La médiation sociale : un métier en attente de sa reconnaissance officielle

DOI : 10.35562/diversite.3628

Abstracts

Les quartiers urbains et les zones rurales en déclin restent des espaces où se concentre l’ensemble des difficultés que la société peut connaître, en termes de précarité et de pauvreté. Pour des raisons diverses, comme l’absence d’information, la complexité administrative, la méfiance à l’égard de l’institution ou même la perte de la conviction d’avoir des droits, un grand nombre de personnes ne demandent rien et ne bénéficient pas des droits auxquels elles peuvent légitimement prétendre. Dans ce contexte de transformation à marche forcée de notre société et d’évolution des relations sociales, la médiation sociale est interpellée, à la fois dans ses finalités et valeurs de référence, mais aussi dans ses pratiques professionnelles.

Urban neighbourhoods and rural areas in decline remain areas where all the difficulties that society may experience, in terms of precariousness and poverty, are concentrated. For a variety of reasons, such as lack of information, administrative complexity, mistrust of the institution or even loss of belief in rights, many people do not ask for anything and do not enjoy the rights to which they are entitled. In the context of the forced transformation of our society and the evolution of social relations, social mediation is called into question, both in its aims and reference values, but also in its professional practices.

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La société dans laquelle nous vivons a changé, il n’est pas question de se le cacher. Les quartiers urbains et les zones rurales en déclin n’ont pas été encore résorbés. Les derniers chiffres publiés par l’INSEE1 dressent un constat sans appel sur la pauvreté en France. Son intensité devrait encore continuer d’augmenter durant les prochaines années, notamment avec la crise sanitaire qui aggrave les situations sociales et économiques des populations, l’isolement et le sentiment de rupture sociale des personnes, la perte de repères.

Pour des raisons diverses, comme l’absence d’information, la complexité administrative, la méfiance à l’égard de l’institution ou même la perte de la conviction d’avoir des droits, un grand nombre de personnes ne demandent rien et ne bénéficient pas des droits auxquels elles peuvent légitimement prétendre. Ces situations exacerbent les tensions avec les institutions dont les réponses tardent à être mises en œuvre.

Dans ce contexte de transformation à marche forcée de notre société et d’évolution des relations sociales, la médiation sociale est interpellée, à la fois dans ses finalités et valeurs de référence, mais aussi dans ses pratiques professionnelles.

La longue marche de la médiation

La médiation sociale en France est une pratique encore relativement récente, même si les premières pratiques de médiation sont apparues dans les années 1980. Le recours à des tiers, qu’ils soient élus, syndicalistes, voisins, aux amis, dans la perspective de gérer les problèmes sociaux ou de régler les conflits, a toujours constitué un préalable avant tout recours ultime aux instances dirigeantes ou judiciaires. Le « chacun pour soi », la complexité des démarches administratives des institutions, qui se détériorent encore plus avec la fin des accueils inconditionnels dans les services publics et une dématérialisation à outrance, accroissent la précarité et l’exclusion, engendrent beaucoup d’incompréhension et génèrent des situations conflictuelles qui nécessitent maintenant l’intervention d’un tiers extérieur professionnel.

C’est dans ce contexte qu’apparaît la médiation dite sociale dans les années 1980, au sein de la société civile, des collectivités territoriales et d’entreprises de services publics. Cette émergence et ce développement de la médiation sociale peuvent être interprétés pour le meilleur ou pour le pire. D’un côté, la médiation sociale est le signe d’un abandon ou d’un repli des services publics avec des besoins non couverts par les institutions et, en même temps, l’évolution ou la recomposition nouvelle des rapports sociaux.

Avant son institutionnalisation et sa professionnalisation progressive, deux profils de médiateurs sociaux se démarquaient nettement : les femmes-relais médiatrices, centrées sur des activités de cohésion sociale, et les agents locaux de médiation sociale (ALMS), centrés sur des tâches de tranquillisation publique, et issus du dispositif Nouveaux services-Emplois jeunes créé en 1997.

Les femmes-relais médiatrices, issues des quartiers d’habitat social et de l’immigration, s’appuyaient sur leur propre parcours de vie et leur connaissance des modes de vie des publics pour lesquels elles intervenaient. Leurs premières missions se sont organisées autour du décodage culturel auprès des populations immigrées, mais également des familles en situation d’exclusion sociale et économique et en perte de repères, pour prévenir les différends liés à des codes sociaux et/ou culturels et pour favoriser la compréhension mutuelle. C’est toute l’action des premières femmes-relais dans les services de protection maternelle et infantile, les services sociaux, l’hôpital ou l’école.

Pour les ALMS, dans le cadre des contrats locaux de sécurité, les pouvoirs publics, les collectivités locales et certaines sociétés de transport ou de bailleurs sociaux ont recruté des jeunes issus des quartiers et ayant la capacité d’intervenir auprès des bandes de jeunes. Malgré des problèmes de positionnement, un manque de formation et parfois d’encadrement, les premières expérimentations, renommées abusivement période des « grands frères », ont jeté les premières bases de ce métier en pleine structuration et reconnaissance.

Malgré la divergence des objectifs de départ entre les femmes-relais médiatrices et les ALMS, l’expérience de terrain va porter au jour une parfaite convergence dans les pratiques, dès lors que les éléments de la professionnalisation sont posés.

C’est ainsi qu’en septembre 2000 à Créteil, quarante-trois experts de douze pays européens se sont accordés sur une définition commune de la médiation sociale comme « processus de création et de réparation du lien social et de règlements des conflits de la vie quotidienne, dans lequel un tiers impartial et indépendant tente à travers l’organisation d’échanges entre les personnes ou les institutions de les aider à améliorer une relation ou de régler un conflit qui les oppose ».

À partir de cette définition, la médiation sociale va progressivement se professionnaliser et se structurer. Les premiers principes déontologiques sont élaborés2. Ils vont garantir le processus de médiation :

  • le libre consentement et la participation des habitants ;
  • l’indépendance ;
  • la discrétion et la confidentialité ;
  • la protection des droits et des personnes et le respect des droits fondamentaux.

Et la posture de médiateur :

  • la position de tiers ;
  • l’impartialité ;
  • la responsabilisation et l’autonomie des personnes en médiation sociale ;
  • la possibilité de refuser ou de se retirer d’une médiation ;
  • la réflexion sur sa pratique professionnelle.

Quelles sont les missions du médiateur social ?

Le contexte économique et social avait brutalement changé autour des années 1975 avec la fin des Trente Glorieuses et de l’État providence, les restructurations industrielles et la croissance continue du chômage, les lois de décentralisation et les réformes successives liées à l’habitat qui ont eu pour effet de spécialiser les quartiers d’habitat social dans l’accueil des populations le plus en difficulté, et notamment des populations immigrées.

Mais, avec le développement de la médiation sociale, la première mission devient sans doute aujourd’hui le renforcement de la présence humaine : les médiateurs sociaux garantissent une présence humaine active nécessaire au vivre ensemble, mais également au bon fonctionnement des services. En effet, au-delà de cette présence, les médiateurs sociaux exercent une fonction d’interface : entre les éducateurs et les familles, entre le bailleur et un locataire, entre voisins, entre les professionnels de l’école et les parents d’élèves, entre les usagers dans les transports en commun, entre les patients et les équipes soignantes à l’hôpital. Ils préviennent et gèrent aussi les conflits de la vie quotidienne des habitants.

Ainsi, après plus de quarante ans de tâtonnements, d’expérimentations, d’innovations, les fonctions de la médiation sociale se déclinent en métier et en emploi.

Les médiateurs sociaux sont employés majoritairement par des associations3 même si des collectivités locales, des bailleurs sociaux, des transporteurs peuvent aussi avoir leur propre service de médiation sociale. Selon le secteur dans lequel ils interviennent et selon leur employeur, ils assureront des missions différentes. Chaque profil de poste dépendra des besoins spécifiques du territoire, des habitants et des partenaires concernés.

Les différents types d’emploi

Le médiateur social et culturel

Le médiateur social et culturel assure une fonction d’interface entre les familles, les intervenants sociaux, les associations ou les institutions. Il cherche à rompre l’isolement des personnes, à renforcer leur autonomie et leur intégration dans la société locale. Son mode d’action place les codes culturels – et leur décryptage – au cœur de l’intervention.

Le médiateur social dans l’espace public

Par sa présence de proximité visible, de jour comme de nuit, le médiateur social contribue à assurer un environnement apaisé aux habitants du quartier.

Par des actions d’information, de veille et de médiation dans les relations de voisinage, il intervient de façon préventive ou réactive face aux difficultés constatées dans les espaces publics. Il parcourt le quartier, répond aux appels, va à la rencontre des habitants. Les relations qu’il entretient avec différentes institutions le positionnent comme un passeur de relais utile pour faire face aux difficultés de la vie quotidienne.

Le médiateur social en milieu scolaire

Il travaille dans les écoles et les collèges pour limiter les incivilités et renforcer les liens écoles/familles, en particulier auprès des familles éloignées du milieu scolaire et des parents d’enfants décrocheurs ou absentéistes. En partenariat avec les acteurs du quartier, il tisse des liens pour améliorer les relations entre l’école et son environnement. Il intervient pour rétablir des relations entre les équipes éducatives et les familles ou les enfants en difficulté en levant les peurs et les représentations réciproques. Par ses actions, il favorise le dialogue et la tolérance entre les enfants.

Le médiateur social dans le champ de la santé

Il pratique ses activités de prévention, d’information individuelle et collective ou d’accompagnement des patients vers les hôpitaux, ou les lieux de soin, ou de prévention. Il facilite l’accès à la santé pour les personnes précarisées ou éloignées du système médical. Il favorise, enfin, l’accès aux droits (complémentaire santé solidaire – ex-CMU –, caisse primaire d'assurance maladie).

Le médiateur social dans les transports

Par sa présence, le médiateur social contribue à humaniser les transports en commun, à prévenir et apaiser les situations génératrices de conflits entre les usagers, et entre les usagers et le transporteur. Facilement repérable, sa présence vise notamment à prévenir les situations de tensions dans un espace clos. À cette fin, il veille au respect des usagers entre eux et à celui des règles communes d’utilisation des transports.

Le médiateur social dans les points d’information et de services publics (par exemple : PIMMS, MSAP4, maison France Services)

Il accueille et participe à l'animation d’un point d'accueil en vue de faciliter l'accès des habitants aux services publics marchands et non marchands ; il met les usagers en relation avec les agences institutionnelles ou avec les structures dédiées compétentes (administrations, services sociaux, structures emploi-formation, associations, etc.).

Les enjeux actuels

La pérennisation des emplois est liée à la capacité des structures à garantir la qualité des prestations de services, c'est-à-dire garantir tout à la fois l’intervention dans le cadre prévu et la qualité du service rendu. Le développement de la qualité de service est un des enjeux majeurs de la maturation et du développement de ce secteur professionnel qui passe par la professionnalisation des personnes, des métiers et des structures.

C’est tout l’enjeu de l’élaboration de la norme volontaire de l’Association française de normalisation (AFNOR) « médiation sociale » élaborée en 2016 par l’ensemble des acteurs du secteur sous l’égide de l’État (Agence nationale de cohésion des territoires et du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation). Cette norme a définitivement été homologuée au mois de décembre 2021 sous la dénomination NF X60-600.

L’objectif de cette norme n’est pas « de rigidifier des pratiques qui ont fait la preuve de leur pertinence et dont l’intérêt réside le plus souvent dans leur inventivité, leur faculté d’adaptation et leur non-assujettissement à des normes institutionnelles. Il s’agit en fait de répondre à une demande largement exprimée d’élaborer une norme volontaire de la médiation sociale qui offre une série de points de repère aux intervenants pour guider leurs pratiques, à leurs employeurs, ainsi qu’aux pouvoirs publics »5.

À travers cette norme, les acteurs de la médiation sociale ont voulu montrer leur capacité à garantir une intervention de qualité du service rendu et à développer les compétences et l’expertise des médiateurs sociaux. Cette question de la qualité de l’intervention de médiation renvoie donc à celle de la professionnalisation de toute la chaîne des acteurs de la médiation : du médiateur social à l’équipe de direction.

Une reconnaissance pleine et entière du métier

La médiation sociale n’est pas une réponse à l’ensemble des situations de difficultés sociales ou de conflits. Il serait très présomptueux de penser et considérer que la médiation est, à elle seule, l’ultime solution au délitement. Néanmoins, parce qu’elle nécessite un processus d’adhésion, de liberté, elle peut réussir là où d’autres formes d’intervention ont échoué.

La médiation sociale libère la parole, permet de « reprendre langue », lève les incompréhensions, les peurs qui entravent et redonne à chacun sa capacité à agir par soi-même.

Au-delà même de cette liberté retrouvée, la médiation reconnaît la même équité entre les individus, puisque son cadre est fondé sur l’absence de pouvoir institutionnel. Elle permet à chacun de sortir grandi, en ayant bâti une solution équitable pour tous.

La médiation sociale porte donc en son sein les valeurs humanistes nées des Lumières : la tolérance, la liberté et l’égalité.

Elle favorise la prise de conscience par cette nouvelle approche de l’autre. Elle agit contre toute forme d’intolérance et de discrimination. Elle apporte des solutions pour améliorer l’avenir.

Il y a eu des avancées significatives, avec la publication en 2012 par Pôle emploi de la fiche « Médiation sociale et facilitation de la vie en société » du répertoire opérationnel des métiers de l’emploi, avec les formations qui se sont développées et qui aujourd’hui permettent d’améliorer le service rendu et la publication de la norme AFNOR « médiation sociale ». Il s’agit maintenant de favoriser son développement sur l’ensemble des territoires et sa reconnaissance par les différents utilisateurs et commanditaires.

C’est dans ce sens qu’une proposition de loi a été déposée en novembre 2021 par plusieurs députés de la majorité parlementaire. Elle vise à insérer la médiation sociale dans le livre IV du Code de l’action sociale et des familles. De plus, le Premier ministre a confié à Patrick Vignal, député de la 9e circonscription de l’Hérault, une mission parlementaire visant à dresser un état des lieux des dispositifs de la médiation sociale sur le territoire et à formuler des propositions d’amélioration de l’existant en matière d’organisation, de formation, de financement et de coordination avec les autres acteurs.

C’est dans ce nouveau cadre que la médiation sociale pourra répondre aux enjeux auxquels la société doit faire face. Ce qui est en jeu constitue un vrai projet de société, celui d’une société plus inclusive.

Notes

1 Delmas, Fabien, Guillaneuf, Jorick. « En 2018, les inégalités de niveau de vie augmentent ». 2020. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4659174 Return to text

2 Un groupe de travail interministériel sous la présidence d’Yvon Robert va asseoir ses premiers principes. Return to text

3 L’association est susceptible d’assurer une meilleure garantie des conditions d’impartialité, d’indépendance et de neutralité exigées par la médiation. Return to text

4 Réseau de quarante points information médiation multi-services (PIMMS) fondés par EDF, GDF, La Poste, Keolis et Veolia en 1995 et les maisons de services aux publics (MSAP). Return to text

5 Introduction de la norme métier AFNOR « médiation sociale » XP X60-600. Return to text

References

Electronic reference

Laurent Giraud, « La médiation sociale : un métier en attente de sa reconnaissance officielle », Diversité [Online], Hors-série 17 | 2023, Online since 16 février 2023, connection on 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/diversite/index.php?id=3628

Author

Laurent Giraud

Directeur de France Médiation, membre du Conseil national des villes et du Haut conseil du travail social (HCTS).

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