Agut-Labordère D. et Redon B. (éd.), Les vaisseaux du désert et des steppes : les camélidés dans l’Antiquité

Référence(s) :

Damien Agut-Labordère et Bérangère Redon (éd.), Les vaisseaux du désert et des steppes : les camélidés dans l’Antiquité (Camelus dromedarius et Camelus bactrianus), Lyon, MOM Éditions, 2020, 292 p., EAN (édition imprimée) : 978-2-3566-8067-9, EAN électronique : 978-2-3566-8176-8, DOI : 10.4000/books.momeditions.8457

Texte

L’ouvrage Les vaisseaux du désert et des steppes1 est le fruit de deux rencontres entre des historiens, des archéologues et des archéozoologues réunis autour d’une réflexion sur la place et les rôles des camélidés dans les sociétés anciennes des territoires désertiques et steppiques du Proche-Orient et de l’Asie centrale. L’objectif de D. Agut‑Labordère et de B. Redon, les organisateurs de ces échanges, était d’encourager un dialogue entre les spécialistes de différentes disciplines. Cette volonté a émané du constat que ces ruminants, à une ou deux bosses, sont à la fois attestés sur des sites archéologiques par la présence d’ossements, mentionnés dans les textes et représentés dans l’iconographie des peuples concernés. Le résultat est un recueil interdisciplinaire de seize articles richement illustrés, rédigés en français ou en anglais, où les discussions s’appuient sur une documentation éclectique composée de données archéozoologiques (trois contributions), papyrologiques (trois contributions), textuelles (trois contributions), épigraphiques (deux contributions) et iconographiques (une contribution). Deux articles utilisent l’ensemble des sources archéologiques et textuelles disponibles de deux régions : l’Asie centrale et le Proche-Orient. Enfin, deux contributions concernent l’élevage des chameaux de Bactriane à l’époque contemporaine.

Après une introduction générale exposant les enjeux de cette publication et une présentation synthétique des contributions, les articles concernant les chameaux (Camelus bactrianus) ouvrent le volume, suivis de ceux sur les dromadaires (Camelus dromedarius), selon une organisation chronologique allant du IVe millénaire av. J.‑C. aux premiers siècles de notre ère. Les contributions peuvent être regroupées en cinq ensembles sans que des catégories aient été définies au préalable par les directeurs de la publication.

Le premier ensemble compte quatre articles sur le chameau de Bactriane. Le bilan des connaissances archéozoologiques de R. Berthon, M. Mashkour, P. Burger et C. Çakirlar présente un état de la recherche en Asie centrale pour le IVe millénaire av. J.-C. Ils mettent en lumière la faible quantité d’ossements de chameau trouvés sur les sites archéologiques de la région limitant les recherches sur l’aire géographique exacte de sa domestication et l’étendue de sa diffusion. H.‑P. Francfort synthétise la documentation archéologique, datée entre les IIIe et IIe millénaires av. J.‑C., sur les chameaux en Asie centrale. L’auteur analyse leur place importante pour les populations eurasiatiques. C. Redard revient sur la nomination du chameau dans les langues iraniennes anciennes tandis que B. Lafont attire l’attention du lecteur sur la mention du chameau dans les sources textuelles du IIIe millénaire av. J.‑C., attestant sa présence « inattendue » à Sumer dans le sud de l’Irak. Les deux premiers articles proposent des synthèses alors que les deux autres abordent des points plus précis d’analyses lexicales et historiques.

Le second ensemble débute par une présentation de la documentation épigraphique et iconographique disponible sur le dromadaire au Ier millénaire au Proche-Orient par L. Cousin qui détaille les usages du camélidé à partir des sources néo-assyriennes, babyloniennes et achéménides. Elle est suivie par le travail de M. Heide sur la mention de l’animal dans la bible hébraïque au IIe millénaire av. J.‑C. L’étude archéozoologique d’A. Prust et A. Hausleiter du site de l’oasis de Tayma, situé sur une route caravanière en Arabie, présente une analyse diachronique entre l’Âge du Bronze et la période islamique. La faible quantité d’ossements de dromadaire identifiés sur le site s’explique par le fait que ces animaux sont peu consommés par rapport aux caprinés et aux bovins ; leurs os ne se trouvent donc pas, ou peu, dans les dépotoirs alimentaires urbains.

L’ouvrage se poursuit avec les articles sur l’Égypte du Ier millénaire av. J.‑C. regroupant les études papyrologiques des ostraca démotiques menées par D. Agut-Labordère sur l’oasis de Kharga dans le désert occidental et celles de M.‑P. Chaufray et H. Cuvigny du site Bi’r Samut dans le désert oriental. La première étude s’intéresse à l’utilisation des dromadaires pour le labour dans les territoires désertiques, la seconde analyse la gestion des caravanes dans le désert et la troisième décrit les conditions d’élevage des dromadaires sur la route qui relie Edfou à Bérénice. Ces recherches sur les sources textuelles sont complétées par la synthèse archéozoologique d’une dizaine de sites dans le désert oriental proposée par M. Leguilloux. Elle revient sur l’utilisation des camélidés et des équidés sur les sites d’exploitation minière, les fortins militaires et les cités portuaires de la zone entre le ive siècle av. et le ier siècle ap. J.‑C. Enfin, G. Galliano analyse les productions de terre cuite d’époque romaine trouvées à Coptos et représentant des dromadaires.

De l’autre côté de la mer Rouge, l’article de L. Nehmé présente les données épigraphiques et iconographiques sur les dromadaires chez les Nabatéens en présentant par thème leurs différents usages en contexte funéraire, religieux, domestique ou encore militaire. La partie archéologique de ce volume se conclut par une approche thématique complète de P.‑L. Gatier sur le chameau2 de transport dans le Proche-Orient entre l’époque hellénistique et la fin de l’époque romaine. Il synthétise les informations sur les coûts du transport à dos de dromadaire, le harnachement utilisé, les usages de « ces transporteurs polyvalents » ou encore leur commerce dans la région. Il exploite également les sources « pré-contemporaine » sur les populations nomades et semi-nomades de la région afin de combler les lacunes de la documentation archéologique.

L’ouvrage se termine par deux contributions ouvrant sur l’histoire contemporaine : celle de B. Faye, zootechnicien, sur les populations de chameaux dans le monde depuis 1917 et une étude anthropologique de C. Marchina sur l’élevage du camélidé à deux bosses en Mongolie actuelle. Ces deux articles permettent d’aborder des aspects techniques des pratiques d’élevage que les sources archéologiques ne permettent pas d’appréhender.

Ces rencontres avaient pour ambition de décloisonner des disciplines qui travaillent sur les camélidés et de proposer une réflexion anthropozoologique, ainsi que cela est clairement explicité dans l’introduction du volume. Cet ensemble de publications réunit une somme impressionnante d’informations très variées et constitue une synthèse majeure sur les recherches camélines. Par ailleurs, sur l’ensemble de l’ouvrage, six contributions proposent une analyse synthétique pour une région ou une période donnée. Tous les articles s’interrogent sur les liens qui unissent ces animaux aux populations humaines nomades ou sédentaires en milieux steppiques ou désertiques. Comment ces animaux, locaux ou venus de l’étranger, étaient-ils nommés, représentés et utilisés par les populations anciennes ? Les analyses des différents spécialistes soulignent des relations souvent similaires. Les deux espèces ont de grandes capacités physiques, décrites par plusieurs auteurs avec précision, qui répondent aux besoins des populations anciennes pour de nombreux usages dans les champs ou sur les axes commerciaux malgré des contraintes d’élevage ; la reproduction lente et la mortalité juvénile étant les deux difficultés majeures. Plusieurs contributions s’intéressent par ailleurs aux statuts des chameliers qui élèvent et conduisent les troupeaux dans les déserts et les steppes.

Le thème principal de ces rencontres portait sur les usages des camélidés pour le transport des biens et des personnes à plus ou moins longue distance, mais cet ouvrage dépasse largement ce seul cadre. Les témoignages de la consommation de la viande de dromadaire et de chameau y sont par exemple discutés par l’étude des ossements tandis que l’exploitation du lait, de la laine et du cuir est également analysée grâce aux informations collectées dans les sources textuelles. La diversité des articles et les approches synthétiques proposées intéresseront de nombreux lecteurs. En outre, les listes bibliographiques de chaque contribution sont particulièrement utiles pour approfondir des aspects variés des relations qu’entretenaient les populations humaines avec les camélidés du continent eurasiatique. L’initiative, que les auteurs espèrent inspirante pour la suite des recherches camélines antiques, est une réussite et devrait être encouragée pour d’autres sujets au carrefour de différentes disciplines.

Notes

1 Disponible en accès libre : https://books.openedition.org/momeditions/8457. Retour au texte

2 L’auteur justifie son choix d’utiliser le terme « chameau » pour désigner le camélidé à une bosse qui est nommé en français dromadaire. Retour au texte

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Référence électronique

Nicolas Morand, « Agut-Labordère D. et Redon B. (éd.), Les vaisseaux du désert et des steppes : les camélidés dans l’Antiquité », Frontière·s [En ligne], 2 | 2020, mis en ligne le 21 avril 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/frontiere-s/index.php?id=345

Auteur

Nicolas Morand

Docteur, Archéozoologie, Archéobotanique : Sociétés, Pratiques et Environnements (AASPE, UMR 7209), Muséum national d'Histoire naturelle, Sorbonne Université, CNRS

Droits d'auteur

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