Jean-Jules-Henri Geoffroy, En classe, le travail des petits, Huile sur toile, 1889, Paris, Ministère de l’Éducation
Photographie Valentine Pedoussat, Wikimedia Commons, CC BY-NC-SA
La place occupée par l’histoire de l’éducation au Larhra constitue une bonne illustration de la plasticité des périmètres de recherche au sein d’un laboratoire et de leur reconfiguration permanente. En effet, si depuis l’origine on y a compté plusieurs chercheurs et chercheuses dont les travaux relevaient de près ou de loin de ce champ, l’histoire de l’éducation n’a correspondu à un axe particulier du laboratoire qu’entre 2012 et 2018, avant de s’intégrer dans le domaine plus large de l’histoire des savoirs.
L’histoire de l’éducation a d’abord été incarnée individuellement au Larhra par différents chercheurs. On peut citer, aux commencements, Serge Chassagne (ancien directeur du Musée national de l’éducation – MUNAÉ, à Rouen) et surtout de jeunes enseignants-chercheurs qui avaient consacré leur thèse à l’éducation : Marianne Thivend (L’école et la ville. Lyon, 1870-1914, 1997), Frédéric Abécassis (L'enseignement étranger en Égypte et les élites locales (1920-1960), 2000), ou Pascale Barthélémy (Africaines et diplômées en Afrique occidentale française. Une élite auxiliaire à l’époque coloniale (1918-1957), 2004). On soulignera que leurs recherches portent alors sur des espaces peu couverts par les historiens français, et qu’elles croisent d’emblée – ou très rapidement – la question du genre, ou bien l’étude des enseignements professionnels, qui émergent seulement en France en ce début de années 2000.
L’intégration des activités et d’une fraction du personnel du Service d’histoire de l’éducation (She) au sein du Larhra, en 2012, a été pour partie motivée par des raisons purement institutionnelles, avec l’absorption par l’École normale supérieure de Lyon de l’Institut national de la recherche pédagogique, dont dépendait le She. Mais cette intégration répondait également à une logique scientifique, puisqu’une équipe cohérente d’historiens spécialistes de l’éducation rejoignait alors le Larhra. Loin des terrains africains évoqués plus haut, cette équipe s’inscrivait dans la continuité d’une veine historiographique épanouie depuis les années 1960, autour de l’histoire de l’enfance et de l’éducation. Plus que sur l’héritage controversé de Philippe Ariès, son travail s’appuyait sur une histoire institutionnelle et culturelle de l’école, revisitée à la lumière de l’histoire sociale et quantitative telle que la pratiquèrent François de Dainville ou Dominique Julia.
Avec sept chercheurs ou ingénieurs supplémentaires rattachés au Larhra, le centre de gravité des travaux en histoire de l’éducation se déplace alors, au profit de la France et d’une large période courant du XVIe au XIXe siècle. Leurs recherches portent sur l’apprentissage de la lecture (Anne-Marie Chartier) et sur l’enseignement secondaire, technique ou supérieur français (Gérard Bodé, Boris Noguès, Emmanuelle Picard et Philippe Savoie). Si l’on peut donc mettre ici en avant les complémentarités créées, qui conduisent à mieux couvrir des domaines de recherche différents, l’opération se justifie aussi par la convergence d’une histoire numérique largement pratiquée des deux côtés. Le Larhra a ainsi accueilli les bases de données et les diverses ressources en ligne réalisées au fil des décennies au SHE, depuis 1977, et notamment la bibliographie d’histoire de l’éducation française dressée par Vincent Alamercery (ressources consultables à l’adresse http://rhe.ish-lyon.cnrs.fr/). Au-delà du jeu autour des complémentarités ou du renforcement des points forts partagés, l’intégration de plusieurs historiens et historiennes spécialisés dans ce domaine a facilité le croisement de l’histoire de l’éducation avec d’autres axes du Larhra, comme la ville, la religion ou le genre, mais a également permis d’instituer un lien organique entre le Larhra et le laboratoire de l’éducation (UMS LLE, créé en 2016), ou encore d’orienter vers la revue Histoire de l’éducation une partie de la production de ses chercheurs.
L'insertion en 2018 de l'histoire de l'éducation au sein de l'axe « Savoirs : acteurs, dynamiques, espaces » nouvellement créé a répondu à un double objectif d’ouverture scientifique et, d’autre part, d’intégration de chercheurs et chercheuses qui travaillaient sur des objets proches ou connexes mais qu’il eût été impossible de ranger sous une bannière proprement éducative. Elle a ainsi permis d’intégrer des problématiques plus générales de production et de circulation des savoirs, qui englobent elles-mêmes le champ dynamique de l’histoire des sciences. Loin de correspondre à une dilution de l’éducation dans l’histoire des sciences, ce changement se justifie pleinement par le rôle actif joué par la transmission dans l’évolution de ces dernières.
À l’intérieur de ce nouvel ensemble, l’histoire de l’éducation s’affirme au Larhra comme une histoire résolument sociale, au sens où elle entend faire toute sa place au contexte particulier de production et de réception de cette éducation ainsi qu’à ses différents acteurs et actrices. Sans chercher à segmenter outre mesure la société ni à en couvrir tout le spectre, il s’agit ainsi d’étudier la formation en tenant compte de la manière dont ces acteurs l’ont eux-mêmes envisagée en leur temps, qu’il s’agisse de celle des princes dans un cadre curial (Sylvène Édouard), de celle des élites qui fréquentent les collèges ou les universités (B. Noguès), ou encore de la formation professionnelle qui entendait s’adresser aux catégories plus populaires ou aux femmes (M. Thivend). Si une telle approche introduit une rupture avec l’entrée institutionnelle autrefois pratiquée, l’étude des dispositifs pédagogiques mobilisés continue à inclure des échelles et des objets de nature très différente, depuis la reconstitution de la géographie scolaire ancienne – répertoire des collèges d’humanités d’Ancien Régime ou du XIXe siècle, des établissements techniques – jusqu’à l’étude des supports pédagogiques mis entre les mains des élèves, comme les cahiers de cours, d’exercices, les manuels scolaires (A-M. Chartier, S. Édouard, Étienne Bourdon). Tout en récusant une histoire positiviste des idées et des découvertes, cette histoire de l’éducation entend enfin renouer avec une histoire des contenus enseignés (savoirs médicaux, géographiques, urbains, traités de police, qui croisent aujourd’hui les centres d’intérêt d’Elisa Andretta, Axelle Chassagnette, Clarisse Coulomb, Étienne Bourdon ou Igor Moullier), puisque tel était le but de la manœuvre d’intégration au vaste ensemble des savoirs opérée en 2018.