Transformer les collèges communaux en lycées. La coproduction d’une action publique (1830-1880)

  • Transform community colleges into high schools. Co-production of a public action (1830-1880)

Texte

L’enseignement secondaire, bien que n’accueillant qu’une minorité des garçons d’une classe d’âge, est conçu au XIXe siècle comme le point central de la construction d’une instruction publique, ce qui fait des établissements secondaires publics un observatoire privilégié de la scolarisation et de l’action publique scolaire avant la IIIe République. Dans cette perspective, ma thèse étudie la transformation, entre 1830 et 1876, de 45 collèges gérés par les communes en lycées administrés par l’État. L’appréhension de ces conversions s’organise autour de trois axes de recherche principaux. En premier lieu, l’étude des rôles et des obligations de chacun des acteurs de l’enseignement secondaire met en évidence les motivations scolaires, mais également financières et urbaines des transformations. Les contenus des projets d’appropriation des collèges à leur fonction de lycée montrent, ensuite, la portée des exigences ministérielles et les ajustements au cours du siècle aux contraintes locales. L’étude des modalités pratiques de la transformation d’un collège communal en lycée représente un dernier axe de recherche. Le déroulement des travaux, les conditions nécessaires pour l’ouverture d’un lycée et les changements dans le personnel et dans les profils de fréquentation rendent compte des effets de transition entre les deux statuts ainsi que des ambitions conçues pour les nouveaux lycées.

Le premier objectif de mon travail a ainsi été d’observer les mécanismes qui ont abouti à un développement de l’enseignement secondaire au XIXe siècle. Au début du siècle, Napoléon définit un projet ambitieux de construction d’un réseau d’établissements secondaires publics, mais seule une minorité des établissements projetés est rapidement ouverte. Or, à la fin du siècle, le réseau des lycées s’est notablement agrandi, principalement par le biais de transformation de collèges en lycées, et il existe un maillage du territoire qui peut sembler cohérent. Par mon travail de thèse, j’ai souhaité comprendre si les 45 transformations de collèges communaux réalisées entre 1830 et 1880 correspondaient à une stratégie volontariste de l’État ou si elles témoignaient d’un processus plus diffus. Par ce biais, il s’agissait d’interroger ce qu’est l’action de l’État et de comprendre les processus qui font qu’à la fin du XIXe siècle, nous disposons d’un État administrateur de l’enseignement secondaire.

Pour mener à bien mes recherches, j’ai eu recours à des sources de différentes natures, pour appréhender un phénomène national tout en étudiant, parallèlement, 45 situations différentes. Dans cette optique, j’ai tout d’abord pris en compte les spécificités de chaque contexte de transformation par le biais d’un dépouillement par établissement, les archives publiques conservant des dossiers spécifiques à chaque collège ou lycée. En plus des documents produits par le ministère de l’Instruction publique, j’ai sélectionné trois académies - celles de Douai, Lyon et Rennes - pour y réaliser des dépouillements exhaustifs des fonds rectoraux, préfectoraux et municipaux. J’ai ensuite prêté attention à la forme des documents pour mettre en évidence les pratiques administratives liées aux transformations. L’analyse des rapports d’inspection, de leur construction, leur mise en série ainsi que la consultation des documents préparatoires m’ont incité à évaluer le poids respectif des différentes injonctions et motivations à la transformation. Les documents produits par le ministère de l’Instruction publique m’ont également permis de prendre en compte le cas des collèges ayant demandé leur transformation en lycée sans l’obtenir. Enfin, je souhaitais pouvoir proposer des éléments d’analyses sérielles, notamment sur les questions budgétaires et financières, pour proposer des indicateurs permettant de comprendre le contexte du choix de chaque établissement. J’ai mis à profit les enquêtes, le budget du ministère de l’Instruction publique et les archives de l’Assemblée.

J’ai placé le processus de transformation au cœur de mon analyse, ce choix permettant de replacer cet aspect de la politique scolaire dans le fonctionnement plus général de l’État. Le ministère de l’Instruction publique poursuit, par le biais des transformations, un objectif de maîtrise du territoire, notamment face aux établissements privés. Équipement prestigieux et rare au début du XIXe siècle, le lycée maille peu à peu l’ensemble du territoire, en partie selon une logique d’accessibilité. Pour conforter cette logique de développement du réseau des lycées, le ministère bénéficie du soutien de la plupart des municipalités des villes moyennes, ce qui s’explique prioritairement par des considérations de positionnement urbain et de projet de développement économique. L’action de l’État suppose donc une articulation du travail et des moyens entre administration centrale et locale et cette articulation est définie par des rapports de force. L’analyse des conditions de réalisation des transformations montre que les choix faits en ce qui concerne les bâtiments des futurs lycées dessinent des édifices destinés à survivre aux événements du siècle. En ce sens, malgré la participation nécessaire des administrations municipales, les autorités scolaires demeurent en position de force pour définir les orientations principales. Les ajustements rendus nécessaires par les mises en pratique des transformations introduisent une forme d’hétérogénéité dans le réseau des lycées, sans pour autant que ne soit remis en question le modèle qui les produit. En prêtant attention aux conditions de développement des collèges communaux et des nouveaux lycées, j’ai également étudié les définitions mêmes des catégories d’établissement. Si les termes de lycée et de collège communal renvoient à des réalités administratives différentes au début du XIXe siècle, leur cohérence s’émousse au cours de la période étudiée, l’adjonction de collèges transformés au réseau des lycées introduisant des éléments de différenciation entre établissements. En atteste la création d’un lycée d’enseignement secondaire spécial à Mont-de-Marsan, mais également les orientations plus scientifiques prises par des lycées comme ceux de Brest, de Lorient ou de Toulon. Cependant, des questions demeurent communes aux nouveaux lycées et aux collèges communaux. Ce peut être notamment la question de l’adéquation entre les cours proposés et les objectifs assignés à l’enseignement secondaire par les familles qui les fréquentent. L’accroissement du nombre de lycée contraint leurs administrateurs à définir les publics ciblés ainsi qu’à choisir parmi les différentes orientations progressivement ouvertes. Ce processus de différenciation est également un processus de hiérarchisation entre établissements, qui est fonction de facteurs multiples et qui perdure sur le temps long. Anciens collèges, les établissements transformés ne sont pas pensés comme de futurs grands lycées mais permettent à l’État de consolider son offre d’enseignement.

Thèse d’histoire contemporaine, soutenue le 25 novembre 2016 à l’École Normale Supérieure de Lyon

Jury : M. François Buton (CEPEL), M. Jean-François Condette (Université d’Artois), M. Pierre Karila-Cohen (Université Rennes 2), Mme Rebecca Rogers (Université Paris Descartes), M. Philippe Savoie (ENS de Lyon, directeur), Mme Marianne Thivend (Université Lyon 2).

Accéder en ligne : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01446974

Citer cet article

Référence électronique

Solenn Huitric, « Transformer les collèges communaux en lycées. La coproduction d’une action publique (1830-1880) », Les Carnets du LARHRA [En ligne], 2016 | 1 | 2018, mis en ligne le 16 juillet 2018, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/larhra/index.php?id=174

Auteur

Solenn Huitric

Université de Lausanne, LARHRA, UMR 5190

solenn.huitric@ens-lyon.fr

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