Médias, Religions et Dialogue islamo-chrétien en Afrique de l’Ouest : exemple pilote des médias sénégalais

DOI : 10.35562/rif.327

Résumés

Ce texte est une tentative de démonstration de l’état du dialogue islamo-chrétien au Sénégal et le rôle important des médias dans ce processus. En outre, il cherche à souligner l’importance du dialogue entre deux communautés qui aspirent à vivre ensemble et à mieux se comprendre. L’État et la Presse ont un rôle très important à jouer dans la formulation d’une stratégie capable de promouvoir encore le rapprochement entre les deux communautés religieuses à travers l’élaboration d’émissions interactives et de débats clairvoyants qui éclairent les fidèles de ces deux grandes religions au Sénégal même si l’islam y est largement majoritaire.

This text is an attempt to demonstrate the state of Islamic-Christian dialogue in Senegal and the important role of the media in this process. In addition, it seeks to emphasize the importance of dialogue between two communities aspiring to live together and better understand each other. The State and the Press have a very important role to play in formulating a strategy capable of further promoting the rapprochement between the two religious communities through the elaboration of interactive programs and clear-sighted debates which illuminate the faithful of these Two great religions in Senegal even if Islam is largely a majority.

Index

Mots-clés

Médias, Religions, Dialogue, Laïcité, État

Keywords

Media, Religions, Dialogue, Secularism, State

Plan

Texte

Introduction

Le premier journal religieux nous est venu du Nigéria et semble être la publication pionnière de toute l’Afrique de l’Ouest. C’est un hebdomadaire en langue Yoruba, Ywe Irohun yoruba, lancé en 1859 à Abeokuta, dans le Sud-Est du pays, à l’initiative du révérend Henry Townsend, un missionnaire anglais, pour les besoins d’évangélisation des populations Yoruba et Egba. Mia Holo, premier périodique catholique en Afrique Occidentale Française est lancé, dès 1911 au Togo, pour appuyer la mission de l’Église (Bathily, 2009, 16-17).

Au lendemain de la Seconde Guerre, vers 1947 et 1948, plusieurs publications confessionnelles firent leur apparition, afin de rendre compte et d’accompagner les actions d’évangélisation, tout en participant à la lutte contre l’autorité coloniale. Ainsi, la Mission évangélique du Togo lance dès cette époque un mensuel, Le Protestant. D’autres publications, comme Lettre de province, Rythme et Clarté, Jeune Afrique et Afrique Nouvelle seront, par la suite, lancées depuis Dakar et distribuées dans toute l’AOF, à l’initiative des églises protestantes et catholiques.

À partir de la seconde moitié des années 90, dans le cadre de la libéralisation des médias, des médias religieux de diverses obédiences se créent dans la plupart des pays de la région ouest africaine. Pourtant, les fréquences religieuses sont encore loin d’être légions, dans la sous-région, car ce type de radiodiffusions n’existe toujours pas dans quelques États comme la Gambie, le Ghana, la Guinée le Niger et le Nigéria.

Toutefois, la diffusion de la religion n’est pas assurée par les seules « radiodiffusions religieuses » : en réalité les religions accèdent à l’ensemble des médias, qu’ils soient de service public, qu’ils relèvent du secteur privé commercial ou qu’ils appartiennent à la catégorie des radios communautaires. À titre d’exemple, la part actuelle occupée par la religion, aussi bien à la Radiotélévision Nationale du Sénégal (RTS) que dans les radios communautaires représente environ 20 % des temps d’antenne.

L’enjeu de cette étude est que les médias jouent un rôle central dans la société. Dans ces conditions, leur vocation est d’encourager un débat public vigoureux sur des sujets d’intérêt général tels que la cohabitation religieuse ou le dialogue islamo-chrétien. Ce sont les médias comme nous l’enseigne la théorie de l’agenda qui nous indiquent ce qui est important et ce qui ne l’est pas dans la masse des évènements, des opinions et des personnalités. Et c’est eux qui décident de populariser ou non des idées nouvelles.

Au Sénégal (95 % de musulmans et 5 % de chrétiens), même si des débats sont organisés sur la question du dialogue islamo-chrétien, et qu’il existe une bonne cohabitation avec une réelle tolérance entre les chrétiens et les musulmans, on peut constater tout de même que les deux communautés semblent s’ignorer dans leur doctrine et n’osent pas soulever cette question dite sensible.

Dans les médias, on note que ceux-ci ne réservent qu’une place banalisée au dialogue islamo-chrétien. On reproche aux journalistes leur manque de connaissances religieuses et, en particulier le faible souci qu’ils montrent au traitement des sujets qui portent sur le dialogue islamo-chrétien.

En 1972, l’annonce du projet de réformes sur le Code de la famille a engendré une levée de boucliers qui s’est fait sentir par l’ensemble des couches de la société. Ainsi, la question de la nature de l’État au Sénégal est soulevée de même que la cohabitation entre ses différentes populations.

Durant les années 1990, un groupe d’intellectuels sénégalais a proposé la promotion d’un Code de statut personnel et l’abrogation du Code de la famille voté en 1973. L’objectif des membres de ce groupe était de subvertir l’orientation politique du Sénégal en utilisant le débat sur le Code de la famille et sur le statut des femmes. On ne peut comprendre ce phénomène sans explorer la relation entre islam et politique sur le long terme, et en particulier la question de la démocratie dans les sociétés musulmanes et dans la pensée politique islamique. Il est aussi important de comprendre les droits et le statut des femmes du point de vue du discours islamique.

Sous le président Senghor, les initiatives premières en vue d’une réforme politique furent discontinues, le caractère laïc de l’État fut affirmé avec force. Cette option devint claire au moment de l’élaboration du Code de la famille. La codification pour une loi nouvelle de la famille débuta sous le président du Conseil, Mamadou Dia (décret du 12 avril 1961). En 1965, Senghor désigna, de nouveau, le Comité des options pour le Code de la famille. Cette commission avait en charge l’unification des différentes formes de lois, car comment faire coexister les lois relevant de la coutume indigène, la loi musulmane (Sharî‘a) et le Code napoléonien. Après six années de travail, le Code de la famille fut présenté aux Sénégalais en 1972. Ses principales caractéristiques sont l’unification de la loi, l’affirmation affichée du caractère laïc de la société, la reconnaissance des principes des droits individuels et le principe de l’égalité de tous les citoyens (Mbow, 2010, 87-96).

Ce travail va être structuré de la manière suivante : nous allons d'abord aborder les traits marquants des deux principales religions à savoir l'Islam et le Christianisme, ensuite notre regard portera sur l'état du dialogue islamo chrétien en insistant sur les convergences et les divergences. Enfin, nous parlerons de la question de la laïcité et la manière dont elle est vécue par les Sénégalais.

1. Justificatif, problématique et hypothèses de travail

1.1 Justificatif

Le choix du sujet découle de l’actualité nationale et internationale des années 90 à nos jours.
Au Sénégal, nous sommes partis du constat que la cohabitation pacifique entre catholiques et musulmans est réelle, mais les deux communautés semblent s’ignorer dans leur dogme et dans leur pratique religieuse. Souvent, cela suscite des méfiances larvées qui, renforcées par l’actualité internationale à savoir la guerre du Golfe en 1991, celle d’Afghanistan, sans oublier le 11 septembre 2001 et la seconde guerre d’Iraq qui s’en est suivie en 2003. Plus près de nous, les conflits ivoirien et nigérian sur un fond religieux sont bien éloquents. Tout cela crée une confusion extrême des esprits et des cœurs chez la majorité des peuples. Cependant, la non-prise en compte effective par les médias sénégalais des questions religieuses insistantes comme le dialogue islamo-chrétien est de nature à limiter ce dialogue et à créer une méconnaissance religieuse entre chrétiens et musulmans.

Cela explique en partie la superficialité grandissante dans le traitement des informations religieuses et l’absence d’un réel débat sur le dialogue islamo-chrétien dans l’espace public sénégalais. D’où l’intérêt de ce sujet qui mérite d’être porté par les médias sénégalais.

1.2 Problématique

Notre problématique dans ce travail sera constituée d’une question centrale suivie de la définition du dialogue : quels sont les vrais défis du dialogue islamo-chrétien au Sénégal et quelle stratégie de communication et d’information les médias doivent ils adopter à cet effet ?
Le dialogue est avant tout un style d’action, une attitude et un esprit qui inspire le comportement. Il importe l’attention, le respect et l’acceptation de l’autre à qui on doit laisser l’espace nécessaire à son identité, à ses croyances, à ses valeurs. Ainsi, le dialogue présuppose d’abord la tolérance, mieux la liberté religieuse. Il est la reconnaissance des valeurs communes des religions.

En tout cas, nous avons constaté que les émissions et le traitement des sujets concernant le dialogue islamo-chrétien sont quasi inexistants dans les médias sénégalais. Pourquoi ces limites ? Comment les médias transforment et participent à la formation de l’espace public en traitant les sujets sur le dialogue islamo-chrétien ? Et comment les populations perçoivent-elles ces émissions dans les médias ?

1.3 Hypothèses de travail

Les journalistes chrétiens et musulmans sont-ils respectueux des principes d’équité, de cohabitation pacifique et de respect mutuel dans la couverture médiatique et surtout dans le traitement de l’information religieuse. Le cadre du dialogue islamo-chrétien au Sénégal est- il suffisamment structuré, formel et fonctionnel ? Si la réponse est négative, où se situent les carences de ce cadre ?

2. Les spécificités de l’islam sénégalais

C’est au Xe siècle que commença l’islamisation du Sénégal qui serait partie de la Mauritanie par le prédicateur marocain Abdallah Ibn Yacine (Vivant Univers, 2015, 38-40). Cette islamisation ne se fit pas sans heurts et avait marqué le pas jusqu’au XIXe siècle. Le Tékrur, premier royaume fondé vers le IVe ou le Ve siècle autour de l’estuaire du fleuve Sénégal, fut alors islamisé à l’exception des sérères qui migrèrent vers le sud du pays et s’installèrent dans le Sine et le Saloum.

À ses débuts, l’islamisation fut plus oligarchique que populaire. Et on attribue la grande vague d’islamisation par de grands saints comme Cheikh Ahmadou Bamba et El Hadji Malick Sy durant les premières années du XXe siècle. La réussite de la pénétration de l’islam au Sénégal s’explique d’une part par la coexistence et l’enrichissement dans la ligne de foi plutôt que dans la fusion de deux croyances différentes. Autrement dit, l’Islam n’a pas essayé de déraciner les croyances traditionnelles mais s’en est accommodé. D’autre part, l’islam sénégalais est un islam soufi des actes et des confréries dont le trait dominant est la notion de guide spirituel, du Cheikh qui organise la confrérie. C’est le lieu de préciser d’ailleurs, que l’Islam sénégalais est essentiellement confrérique et les marabouts constituent un maillon essentiel dans cette religion. Il y a toujours dans l’islam une double dimension : la science et le mystique. Au Sénégal, les confréries sont les principaux vecteurs de l’islamisation, le tidianisme s’est opéré en milieu urbain tandis-que le mouridisme s’est beaucoup développé en milieu rural.

Le mouridisme est fondé, à la fin du XIXe siècle, par Ahmadou Bamba Mbacké ou Serigne Touba (1853-1927) plusieurs fois par l’administration coloniale, au Gabon, en Mauritanie, à Thiéyène dans le Djiolof. Il rendit l’âme à Diourbel et fut inhumé à Touba. La confrérie mouride, créé par Serigne Touba, a fait l’objet d’une abondante littérature. Nous nous limiterons par conséquent à rappeler les idées forces de la doctrine mouride. On retiendra surtout, de l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba, le mysticisme. Sa vie comme ses prédications sont profondément imprégnées de cette quête de l’absolu, du divin qui est la caractéristique propre aux grands mystiques. La plus grande originalité de la doctrine mouride réside dans l’exaltation du travail, littéralement sanctifié dans l’affirmation d’une véritable mystique du travail (Coulon, 1981, 107).

Le mysticisme, l’abdication de la personnalité, le principe de la fidélité absolue du talibé à l’égard de son maitre, de l’obéissance sans réserve à ses directives, mettent entre les mains des marabouts mourides un important pouvoir économique et politique. L’ensemble de ses principes fait de la confrérie une organisation cohérente, dynamique et remarquablement disciplinée. À noter que le mouridisme est une création d’Ahmadou Bamba, d’origine rurale et surtout endogène.

La Tidjania, quant à elle, est une confrérie dont la spiritualité est tournée vers le prosélytisme mais aussi vers l’action. Au Sénégal, il y a trois branches de tidianisme issues de Fez au Maroc :

Les descendants d’Elhadji Oumar Tall, surtout pour les Toucouleurs du Fouta Toro, des régions de Kaolack, Tambacounda, Médina Gounas, Casamance, Gambie.

Elhadji Malick Sy et sa famille sont titulaires du Khalifa à Tivaouane qui est un haut lieu de pèlerinage des musulmans sénégalais.

Les descendants d’El-Hadjar Ibrahima Niasse, établis à Kaolack qui est aussi un des pôles du Tidianisme sénégalais. Ils entretiennent des relations étroites avec l’Émir de Kano au Nigéria où une branche de la confrérie compte plusieurs millions d’adeptes.

À côté de ces grandes tendances du tidianisme sénégalais, nous avons les layennes, une confrérie qui est fondée par en 1881 par un pêcheur lébou de Yoff qui s’appelle Liasses Thiaw (1845-1929), plus connu sous le nom de Limamoulaye dont un poisson génie lui révèle sa mission. Ce dernier commença sa prédication en 1883 et prône la pureté (ses fidèles portent un vêtement blanc lors des grands rassemblements). Il insiste beaucoup sur l’égalité entre les castes, les hommes et accorde beaucoup d’importance à la charité. Les layènes se recrutent presque uniquement chez les Lébous du Cap vert. Enfin la confrérie des quadirs issue de Abdoul Khadre Djieylani qui est aussi un descendant du prophète Mohamet.

3. Les spécificité du christianisme sénégalais

Pendant que la plupart des Églises catholiques d’Afrique fêtent depuis quelques années leur premier siècle d’existence, celles du Sénégal ont déjà un demi-millénaire d’âge. C’est au XVe siècle que le navigateur portugais Dinis Dias avait découvert l’île de Palmas, rebaptisée plus tard par les Hollandais. En décembre1481, les Portugais construisent la première chapelle en pierre à Gorée, en face de la presqu’île du Cap Vert, sur laquelle devait être construite, à partir de 1857, la ville de Dakar.

Des comptoirs commerciaux étaient créés sur la côte au sud-est du Cap vert, où s’organisaient des petites communautés luso-africaines, que visitait un prêtre jésuite portugais en 1608. En 1659, les Français ont fondé un comptoir à l’embouchure du fleuve Sénégal et l’ont baptisé Saint-Louis, en l’honneur du roi de France. L’évangélisation se poursuivait à un rythme discontinu car les missionnaires européens étaient souvent victimes des épidémies, des naufrages et des guerres et l’islam à cette époque constituait un frein à l’évangélisation. Outre cela, il y’avait l’attachement de la population locale surtout les sérères à la religion traditionnelle. Malgré toutes ces difficultés, l’évangélisation est marquée par l’implantation d’un chapelet de congrégations tout au long de la côte du pays où elle s’accélère au XIXe siècle grâce aux missionnaires français.

Les grandes figures qui ont marqué l’évangélisation du Sénégal étaient la mère Anne Marie Javouhey, fondatrice de la congrégation des sœurs de Saint Joseph de Cluny, et le Père François Marie Paul Libermann. C’est par la mère Javouhey et la congrégation féminine de Saint Joseph de Cluny que l’évangélisation commence vraiment, en mars 1819, au Sénégal. Dès leur arrivée, les sœurs ouvrent une école pour les enfants indigènes et européens, restaurent l’hôpital de Saint Louis. Selon André Picciola, « les sœurs de Saint Joseph de Cluny désiraient beaucoup travailler à l’évangélisation des enfants de Saint-Louis, mais leur ambition fut vite ramenée à de plus modestes proportions. Leur nombre était trop faible face à une population depuis longtemps gagnée par l’Islam et qui n’avait pas senti le besoin de changer de croyance » (Picciola, 1987, 18).

La question du clergé local s’est toujours posée depuis longtemps à la mission catholique du Sénégal. La mort croissante des missionnaires européens incite les chefs de la mission locale à former des sénégalais au sacerdoce. C’est ainsi que trois prêtres avaient déjà été formés et en service dans leur pays, mais ils étaient les seuls, depuis dix ans, depuis leur ordination en France. Monseigneur Kobes et ses successeurs avaient entrepris de former le maximum de jeunes sénégalais au sacerdoce, mais avec moins de succès car les mentalités sénégalaises n’étaient pas du tout enchantées par le célibat et la chasteté.

Le 4 avril 1962, l’Abbé Hyacinthe Thiandoum, curé de la cathédrale de Dakar était nommé archevêque puis cardinal le 24 mai 1976. Cela a fait que l’Église catholique du Sénégal est passée du statut d’Église de mission (Église confiée au missionnaire) au statut d’Église locale (Église confiée au clergé local). Ce qui explique que le clergé sénégalais a une grande maturité évangélique pour mener à bien ses activités pastorales. Rares cas en Afrique noire francophone où la plupart des prélats demeurent européens.

4. La religion dans les médias au Sénégal

Situé en Afrique de l’Ouest et peuplé d’environ 13 millions d’habitants, le Sénégal est un pays qui jouit d’une longue stabilité politique et sociale. Il compte 95 % de musulmans, mais l’esprit de tolérance s’y est très tôt manifesté. Sur le plan institutionnel, la conduite des affaires, de 1960 à 1980, par un président chrétien, en la personne de Léopold Sédar Senghor en est une belle illustration. Un acquis à préserver à tout prix au moment où notre sous-région est menacée par des forces centrifuges comme au Mali. Alors que la plupart des pays africains étaient régis par des partis uniques sous des dictatures militaires ou civiles à partir de 1960 (année des Indépendances) et n’ont opéré des réformes politiques que dans les années 1990, les autorités sénégalaises avaient déjà anticipé les revendications démocratiques. Le président parlait déjà de sa formation politique, l’Union Progressiste Sénégalaise (Ups) comme d’un parti « unifié », une façon de se démarquer des modèles de super partis-État uniques comme on en voyait ailleurs.

Ce choix politique et la gestion qui en est faite par les acteurs de l’espace public, vaut au Sénégal d’être régulièrement cité sur la scène internationale, comme un exemple de démocratie, respectueux des droits de l’Homme et de la liberté de presse. À l’instar du système politique, le système médiatique sénégalais est devenu pluraliste après quelques années de monopole de l’État sur les médias. Il compte, aujourd’hui, une dizaine de chaînes de télévision dont trois religieuses, une radio publique avec ses stations régionales, une vingtaine de radios privées commerciales, une soixantaine de radios communautaires, 20 quotidiens dont Le Soleil (média public), de nombreux périodiques et plusieurs journaux en ligne. Pour l’essentiel, ces médias sont présents sur la toile mondiale. Cette dynamique médiatique est allée de pair avec la mise en place de groupes de presse privés devenus, au fil des ans, de véritables entreprises dont Sud Communication, Futurs Médias, Wal Fadjri, Avenir Communication, DMedia.

La vie publique au Sénégal est caractérisée par l’esprit de tolérance et de compréhension mutuelle entre les différentes communautés religieuses que sont l‘Islam, le Christianisme, les croyances traditionnelles et les autres cultes plus ou moins importants dans notre pays. Cet esprit de tolérance se reflète jusque dans les cimetières communs comme à Sor (Saint-Louis) à Joal et Ziguinchor où Musulmans et Chrétiens cohabitent ensemble pour le repos éternel.

La façon dont les deux principales religions ont été introduites au Sénégal, c'est-à-dire sans violence (même si le christianisme est arrivé avec les colons) est sans doute pour beaucoup dans la pacification de la vie sociale. Le Sénégal est, en effet, l’un des rares pays au monde qui n’a véritablement pas connu de Jihad (guerre sainte). Dans cette partie de l’Afrique, l’Islam s’est installé en douceur par la pédagogie des figures emblématiques qui ont eu la mission historique de la propager, chacun à sa manière et selon les contextes.

De nombreuses familles sénégalaises vivent aujourd’hui ce « syncrétisme », partagées qu’elles sont entre ces deux religions. Aujourd'hui, la cohabitation entre Chrétiens et Musulmans se fait sous le sceau du respect mutuel voire de la fraternité et ce n’est plus une exception que les deux confessions soient représentées à l'intérieur d'une même famille.
Mgr Hyacinthe Tiandoum, premier Archevêque de Dakar est originaire de Popenguine où il compte lui-même des parents d’une autre religion. Musulmans et Chrétiens n'hésitent d'ailleurs pas à participer, sous une forme ou une autre, à l'organisation de toutes les cérémonies religieuses catholiques ou musulmanes d'importance comme le pèlerinage annuel de Popenguine, le Magal de Touba, le Gamou de Tivaouane. Ce fut le cas lors du séjour historique du Pape Jean Paul II en 1992 à l’occasion duquel le sanctuaire marial fut béni. Les fêtes religieuses musulmanes comme chrétiennes sont célébrées dans la communion la plus parfaite sans nuire à l’orthodoxie cultuelle de l’une ou de l’autre religion.

Cette même tolérance et cette compréhension se retrouvent au niveau des confréries qui se réfèrent toutes à l’Islam soufi (sunnite) dont les plus représentatives sont la Tidjaniyya, le Mouridisme, la Quadriyya, première confrérie implantée en Afrique de l’Ouest. Tant par leur naissance, que par leur évolution historique, les confréries ont toujours été, au-delà du foyer religieux, des espaces d’éducation à la paix, à la tolérance et au respect mutuel. En cela, la confrérie a hérité de la forme d’initiation traditionnelle où le Diom (dignité), le Ngor (honneur) et la kersa (éthique) étaient dispensés dans une perspective de façonner un « être social ou sociable ». C’est en cela également que les confréries ont toujours été considérées comme le complément indispensable à une chaine de valeurs qui fondent l’homo senegalensis.

La religion a toujours occupé une place de choix dans les programmes des médias au Sénégal (radios et télévisions et journaux). Les grilles de programmes des chaines sénégalaises intègrent en général les émissions religieuses, qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes. Les grands événements religieux, Magal de Touba et Gamou de Tivaouane, Pèlerinage de Popenguine, sont largement couverts ainsi que les autres événements de moindre importance. « Manhar Al Islam » de Elhadj Cheikh Gassama et l’émission catholique le « jour du Seigneur » sur l’ORTS (RTS) sont des œuvres pionnières qui ont marqué les premiers pas des émissions religieuses dans la presse. À partir des années 90, les médias privés, emboîtant le pas aux médias publics, commencèrent à recruter des prédicateurs formés d’abord dans les « daaras » sénégalais comme Touba, Tivaouane, Pire, Ndiassane, Médina Baye, ensuite, quelques années plus tard, dans les universités du Maghreb et d’Égypte. Ils s’évertuaient à développer un discours axé sur le sacré en puisant dans les sources livresques les éléments de leurs prêches. (exaltation et glorification du fait religieux, rappel des hauts faits des chefs religieux). Leur radicalisme, si on peut l’appeler ainsi, se manifeste dans le traitement des rapports sociaux, basés notamment sur le genre, la position de l’homme dans l’Islam, la femme dans sa vie de jeune fille et d’épouse, l’image de la femme, voilée ou non, les questions relatives à la sexualité, aux rapports dans le ménage, au rôle du marabout, etc.

Quant aux sermons des imams, ils font souvent allusion à la vie et à l’œuvre du Prophète et à ses compagnons et se focalisent sur des rappels historiques. Ces sermons sont en général des invites à se conformer aux préceptes de l’Islam et à la charia. Ces prêches sont repris dans les radios et télévisions dans des émissions dédiées. La question des rapports entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, des rapports entre l’homme et son prochain, entre l’homme et l’au-delà est également traitée par les religieux dans des émissions en langues nationales.

L’utilisation des langues locales dans les émissions religieuses a été une option stratégique qui a permis de capter le maximum d’auditeurs et de téléspectateurs tout en permettant à des arabisants d’occuper leur temps d’antenne. Beaucoup de Sénégalais se sont imprégnés de leur religion à travers ces émissions.

Aujourd’hui, les émissions religieuses musulmanes et chrétiennes occupent toutes les chaines et peuplent les grilles des programmes et les prêcheurs sont parmi les animateurs les plus en vue. Leurs prêches sont sollicités même dans les conférences religieuses, en particulier pendant le Ramadan. Les émissions interactives sont utilisées pour non seulement capter la clientèle mais aussi se faire de l’argent par le biais des serveurs vocaux. C’est dire que les chaines y compris les nouvelles chaines confessionnelles, sont en compétition permanente pour élargir leur audience et les sermons et prêches prennent des allures de show médiatiques. Cet intérêt prononcé vers les émissions religieuses est dicté par trois facteurs : l’ouverture des universités arabes aux jeunes sénégalais qui, de retour, choisissent l’enseignement et le prêche comme activité principale ; le conflit au Moyen Orient qui a conduit beaucoup de Sénégalais à s’intéresser à l’Islam et à la vie religieuse ; la place de l’Islam dans la mondialisation perçue non plus comme espace de dialogue et d’échange mais plutôt comme champ de confrontation et de guerre idéologique.

Point essentiel autour duquel ces animateurs se retrouvent, c’est le terme Jihad que beaucoup interprètent non plus comme la guerre sainte mais plutôt comme une guerre contre son moi, ses instincts animaux et ses pulsions. La Jihad est en opposition à l’intégrisme religieux qui vous met en conflit avec celui qui n’épouse pas les mêmes idées que vous. C’est là que le terrorisme et le radicalisme religieux sont renvoyés dans le registre des prises de positions politiques et non religieuses. En effet, le radicalisme religieux et son expression la plus violente, à savoir le terrorisme, ont souvent pris racine là où les contenus des livres saints (Tora, Bible, Coran) ont été enseignés dans une optique d’exclusion, de stigmatisation et de diabolisation. Mais si la lutte contre ses propres instincts tranche avec le radicalisme religieux, elle pose le problème de la passiveté voire du fatalisme face à un environnement dont la transformation demande l’intervention de l’homme. Ni ascétisme « passif » ni agressivité aveugle, tels semblent être les deux pôles des discours religieux tenus dans les médias sénégalais.

Mais, ces discours sont-ils bien perçus par les publics ? Utilise-t-on les meilleurs supports et les meilleurs créneaux pour faire passer les messages ? Quel impact ces discours du religieux ont-ils sur les populations ? Ceux à qui ces émissions sont confiées, ont-ils la formation requise pour la diffusion du message ? Maitrisent-ils les contenus et les modalités de transmission du message de l’émetteur au récepteur ? En somme, sont-ils des personnes averties à défaut d’être des journalistes spécialisés ? La réponse à toutes ces questions nous renvoie à la nécessité de repenser les formats de ces émissions et le profil des hommes qui les animent.

La guerre prenant « naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut ériger les défenses de la paix ». La promotion de la paix par l’éducation fait partie des missions des hommes de médias. Cela, nul n’est mieux placé que la presse pour en tirer profit. C’est dire, l’intérêt primordial accordé à toutes les initiatives œuvrant pour la promotion de la paix. La culture de la paix est en effet d’une brûlante actualité face aux mutations et aux bouleversements dans nos sociétés et qui parfois constituent des pôles de cristallisation de conflits aux motivations diverses et souvent même saugrenues.

Parler à la radio et à la télévision requiert donc des aptitudes et des compétences particulières. En effet, le métier de journaliste ou d’animateur est sans aucun doute l'un des plus difficiles et des plus exigeants qui soient en raison des nombreuses contraintes liées à la bonne maîtrise des contenus et à la bonne gestion du contenant dans un champ public qui est, par excellence, le domaine de toutes les libertés et de toutes les sensibilités. Relais indispensables dans la communication sociale, les médias sont des outils incontournables dans la promotion d’une culture de la paix tout comme ils peuvent être des instruments diaboliques dans la culture de la haine. L’exemple de la radio Mille Collines au Rwanda est là pour le démontrer. Dans un contexte de démocratie totale consacrée par le pluralisme sous toutes ses formes, le journaliste ou l’animateur se trouve tous les jours interpellés par sa propre conscience. Dans ce domaine, la plus petite erreur, la faute la plus anodine se paie cash car elle ne se rattrape guère. C’est encore plus grave quand il s’agit de la religion qui, comme chacun le sait, charrie des passions. Nous l’avons tous constaté à travers les informations qui nous parviennent du monde où la stigmatisation, la diabolisation et le rejet font le lit de l’intolérance et de la violence aveugle.

Dans le contexte sénégalais marqué par ce qu’on peut appeler une pluralité de chapelles, une telle vérité nous renvoie à la diversité et la pluralité des sources. Dans le discours religieux, c’est plutôt la contradiction des faits relatés qui peut lui faire perdre totalement son caractère sacré. Sur ce terrain, les prêcheurs sénégalais sont encore dans les normes si l’on en juge par la fiabilité de leurs sources et de leurs références. Il faut cependant reconnaître que, parfois, certains Sénégalais sont désorientés et agacés par la manière dont les passages des livres saints sont relatés, et souvent même fabriqués, par des prêcheurs qui ne disposent d’aucune compétence pour exercer ce métier ni du point de vue du niveau de base ni du point de vue de la maîtrise des techniques de collecte et de traitement, encore moins des règles éthiques et déontologiques.

Il va de soi que de tels comportements font perdre toute crédibilité, ce qui rejaillit forcément sur l’appréciation d’ensemble que les populations font de tel ou tel média. En effet, quand les mauvaises interprétations se substituent aux faits, quand le virtuel prend la place du réel, quand les suppositions occupent le champ de la vérité, c’est la porte ouverte à tous les dérapages et la mort de toute expression crédible.

Hélas, avec le développement exponentiel des chaines de radios et télé, le risque est grand de voir ce genre de situations prospérer avec des risques de dérapages préjudiciables à l’harmonie de la nation. C’est en cela qu’il faut veiller à ce que l’éducation à la vie religieuse réponde davantage aux objectifs que l’État assigne à toutes ses composantes : la paix, la concorde et l’harmonie de la société. À cet égard, il convient de situer les rôles et responsabilités de l’État dans la préservation de cette harmonie, même si son caractère laïc et équidistant de toutes les confessions lui assigne une mission d’observateur avisé de la vie religieuse et de régulateur. Il va sans dire qu’il doit veiller à tous les équilibres qui fondent la stabilité de la société, notamment la laïcité de l’État et de ses institutions, les droits et devoirs de chacun (homme, femme, enfant) dans la société, la question des minorités et des forces émergentes, celle de l’intégrisme sous toutes ses formes. Au demeurant, il est heureux de constater que le fondamentalisme religieux a des difficultés à s’implanter et à s’incruster dans des espaces déjà bien occupés par les confréries à la fois fortes et bien enracinées fondées sur la pédagogie du symbole. C’est en cela que les messages politico-religieux tels qu’ils sont émis et diffusés sous d’autres cieux ne sont ni acceptés ni tolérés dans les médias sénégalais, même si sur ce point important une vigilance s’impose face à la menace de l’intégrisme international.

À l’opposé des États islamiques où l’Islam est la religion d’État, au Sénégal, c’est plutôt la laïcité qui devrait garantir une parfaite communion des religions, promouvoir l’égal accès à l’éducation de qualité, à la formation qualifiante ; partant, favoriser l’émancipation de la femme par le biais de l’acquisition du savoir au même titre que l’homme. L’éducation à la citoyenneté semble être, à cet égard, le meilleur garant et le plus efficace rempart contre les injustices, la discrimination, l’intolérance d’où qu’elle vienne.

À cet égard, les médias doivent exercer leur droit d’informer de la véracité des faits, tout en évitant de tomber dans le piège d’une instrumentalisation consciente ou inconsciente de forces centrifuges dont l’objectif est de détruire les bases qui fondent la vie de notre société (Kassé).

5. Les limites du dialogue islamo-chrétien

L’espace public est fondé sur la prise en compte des points de vue opposés, sur les consensus au niveau des débats politiques, religieux et sociaux. Au Sénégal, Abbé Adolphe Faye et Abbé Jacques Faye (évêques connus au Sénégal) en compagnie d’islamologues de renom ont eu à discuter à la radio Walf FM (station radiophonique privée au Sénégal) des évènements du pays à partir de leurs conceptions religieuses pour ensuite procéder à un petit moment de dialogue doctrinal. Bien que leur conception sur le paraclet ne soit pas la même car si les musulmans le désignent par le Prophète Mohamed tel qu'annoncé par Jésus dans le coran, alors que chez les chrétiens, le paraclet annoncé par Jésus dans la bible est l’esprit saint. Il y a eu un moment de dialogue très fraternel là-dessus, mais chacun a défendu les points de vue de sa religion et cela a éclairé beaucoup de gens.

Chaque citoyen écoute sa religion dans les médias. Lazarsfeld disait que « les médias ne font que renforcer les idées préétablies ». Ainsi, les récepteurs cherchent dans les médias ce qui les intéresse en renforçant leurs convictions de départ. Les médias orientent certes l'opinion publique (théorie de l'agenda) mais en matière de choix, de croyance et de foi, les médias changent difficilement le point de vue des gens.

La grande divergence entre l’islam et le christianisme réside sur les textes dogmatiques. Le christianisme ne prend pas en considération et ne reconnait pas une révélation postérieure à Jésus et à ses apôtres. Il semble donc éliminer ce titre au Coran alors que le coran prescrit à tout musulman de croire aux écritures antérieures à lui. Il met l’accent sur la place prépondérante occupée dans l’histoire de la révélation par les envoyés de Dieu, les prophètes y compris Jésus dont sa naissance est relatée par le Coran tout autant que par l’évangile.

Cependant, l’incarnation, la trinité, la mort de Jésus et sa résurrection ne sont pas reconnues par le Coran telles que relatées par la Bible. Ces divergences de vue constituent de vrais obstacles mais ne doivent pas empêcher le dialogue.

Une autre divergence est la non-reconnaissance officielle par l’Église de la révélation prophétique qui culmine et se termine par Mohamed, « Sceau des prophètes ». Alors que le Coran prescrit à tout musulman de croire à l’Écriture antérieure à lui. Pour beaucoup d’idéologues musulmans, aussi longtemps que l’Église catholique ne reconnaitra pas le prophète Mohamed, on ne parlera vraiment pas de dialogue mais plutôt de tolérance qui est une vertu par défaut. Pour le Coran, qui refuse la trinité, Jésus s’inscrit néanmoins dans la longue série des prophètes du Dieu Unique qui, d’Adam à Mohamed, ont pour mission d’annoncer, d’enseigner ou de raviver le pur monothéisme d’Abraham dont l’islam entend être la réalisation parfaite et définitive (Diondoumdé, 2004, 45).

La démarche du dialogue doit aussi être de rechercher à combattre l’incompréhension. À l’heure où une mauvaise lecture des évènements mondiaux, dominés par la violence et le fondamentalisme religieux, ou des fois une certaine manipulation des médias pousse à confondre l’islam au terrorisme, le dialogue islamo-chrétien se pose de plus en plus comme une nécessité.

Qui oserait prétendre que l’Évangile encourage les chrétiens à une attitude hostile envers les musulmans ? Le Coran non plus, n’appelle pas à la guerre sainte contre les chrétiens. Il y a, certes, des divergences de vue entre les deux religions mais l’Islam recommande le respect envers les « Gens du livre », envers la foi et le culte des chrétiens. Le Coran recommande de ne discuter avec eux que « de la meilleure des manières ». L’Islam invite les chrétiens à cultiver des liens d’amitié étroits qui doivent exister entre musulmans et chrétiens : amitié fondée sur la foi en un Dieu unique qui est La Référence de tous les fils d’Abraham.

6. La laïcité au Sénégal

D’après plusieurs observateurs, la question de la laïcité suscite toujours des débats controversés et très passionnés. Aujourd’hui, l’on est en droit de se demander est-ce que le concept de laïcité est nouveau au Sénégal ? Pourtant, la laïcité est inscrite dans la constitution de la république du Sénégal depuis 1960 et cela n’a pas posé un réel problème au sein de la population à dominance musulmane.

Ce n’est que dans les années 2000 que le débat ressurgit. Beaucoup de musulmans, et surtout certains dignitaires, pensent que la laïcité est d’origine judéo-chrétienne et ne profite donc pas aux musulmans. Cependant, il y a des conceptions peu élaborées de la laïcité que certains assimilent tout simplement à une importation d’un aspect de l’histoire de l’Europe, de la France en particulier. La laïcité est une notion complexe à définir. Le juriste Henri Capitant, en 1936, en donne la définition suivante : « La laïcité est une conception politique impliquant la séparation de la société civile et de la société religieuse, l’État n’exerçant aucun pouvoir religieux et les Églises aucun pouvoir politique » (Robert, 985, 915).

Cela étant dit, la laïcité semble exprimer une négation de la religion au sein de l’État. Elle n’établit pas un lien positif, mais une séparation entre l’État et la religion. Elle ne désigne donc pas une relation effective, mais plutôt une absence de relation. En France, la laïcité s’était essentiellement établie contre l’Église. En effet, même si l’Islam distingue le spirituel et le temporel, il n’admet pas la laïcité car il ne sépare pas le politique et le religieux et c’est pourquoi, les chefs religieux musulmans du pays prennent position pendant les élections et se permettent même des fois de donner des consignes de vote à leurs adeptes. Pour les musulmans, l’islam ne se limite pas au culte, mais a des prolongements dans la vie individuelle, familiale et sociale. L’Islam est à la fois culte et culture, religion et société ou encore religion et État.

Dans un État laïc, il n’y a pas de place pour le droit musulman, ni pour un statut personnel voulu par le religieux. C’est pourquoi l’Islam a de réelles difficultés à accepter la laïcité. Cette situation peut avoir des conséquences. Au Sénégal, l’État laïc tient bien compte de la spécificité de l’Islam du terroir, ce qui a conduit à une laïcité souple. Au Sénégal, le professeur Saliou Kandji considère que « notre laïcité ne découle pas de la laïcité française, notre laïcité est une laïcité africaine qui est basée sur la reconnaissance de l’autre. Les européens sont arrivés à la laïcité par nécessité alors qu’au Sénégal, nous sommes nés dans la laïcité et en tant que négro-africain, c’est le fondement même de mes relations à l’autre en société. Nous nous reconnaissons dans nos différences mais unis » (Diondoumdé, 2004, 50).

Dans ce même ordre d’idées, l’Abbé A. Faye, déclarait lors de la conception du code de la famille de 1973, que « parmi les participants à l’élaboration du code de la famille, étaient représentés tous les chefs religieux à l’élaboration du code de la famille, étaient représentés tous les chefs religieux musulmans de toutes les confréries du pays, les imams sans exception, avec la présence de deux prêtres catholiques en la personne de L’Abbé Léon Diouf et du Père Henri Galvraud. Malgré la présence infime de chrétiens, ce code de la famille est équilibré et cela nous a mis tous à l’aise, chrétiens comme musulmans. L’État du Sénégal a adopté la laïcité à sa manière par le fait même que presque tous les sénégalais sont des croyants, et l’État entretient des rapports étroits avec toutes les autorités religieuses qu’elles soient catholiques ou musulmanes » (Diondoumdé, 2004, 50). Autour de cette expérience, les Sénégalais doivent voir ce qui est essentiel dans la laïcité pour le bien du pays et en discuter dans l’espace public, car la laïcité tout comme le dialogue islamo-chrétien doivent être des problématiques toujours à revisiter surtout dans le contexte de la mondialisation où tout évolue.

Conclusion

Les croyants sénégalais peuvent-ils asseoir un véritable dialogue sans rien renier de leurs traditions et convictions spécifiques ? Tous doivent être convaincus que c’est le même Dieu qui les interpelle, même s’IL est appréhendé différemment par les uns et par les autres, et tous ont la certitude que Dieu parle aux hommes dans leur histoire, même si les manifestations sont différentes pour les uns et pour les autres. En effet, le dialogue a ses lettres de noblesse dans les deux traditions religieuses. Chrétiens et Musulmans sénégalais auraient beaucoup à se dire au plan des valeurs qui commandent leur engagement au service des hommes et de la cité et devraient penser qu’ils ont beaucoup à se dire dès lors qu’il s’agit de leur expérience religieuse proprement dite, de leur réponse personnelle aux sollicitations divines et des richesses de sainteté humaine qu’ont développées le Christianisme et l’Islam, au cours de l’histoire. Il faut donc que les uns et les autres développent une spiritualité dynamique à travers une ouverture basée sur la recherche permanente de la parole de Dieu, sur le respect des principes de chaque religion.

Cité aujourd’hui parmi l’un des rare pays en Afrique où les différentes confessions religieuses vivent en parfaite harmonie, le Sénégal doit cette particularité et cette différence par le dialogue islamo-chrétien. Une réalité au pays de la « Teranga » considéré comme modèle du genre dans un monde de plus en plus en proie à des conflits interreligieux. Comme illustration de l’entente entre les deux communautés religieuses, le diplôme décerné par le Pape François Premier pour honorer le Sénégal dans ces œuvres pour la paix entre les chrétiens et les musulmans. La distinction a été remise au ministre conseiller du Président Macky Sall par le Cardinal sénégalais Monseigneur Théodore Adrien Sarr. Quand les fêtes chrétiennes arrivent, les musulmans sont invités à venir y prendre part et vice versa. Un symbole qui magnifie cette union des cœurs.

Les médias sénégalais, de par leur rôle, possèdent un immense potentiel pour promouvoir un véritable dialogue islamo-chrétien. Les journalistes sénégalais doivent organiser des débats critiques sur des problématiques religieuses qui peuvent éclairer la lanterne des adeptes. Par le triptyque « Informer, Éduquer et Distraire », les médias sénégalais dans leurs différentes thématiques, surtout celles relatives à l’éducation, doivent entreprendre davantage pour renforcer la compréhension des deux religions. Autrement dit, l’éducation au dialogue doit créer le rapprochement et diminuer certains malentendus, dans l’utilisation diversifiée des langues nationales et dans le respect des réalités nationales. Tout cela constitue un ensemble de défis pour un véritable dialogue islamo-chrétien au Sénégal.

Bibliographie

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Diondoumdé A. (2004), Religions, Médias et Espace public au Sénégal. Le Rôle des médias dans le dialogue islamo-chrétien au Sénégal de 1998 à nos jours. Mémoire de Maitrise au Cesti.

Kassé M. (2013), Religions et Paix, pourquoi les Médias doivent-ils veiller à leur mission de paix et d’alerte ?, 15/01/2013, disponible sur : http://www.sudonline.sn/religions-et-paix----pourquoi-les-medias-doivent-ils-assurer-leur-mission-de-veille-et-d-alerte-_a_12044.html.

Mbow P. (2010), « Contexte de la réforme du Code de la famille au Sénégal », Droit et cultures, no 59, disponible sur : http://droitcultures.revues.org/1963.

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Vivant Univers, Revue chrétienne pour la promotion humaine (2015), no 416.

Citer cet article

Référence électronique

Moustapha Samb, « Médias, Religions et Dialogue islamo-chrétien en Afrique de l’Ouest : exemple pilote des médias sénégalais », Revue internationale des francophonies [En ligne], 1 | 2017, mis en ligne le 15 juillet 2017, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=327

Auteur

Moustapha Samb

Détient depuis 1995 un doctorat de l’Université Michel de Montaigne Bordeaux3. Une fois rentré au Sénégal, il intègre le Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’information (Cesti) où il enseigne des cours qui portent essentiellement sur les médias et la communication. Il a été directeur des Etudes du Cesti. Depuis 2011, il assure l’encadrement des doctorants du Cesti en tant que maitre de Conférences.

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