Du « ramas de diverses poësies » au « recueil des plus belles pièces ». Dynamiques de compilation, dynamiques de canonisation dans les recueils collectifs de poésies au xviie siècle

DOI : 10.35562/pfl.229

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Texte

Au début du xviie siècle, les compositions poétiques nouvelles ne se publient pas en recueil d’auteur, mais en recueil collectif. Après les guerres de Religion, période peu propice à la création littéraire, le genre éditorial du recueil constitue pour les libraires une valeur sûre. Aux poètes, il offre la possibilité de se faire connaître1. Ces compilations poétiques, dont le volume peut s’élever jusqu’à 1 000 pages, vont s’imposer jusqu’en 1630 comme le mode de publication majeur de pièces poétiques inédites, pour connaître un deuxième essor dans les années 1650 et 1660.

Ce sont (majoritairement) des pièces inédites d’auteurs encore en vie qui alimentent le répertoire des compilations. Véritables revues littéraires2, elles reflètent l’actualité poétique du temps. Dans la mesure où le répertoire ne se renouvelle toutefois jamais entièrement d’une publication à l’autre, le recueil invite le lecteur à lire et à relire certains morceaux et constitue, partant, une source précieuse pour faire une histoire du goût poétique dominant de son époque.

Comme l’ont montré les travaux d’Emmanuelle Mortgat-Longuet3, au cours des xvie et xviie siècles se développe progressivement une pensée diachronique de la littérature française. Dans ces premiers écrits d’histoire littéraire (parfois publiés, eux aussi, sous forme de recueils), les rédacteurs proposent un échantillon de morceaux à lire, à relire, à redécouvrir.

S’instaure alors une tension entre l’actualité poétique reflétée par les publications contemporaines et le regard rétrospectif du « siècle de Louis le Grand », friand de chefs-d’œuvre et de modèles nationaux. Quel est donc le rôle qui revient au recueil collectif d’abord dans la diffusion, puis dans la transmission de l’actualité poétique sur le court et le moyen terme ? La revue littéraire peut-elle se transformer en répertoire de modèles poétiques ?

Dans cette perspective, nous nous intéresserons d’abord aux recueils dans leur ensemble avant d’interroger le rôle du nom d’auteur – qui n’est d’ailleurs pas toujours indiqué –, puis celui de certaines pièces, dont les plus connues du début du siècle.

Où trouver les meilleurs morceaux ?

Ces recueils qui ont fait l’actualité…

À l’aube du xviie siècle, constate Jean Vignes, le recueil collectif de poésies est à même de concurrencer le recueil d’auteur4 qui était le mode dominant de la publication poétique au xvie siècle. Mais ce contexte éditorial n’est pas réservé au premier xviie siècle. Jusqu’à la fin du siècle, voire au-delà, les compilations constituent une part importante du marché éditorial de la poésie.

Les pages de titre d’ouvrages comme les Fleurs des plus excellents poëtes de ce temps (Bonfons, 1599), le Parnasse des plus excellens poëtes de ce temps (Mathieu Guillemot, 1607) ou le Nouveau recueil des plus beaux vers de ce temps (Toussaint Du Bray, 1609) proclament l’excellence des auteurs ou des morceaux réunis. Or, comme pour tout produit commercial il y a certaines publications qui retiennent tout particulièrement l’attention des lecteurs. Aussi est-il nécessaire, s’il s’agit de faire l’histoire du goût poétique ou, du moins, du goût poétique dominant, de trouver d’abord ces recueils qui « ont fait l’actualité », qui ont marqué les lecteurs de leur temps pour les confronter, ensuite, à ceux qui, au moment où se multiplient les histoires de la poésie française, vers la fin xviie siècle, ont été perçus comme étant les plus représentatifs de leur époque.

Les compilations poétiques se constituent fréquemment en séries et reprennent (au moins partiellement) le même titre d’un volume à l’autre. Aussi trouvons-nous au début du siècle plusieurs volumes sous le titre Les Muses ralliées (M. Guillemot, 1599-1607) ou Les Délices de la poésie françoise ou (nouveau) recueil des plus beaux vers de ce temps (Du Bray, 1609-1620). Devenant ainsi des « enseignes de papier5 », ces titres sont cités dans certains textes contemporains qui en font la critique. En 1659, la précieuse ridicule Magdelon veut par exemple inviter dans son salon provincial « tous ces Messieurs du Recueil des Pièces Choisies6 », faisant ainsi état de la notoriété des Poësies choisies de Messieurs Corneille… qui paraissent dans ces mêmes années chez le libraire Charles de Sercy (1653-1660, 5 vol.). Une quinzaine d’années plus tard, Sorel érige ce recueil en modèle dans sa Bibliothèque françoise :

Quelques autres encore méritent qu’on parle d’eux pour la beauté et la diversité de leurs Ouvrages. Que ne dirons-nous point de M. de Benserade, qui durant plusieurs années a fait des Vers si convenables et si justes pour toutes les occurrences de la Cour, et qui en fait de si galants et de si naturels pour ses propres aventures ? […]. Voyons après les six ou sept Volumes des Poésies choisies, qui sont des Ouvrages d’Auteurs que je n’ai pas tous nommés, lesquels sont fort estimables. On n’a qu’à consulter ces Livres-là pour voir qui sont ceux qui font bien des Vers aujourd’hui ; On trouvera qu’il y a des Dames en ce rang qui surpassent beaucoup d’hommes dans ce genre d’écrire7.

Certains recueils, on le voit, sont réputés pour contenir les pièces de « ceux qui font bien des Vers », pour reprendre la formule de Sorel. Les textes réunis se distinguent par leur excellence.

Des livres dans lesquels il fait bon citer

Le titre des Poësies choisies de Sercy revient dans les Sentimens d’amour tirez des meilleurs poetes modernes de Corbinelli (Barbin, 1665, 2 vol.). Dans ce recueil de lieux du discours amoureux, la source des fragments est indiquée par un nom d’auteur ou par la mention « Poësies choisies » ; le titre de la compilation remplace littéralement le nom de l’auteur :

Fig. 1. Extrait de la table du t. I des Sentimens d'amour. BM Lyon, 345543.

Fig. 1. Extrait de la table du t. I des Sentimens d'amour. BM Lyon, 345543.

Quelque trente ans plus tôt, c’est surtout la série de recueils publiés chez Toussaint Du Bray (1609-1630) qu’on allègue comme prêt-à-citer de qualité, comme l’atteste l’exemple de Jean-Pierre Camus. Évêque de Belley, Camus est l’auteur de nombre de fictions narratives dévotes, dans lesquelles il insère, comme le font ses contemporains, des poésies. Mais se trouvant lui-même peu de talent pour l’écriture poétique, il préfère se servir des poèmes des autres, qu’il puise, comme il l’indique dans plusieurs textes liminaires, notamment dans le recueil de Du Bray. On lit ainsi dans « L’instruction au Lecteur de Parthenice » (1621) :

Et quant aux Poësies, j’ay ce mot à te dire, mon Lecteur, qu’elles se peuvent distinguer en quatre classes ; il y en a d’empruntees de ces beaux esprits de ce siecle, dont le Recueil est assez commun, celles-là sans doute sont les meilleures, bien que rares et peu frequentes : il y a des traductions des anciens Poëtes de nostre façon, où le sentiment est fort, mais l’expression, comme nostre, miserable ; il y a des imitations, où pour corriger le sens qui estoit prophane, nous avons esté contraincts d’alterer les paroles ; il y en a de nostre Genie, et sont les pires, car que peut produire que de trouble et d’imparfaict une veine, non seulement inculte, mais negligee, mais mesprisee8.

Étant donné que Camus paraphrase le titre et le péritexte des Delices de la poësie françoise ou recueil des plus beaux vers de ce temps9, la référence à ce recueil précis est nette. Elle est évidente dans l’« Éloge des histoires dévotes » qui clôt l’Agathonphile (Paris, Chappelet, 1623), dans lequel l’auteur revient à nouveau sur la provenance des pièces poétiques insérées :

Il y a plusieurs autres grandes pieces de Poësies esparses çà et là, selon les occurrences de l’Histoire qu’il m’a esté aysé d’emprunter de cette corne d’abondance le Recueil des plus beaux vers de ce temps, où certes j’ay veu les plus belles fleurs qu’oncques mon œil ait apperceuës en aucun parterre. Un Cardinal, et un Evesque estalent les leurs tout à l’entrée, et y paroissent comme deux grands astres en une claire nuict, sans pourtant offencer la splendeur des autres estoilles. […] Ce que j’en puis dire, c’est qu’il y a des pieces tout à faict ravissantes, et telles que si les Muses vouloient parler, aussi bien comme je l’ay faict, elles emprunteroient leurs paroles10.

L’évêque de Belley va ici jusqu’à citer le titre de la compilation, et souligne de nouveau l’excellence des textes réunis. Dans l’« Avertissement au lecteur » de l’Iphigène (1626), deux ans plus tard, il va de plus préciser que le recueil en question est « entre les mains de tout le monde11 », faisant état de la notoriété qui est la sienne dans les années 1620. Nulle surprise dès lors si c’est justement cet ouvrage-là qui est encore perçu plus tard dans le siècle comme le plus prestigieux de son époque, comme le confirme par exemple Sorel dans La Bibliothèque françoise :

[Malherbe] fit peu de Vers, mais fort polis, et de son temps il y eut beaucoup de Poètes, comme s’ils se fussent instruits à son exemple. Il y eut Messieurs De Racan, Des Yveteaux, Lingendes, Monfuron, Motin, Méziriac, Maynard, et d’autres dont quelques Œuvres sont dans les Recueils de Poésie de Divers Titres. le principal est les Délices de la Poésie française, dont il y a trois différents Volumes, l’un recueilli par le sieur du Rosset, l’autre par Jean Baudouin, et le dernier par M. de l’Estoile12.

Aussi ces textes du xviie siècle nous permettent-ils d’identifier des compilations qui ont été perçues comme des modèles. Certaines d’entre elles sont de fait reconnues, et même sur le moyen terme, comme des anthologies d’excellence : la sélection de textes proposée correspond à ce qui s’est produit de meilleur à leur époque.

Le choix des auteurs : lire le recueil collectif comme un ensemble de monographies ?

Les « plus beaux esprits de notre temps »

De nombreuses compilations vantent sur leur page de titre le caractère exceptionnel des textes rassemblés : elles contiennent les « plus beaux vers », composés par les « plus excellents poëtes ». Une telle présentation, hyperbolique, surprend peu, l’appareil liminaire étant un lieu publicitaire. Dans ce contexte, la citation de certains noms de poètes constitue un renseignement précieux : pour qu’ils puissent attirer l’attention du lecteur, les poètes en question ont dû jouir d’une notoriété certaine. L’évolution des titres des recueils parus à l’aube du xviie siècle fait ainsi progressivement ressortir les « stars » de la scène poétique du moment :

  • Rouen, Du Petit Val, 1597 : Recueil de diverses poesies tant du feu sieur de Sponde, que des sieurs Du Perron, de Bertaut, de Porcheres, & autres non encore imprimees.
  • Paris, Bonfons, 1598 : Recueil de plusieurs diverses poésies tant de M. du Perron, que des Sieurs de Bertaut, de Porcheres, & autres.
  • Paris, Du Bray, 1609 (privilège) : « il est permis à Toussaincts du Bray d’imprimer ou faire imprimer les vers & œuvres Poëtiques, tant des sieurs du Perron, Bertaut, que d’autres qu’il pourra recouvrer »

La préséance des auteurs nommés sur la page de titre est confirmée par l’organisation des recueils : tant les recueils de Du Bray que ceux des Bonfons (1598-1601) ou encore l’Academie des modernes poëtes françois de Du Brueil (1599) regroupent les poésies, du moins partiellement, par auteur. Dans les trois cas, la première place revient toujours aux mêmes : Du Perron et Bertaut.

À l’issue des guerres de Religion, les recueils consacrent ainsi deux, puis trois auteurs : Bertaut, Du Perron et Malherbe (seul le premier est publié en volume de son vivant). Ce sont encore ces trois auteurs – les seuls vivants au moment de la parution en 1610 – que cite Pierre de Deimier dans L’Académie de l’art poëtique. À propos de la rime en -ous/-oups, illustrée d’abord avec plusieurs exemples tirés des œuvres de Ronsard, le poéticien ajoute :

Mais pour le contentement des esprits qui se delectent ordinairement de nouveauté : j’avanceray encore quelques exemples des Poëtes d’aujourd’huy qui se sont servis de ceste sorte de rime. Ainsi l’on voit la rime qui est en (oups et ous) dans un couplet des Stances que Monsieur de Malherbe a faictes sur les larmes de sainct Pierre, à l’imitation du Tansille […]13.

La citation d’une strophe des « Larmes » est suivie de références à des vers de Du Perron et de Bertaut. Quand il aborde la construction du verbe aller suivi d’un participe présent pour décrire une action en cours, il va même jusqu'à noter que « [t]ous les Poëtes du passé ont usé de ceste phrase : comme aussi elle est pratiquee aujourd’huy : ce qui se peut voir aisement aux vers des plus beaux ouvrages de ce temps14 », pour citer à nouveau des vers de Du Perron, Bertaut et Malherbe.

Comme nous l’avons vu ci-dessus, ces poètes constituent la principale source des insertions poétiques de Camus15. Aussi sont-ce ces trois qui ressortent comme les véritables figures de proue des recueils collectifs poétiques. Quoique leurs œuvres ne soient accessibles qu’en compilation, ils deviennent des modèles poétiques, leur évocation dans L’Académie de l’art poétique de Deimier le prouve, du moins jusque dans les années 1620. Partant, leur consécration ne se fait pas, comme le note Camus, par des recueils d’auteur, mais bien par la réunion de leurs pièces dans des recueils collectifs.

La donne change quelque peu avec la parution du Recueil des plus beaux vers de Messieurs de Malherbe, Racan… Parue en 1626 et rééditée en 1630, cette dernière compilation de Du Bray écarte Du Perron et Bertaut. En affichant dès la page de titre une liste d’auteurs, le libraire de la rue Saint-Jacques va consacrer par la publication tout un groupe de poètes, le recueil se cristallisant autour de « Monsieur de Malherbe, et de ceux qu’il avouë pour ses écoliers16 ».

Premiers regards rétrospectifs

À partir du règne personnel de Louis XIV, des ouvrages proposant un regard diachronique sur l’histoire littéraire nationale se multiplient17. Fréquemment, ces textes proposent des listes d’auteurs remarquables du passé. Par exemple, dans le « Songe d’Hésiode », inséré dans Clélie, Hésiode énonce cette recommandation :

Ensuite considère un homme de grande dignité en France, il se nommera Du Perron, il apprendra toutes les sciences de lui-même, […] et sera fort considéré. Il aura une grande amour pour la poésie, […] mais ayant tant de choses différentes qui l’occuperont, il n’en fera pas un grand nombre.

Considère un excellent poète, qui vivra du même temps, il se nommera Bertaut, […] ses vers seront pleins d’esprit, et pleins d’amour, et il y en aura de si beaux dans ses ouvrages, qu’en tous temps il n’y aura point de poète français si célèbre […]18.

Plus loin, le personnage poursuit :

Après cela, redouble ton attention, et regarde avec plaisir un homme qui aura l’avantage d’avoir changé la langue de son pays, et de telle sorte perfectionné la poésie française, qu’il sera le modèle des plus parfaits qui le suivront, et qu’il servira d’autorité à tous les poètes de sa nation. Il se nommera Malherbe […].

Regarde ensuite Montfuron et de Lingendes, deux poètes qui auront du mérite ; le premier aura un tour galant dans ses pensées, et dans ses expressions, et le second un air amoureux et passionné dans ses vers, qui plaira à tous ceux qui auront le cœur tendre19.

De ces cinq auteurs, seuls Bertaut20 et Montfuron21 ont publié des recueils poétiques de leur vivant. Les œuvres de Malherbe ont été réunies deux ans après sa mort, comme celles de Du Perron22. Les pièces poétiques de Lingendes ne paraissent, elles, qu’au début du xxe siècle23. Pour ce dernier au moins, donc, les lecteurs de l’époque n’ont accès à son œuvre que par des éditions collectives.

Dans La Bibliothèque françoise, Sorel retient les mêmes noms : il nomme d’abord Du Perron et Bertaut, puis Malherbe, ainsi que ceux qui semblent s’être « instruits à son exemple » comme « Messieurs De Racan, Des Yveteaux, Lingendes, Monfuron, Motin, Méziriac, Maynard ». Le lecteur trouvera leurs œuvres « dans les Recueils de Poésie de Divers Titres24 », Sorel soulignant une fois de plus le rôle des compilations poétiques dans la consécration des poètes. La liste des auteurs qu’il propose présente de plus des points communs frappants avec la page de titre du Recueil des plus beaux vers de Messieurs de Malherbe, Racan… de 1630 :

Fig. 2. Frontispice du Recueil des plus beaux vers de Messieurs Malherbe. Racan… de 1630. BnF, YE 11455.

Fig. 2. Frontispice du Recueil des plus beaux vers de Messieurs Malherbe. Racan… de 1630. BnF, YE 11455.

Publié vingt-cinq ans après La Bibliothèque françoise, le Recueil des plus belles pièces des poëtes françois, qui se propose, quant à lui, de « donner une Histoire de la Poësie Françoise25 », présente la même sélection d’auteurs. Le second volume de cette publication, connue aussi sous le nom de « recueil Barbin », réunit notamment Bertaut, Du Perron, Malherbe, Racan et Maynard. Les poésies de Lingendes, de Boisrobert ou encore de Motin se trouvent, parmi d’autres, dans le troisième volume.

Les divers ouvrages qui posent un premier regard rétrospectif sur la création poétique française du début du siècle citent donc systématiquement les mêmes poètes. Or, si les poésies des « stars » du premier xviie siècle Bertaut et Du Perron constituent les ensembles les plus importants dans les recueils poétiques jusqu’en 1620 et que leur préséance se confirme par la place qui leur est accordée – ils ouvrent les compilations –, leur rôle s’amenuise par la suite. En effet, dans les discours rétrospectifs, Du Perron et Bertaut perdent de l’importance, surtout par rapport à Malherbe. La comparaison du nombre de pièces par auteur entre le recueil Barbin de 1692 et les Délices de 1615 l’illustre de manière exemplaire :

 

Poètes         Délices, 1615           « Recueil Barbin », 1692
Du Perron                     26                      2
Bertaut                     48                     12
Malherbe                     33                     16

D’autres poètes, pourtant très prisés au début du siècle à en croire la place qu’ils tiennent dans les compilations, disparaissent même complètement26. La deuxième moitié du xviie siècle propose une forme de déplacement, déplacement qui, avec le temps, va aller en s’accentuant : si l’accès de certains poètes au canon a partie liée avec leur présence (massive) dans les compilations poétiques du début du xviie siècle, il s’avère que certains recueils ont joué un rôle plus important que d’autres. Force est ainsi de constater l’efficacité de l’entreprise de Toussaint Du Bray et tout particulièrement des « recueils malherbiens » de 1626 et 1630 : les auteurs qui sont présentés dans ses compilations comme les plus importants apparaissent encore comme tels à la fin du xviie siècle. Les discours rétrospectifs attestent que, pour la postérité, l’éditeur de la rue Saint-Jacques a durablement évincé ses prédécesseurs, pourtant importants. Et cette impression est appelée à durer : selon Frédéric Lachèvre, c’est seulement « avec Toussaint du Bray [que] les recueils collectifs prennent une réelle importance27 ». Plus récemment, l’étude de Béatrice Brottier consacrée à la poésie d’éloge publiée dans les recueils de ce libraire réitère encore ce constat28.

« Tubes » et figure de l’auteur

Les pièces les plus représentatives ou les « tubes » du premier xviie siècle

Le recueil collectif du premier xviie siècle compile l’actualité poétique. Le répertoire des publications ne se renouvelle cependant pas complètement d’une publication à l’autre : certaines pièces sont reprises pendant un certain temps, tandis que d’autres ne connaissent qu’une publication unique. L’impression d’un livre étant une entreprise onéreuse sous l’Ancien Régime, la réimpression réitérée d’un même texte est un signe de son succès. Il est possible, dès lors, d’identifier les morceaux les plus lus du premier xviisiècle, les « tubes » des années 1600 à 1630.

L’approche quantitative permet d’isoler une petite cinquantaine de textes ayant connu au moins huit publications (et jusqu’à 14 !)29. Parmi celles-ci, Du Perron, Bertaut et Malherbe tiennent, une fois de plus, la première place. Mais apparaissent aussi des noms d’auteurs et des pièces que les regards rétrospectifs vont entièrement gommer. Une des poésies les plus importantes du premier xviie siècle, car présente dans quasiment toutes les compilations poétiques parues entre 1597 et 1630 est par exemple la chanson amoureuse « Auprès des beaux yeux de Philis » de Callier30. Cette pièce, de même que le nom de Callier, ne trouvent en revanche plus aucune évocation dans les textes rétrospectifs de la fin du siècle.

Notable est aussi le destin de la Victoire de la constance de Malherbe. Tantôt présentée comme « stances », tantôt comme « chanson », cette pièce fait partie intégrante du répertoire des compilations du premier xviie siècle31. À cela s’ajoute la présentation élogieuse qu’en fait Deimier dans L’Académie de l’art poétique de 1610. Non seulement il cite le morceau deux fois, mais il le défend contre des critiques contemporaines :

Quelques uns ont voulu reprendre autrefois ce premier vers des Stances que Monsieur de Malherbe a faictes sur la victoire de la Constance.
          En fin ceste beauté ma la place renduë,
          Que d’un siege si long elle avoit deffenduë,
Car ils disoyent que c’estoit une rude rencontre des trois (a) de (ma la pla) Toutefois c’est le vray que ceste reprehension estoit hors de raison : Car ce terme est le commun langage de ceux qui parlent le mieux François. […] Parce que c’est le vray langage du peuple de dire ainsi, au Louvre. etc. à la place etc.. Et aussi, à la trace, et à la nage. Aussi, outre que l’ame de ceste phrase est le bon et ordinaire langage qui est usité de tous, les paroles n’y sont pas rudes, bien qu’une lettre sy rencontre plusieurs fois. Et davantage la voyelle (a) qui s’y treuve trois fois se garantit de la rudesse, à cause qu’elle est poussee par des consonantes differentes32.

En présentant la pièce de Malherbe comme un modèle, Deimier contribue à sa consécration. Consécration qui, toutefois, ne dépassera guère le seuil de 1630 : la pièce en elle-même ne sera pas incluse dans les recueils à tendance anthologique de la fin du siècle comme le Recueil de poësies diverses et chrestiennes (1671) ou le recueil Barbin. Elle ne sera pas non plus citée dans des traités de poésie ultérieurs33.

« Tube » et modèle poétique

Les citations tirées de l’Académie de l’art poétique montrent que certains auteurs sont considérés comme des modèles dès leur vivant. Dans cette entreprise normative, le choix des pièces citées en exemple est loin d’être anodin : de fait, Deimier cite majoritairement les pièces les plus connues de l’époque. Il se réfère ainsi plusieurs fois à L’Ombre de Daphnis de Du Perron (sept publications entre 1596 et 161034) ou à la chanson « Quand je revis ce que j’ai tant aimé » de Bertaut (neuf publications). De Malherbe, il se sert notamment de la Victoire de la constance (quatre publications) et des Larmes de saint Pierre (six publications en recueil et plusieurs impressions en plaquette).

La mise à contribution des morceaux de choix du public dans la constitution de modèles poétiques est encore plus frappante dans le cas de l’Introduction à la poësie (Du Bray, 1620). Le rédacteur anonyme semble non seulement puiser ses exemples poétiques contemporains dans les Delices de la poësie françoise, éditées chez le même libraire, mais il privilégie, de plus, les tubes. Se dessine ainsi, à l’instar de certains arts poétiques de la Renaissance, dont la publication s’accompagnait d’une anthologie, une complémentarité entre les publications35.

L’insertion des pièces dans le texte confirme elle aussi leur rayonnement : tandis que les pièces d’auteurs du xvie siècle (Saint-Gelais, Du Bellay, Belleau, Ronsard) sont systématiquement attribuées, le nom de l’auteur fait défaut pour les exemples tirés des recueils collectifs contemporains. Tout se passe en effet comme si ces pièces jouissaient, en 1620, d’une notoriété telle que l’évocation des noms des auteurs paraîtrait superfétatoire. À la fin du siècle, une bonne partie de ces auteurs est en revanche complètement oubliée.

Vers le « best of »

Quand Marie-Gabrielle Lallemand analyse la figure de Bertaut telle qu’elle ressort de l’histoire de la poésie que propose Madeleine de Scudéry dans ses Conversations nouvelles sur divers sujets (Barbin, 1684) et du recueil Barbin (1692), elle observe dans les deux cas une surreprésentation de la poésie amoureuse36. Bertaut, sans doute sous l’influence du public, féminin en grande partie, vit une métamorphose galante37. Les déplacements qui s’observent à propos de Jean de Lingendes ou de Pierre Motin témoignent eux aussi, et de manière peut-être encore plus marquante, de l’influence du contexte social et esthétique de la fin du siècle.

Le poète Jean de Lingendes (1580-1616), alors qu’il apparaît comme un poète important dans les recueils de Toussaint Du Bray38, n’est représenté dans le recueil Barbin39 qu’à travers une seule pièce, son Élégie pour Ovide. Les compositions (encomiastiques et amoureuses) qui caractérisent le poète dans les compilations de son temps sont ainsi écartées, pour ne retenir que le versant « ovidien » de son œuvre poétique40, pourtant beaucoup moins important. Ce choix est peut-être, en 1692, dicté par la volonté de mettre le poète au goût du jour, la deuxième moitié du xviie siècle voyant un renouveau d’intérêt pour Ovide, dont le destin est parfois assimilé à celui de Fouquet41.

La modernisation la plus frappante s’observe au sujet de Pierre Motin (1566-avant 1615). Dans la mesure où le recueil Barbin écarte « toutes les Pieces trop libres42 », il est peu surprenant que l’on n’y trouve aucune des pièces satyriques du poète, veine dans laquelle il s’est abondamment illustré. Or, on n’y trouve pas davantage de ses pièces encomiastiques ou religieuses, alors que celles-ci font partie intégrante du répertoire des recueils collectifs du début du siècle. En 1692 ne sont ainsi reproduites que trois pièces, toutes réunies dans la section « Motin » du Recueil des plus beaux vers de Messieurs Malherbe, Racan… de 163043.

L’élégie « Je cherche un lieu désert aux mortels incognu… » se distingue par son lyrisme et par le sujet amoureux, et correspond ainsi pleinement à la conception de la forme telle qu’elle se développe au cours du xviie siècle44. Alors que ce genre poétique est relativement rare au début du siècle45, il suscite l’engouement dans les années 1660 et au-delà, moment où il devient une forme de contrepoint sérieux au badinage galant46. L’élégie de Motin, que ce soit à travers le motif de la retraite amoureuse, la vision cauchemardesque du paysage ou encore l’imaginaire pastoral emprunté pour dire la passion amoureuse présente ainsi de nombreux points communs avec les élégies de La Fontaine ou celles de la comtesse de La Suze. Les stances « Leve bel arbre au Ciel la teste47… », composées de quatrains d’octosyllabes, relatent différentes scènes amoureuses qui se passent sous les rameaux de l’arbre auquel le poète s’adresse. De par son orientation narrative (vs discursive), cette pièce propose un déplacement du discours amoureux pétrarquisant canonique48. Partant, elle présente certains traits caractéristiques des compositions poétiques à la mode dans le dernier tiers du xviie siècle. Le troisième et dernier morceau de Motin retenu est Le Pertuis. Les douze sizains d’octosyllabes, initialement publiés à la fois dans des recueils satyriques et des recueils généraux49, se présentent comme un de ces jeux poétiques si chers aux assemblées galantes, vers irréguliers en moins. La pièce s’articule autour de l’équivoque sexuelle du « pertuis ». Or, dans la mesure où, pour utiliser les mots de La Fontaine, « tout y [est] voilé, mais de gaze ; et si bien / […] qu’on n’en perdra rien50 », la pièce n’est finalement guère plus obscène que ne le sont les Contes et nouvelles en vers ou certains dialogues de Molière51.

Le choix des vers isométriques dans les pièces, même légères, leur donne pour la fin du siècle sans doute une petite touche archaïque – les formes privilégiées pour le jeu poétique étant à ce moment-là les vers mêlés, voire le mélange de vers et prose. Il n’en demeure pas moins que les trois pièces publiées dans le recueil Barbin présentent ainsi le poète en authentique précurseur des poètes galants, dont le répertoire (sérieux et badin) se rapproche de celui de poètes contemporains comme La Fontaine ou Benserade52… Dans le cas de Motin, nous sommes alors bien loin de la représentation qui ressortait des compilations du début du siècle : l’imaginaire galant a complètement transformé le poète.

***

Quel rôle revient donc aux compilations poétiques du début du siècle dans la consécration de modèles et dans leur canonisation ?

Comme le montrent les évocations des diverses publications de T. Du Bray dans des textes d’époque, les recueils collectifs, et particulièrement ceux de la série des Délices, constituent une source notable à l’époque. Ils présentent ainsi un ensemble de pièces à lire, à re-lire, mais aussi à -utiliser dans d’autres contextes.

La place qui revient à ces publications collectives se voit toutefois réduite par le regard rétrospectif. Si certains recueils demeurent jusqu’au xviiisiècle des publications prisées pour la sélection de poésies qu’ils proposent, les histoires de la poésie du temps n’y puisent des textes que par défaut, c’est-à-dire quand le recueil d’auteur est manquant, ou lorsqu’il est difficile d’accès.

Il apparaît de plus que les compilations, pour une certaine période du moins, sont bien le lieu de la canonisation des auteurs. En effet, pour qu’un poète du temps de Henri IV puisse être retenu à la fin du siècle, il faut qu’il ait été publié, et de manière massive, dans les recueils collectifs du début du siècle en général, et plus particulièrement dans ceux de Toussaint Du Bray. Aussi est-ce, à la fin du xviie siècle, moins le choix des morceaux qui est représentatif d’un goût d’époque que celui des poètes.

Ces dynamiques s’observent enfin aussi pour les poètes du milieu du siècle recueillis dans les compilations. Si les théoriciens de la fin du xviie siècle citent en exemple aussi d’« illustres inconnus 53» comme Fourcroy, Patrix ou Lalane, c’est qu’ils font partie du répertoire des recueils collectifs, et tout particulièrement de celui des fameuses Poësies choisies.

Notes

1 Voir Mathilde Bombart et Guillaume Peureux, « Politiques des recueils collectifs dans le premier xviie siècle. Émergence et diffusion d’une norme linguistique et sociale », dans Irène Langlet (dir.), Le Recueil littéraire, Presses universitaires de Rennes, « Interférences », 2003, p. 239-256 ; Henri Lafay, La Poésie française du premier xviie siècle, Paris, Nizet, 1975, p. 129 ; Alain Viala, Naissance de l’écrivain, Paris, Éditions de Minuit, « Le Sens commun », 1985, p. 124-126.

2 Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société [1969], Genève, Droz, 1999, p. 283.

3 Voir notamment Clio au Parnasse. Naissance de l’ « histoire littéraire » française aux xvie et xviie siècles, Paris, Champion, 2006.

4 Voir Jean Vignes, « Les modes de diffusion du texte poétique », dans Jean-Eudes Girot (dir.), Le Poète et son œuvre, Genève, Droz, 2004, p. 185. Sur la relation de concurrence entre recueil d’auteur et recueil collectif au xviie siècle, voir aussi M. Speyer, Briller par la diversité. Les recueils collectifs de poésie au xviie siècle (1597-1671), Paris, Classiques Garnier, coll. « Lire le xviie siècle », série « Voix poétiques », à paraître.

5 Selon l’heureuse expression de Christophe Schuwey, « Aux enseignes de papier : les recueils comme plateformes de publication », dans Linda Gil et Ludivine Rey (dir.), Genèse des corpus littéraires à l’âge classique, Université Paris-Sorbonne, 2013, p. 33-39, http://www.cellf.paris-sorbonne.fr/sites/default/files/articles/actes_jejc-juin_2013.pdf.

6 Molière, Les Précieuses ridicules (1659), dans Œuvres complètes, éd. Claude Bourqui, Georges Forestier et al., Paris, Gallimard, « Pléiade », 2010, t. I, p. 16 (nous soulignons). Voir aussi p. 1221, n. 10. Alors que les auteurs de la note remarquent qu’il s’agirait d’un titre fictif, « évoqu[ant] plusieurs recueils de l’époque, comme le Recueil de pièces en prose les plus agréables de ce temps », l’allusion aux Poésies choisies nous semble évidente, ce recueil étant le seul des années 1650 à porter l’épithète « choisies » dans son titre.

7 Charles Sorel, La Bibliothèque française (1667), éd. Filippo d’Angelo, Mathilde Bombart, Laurence Giavarini, Claudine Nédelec, Dinah Ribard, Michèle Rosellini, Alain Viala, Paris, Champion, 2015, p. 266-267 (nous soulignons).

8 Jean-Pierre Camus, « Instruction au lecteur de Parthenice », dans Parthenice, ou peinture d’une invincible chasteté. Histoire Napolitaine, Paris, Claude Chappelet, 1621, p. 903.

9 L’expression « les beaux esprits » est récurrente dans les avis « Au lecteur » qui précèdent les volumes du recueil de T. Du Bray entre 1609 et 1620. Dans les recueils ultérieurs de cet éditeur (1626 et 1630), elle se trouvera même sur la page de titre.

10 J.-P. Camus, « Éloge des histoires dévotes », dans Agathonphile, ou les Martyrs siciliens, Agathon, Philargyrippe, Tryphine, & leurs associez, Paris, Claude Chappelet, 1623, p. 881 (nos italiques).

11 J.-P. Camus, « Avertissement au lecteur », dans L’Iphigene de Mr. de Belley. Rigueur sarmatique, Lyon, Antoine Chard, 1625, t. II, n. p.

12 Ch. Sorel, La Bibliothèque française (1667), éd. cit., p. 258-259 (nous soulignons).

13 P. de Deimier, L’Academie de l’art poetique, Paris, Jean de Bordeaulx, 1610, p. 201-202 (nous soulignons).

14 Ibid. (nous soulignons).

15 « Mes plus grands creanciers sont trois, Bertaut Evesque de Sais, le poli Malherbe, et l’incomparable Cardinal du Perron, et quelques autres beaux Esprits dont les poësies sont ramassées dans ce Recueil des plus beaux vers de nostre temps » (J.-P. Camus, « Avertissement au lecteur », dans Iphigene…, op. cit, t. II, n. p).

16 « Le Libraire au Lecteur », Recueil des plus beaux vers de Messieurs de Malherbe, Racan…, Paris, T. Du Bray, 1626, n. p. Voir aussi la référence à « un Cardinal, et un Evesque » dans l’« Éloge des histoires dévotes » de Camus (op. cit., p. 881).

17 Voir à ce sujet l’ouvrage d’E. Mortgat-Longuet, Clio au Parnasse, op. cit.

18 Madeleine de Scudéry, « De l’air galant » et autres conversations, éd. D. Denis, Paris, Champion, 1998, p. 237-238 (nos italiques).

19 Ibid., p. 239-240 (nos italiques).

20 Jean Bertaut, Recueil des oeuvres poetiques, Paris, Mamert Patisson, 1601 (rééd. 1605) ; id., Recueil de quelques vers amoureux, Paris, Vve de M. Patisson, 1602 (rééd. 1606).

21 Recueil des vers de Monfuron desquelles la plus grande partie n’a pas été imprimée, Aix, Estienne David, 1632.

22 L’édition in-folio des Diverses Œuvres de l’illustrissime cardinal du Perron… (Paris, Antoine Estienne, 1622) ne met guère en valeur les poésies, qui n’y occupent qu’une place réduite, écrasées qu’elles sont par l’œuvre en prose de l’éloquent cardinal.

23 Sorel mentionne à cet endroit aussi Du Bartas, Desportes, Régnier et Théophile. Ces auteurs, dont la place dans les recueils collectifs est réduite, ont été publiés en volume de leur vivant.

24 Ch. Sorel, La Bibliothèque française (1667), éd. cit., p. 258 (nous soulignons).

25 Recueil des plus belles pièces des poëtes françois Tant Anciens que Modernes, Paris, Claude Barbin, 1692, t. I, « Préface », n. p. Sur cet ouvrage, voir Le recueil Barbin (1692). Une « histoire de la poésie par les ouvrages même des poètes » ?, Mathide Bombart, Maxime Cartron, Michèle Rosellini (dir.), Pratiques & Formes littéraires 16-18, Cahiers du GADGES, 16, 2019, [en ligne] https://publications-prairial.fr/pratiques-et-formes-litteraires/index.php?id=74

26 On pense notamment à Laugier de Porchères, mais aussi à Jean de Sponde ou Abraham de Vermeil.

27 Frédéric Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs de poésies publiés de 1597 à 1700, t. I, Paris, Henri Leclerc, 1901-1905, p. xi.

28 « Je n’estime pas moins tes lettres que ses armes ». La poésie d’éloge du premier xviie siècle dans les recueils collectifs de Toussaint Du Bray, Paris, Champion, 2015. Si pour Béatrice Brottier, la « série des recueils de Du Bray se présente comme un corpus préexistant à son étude » (p. 22), elle ne pose guère la question de l’influence et de l’importance des publications qui le précèdent, comme des Bonfons ou de Guillemot.

29 Ces chiffres sont issus de la base de données élaborée dans le cadre de notre thèse « Briller par la diversité » : les recueils collectifs de poésies au xviie siècle (1597-1671), sous la dir. de Marie-Gabrielle Lallemand, université de Caen Normandie, avril 2019. Ils sont relatifs et se réfèrent à un corpus composé des vingt-deux recueils les plus représentatifs du temps. Les réimpressions et les rééditions faiblement augmentées ont par exemple été écartées.

30 La notoriété du texte est confirmée par son insertion dans les Histoires tragiques de Rosset, où elle est annoncée comme étant « assez commune par toute la France » (Au Pont, A. Brunet, 1615, p. 141).

31 Selon Antoine Adam, elle aurait été composée autour de 1580 (voir François de Malherbe, Œuvres (1630), éd. A. Adam, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1971, p. 775).

32 P. de Deimier, L’Académie de l’art poétique, op. cit., p. 350-351.

33 S’il puise plusieurs exemples dans les œuvres de Malherbe, P. Richelet, par exemple, n’allègue jamais, dans la Versification françoise (Loyson, 1671), l’exemple de la Victoire de la constance.

34 L’incipit de la pièce est « Seul jour de ma pensée… ». Voir P. de Deimier, L’Académie de l’art poétique, op. cit., p. 202 et 409.

35 Voir à ce sujet Jean-Charles Monferran, L’École des muses, Genève, Droz, 2011, p. 298, ainsi que, du même critique, « De l’anthologie et de l’art poétique français à la Renaissance », dans Grégory Ems, Mathieu Minet (dir.), Les Arts poétiques du xiiie au xviie siècle, Turnhout, Brepols, 2017, p. 107-117.

36 Marie-Gabrielle Lallemand, « Bertaut dans l’Histoire de la poésie de Mlle de Scudéry et dans celle de Fontenelle », dans ead., Chantal Liaroutzos (dir.), De la Grande Rhétorique à la poésie galante, Presses universitaires de Caen, 2004, p. 183-184.

37 Sur la question de la « galanterie » dans le recueil Barbin, voir aussi A. Viala, « Les plus belles. (Quasi-) verbatim des remarques formulées par Alain Viala en clôture des Journées », Le recueil Barbin (1692), op. cit., p. 285-290, [en ligne] DOI : 10.35562/pfl.102.

38 Du point de vue du nombre des pièces retenues, il occupe la troisième place en 1609 et reste parmi les dix premiers jusqu’en 1630 (voir H. Lafay, La Poésie française du premier xviie siècle, op. cit, p. 444).

39 À propos du traitement de Jean de Lingendes dans le recueil Barbin, voir aussi Maxime Cartron, « Un corps fragmenté ? Hypothèses sur les extraits insérés dans les notices biographiques du recueil Barbin », Le recueil Barbin (1692), op. cit., p. 99-126, [en ligne] DOI : 10.35562/pfl.86.

40 Lingendes a édité une traduction collective en prose des épîtres d’Ovide qui a connu plusieurs rééditions au début du xviie siècle : Les Epistres d’Ovide, traduittes en prose Françoise, par les Srs Du Perron, De La Brosse, De Lingendes, et Hedelin, Paris, T. Du Bray, 1618. L’élégie « Ovide, c’est à tort que tu veux mettre Auguste » ouvre la traduction des Métamorphoses d’Ovide de N. Renouard depuis l’édition de 1617, qui sera rééditée jusqu’au milieu du siècle. Colletet érige Lingendes même en modèle pour la paraphrase et la traduction des Héroïdes. Dans la Vie d’Octovien de Sainct Gelais, il note, après avoir cité le début de l’épître de Pénélope à Ulysse du poète éponyme : « quoy que ces vers sentent fort leur antiquaille, si est ce que l’on peut dire avec verité qu’en les comparant aux vers des Siecles precedens et de leur Siecle mesme, il semble qu’il ait esté le Lingendes ou le Malherbe de son Temps. » (Guillaume Colletet, Vies d’Octovien de Sainct Gelais, Mellin de Sainct Gelais …, éd. E. G. des Seguins [Paris, 1862], Genève, Slatkine Reprints, 1970, p. 13. Nos italiques).

41 Voir à ce sujet Marie-Claire Chatelain, Ovide savant, Ovide galant, Paris, Champion, 2008.

42 Recueil des plus belles pièces des poëtes françois, op. cit., t. I, « Préface », n. p. Sur la place de la poésie dite « libertine », voir Michèle Rosellini, « Les poètes libertins dans le recueil Barbin : une invisibilisation stratégique ? », Le recueil Barbin (1692), op. cit., p. 169-189, [en ligne] DOI : 10.35562/pfl.89.

43 Voir p. 768, 815 et 827. Le recueil a été réimprimé par P. Mettayer en 1638, puis remis en circulation par N. de La Vigne en 1642. Sur les liens entre le recueil de Du Bray et le recueil Barbin, voir aussi Laurence Giavarini, « Quelques catégories à l’épreuve de l’anthologie. Histoire, poésie, société dans le recueil Barbin », Le recueil Barbin (1692), op. cit., p. 273-274, [en ligne] DOI : 10.35562/pfl.100.

44 Sur l’élégie française, et tout particulièrement sa définition au xviie siècle, voir les travaux de Nicholas Dion, dont notamment « Un recueil des plus belles élégies françaises ? Le recueil Barbin en regard de l’évolution du genre élégiaque aux xviie et xviiie siècles », Le recueil Barbin (1692), op. cit., p. 229-242, [en ligne] DOI : 10.35562/pfl.94 et le « Liminaire » du numéro thématique Plaintes, pleurs et plaisirs : la poésie élégiaque aux siècles classiques, Tangence, 109, 2015, p. 5-15.

45 Les recueils collectifs publiés avant 1631 et inventoriés dans notre base de données contiennent une petite centaine d’élégies, alors qu’ils présentent plus d’un millier de stances ou de sonnets. Les travaux d’Henri Lafay confirment cette observation générale (voir La Poésie française du premier xviie siècle, op. cit., p. 79-87). L’œuvre de Motin en particulier comprend au total cinq élégies (voir Pierre Motin, Poésies, éd. G. Peureux, Paris, STFM, 2006).

46 Jean-Pierre Chauveau, « Les avatars de l’élégie au xviie siècle », Poètes et poésie au xviie siècle, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 124.

47 Recueil des plus belles pièces des poëtes françois, op. cit., t. III, p. 71.

48 Voir à ce sujet Alain Génetiot, Poétique du loisir mondain, Paris, Champion, 1997, notamment chap. iii « Les représentations de l’amour et l’esthétique galante ».

49 Voir P. Motin, Poésies, éd. cit., p. 560.

50 Jean de La Fontaine, Nouveaux contes (1674), dans Œuvres complètes. Fables et contes, éd. J.-P. Collinet, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1991, p. 887.

51 Voir à ce sujet Tiphaine Rolland, L’Atelier du conteur. Les Contes et nouvelles de La Fontaine. Ascendances, influences, confluences, Paris, Champion, 2014 ; Mathieu Bermann, Les Contes et nouvelles en vers de La Fontaine. Licence et mondanité, Paris, Classiques Garnier, 2016 ; ainsi que Jean-Claude Abramovici et Carine Barbafieri (dir.), L’Invention du mauvais goût à l’âge classique (xviie-xviiie siècle), Louvain, Peeters, 2013.

52 À travers le choix des trois pièces transparaissent en effet les deux versants de la pratique du poète mondain : le jeu poétique, d’une part, l’expression d’un sentiment réel et sincère à travers l’élégie, de l’autre.

53 Yves Giraud, « Arts poétiques et histoire littéraire », dans Luc Fraisse (dir.), L’Histoire littéraire à l’aube du xxie siècle. Controverses et consensus, Paris, PUF, 2005, p. 63.

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Citer cet article

Référence électronique

Miriam Speyer, « Du « ramas de diverses poësies » au « recueil des plus belles pièces ». Dynamiques de compilation, dynamiques de canonisation dans les recueils collectifs de poésies au xviie siècle », Pratiques et formes littéraires [En ligne], 17 | 2020, mis en ligne le 20 janvier 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/pratiques-et-formes-litteraires/index.php?id=229

Auteur

Miriam Speyer

Université de Caen Normandie – LASLAR EA 4256

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