L’esprit Moderne mis en recueil : Houdar de La Motte (xviiie-xixe siècle)

DOI : 10.35562/pfl.233

Plan

Texte

La problématique du recueil et de la mise en recueil est particulièrement opératoire pour aborder l’œuvre d’Antoine Houdar de La Motte (fig. 1). Ce dernier, célèbre pour son engagement dans la querelle des Anciens et des Modernes et sa réécriture en vers de l’Iliade (1714), est aussi poète – auteur d’odes, de fables et de poésies mondaines –, et auteur dramatique. Dès 1707, alors qu’il a acquis une certaine notoriété pour ses livrets d’opéra, il publie un recueil d’Odes qui remet le plus grand genre lyrique à la mode1. Le recueil entend faire la démonstration des talents du poète, qui rêve alors d’entrer à l’Académie française. Il se présente comme un manifeste moderne en faveur de l’invention, théorisé dans le Discours sur la poésie en général et sur l’ode en particulier et mis en pratique dans les poèmes. Il sera régulièrement réédité et augmenté jusqu’en 1714. En 1719, La Motte publie un recueil de cent fables, intitulé Fables nouvelles, dédié au roi Louis XV et précédé d’un Discours sur la fable2. En 1730, il réunit ses cinq tragédies et les fait précéder chacune d’un Discours théorique : l’ensemble constitue une véritable poétique moderne de la tragédie3. On le voit, La Motte, par la constitution même de ses recueils, entend s’affirmer comme poète et théoricien, novateur et rénovateur des genres anciens. L’histoire littéraire a surtout retenu, outre le sursaut de la Querelle autour de l’Iliade, les propositions du théoricien ; le poète, et même l’auteur dramatique, est rapidement tombé en discrédit. L’articulation entre théorie et pratique poétique, pensée et mise en scène dans les recueils, est devenue partition. Ainsi, la thèse de Paul Dupont intitulée Un Poète-philosophe au commencement du dix-huitième siècle. Houdar de La Motte (1672-1731), publiée en 1898, consacre le livre I au poète (80 pages) et le livre II au philosophe (200 pages). Cette partition s’explique pour Paul Dupont par le fait que La Motte est un « poète médiocre » et, néanmoins, un théoricien qui, « dans les choses littéraires », eut « quelque originalité »4. Plus récemment, les textes théoriques ont bénéficié de l’attention des critiques et ont été reconnus à leur juste valeur5.

Fig. 1. Portrait de Antoine Houdar de La Motte, par Nicolas-Étienne Edelinck (graveur) et Ranc (peintre du modèle), estampe, Fables nouvelles dédiées au roi, Paris, Dupuis. 1719. BnF/Gallica

Fig. 1. Portrait de Antoine Houdar de La Motte, par Nicolas-Étienne Edelinck (graveur) et Ranc (peintre du modèle), estampe, Fables nouvelles dédiées au roi, Paris, Dupuis. 1719. BnF/Gallica

Dans l’histoire de cette partition, trois entreprises éditoriales ont joué un rôle important. L’édition des Œuvres de M. Houdar de La Motte publiée en dix volumes en 17546 non seulement ne tient pas compte de la chronologie des publications originales mais décompose les recueils d’odes et de fables en en modifiant la structure et en ajoutant des poèmes non publiés ou publiés dans les périodiques. Commode parce qu’elle réunit toutes les œuvres de La Motte, l’édition en donne toutefois une image faussée : elle repose sur une logique étrange, ni chronologique, ni générique, qui ne respecte pas la structure des éditions originales. Elle n’est pas toutefois un « recueil » à proprement parler. En 1767, paraît une anthologie, L’Esprit des poésies de M. de La Motte7, éditée par Louis-Théodore Hérissant, s’inscrivant dans la vogue des « Esprits » de la deuxième moitié moitié du xviiie siècle. En 1859, un professeur de Lettres, Bernard Jullien, publie un recueil des textes théoriques de l’auteur intitulé Les Paradoxes littéraires de La Motte8. La pratique du recueil, parce qu’elle repose sur un geste anthologique de sélection d’une part et de recomposition d’autre part, confère indéniablement un sens nouveau à l’œuvre originale de l’écrivain, dont elle contribue à donner une image, qui, pour La Motte, s’inscrira durablement dans la critique. Les deux recueils se fondent d’ailleurs sur l’édition posthume des Œuvres parue en 1754, elle-même fort recomposée. La pratique des deux éditeurs n’est toutefois pas la même : le premier veut donner une « idée » de la poésie de La Motte par une opération drastique de sélection, le second rassemble l’intégralité des discours théoriques, mais selon un plan qui lui est propre et avec une abondante annotation qui constitue tout à la fois un discours d’escorte et un guide de lecture. Et si les deux éditeurs se rejoignent dans la volonté de « former le goût de la jeunesse9 », la poésie et la prose de La Motte ne sont manifestement pas à mettre entre toutes les mains.

L’Esprit des Poésies de M. de La Motte (1767)

Ce premier recueil relève du genre des Esprits10, anthologies d’œuvres choisies d’un même écrivain à la mode dans la deuxième moitié du xviiie siècle où paraissent par exemple L’Esprit de Fontenelle (1744), L’Esprit de Voltaire (1759), L’Esprit de La Mothe le Vayer (1763) ou encore L’Esprit de Marivaux (1769). L’auteur du recueil, Louis-Théodore Hérissant (1743-1811), est un ancien avocat au Parlement de Paris, éditeur d’ouvrages historiques, auteur de discours, d’éloges et de plusieurs recueils11. L’Esprit des poésies de M. de La Motte s’ouvre sur une épigraphe empruntée à Voltaire : « soyons justes… mais n’oublions pas un mot des belles odes et des pièces heureuses que M. de La Motte a faites12 ». De fait, un bref « Avertissement » précise le double objectif de l’ouvrage, composé sur le conseil de « gens de lettres ». Il s’agit de « rapprocher sous un même point de vue et dans un volume portatif, ce qu’il y a de plus piquant dans les Poésies de M. de la Motte » – c’est une des raisons du succès des Esprits –, mais aussi de « contribuer à former le goût de la Jeunesse »13. Pour cela, la sélection opérée pour l’anthologie se révèle particulièrement radicale. L’éditeur prévient ainsi que des « strophes entières » ont été supprimées car :

souvent dans la plus belle Ode de M. de la Motte, vous trouvez une Strophe, plusieurs même quelquefois, dont la faiblesse dépare les autres et qui rebuteraient le Lecteur le plus courageux.

Et, plus radical encore :

sans cette suppression, on n’aurait pu donner aucun morceau des XL Cantates de M. de la Motte, presqu’ignorées aujourd’hui, point de Psaumes, et très peu d’Odes14.

La sélection fait certes partie du genre de l’Esprit : l’auteur de l’Esprit de Montaigne supprime les « digressions » des Essais et réduit certains chapitres15. Toutefois, les auteurs ont tout de même à cœur de défendre leur écrivain et conçoivent l’Esprit comme une invitation à lire le reste de l’œuvre. On lit ainsi pour Fontenelle :

c’est sans doute ici L’Esprit de Fontenelle, mais ce ne l’est point, à beaucoup près, tout entier ; […] Pour en bien juger, il faut remonter jusqu’aux ouvrages même d’où l’on a pu tirer tant de richesses16.

L’Avertissement de L’Esprit de Marivaux est très bref mais élogieux et le recueil a également une dimension apologétique, même si l’auteur reste parfois circonspect face au « style » de l’auteur, qu’il corrige parfois : « peu d’auteurs ont écrit avec autant de finesse, de naturel et de grâce que M. de Marivaux […]. Tout devenait intéressant sous sa plume élégante17 ». Pour La Motte en revanche, la lecture de l’Esprit dispense de la lecture intégrale :

on sera bien aise d’avoir de suite une trentaine de Fables choisies qui se trouvaient éparses dans un Recueil dont peu de personnes, à cause du stile, auraient osé entreprendre la lecture18.

L’éloge est indissociable de la distance critique, et si la lecture de l’Esprit, anthologie très sélective, peut constituer une « école de poésie » pour la jeunesse, c’est par le contre-exemple.

Le recueil propose un parcours des divers genres pratiqués par La Motte : des odes réorganisées en deux livres, un choix de cantates, psaumes, hymnes ; des fables réorganisées en deux livres et une section consacrée aux « Poésies diverses ». La section des « Odes » est représentative du travail opéré par l’éditeur et de l’idée qu’il entend donner de la poésie de La Motte. Sur les vingt-trois poèmes retenus, auxquels s’ajoutent trois fragments, les odes « nouvelles » sont privilégiées. Seules deux odes imitées de Pindare sont reprises, sans être explicitement présentées comme des imitations19, aucune des odes imitées d’Horace ou d’Anacréon, lesquelles ont eu un certain succès, n’est retenue alors qu’elles représentent la moitié des recueils originaux. La composition en deux livres ne reprend ni l’ordre des recueils originaux ni celui de l’édition des Œuvres de 1754. Le choix proposé met l’accent sur les fonctions traditionnelles de l’ode, grand genre lyrique, lié à l’éloge et à l’allégorie. Le livre I propose ainsi quatre odes dédiées au roi, deux au duc de Bourgogne, puis une ode sur la mort de Louis le Grand. Ces poèmes ont été composés à des dates différentes : le premier, « La gloire et le Bonheur du Roi », se trouvait dans le recueil de 1707, comme « Le Devoir » (ode iii) et « La Descente aux enfers » (ode v), dédié au duc de Bourgogne. En revanche, « Le Souverain », dédié au même duc de Bourgogne (ode ii), est issu du recueil de 1713, tout comme « Le Deuil de la France » (ode vii) ; tandis que l’ode sur la mort de Louis le Grand (ode viii), prononcée après la mort du roi, avait été publiée seule, puis dans un recueil hollandais en 1719. Le livre II s’ouvre également sur un ensemble thématique, consacré aux instances d’institutionnalisation des lettres et de la culture. L’ode dédiée aux « Messieurs de l’Académie française » (ode i) est l’ode liminaire de tous les recueils parus du vivant de La Motte. Suivent des odes consacrées à l’Académie des sciences puis à l’Académie des médailles (Académie des inscriptions et belles-lettres). « La Peinture » (ode iv) et « Le Parnasse » (ode v) relèvent dans une certaine mesure de l’éloge de ces lieux, sous une forme plus allégorique, que revêtent également les poèmes suivants : « Astrée », « Thémis » ou « La Fortune ».

La section des odes fait alors figure de recueil dans le recueil, Hérissant recomposant les recueils de La Motte selon un projet qui se dessine assez clairement. La prégnance des odes politiques et allégoriques (morales ou mythologiques) s’inscrit dans une pratique ancienne de ce genre de poésie lyrique, dont la fonction encomiastique avait été encore renforcée par la pratique malherbienne. Hérissant essaye, autant que possible, de « classiciser » La Motte en choisissant les odes les plus conformes au modèle du genre lyrique. Toutefois, pour qui connaît les recueils originaux, la sélection proposée en minore l’originalité. D’une part, on n’y trouve aucune ode imitée car, pour Hérissant, La Motte est le poète de la « nouveauté20 ». D’autre part, l’engagement moderne du poète, clairement affirmé dans l’ode dédiée aux « Messieurs de l’Académie française », est considérablement atténué. Certes, on trouve l’ode manifeste « L’émulation », dédiée à Fontenelle (liv. I, ode xi), invitant à « surpasser l’Antiquité ». Mais les odes qui proposent un programme poétique moderne ne sont pas présentes : « La Nouveauté », « La Variété », « L’Enthousiasme » ou encore « Le Goût » dédié à la duchesse du Maine par exemple. En outre, les odes de La Motte sont souvent métapoétiques et le poète met volontiers en scène sa propre activité de poète, avec un certain sens de la dramatisation, bien éloigné de la pratique malherbienne de l’ode21. Significativement, l’éditeur choisit seulement deux odes métapoétiques qui expriment les doutes du poète sur son activité et mettent en scène une certaine forme de renoncement à la poésie : « L’orgueil poétique » (I, xiii) et « L’abus de la poésie » (I, xix). Que ces omissions relèvent d’un véritable projet est confirmé par les strophes supprimées dans certaines odes. L’argument avancé dans l’avertissement était celui d’une moindre qualité poétique : il n’est pas certain que ce soit la seule raison. Par exemple, dix strophes de l’ode « Aux messieurs de l’Académie française » sont supprimées, dont celles qui sont consacrées à l’éloge des genres et poètes modernes : la comédie, l’opéra, les pastorales de Fontenelle, les lettres de Balzac et de Voiture, les traducteurs « rivaux » des anciens qu’ils traduisent22. L’ode d’inspiration virgilienne, « La Descente aux enfers » (1707), comporte une strophe satirique dirigée contre les « imitateurs grossiers », elle est supprimée par Hérissant :

Voici la foule téméraire
De ces imitateurs grossiers,
Dont jadis le front plagiaire
Se paroit d’injustes lauriers ;
Digne prix de leur imposture,
Ils ont à jamais pour torture,
L’art même qu’ils ont avili ;
Livrés à la fureur d’écrire
Des vers que le mépris déchire,
Ou qu’efface aussitôt l’oubli23.

La sélection est également importante pour la section des « Fables ». Le recueil comporte trente fables organisées en deux livres et un « fragment » sur les cent-vingt-et-une fables présentes dans les Œuvres de 175424. Les fables choisies sont en revanche données dans le même ordre que dans l’édition de 1754. La section « Poésies diverses » est logiquement la plus disparate. La Motte, à la différence de Fontenelle, n’a jamais publié de son vivant les poèmes galants ou circonstanciels qu’il a pu écrire dans le cadre des salons ou de la cour de Sceaux. Quelques-uns ont paru, souvent de manière anonyme, dans le Mercure. L’édition des Œuvres de 1754 consacre toutefois un volume à cette poésie mondaine, dans lequel puise Hérissant pour cette section : étrennes, épigrammes, énigmes relèvent de cette poésie fugitive qui contribue à façonner l’image de La Motte en poète de salon mondain. Dans cette section, Hérissant donne en outre des prologues des fables, dotés de titres de son invention. Le prologue de la fable « La rose et le papillon » est intitulé « Regrets sur l’âge d’or ». Le poème « De la variété dans la poésie » est à l’origine le prologue de la fable « Les deux songes » ; « Leçons aux rois » celui de la fable « Le conquérant et la pauvre femme » ; « Aux écrivains inutiles » celui de « La chenille et la fourmi ». Or, l’usage de prologues métapoétiques, entrant dans une relation souvent ludique avec la fable elle-même caractérise la pratique de la fable de La Motte. En séparant ainsi, sans le dire, les prologues des fables, pour en faire des poèmes autonomes, et réciproquement, en supprimant la majorité des prologues dans la section des fables, Hérissant transforme la pratique de la fable de La Motte, en la rendant peut-être plus conforme au modèle attendu, mais en niant son originalité.

En outre, si la poésie de La Motte peut être une « école » pour « former le goût de la jeunesse », c’est une école de ce qu’il ne faut pas faire. L’éditeur attire ainsi l’attention sur les faiblesses de cette singulière poésie :

nous avons de plus marqué en Italique les mots qui nous ont paru faibles, prosaïques, ou inutiles. Ces Apostilles, lorsqu’elles sont judicieuses, peuvent beaucoup contribuer à former le goût de la Jeunesse. Nous les avons mis en Italique seulement, sans autre explication : pour peu qu’un jeune-homme aime la Poésie, il suffit de l’aider à confirmer son propre jugement25.

Cependant, les italiques sont quelquefois accompagnés de commentaires. Ainsi, à propos du vers « J’en crois ton exacte* justice » on lit « * Prosaïque26 » ; pour « Toi qui démens* cette maxime / Huet, tu peux la censurer », « * Mot impropre27 » ; à propos du vers : « Mais non, pour mieux servir sa gloire », l’éditeur commente : « l’Auteur a le défaut d’entasser souvent des monosyllabes les uns sur les autres28 ». Les subordinations qui créent des allitérations peu harmonieuses sont également soulignées : « Que ces Princes qu’en un autre âge » (liv. I, ode i), « Qu’on ne craint que de voir finir » (I, viii), « Sous sa faulx je te vois le même / Que quand orné du diadème » (I, ix) ; « C’est pour souffrir, qu’il sent, qu’il pense ». Les rimes impures : inconstantes / différentes (II, iv), souvent/vivant (II, ix), ordinaire /Cerbère (II, ix) sont aussi signalées. En revanche, le vocabulaire employé est peu brocardé, ce qui peut paraître surprenant car l’usage de « galimatias » ou « jargon recherché » était un reproche récurrent fait à La Motte, notamment par Anne Dacier et Desfontaines29. Pour ces derniers, le « trop d’esprit » nuit à la poésie et est le symptôme de la corruption du goût. Dans les « Notes sur quelques ouvrages de Monsieur de La Motte » qui précèdent le recueil, Hérissant reprend ce grief en citant une critique de Nivelle de La Chaussée :

contre les Fables de M. de La Motte où l’on trouve en effet des expressions obscures, forcées et affectées. Tout le monde sait, par exemple, qu’un Cadran y est appelé un Greffier solaire ; une grosse rave, un Phénomène potager30.

Dans le recueil de 1767, ce sont surtout le prosaïsme et la lourdeur syntaxique de certaines expressions qui sont mises en cause, plus que leur « affectation ». On remarque en outre que les expressions incriminées sont beaucoup plus nombreuses dans les odes, grand genre lyrique pour lequel l’exigence est plus importante que pour les autres poèmes. Ainsi, seules trois odes sont données sans retranchement, alors que les fables sont majoritairement reproduites dans leur intégralité, mais sans leur prologue.

L’Esprit des poésies de M. de La Motte met en avant la diversité de la production de La Motte, ce qui n’est pas si fréquent. Le mot « Esprit », s’il désigne certes une certaine forme de recueil à la mode, n’est pas tout à fait neutre appliqué à La Motte, ou même à Marivaux, ou encore à Fontenelle. Les auteurs des « Esprits » de ces derniers écrivains ont à cœur précisément de défendre cet « esprit » qui caractérise leurs auteurs et qui a valu à ces derniers bien des critiques, l’esprit tendant au « trop d’esprit ». Aucune apologie en revanche pour La Motte, dont le recueil contribue, certes avec quelques nuances, à forger l’image d’un « mauvais » poète via une sorte de démonstration par l’exemple… qui ne doit pas être suivi. Par ce recueil, Hérissant se donne un objectif pédagogique qui caractérisera quelques années plus tard la publication des Principes de style ou Observations sur l'art d'écrire recueillies des meilleurs auteurs (1779), invitant à méditer l’Art poétique de Boileau31. On ne sera pas surpris d’y voir opposer le style de La Motte à ceux de Racine et de La Fontaine lorsqu’il s’agit de se former le goût32.

Les Paradoxes littéraires de La Motte, par Bernard Jullien (1859)

C’est précisément par des notations sur l’« esprit » que commence la préface du recueil intitulé Les Paradoxes littéraires de La Motte, paru en 1859. La Motte est présenté, dès les premières lignes, comme « un des esprits les plus fins et les plus ingénieux de son temps33 ». L’expression « de son temps » est importante puisque, plus d’un siècle après sa mort,

il est donc vrai qu’aujourd’hui le nom de Lamotte éveille plutôt l’idée d’un esprit poli, mais bizarre et presque renversé, que celui d’un homme vraiment distingué, qui dans son temps fit honneur au corps où il avait été admis, obtint même une célébrité très réelle, et dut la mériter puisqu’elle lui demeura quoique toujours contestée et débattue34.

Célèbre et reconnu dans son temps, notamment pour son engagement à l’Académie française, l’esprit fin et ingénieux de La Motte évoque désormais la bizarrerie : « d’où vient ce résultat singulier et inattendu ? Si je ne me trompe, il s’explique et par le genre d’esprit de notre auteur et par la direction qu’il donna à ses travaux35 ». « Le genre d’esprit » de l’écrivain et « la direction » donnée aux travaux constituent de fait les deux lignes directrices du recueil : La Motte y est présenté comme un audacieux critique mais un piètre poète, incapable de « sentir » et donc d’exprimer les beautés de la poésie. Il offre toutefois, à condition d’être averti de la « singularité » de cet esprit « ingénieux », un « modèle de critique juste et délicate »36.

Comme pour les Esprits de la fin du siècle précédent, il s’agit de sortir de l’oubli les textes de La Motte et de les extraire de l’ensemble de ses œuvres, l’édition de 1754 restant la référence :

ce sont ces traités qui, perdus dans les œuvres complètes de Lamotte, ou plutôt noyés sous cette multitude de vers que personne ne se soucie plus de lire, ont été malheureusement oubliés lorsqu’ils devraient être étudiés et médités par tous les littérateurs de profession37.

Les destinataires premiers sont donc les « littérateurs de profession » qui peuvent tirer profit des propositions théoriques du critique. En revanche la « multitude de vers » est d’emblée discréditée. La Motte est considéré dans la préface comme un critique pionnier qui mérite de trouver une place dans l’histoire littéraire française, et même l’histoire de la critique, alors en voie de constitution au mitan du xixe siècle : il a le « mérite d’avoir, plus de cent ans à l’avance, remué les questions qu’on nous a réchauffées à la fin du premier quart de ce siècle ». Bernard Jullien promeut alors l’histoire littéraire française par rapport aux propositions venues d’Allemagne :

rien ne s’y trouvait de fondamental que notre académicien n’eût dit le premier. Ainsi là, comme en presque toutes les carrières, la France ouvrit la marche […], il ne saurait être indifférent à qui revoit cette partie de notre histoire littéraire, d’apprécier le rôle que nos compatriotes y ont joué, les tentatives qu’ils ont faites et la portion de vérités que contenaient leurs propositions38.

Outre cet aspect historique et « patriote », le « recueil de ces discours » doit, comme celui de Hérissant, être « utile à l’instruction des jeunes gens », il a d’ailleurs été composé sous l’impulsion de la « Société des méthodes d’enseignement ». Bernard Jullien (1798-1881), grammairien, professeur de Lettres, travaille en effet pour la librairie Hachette. Il est l’auteur d’une Histoire de la poésie française à l’époque impériale (Paris, Paulin, 1844), d’une histoire abrégée de la grammaire (Coup d’œil sur l’histoire de la grammaire, Panckoucke, 1849), l’éditeur des Dialogues des morts [de Fénelon] suivis de quelques dialogues de Boileau, Fontenelle, D’Alembert (1847) ou encore d’un ouvrage sur la prononciation de la prose et des vers, L’Harmonie du langage chez les Grecs et les Romains, ou Étude sur la prononciation de la prose élevée et des vers dans les langues classiques (1867).

C’est précisément cette vocation didactique qui a dicté la (re)composition du recueil. L’auteur constate le « désordre » dans lequel se trouvent les discours disséminés dans divers tomes des Œuvres de 1754 :

il fallait, au contraire, les réunir et les disposer suivant les divisions admises dans les traités ordinaires, notamment dans le Petit traité de rhétorique et de littérature, extrait des ouvrages de Batteux et Domairon, et publié en 1852 pour l’usage des collèges et des institutions secondaires des deux sexes39.

Les quatorze discours sont ainsi organisés en cinq sections : la versification, la poésie lyrique, la poésie bucolique et didactique (églogues et fables), la poésie épique (avec le Discours sur Homère et les Réflexions sur la critique) et enfin la poésie dramatique (les discours sur la tragédie). Chaque section réunit des textes publiés à des périodes différentes, et détachés des recueils qui en étaient la mise en pratique. Par exemple, dans la partie « Versification », on trouve quatre textes de statut assez différents et tous postérieurs à 1730, à la toute fin de la carrière de La Motte, qui meurt en 1731 : un discours sur la tragédie d’Œdipe, un discours à l’occasion de la première scène de Mithridate mise en prose, un discours sur l’ode de M. de La Faye et un discours en réponse à Voltaire40. Or, pour avoir une idée vraiment complète et juste de la réflexion de La Motte sur les vers, il aurait fallu y ajouter le Discours sur la poésie de 1707 (qui se trouve dans la partie « poésie lyrique ») ou même des extraits du Discours sur Homère (1714) et des Réflexions sur la critique (1715), qui proposent des développements sur les vers et sur l’harmonie. Le recueil propose donc une vision très partielle des théories de La Motte sur le vers, la plus « paradoxale » en fait, puisque les textes réunis dans la section « Versification » critiquent les vers au profit de la prose.

Toutefois, et c’est une différence importante avec le recueil de 1767, les textes sont donnés en intégralité, non sans avertissement quant au style « ingénieux » de l’écrivain :

ce style est loin d’être pur : il est élégant, ingénieux, poli mais souvent incorrect, en ce sens surtout que les rapports exprimés entre les mots sont ceux que la langue française écarte ordinairement comme obscurcissant la pensée41.

Le lecteur n’avancera donc pas dans cette lecture périlleuse sans un guide de lecture très ferme, puisque les textes sont abondamment annotés : chaque discours est précédé d’une brève notice et doté de nombreuses notes de bas de page42. Ainsi si le Discours sur la poésie est « semé d’excellentes remarques » :

Ces remarques sont sans doute mêlées de faussetés et de vérités mal comprises ou mal définies. C’est à la critique actuelle de débrouiller tout cela, et en séparant ce qu’il y a de vrai, en signalant le faux, en distinguant ce qui n’est juste que dans une certaine limite, comme nous l’essayerons dans les notes au bas des pages, de faire que cet ouvrage puisse être mis dans les mains des jeunes gens, sans aucun danger pour leur goût43.

La lecture de La Motte est bel et bien périlleuse car – c’était déjà un argument d’Anne Dacier puis de Voltaire –, elle risque de corrompre le goût. Et de fait, c’est bien en professeur que Jullien commente les discours de La Motte, approuvant, désapprouvant, corrigeant, commentant. Je donne quelques exemples relevés au fil de la lecture : « objection plus que puérile44 » ; « Toute cette discussion est un chef d’œuvre45 » (p. 89) ; « phrase d’une modestie charmante et d’une tournure naturelle et sans prétention » (p. 112), « Excellente critique, excellente analyse de nos jugements littéraires » (p. 116) ; « On dit ordinairement et plus simplement que l’églogue est en dialogue, ou en récit, ou mêlée de ces deux formes » (p. 128) ; « Tout cela est juste et bien pensé mais exprimé en un style trop abstrait et concentré dans des généralités bien vagues » (p. 129).

De cet ensemble de remarques, se dégagent deux lignes de force, qui confortent les jugements des contemporains de La Motte (Jullien cite notamment Voltaire et Desfontaines) et entérinent l’image de l’écrivain, homme à « paradoxes ». La première, qui sera reprise par Paul Dupont dans sa thèse, est la distinction entre le philosophe et le poète. Jullien ne donne que les textes théoriques parce qu’ils sont « novateurs », voire pionniers, mais aussi parce que la poésie de La Motte est illisible, et cela durablement :

On sait que Lamotte a fait des odes : il en a même fait beaucoup ; et toutes sont aujourd’hui justement oubliées, tant il était loin d’avoir aucune des qualités qui font le poète lyrique. […] et l’on peut être certain que l’avenir ne modifiera pas cet arrêt d’un siècle entier (p. 78)

ou encore : « Homère est poète, l’autre ne l’est pas ; et ses raisonnements ne rendront pas son poème meilleur » (p. 380). Il dessine toutefois une hiérarchie, déjà implicite dans le recueil de Hérissant : moins le genre poétique est élevé, plus la poésie de La Motte est acceptable :

Ses odes, ses cantates, ses tragédies, son Iliade, sont, on peut le dire, pitoyables ; ses églogues, qui sont d’un ton plus tranquille et moins élevé, valent déjà mieux ; ses comédies de ton moyen, Le Magnifique et surtout L’Amante difficile, sont fort agréables ; ses fables le placent immédiatement après La Fontaine et Florian ; et pour les chansons, les énigmes, les bouts-rimés on ne peut guère lui assigner de supérieur46.

C’est un des fondements essentiels du « paradoxe » : La Motte qui s’est prétendu poète et critique est pourtant incapable de sentir et d’exprimer la poésie. Pour Jullien, c’est une véritable infirmité : « c’était une intelligence incomplète. Il lui manquait un sens47 ». Et c’est un défaut caractéristique de « l’école » qu’il représente, cette école étant celle des Modernes, rationalistes et « philosophes » :

il a dit naïvement ce qu’il pensait, et s’est placé dans cette école de sceptiques ou de dissidents qui, ne voulant rien admettre que ce que la raison leur démontre, jugent les beaux-arts d’une façon tout à fait incomplète. Cette école avait eu pour représentants avant Lamotte, Perrault et Fontenelle ; elle devait avoir après lui d’autres hommes plus célèbres encore tels que Montesquieu, Condillac et Buffon », tous « esprits si distingués incapables d’apprécier et d’aimer la poésie48.

Aussi La Motte est-il régulièrement qualifié de « métaphysicien », de « philosophe » qui raisonne dans son cabinet, parfois en bonne part, à propos par exemple de l’équivoque des sens : « il s’agit ici de l’analyse purement philosophique de notre langage. Lamotte y est irréprochable » (p. 421). Mais le plus souvent, cette approche analytique et « métaphysicienne » conduit à des « sophismes » et à des « paradoxes » que le professeur blâme sévèrement : « voilà Lamotte qui, pour soutenir un de ses paradoxes, n’a pas honte d’écrire que les vers sont plus faciles à comprendre et à réciter que la prose ! » (p. 11). Ou encore, sur l’estime excessive que nous porterions aux vers : « Lamotte leur dit là une énorme sottise. […] Ce jugement peut être philosophique : mais il fera hausser les épaules aux vrais littérateurs » (p. 17).

Pourquoi donc prendre la peine de recueillir ces textes et de les donner à lire, certes avec un autoritaire discours d’escorte, pour l’instruction et à la formation du goût ? C’est que, outre la nouveauté pionnière de certaines propositions (notamment sur la différence entre régime épique, lyrique et dramatique), ces discours offrent un « modèle de critique juste et délicate » (p. 149). C’est la seconde ligne de force du recueil qui loue la liberté d’examen et l’indépendance d’esprit du critique : « j’approuve de tout mon cœur cette indépendance de jugement qui porte Lamotte à examiner par lui-même les questions littéraires » (p. 118). Il oppose cette liberté de jugement au respect timide des autorités qui caractérise Anne Dacier dans la Querelle et souligne par exemple un « raisonnement très ingénieux, où, du reste, il était bien facile d’avoir raison contre la prétention impertinente de Mme Dacier d’interdire à notre intelligence un nouvel examen de ce qui est une fois reçu49 ». En outre, comme les contemporains de La Motte, il loue la courtoisie et la politesse de l’écrivain, par opposition à l’agressivité et à l’acrimonie de A. Dacier. Béatrice Guion a montré que cette « critique honnête » pouvait définir une nouvelle pratique de la critique50. Ainsi, la Réponse à la XIe Réflexion de Boileau (1714) sur le récit de Théramène est une pièce célèbre « par l’urbanité exquise de la discussion » : « […] cette lettre est justement citée comme un modèle, et mérite d’être étudiée sous ce rapport par tous ceux qui tiennent à conserver intact le dépôt de la vraie politesse française51 ». Ces éloges participent toutefois de la construction d’une image, elle aussi durable, du critique moderne : on loue sa politesse, son « urbanité exquise », mais le fond même de la critique est oublié voire discrédité.

 

Le modèle offert à la jeunesse par le recueil est ainsi lui-même éminemment paradoxal et rejoint ce que nous avons pu voir pour l’Esprit de Hérissant : les écrits de La Motte méritent d’être lus, peuvent s’inscrire dans l’histoire littéraire nationale en train de se constituer, et même constituer une « école » pour la formation du goût de la jeunesse. Il faut pourtant se prémunir de leur « singularité » et autre « métaphysique obscure », et ne pas être dupe de leur « ingéniosité », expression qui revient dans les deux recueils. Là se manifeste l’efficacité du genre du recueil, qui repose sur un geste de sélection et autorise un discours d’escorte qui donnera un sens (une direction et une signification) nouveau à l’œuvre décriée. La mise en regard des deux recueils, malgré le siècle qui les sépare, matérialise en outre la partition durable de la critique à propos de La Motte : le poète, dont on se complaît à souligner les faiblesses, le théoricien qui peut être audacieux et novateur. L’œuvre de Fontenelle, lui aussi poète philosophe, a subi une partition similaire52. L’un des enjeux de la critique actuelle est de rendre à ces écrivains modernes (Perrault, La Motte, Fontenelle, Marivaux…) ce que Paul Dupont appelait leur « double nature » : de poète et de critique/théoricien/philosophe, et de montrer combien l’articulation entre pratique littéraire et réflexion théorique est essentielle pour comprendre leur démarche, et leur « singularité » si dérangeante.

Notes

1 Odes de M. D***, avec un Discours sur la poésie en général et sur l’ode en particulier, Paris, Grégoire Dupuis, 1707.

2 Fables nouvelles dédiées au roi. Par M. de La Motte, de l’Académie Françoise. Avec un Discours sur la fable, Paris, Grégoire Dupuis, 1719.

3 Les Œuvres de théâtre de M. de La Motte de l’Académie françoise. Avec plusieurs Discours sur la Tragédie, Paris, Grégoire Dupuis, 1730.

4 Paul Dupont, Un Poète-philosophe au commencement du dix-huitième siècle. Houdar de La Motte (1672-1731), Librairie Hachette et Cie, 1898 [réed. Genève, Slatkine, 1971], p. 19 et « Avant-Propos », n. p.

5 Pol-Pierre Gossiaux, « Aspects de la critique littéraire des nouveaux Modernes », Revue des langues vivantes, 1966/3, p. 278-308 et p. 349-364 ; Jean Dagen, L’Histoire de l’esprit humain dans la pensée française de Fontenelle à Condorcet, Paris, Klincksieck, 1977 ; Annie Becq, Genèse de l’esthétique française moderne 1680-1814, Paris, Albin Michel, 1984 ; Houdar de La Motte, Textes critiques. Les Raisons du sentiment, éd. Françoise Gevrey et Béatrice Guion, Paris, Champion, « Sources classiques », 2002.

6 Œuvres de monsieur Houdar de La Motte, L’un des Quarante de l’Académie Françoise, Paris, Prault l’aîné, 1754, 10 vol. ; Lettres de Monsieur de La Motte, suivies d’un recueil de vers du même auteur pour servir de supplément à ses œuvres, Paris, Prault, 1754.

7 L’Esprit des poésies de M. de La Motte de l’Académie françoise ; avec Quelques Notes, la Vie de l’Auteur, & des Remarques historiques sur quelques-uns de ses Ouvrages, Genève-Paris, Lottin le Jeune, 1767.

8 Les Paradoxes littéraires de Lamotte ou Discours écrits par cet académicien sur les principaux genres de poèmes, réunis et annotés par B. Jullien, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1859.

9 « Avertissement », L’Esprit des poésies, op. cit., p. i.

10 Voir Françoise Gevrey, « Les esprits : une mode anthologique au siècle des Lumières », dans Céline Bonhert et Françoise Gevrey (dir.), L’Anthologie. Histoire et enjeux d’une forme éditoriale du Moyen Âge au xxie siècle, Reims, EPURE, 2014, p. 175-192.

11 Voir la Notice sur la vie et les ouvrages de M. L. T Hérissant par Antoine Alexandre Barbier, Paris, Imprimerie de J.B. Sajou, 1812.

12 La citation est extraite de l’Essai sur la poésie épique.

13 « Avertissement », dans L’Esprit des poésies, op. cit., p. i.

14 Ibid., p. iii.

15 Voir Fr. Gevrey, « Les esprits… », art. cité, p. 184.

16 « Discours sur le dessein de cet ouvrage », L’Esprit de Fontenelle ou recueil de pensées tirées de ses ouvrages, La Haye, Pierre Gosse, 1744, p. lvii.

17 Cité par Fr. Gevrey, « L’Esprit de Marivaux (1769) : analectes et marivaudage », dans Catherine Gallouët (dir.), Marivaudage. Théories et pratiques d’un discours, Oxford University Studies in the Enlightenment, Voltaire Foundation, 2014, p. 71-83.

18 « Avertissement », L’Esprit des poésies, op. cit., p. iii-iv.

19 Il s’agit de « La Fortune » et de « Pindare aux enfers ».

20 On lit ainsi dans l’« Éloge historique de M. de La Motte » qui précède l’anthologie : « il publia en 1707 un recueil d’Odes, qui furent très bien reçues, quoiqu’en général elles soient trop raisonnées. Mais ce genre, négligé depuis Malherbe, parut alors comme nouveau. Il mérita au jeune Poète une réputation que les Odes de Rousseau ont beaucoup diminuée » (« Avertissement », L’Esprit des poésies, op. cit., p. vii). Hérissant met également en avant la nouveauté des fables : « Ce n’est pas qu’elles ne fassent beaucoup d’honneur à M. de la Motte, presque toutes étant à lui. Ses Fables ont le mérite peu commun de l’invention, et ne sont dues qu’à son génie créateur. » (ibid., p. iv)

21 Voici par exemple une strophe de l’ode « Le Souverain », que ne manque pas de supprimer Hérissant : « Sous mes pas, s’étend ma carrière ; / Quel espace m’en reste encore ? / Faut-il retourner en arrière ? / Non, prenons un nouvel essor. / Soutiens-moi, sage Enthousiasme ; / Écarte l’oisif Pléonasme ; / Rien n’est long que le superflu. / Dicte-moi ce que je dois / Et ne me laisse rien écrire, / Qui ne soit digne d’être lu. » (Odes de M. de La Motte de l’Académie française, avec un Discours sur la poésie en général et sur l’ode en particulier, Paris, Grégoire Dupuis, 1713, t. I, p. 198)

22 « Longtemps l’Antiquité savante / Nous recela mille Écrivains / Mais des beautés qu’elle nous vante, / Nous avons lieu d’être aussi vains. / Les Plines et les Demosthènes, / Les travaux de Rome et d’Athènes, / Deviennent nos propres travaux ; / Et ceux qui nous les interprètent, / Sont moins par l’éclat qu’ils leur prêtent, / Leurs Traducteurs que leurs Rivaux. » (Odes de M. D***, op. cit., 1707, p. 9)

23 Ibid., p. 12.

24 Le recueil original, Fables nouvelles, paru en 1719 comportait cent fables en cinq livres. L’éditeur des Œuvres de 1754 a ajouté un sixième livre composé de fables circonstancielles, inédites ou publiées sporadiquement dans les périodiques.

25 « Avertissement », L’Esprit des poésies, op. cit., p. i-ii.

26 « La gloire et le bonheur du roi », ibid., p. 5.

27 « L’orgueil poétique », ibid., p. 54.

28 « A Messieurs de l’Académie Française », ibid., p. 63. De fait, ces monosyllabes sont souvent soulignés par l’auteur du recueil : « C’est là qu’est ta gloire suprême » (ode iv, « La sagesse du Roi », p. 19), « Et qui si près du rang suprême » (ode v, « La descente aux enfers », p. 25), « C’est là le savoir le plus rare » (ode xiii, « L’Orgueil poétique », p. 54).

29 Voir sur ce point Ch. Bahier-Porte, « “Quel jargon recherché !”. Antoine Houdar de La Motte corrupteur du goût ? », dans Carine Barbafieri et Jean-Yves Vialleton (dir.), Vices de style et défauts esthétiques (xvie-xviiie siècle), Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 317-330.

30 L’Esprit des poésies, p. xxx. Les deux fables évoquées, « La Montre et le cadran solaire » et « La Rave » ne se trouvent pas dans la sélection opérée. Hérissant publiera une douzaine de fables de La Motte dans Le Fablier français, ou Élite des meilleures Fables, depuis La Fontaine, Paris, Lottin le Jeune, 1771.

31 « On doit surtout méditer l’Art poétique de Boileau, qu’on a nommé avec tant de raison le législateur de notre Parnasse » (Principes de style ou Observations sur l’art d’écrire recueillies des meilleurs auteurs, Paris, Frères Étienne, 1779, p. 255).

32 « Le Public n’a donc point été injuste, quand il a blâmé dans La Motte, des naïvetés qu’il aime tant dans La Fontaine. Ces naïvetés ne sont point les mêmes ; et c’est en les comparant qu’on se forme le goût » (ibid., p. 185-186).

33 « Préface », dans Les Paradoxes littéraires, op. cit., p. v.

34 Ibid. Je souligne.

35 Ibid. Le titre du recueil met en effet davantage en avant la manière d’écrire de La Motte, un certain esprit iconoclaste à l’excès (les « paradoxes »), plus que le sujet des discours qui arrive en deuxième sous-titre : Les Paradoxes littéraires de La Motte ou Discours écrits par cet Académicien sur les principaux genres de poèmes.

36 Ibid., p. 149.

37 Ibid., « Préface », p. vi.

38 Ibid., p. vii-viii.

39 Ibid., p. vii.

40 Il s’agit de la Suite des Réflexions sur la tragédie où l’on répond à M. de Voltaire, Paris, Grégoire Dupuis, 1730. Voltaire avait lui-même répondu aux Discours sur la tragédie de La Motte dans une nouvelle édition de son Œdipe. Voir H. de La Motte, Textes critiques, éd. cit., p. 727-752.

41 « Préface », Les Paradoxes littéraires, op. cit., p. viii.

42 « Il est bien entendu que Lamotte se trompe quelquefois et que les notes placées au bas des pages auront souvent pour objet d’indiquer ou de corriger ses erreurs » (ibid., p. vi).

43 « Poésie lyrique », ibid., p. 78. Je souligne.

44 Les Paradoxes littéraires, op. cit., p. 80. Les numéros de page des citations suivantes des Paradoxes littéraires seront indiqués entre parenthèses dans le texte.

45 La discussion en question porte sur les différences entre poète lyrique, poète dramatique et poète épique.

46 « Préface », Les Paradoxes littéraires, op. cit., p. vi. Il le souligne de nouveau dans la notice du Discours sur la fable : « Personne ne lit plus les odes de Lamotte, mais ses fables sont regardées comme ce qu’il a fait de mieux en vers » (op. cit., p. 152).

47 Ibid., p. v. Voir également ce commentaire en note, à propos de l’expressivité relative des vers : « Cette objection vient d’un homme qui ne sent pas et, par conséquent, ne comprend pas ce qu’est le beau dans les arts » (ibid., p. 34).

48 Ibid., p. vi.

49 Jullien commente la remarque suivante des Réflexions sur la critique : « Qu’on nous marque donc au juste combien il faut de siècles pour ôter aux hommes la liberté de juger d’un ouvrage d’esprit ? » (Les Paradoxes littéraires, op. cit., p. 309)

50 Béatrice Guion, « Une “dispute honnête” : la polémique selon les Modernes », Littératures classiques, 59, 2006, p. 156-172.

51 Les Paradoxes littéraires, op. cit., p. 111.

52 Voir sur ce point l’introduction de l’édition de la Digression sur les Anciens et les Modernes et autres textes philosophiques, dirigée par Sophie Audidière, Paris, Classiques Garnier, 2015.

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Christelle Bahier-Porte, « L’esprit Moderne mis en recueil : Houdar de La Motte (xviiie-xixe siècle) », Pratiques et formes littéraires [En ligne], 17 | 2020, mis en ligne le 20 janvier 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/pratiques-et-formes-litteraires/index.php?id=233

Auteur

Christelle Bahier-Porte

Université Jean Monnet Saint-Étienne – IHRIM UMR 5317

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