité pédagogique » où s’imposait le « distanciel ». Puis, entre la fin de ce premier confinement, le 11 mai 2020, et les vacances d’été, chacun a pu retrouver plus ou moins rapidement le chemin de l’école. Mais à partir de là, les équipes ont dû tenir compte des contraintes imposées par les protocoles sanitaires successifs, où le « distanciel » est venu se conjuguer au « présentiel ». Depuis la rentrée de septembre 2020, ces protocoles ont été ajustés plusieurs fois face aux aléas provoqués par les différentes vagues de la pandémie, et les écoles et établissements comme leurs personnels ont dû faire face aux fermetures-réouvertures de classes et au fonctionnement en demi-jauges, notamment au collège et au lycée.

L’école et tous ses acteurs ressortent ébranlés de ces presque deux années particulièrement éprouvantes, et on ne peut plus faire classe tout à fait comme avant : les acteurs concernés ont dû trouver à chaque étape, sans préparation ni anticipation, de nouvelles manières de faire. Nous pouvons aujourd’hui émettre l’hypothèse, même s’il manque encore le recul nécessaire pour en analyser tous les tenants et aboutissants, que cette crise sanitaire déjà longue, au fil des pics successifs, ne sera pas qu’une simple parenthèse, mais qu’elle aura indéniablement des répercussions sur l’expérience scolaire des élèves, sur l’expérience professionnelle des enseignants, mais aussi de nombreux métiers de l’éducation.

Ce numéro de Diversité a pour ambition de rendre compte des transformations en cours sous l’effet de la crise sanitaire, et d’en tirer les premiers enseignements à l’aune de l’expérience des acteurs eux-mêmes, telle qu’elle peut être décrite, comprise, analysée1 : quels changements dus à la crise sanitaire ont été observés tant pour l’école que pour les parcours et les expériences scolaires ? Peut-on y voir un de ces « moments critiques qui marquent des ruptures et des accidents dans le flux routinier des organisations, avec des réactions émotionnelles importantes, qui obligent par conséquent les acteurs à éprouver leurs interprétations traditionnelles pour faire face à l’imprévu, à l’inattendu »2 ? Et de ce point de vue, en quoi cette situation spécifique se conjugue-t-elle à d’autres crises et changements dans le pilotage, la prescription, les discours sur l’école ? En quoi s’inscrivent-ils dans un mouvement plus global de reconfiguration, accentuant certaines tendances, orientations ou réformes en cours, encourageant de nouvelles dynamiques et des mouvements de résistance ? En quoi permettent-elles d’identifier avec plus d’acuité des contradictions, des tensions au cœur des institutions d’enseignement, d’éducation et de formation, entre les nécessaires impératifs de transmission culturelle, de réduction des inégalités, d’inclusion et de réussite de tous ? Ou bien pouvons-nous observer des signes qui pourraient faire dire qu’il s’agit, concernant certaines modalités de travail et d’apprentissage, d’une parenthèse qui disparaîtra avec la levée des restrictions liées aux protocoles sanitaires successifs ? Par ailleurs, peut-on voir ces processus comme autant de contraintes imposées ou bien comme des opportunités pour construire un consensus collectif ? À quelles conditions ?

Dans cette perspective, nous avons choisi, à travers les trois parties de ce numéro, de mettre en avant trois questions qui nous semblent essentielles aujourd’hui pour comprendre l’événement du confinement et de ses conséquences : que dit cette période sur la capacité de l’institution à gérer une crise inédite, et qu’on espère toutes et tous exceptionnelle ? Comment a-t-elle agi et reconfiguré le travail enseignant ? Et enfin, comment peut-on commencer à mesurer ses effets, en particulier sur l’état de santé des élèves et sur les relations entre l’école et les familles ?

Notes

1 Pour prolonger les réflexions développées par Antoine Prost (Du changement dans l’école. Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours. Paris : Seuil, 2013). Return to text

2 Rey, Olivier. « Le changement, c’est comment ? ». 2016. http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA-Veille/107-janvier-2016.pdf Return to text

References

Electronic reference

Régis Guyon, « Une école reconfigurée par la pandémie », Diversité [Online], 200 | 2022, Online since 03 octobre 2022, connection on 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/diversite/index.php?id=1424

Author

Régis Guyon

Directeur adjoint de l’Institut français de l’éducation, ENS de Lyon, rédacteur en chef de la revue Diversité et producteur de l’émission Ça manque pas d’R.

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