Métamorphoses de Sītā et Kaṇṇaki : du parangon de chasteté au sujet du désir selon cinq poétesses féministes tamoules contemporaines

  • Metamorphosis of Sītā and Kaṇṇaki: From Paramount of Chastity to Woman’s Assertion of Her Sensuality through the Feminist Poems of Five Contemporary Tamil Women Writers

DOI : 10.35562/agastya.324

Abstracts

Dans cet article, j’essaie d’examiner comment cinq poétesses tamoules contemporaines renouvèlent la représentation traditionnelle de Cītai et Kaṇṇaki, modèles de l’épouse vertueuse respectant la loi de kaṟpu (chasteté conjugale de l’épouse). Dans les sept poèmes observés, Civakāmi, Cukirtarāṇi, Kuṭṭi Rēvati, Ku. Umātēvi, Umā Ṣakti font exploser ce carcan patriarcal en jouant sur divers procédés narratifs et stylistiques afin d’inviter les femmes tamoules à s’en libérer. Les poétesses glorifient le corps de ces figures littéraires incarnant la beauté physique, elles incitent ainsi les femmes à prêter attention à leur propre corps aussi bien qu’à leurs désirs charnels. Dans deux poèmes, la vulve, synecdoque du corps de Cītai, devient symbole de transgression et expression des aspirations féminines. La flore et la faune associées à Cītai et Kaṇṇaki contribuent à l’éloge du désir et du plaisir dans une relation autre que conjugale, cependant ces images révèlent aussi un ardent désir de maîtrise de la parole, tant pour dénoncer différentes manifestations d’injustice envers les femmes, que pour donner naissance à un discours poétique original.

In this paper, I try to show how five contemporary Tamil women poets renew the traditional perception of Cītai and Kaṇṇaki as paramount of the ideal wife, respectful of the law of kaṟpu. Through seven poems, Civakāmi, Cukirtarāṇi, Kuṭṭi Rēvati, Ku. Umātēvi, Umā Ṣakti, playing with different narrative and poetic devices, reject the patriarchal concept of the ideal spouse, in order to push Tamil women towards liberation. These feminist poets praise the beauty of both literary characters in order to stir up Tamil women to pay attention to their own body and desires. In two poems, the vulva, as a Cītai’s body synecdoche, turns to be a symbol of transgression as well as the expression of what women aspire to. Flora and fauna in association with Cītai and Kaṇṇaki are used to glorify not only lust, but also to express a deep ambition to master speech, aiming to refuse iniquities towards women and to create a new poetic expression.

Outline

Text

Introduction

Les sept poèmes tamouls de Ku. Umātēvi (née en 1983), d’Umā Ṣakti (née en 1974), de Kuṭṭi Rēvati (née en 1974), de Cukirtarāṇi (née en 1973), de Civakāmi (née en 1957) présentés sont tirés d’un corpus de vingt‑deux poèmes tamouls contemporains1. Ils figurent dans des recueils parus entre 2006 et 2019, après une première publication dans divers magazines populaires ou littéraires. Certains sont diffusés en ligne à destination d’un large public. Les cinq autrices féministes se réfèrent explicitement ou implicitement à Sītā (Cītai en tamoul) et Kaṇṇaki, célèbres héroïnes de la littérature tamoule médiévale, la première du Kamparāmāyaṇam2 la seconde du Cilappatikāram3. Elles incarnent la vertu de la chaste épouse. Le premier texte, de Ku. Umātēvi précise, dans la deuxième strophe, les noms de chacune ; le suivant, d’Umā Ṣakti nomme Cītai seule ; dans les troisième et quatrième, Kuṭṭi Rēvati énonce le nom de Kaṇṇaki ; les deux suivants, de Cukirtarāṇi et Umā Ṣakti mettent en scène Cītai sans la nommer ; il en va de même pour le dernier, de Civakāmi, évoquant Kaṇṇaki. Toutefois, même lorsque leur nom n’apparaît pas, des références à leur histoire permettent leur identification. La présence de ces personnages féminins dans des poèmes du début du xxie siècle, alors que Cītai et Kaṇṇaki incarnent des valeurs patriarcales, ne manque pas de surprendre. Comment des féministes s’y réfèrent‑elles ou se les approprient‑elles afin d’exprimer les interrogations et les aspirations de la femme tamoule d’aujourd’hui ?

Ces poèmes en vers libres ne sont pas ponctués4, à l’exception de deux d’entre eux5. Le premier du corpus se compose de trois strophes de huit, quatre et cinq vers ; le dernier de deux strophes de huit puis treize vers ; dans les autres, les vers se suivent. J’ai essayé de les traduire en tenant compte le plus possible de la disposition des vers et de la syntaxe tamoule6. Dans l’analyse, les citations en translittération du tamoul (suivant le système de translittération du Tamil Lexicon, 1982, p. lxviii) précèderont ou suivront ma traduction. La numérotation des vers correspond au texte tamoul.

Cet article s’adresse prioritairement à un public ayant une connaissance suffisante de la langue tamoule pour pouvoir lire sans aide grammaticale et lexicale les textes du corpus. Cependant les débutants pourront lire la traduction et l’étude des aspects littéraires et culturels de ces quelques poésies féministes d’aujourd’hui.

Textes

Ku. Umātēvi

தசதிசை எரித்துச் சிரிக்கும் சித்திரம் Tacaticai erittuc cirikkum cittiram7

1

எப்போதாவது நிகழ்ந்து விடுகிறது
eppōtāvatu nikaḻntu viṭukiṟatu

தகர்ப்பும் உடைப்புமான விளிம்புத் தருணங்கள்
takarppum uṭaippumāṉa viḷimput taruṇaṅkaḷ

முகங்களை மட்டுமே உள்வாங்கி அலையும்
mukaṅkaḷai maṭṭumē uḷvāṅki alaiyum

வனவிலங்கு மாதிரி வாழ்ந்து மடிய
vaṉavilaṅku mātiri vāḻntu maṭiya

5

நீர்வார் கண்பூத்து
nīrvār kaṇpūttu

விருப்புற்றுக் கைப்பற்றுகையில்
viruppuṟṟuk kaippaṟṟukaiyil

அம்மாவின் தயவென எதிர்கொள்கிறேன்
ammāviṉ tayaveṉa etirkoḷkiṟēṉ

பிரயோசனமற்று நசநசக்கும் பற்றுதலை
pirayōcaṉamaṟṟu nacanacakkum paṟṟutalai

***

நீருருட்டி வார்த்த வரட்டியோ
nīruruṭṭi vārtta varaṭṭiyō…

10

சேவித்தணையப் புனைந்த
cēvittaṇaiyap puṉainta

கோழைக் கண்ணகியின்
kōḻaik kaṇṇakiyiṉ

சீதையின் நளாயினியின் வழியினளல்ல
cītaiyiṉ naḷāyiṉiyiṉ vaḻiyiṉaḷalla

***

சூழ்ச்சிசெய் கிராதகனைக் கன்மலையேற்றித்
cūḻccicey kirātakaṉaik kaṉmalaiyēṟṟit

தற்கொல்லியை முற்கொன்றவள் கொடி புரிந்து
taṟkolliyai muṟkoṉṟavaḷ koṭi purintu

15

இறக்கை முறிக்காது விட்டு விலகி
iṟakkai muṟikkātu viṭṭu vilaki

தம் போக்கில் திரிய விடும்
tam pōkkil tiriya viṭum

எம் சிறு தும்பியை
em ciṟu tumpiyai

Portrait de celle qui rit après l’embrasement des dix points de l’horizon

1

Parfois se présentent

Des opportunités aux bords ébréchés et fissurés

Les personnes qui errent courbant la tête seule

Ainsi qu’un animal sauvage

5

Et dont le regard est brouillé par les larmes

Se laissent vivre et mourir

En étreignant la main ardemment désirée

J’attends comme une faveur

L’étreinte suave sans motif d’une maman

***

10

Façonner de la bouse de vache humide en galettes combustibles…

Ou accepter de servir humblement en fidèle épouse

Suivant la voie

Des pusillanimes Kaṇṇaki

Cītai Naḷāyiṉi cela m’est impossible

***

15

Du sommet du roc il faut espionner l’homme cruel

Le suicidé elle l’a tué avant en dénouant la liane

Pour en libérer notre petite libellule

Sans rogner ses ailes

La laissant voler ensuite où bon lui semble

Umā Ṣakti (1)

மாயமான்கள் Māyamāṉkaḷ8

1

மாயவெளியில் அலைந்து திரியும்
māyaveḷiyil alaintu tiriyum

மானொன்று கேட்டது
māṉoṉṟu kēṭṭatu

« சீதை வேண்டும், பிடித்துத் தா »
« cītai vēṇṭum, piṭittut tā »

ஆண் மானின்
āṇ māṉiṉ

5

மறுப்பிற்கும் அது செவி சாய்க்கவில்லை
maṟuppiṟkum atu cevi cāykkavillai…

எழிலே உருவமாக சீதையின் அழகு அந்த
eḻilē uruvamāka cītaiyiṉ aḻaku anta

புள்ளி மானின் உள்ளத்தை நிறைத்தது
puḷḷi māṉiṉ uḷḷattai niṟaittatu…

தன்னையே முறைக்கும் மானின் மேல்
taṉṉaiyē muṟaikkum māṉiṉ mēl

சீதையும் பிரியம் சிறிது வைத்துவிட்டாள்
cītaiyum piriyam ciṟitu vaittuviṭṭāḷ

10

வசீகரங்களை தனதாக்கிக்கொள்ள
vacīkaraṅkaḷai tanatākkikkoḷḷa

முடிவெடுத்த கணத்தில் இழந்தாள்
muṭiveṭutta kaṇattil iḻantāḷ

தன்னிலை ஒன்றினை…
taṉṉilai oṉṟiṉai…

விழிப்புற்ற மான் ஓடி ஒளிந்தது
viḻippuṟṟa māṉ ōṭi oḷintatu…

தேடிப் போன ராமன்
tēṭip pōṉa rāmaṉ

15

பின் திரும்பவில்லை இதுவரை
piṉ tirumpavillai ituvarai…

Antilopes magiques

1

En un lieu enchanté errait

Une antilope agitée qui réclamait

« Il me faut Cītai, attrape‑la et donne‑la moi »

De son mâle

5

Elle ne voulait entendre aucune des objections…

La belle apparence de Cītai incarnation de la Beauté

Comblait le cœur de cette antilope tachetée…

L’antilope qui n’avait d’yeux que pour elle

Éveilla en Cītai une pointe de désir

10

À l’instant où Cītai décida de s’emparer des enchantements

Elle perdit tout son charme

Lucide et perspicace…

L’antilope s’enfuit et se cacha…

Rāmaṉ parti à sa recherche

15

N’est pas encore revenu…

Kuṭṭi Rēvati (1)

அரசர்களின் இரவுகள் Aracarkaḷiṉ iravukaḷ9

1

அவசர அவசரமாய் வெயிலை மென்று தின்னும்
avacara avacaramāy veyilai meṉṟu tiṉṉum

நகரத்தின் அதிகாலையில்
nakarattiṉ atikālaiyil

அரசர்களின் செங்கோலை வளைக்கும்
aracarkaḷiṉ ceṅkōlai vaḷaikkum

தீயாயிற்று கற்பு
tīyāyiṟṟu kaṟpu

5

வெயிலையும் பெண்களின் கண்ணீரையும்
veyilaiyum peṇkaḷiṉ kaṇṇīraiyum

மென்று தின்னும் நகரில்
meṉṟu tiṉṉum nakaril

செத்துப் போன கண்ணகியின் பாடையைத்
cettup pōṉa kaṇṇakiyiṉ pāṭaiyait

தூக்கி அலையும் பெண்களின் பிட்டங்களைச்
tūkki alaiyum peṇkaḷiṉ piṭṭaṅkaḷaic

செங்கோல் பயமுறுத்தும்
ceṅkōl payamuṟuttum

10

பெண்கள் விளைவிக்கும் சொற்களை
peṇkaḷ viḷaivikkum coṟkaḷai

அறுவடை செய்யும் பணி அரசர்களுடையது
aṟuvaṭai ceyyum paṇi aracarkaḷuṭaiyatu

என்பதால் செங்கோல் இரத்தச் சிவப்பேறும்
eṉpatāl ceṅkōl irattac civappēṟum

ஓர் இரவின் மழையில்
ōr iraviṉ maḻaiyil

முளைத்த காளான்குடையில்
muḷaitta kāḷāṉkuṭaiyil

15

இவர்களின் அரசவை விரியும்
ivarkaḷiṉ aracavai viriyum

கண்ணகியின் கற்பு நகரை எரித்ததும் பொய்
kaṇṇakiyiṉ kaṟpu nakarai erittatum poy

நடிகைகளின் அசைவுகளைக் கனவு காணும்
naṭikaikaḷiṉ acaivukaḷaik kaṉavu kāṇum

அரசர்களின் இரவுகள் மட்டும்
aracarkaḷiṉ iravukaḷ maṭṭum

பலூன்களைப் போல மிதந்து
palūṉkaḷaip pōla mitantu

20

வானில் மறைகின்றன
vāṉil maṟaikiṉṟaṉa

எவ்விதத் தடயமுமின்றி
evvitat taṭayamumiṉṟi

Les Nuits des rois

1

Quand pointe l’aube sur la cité

Pressée de dévorer à belles dents le soleil

La chasteté est l’incendie

Qui fait ployer le sceptre des rois

5

Dans la cité qui dévore à belles dents

Le soleil et les larmes des femmes

Le sceptre des rois fait trembler

Les dos des femmes qui portent en la ballottant

La civière de la défunte Kaṇṇaki

10

La moisson des mots que sèment les femmes

Incombe aux rois

C’est pourquoi le sceptre se teinte de rouge sang

Sous le dais royal champignon surgi de la pluie nocturne

Se déploiera l’assemblée des rois

15

La chasteté de Kaṇṇaki ayant consumé la cité

Seules les nuits des rois qui rêvent

Aux mouvements d’actrices imaginaires

Flottent dans le ciel

Ainsi que des ballons puis disparaissent

20

Sans avoir heurté le moindre obstacle

Kuṭṭi Rēvati (2)

தாமரை மலர் நீட்டம் Tāmarai malar nīṭṭam10

1

தடாகக்தில் கண்ணகி தன்னுடல்
taṭākattil kaṇṇaki taṉṉuṭal

ஒரு செந்தாமரையாகித் தவிக்கக் கண்டாள்
oru centāmaraiyākit tavikkak kaṇṭāḷ

காமத்தின் நீர் மட்டம் உயர உயர
kāmattiṉ nīr maṭṭam uyara uyara

ஒற்றைக்காலில் நின்ற தன் தாமரையின்
oṟṟaikkālil niṉṟa taṉ tāmaraiyiṉ

5

தவ வேளையும் உயரக்கண்டாள்
tava vēḷaiyum uyarakkaṇṭāḷ

சேற்றின் வேகாத மண்ணில் நின்று தவித்த
cēṟṟiṉ vēkāta maṇṇil niṉṟu tavitta

தன் தாளாத இலை உடலை
taṉ tāḷāta ilai uṭalai

அந்நீரில் விரித்து சூரியன் பரவக் கொடுத்தாள்
annīril virittu cūriyaṉ paravak koṭuttāḷ

சூரியனோ அவளைக் காணாமல் கடக்கிறது
cūriyaṉō avaḷaik kāṇāmal kaṭakkiṟatu

10

தணலாய்த் தகித்தது உள்ளும் புறமும்
taṇalāyt takittatu uḷḷum puṟamum

நீர்த்தடாகம்அவளைச் சுற்றிப்
nīrttaṭākam avalaic cuṟṟip

பெருகிக் கொண்டே இருந்தது
perukik koṇṭē iruntatu

இலையுடல் நோவும் கனத்த மலராகத்
ilaiyuṭal nōvum kaṉatta malarākat

தான் இருப்பதை அவள் விரும்பாமலும் இல்லை
tāṉ iruppatai avaḷ virumpāmalum illai

15

சுற்றிப் பறக்கும் தேனீ்க்களுக்குத்
cuṟṟip paṟakkum tēṉīkkaḷukkut

தேன் கொடுக்க விரியும் தன் முகத்தை
tēṉ koṭukka viriyum taṉ mukattai

முத்தமிட்டு முத்தமிட்டுச் சிரிக்கின்றன தேனீக்கள்
muttamiṭṭu muttamiṭṭuc cirikkiṉṟaṉa tēṉīkkaḷ

தடாகம் தரை தங்காமல் கரை தாண்டித் தளும்ப
taṭākam tarai taṅkāmal karai tāṇṭit taḷumpa

மலருடன் வாடும் முன் அவளைக் கொய்யச் சொல்கிறாள்
malaruṭaṉ vāṭum muṉ avaḷaik koyyac colkiṟāḷ

20

இல்லை, தடாகத்தைக் கடந்து போகும் சூரியனை
illai, taṭākattaik kaṭantu pōkum cūriyaṉai

வெப்பத்துடன் விழுங்குவேன் எனக்கூவுகிறாள்
veppattuṭaṉ viḻuṅkuvēṉ eṉakkūvukiṟāḷ

விடிகாலைப் பொழுதுகளில்
viṭikālaip poḻutukaḷil

Épanouissement de la fleur de lotus

1

Kaṇṇaki regardait s’épuiser dans l’étang

Son corps métamorphosé en lotus rouge

Au fur et à mesure que montait le niveau du désir

Elle voyait croître aussi l’exercice ascétique

5

De son lotus debout sur une seule jambe

Dans le fond frais de la vase son corps‑feuille épuisé

Qu’elle ne pouvait soutenir

Elle l’étendit sur l’eau afin de laisser le soleil s’y diffuser

Mais la dédaignant le soleil poursuit sa course

10

Brûlant ardemment l’intérieur et l’extérieur

L’eau de l’étang l’encerclait

Et montait de plus en plus

Elle ne put s’empêcher de se désirer en

Ce corps‑feuille douloureux d’une lourde fleur

15

Son visage s’ouvrit en offrande de miel

Aux abeilles voletant tout autour

Les abeilles riaient la couvrant sans cesse d’innombrables baisers

Tandis que l’étang incapable de rester à sa place s’agite et déborde sur la rive

Elle demande de la cueillir avec sa fleur avant qu’elle se flétrisse

20

Elle crie à chaque aube

Non, je vais avaler avec sa chaleur ce soleil

Qui passe si dédaigneusement par‑dessus l’étang

Cukirtarāṇi

பதினான்கு அம்புகள் Patiṉāṉku ampukaḷ11

1

பச்சைக் கள்ளியின் பழநிறத்தில்
paccai kaḷḷiyiṉ paḻaniṟattil

கனன்று எரிகிறது தீ
kaṉaṉṟu erikiṟatu tī

அடர்வனத்தின் மர்மப் புன்னகை
aṭarvaṉattiṉ marmap puṉṉakai

பெருங்காற்றாய்ச் சூழ்ந்து நிற்க
peruṅkāṟṟāy cūḻntu niṟka

5

மிகுந்த குலவைச் சத்தங்களும்
mikunta kulavaic cattaṅkaḷum

துந்துபிகளின் பேரொலியும்
tuntupikaḷiṉ pēroliyum

நீராவியைப் போல பரவி மிதக்கின்றன
nīrāviyaip pōla paravi mitakkiṉṟaṉa

கடல் சூழ்ந்த நிலத்திலிருந்து
kaṭal cūḻnta nilattiliruntu

மீட்டுக் கொணர்ந்த என்னை
mīṭṭuk koṇarnta eṉṉai

10

நெருப்பின் விளிம்பில் நிறுத்துகிறார்கள்
neruppiṉ viḷimpil niṟuttukiṟārkaḷ

பூக்களால் அலங்கரிக்கப்பட்ட சிவிகையும்
pūkkaḷāl alaṅkarikkappaṭṭa civikaiyum

மென்மையாக்கப்பட்ட பாதக் குறடுகளும்
meṉmaiyākkappaṭṭa pātak kuṟaṭukaḷum

எனக்காகக் காத்திருக்கின்றன
eṉakkākak kāttirukkiṉṟaṉa

தீயிலிறங்கிக் கரையேறச் சொல்லும்
tīyiliṟaṅkik karaiyērac collum

15

வில்லேந்திய அவனிடம்
villēntiya avaṉiṭam

என்னைச் சிறையிட்டவனோடு
eṉṉaic ciṟaiyiṭṭavaṉōṭu

செம்மரக் கட்டிலில் சயனித்ததை
cemmarak kaṭṭilil cayaṉittatai

இதழ் பிரித்து விளம்புகின்றேன்
itaḻ pirittu viḷampukiṉṟēṉ

காப்புடைத்த என் யோனியிலிருந்து
kāppuṭaitta eṉ yōṉiyiliruntu

20

வெளியேறுகின்றன பதினான்கு அம்புகளும்
veḷiyēṟukiṉṟaṉa patiṉāṉku ampukaḷum

பெருந்தீயை அணைக்கப் போதுமான
peruntīyai aṇaikkap pōtumāṉa

ஒரு குவளை இரத்தமும்
oru kuvaḷai irattamum

Quatorze flèches

1

De la couleur du fruit de la verte euphorbe

Chauffe et brûle le feu

Mystérieux sourire de l’épaisse forêt

Debout malgré le vent violent qui tourbillonne autour

5

Avec des ululements amplifiés

Et les tambours grondent

Leur bruit se répand et flotte comme de la vapeur

De l’île en haute mer

J’ai été délivrée et ramenée

10

Ils m’ont arrêtée au bord du brasier

La litière ornée de fleurs

Et les sandales de bois que l’on a bien polies m’attendent

Je desserre les lèvres et proclame

Face à celui‑là qui a tendu l’arc divin

15

Et m’ordonne de plonger dans le feu puis d’en sortir

Que j’ai couché dans un lit en bois de santal rouge

Avec celui qui m’a retenue captive

De ma vulve qui a brisé l’interdit

Pointent vers l’extérieur quatorze flèches

20

Ainsi qu’un vase plein de sang à ras bords

C’est assez pour éteindre l’immense brasier

Umā Ṣakti (2)

முதல் திறப்பு Mutal tiṟappu12

1

உலகின் அழகான ஆணொருவன்
ulakiṉ aḻakāṉa āṇoruvaṉ

அவளின் நிலத்தினுள்
avaḷiṉ nilattiṉuḷ

அனுமதியின்றி தங்கிவிட்டான்
aṉumatiyiṉṟi taṅkiviṭṭāṉ

அதன் பின்னான
ataṉ piṉṉāṉa

5

இரவுகள் சொன்ன கதைகளில்
iravukaḷ coṉṉa kataikaḷil

உயிர் வதை காதல் வளர்த்தான்
uyir vatai kātal vaḷarttāṉ

காற்றின் ஈரப்பத நாட்களில்
kāṟṟiṉ īrappata nāṭkaḷil

நெருக்கமடைகிறான்
nerukkamaṭaikiṟāṉ

உடல்வெளியின் மென்காடுகளை
uṭalveḷiyiṉ meṉkāṭukaḷai

10

நுண்மையாய் கிளர்த்தி மொட்டுக்கள் திறக்க
nuṇmaiyāy kiḷartti moṭṭukkaḷ tiṟakka

விரல்களை வண்ணத்துப்பூச்சிகளாக்கினான்
viraḷkaḷai vaṇṇattuppūccikaḷākkiṉāṉ

தேவதையின் தேவதையென புகழ்தலில்
tēvataiyiṉ tēvataiyeṉa pukaḻtalil

ஈரநிலமென அவள் உடல் திறக்க
īranilameṉa avaḷ uṭal tiṟakka

மரணத்தையொத்த காமமறிந்து
maraṇattaiyotta kāmamaṟintu

15

உயிரை மீட்டெடுத்து
uyirai mīṭṭeṭuttu

இளைப்பாறி ஆதியிடத்தில்
iḷaippāṟi ātiyiṭattil

மீண்டும் மீண்டும் புதைந்து மலர்ந்தான்
mīṇṭum mīṇṭum putaintu malarntāṉ

Première ouverture

1

Un bel homme de la contrée

S’installe sans autorisation

Dans sa terre à elle

Puis au cours des nuits successives

5

Il a exposé dans ses récits

La vie le tourment l’amour

Les jours de vent humide

Il obtient qu’elle le tienne serré contre elle

Il excite les douces forêts visibles du corps

10

Avec délicatesse pour ouvrir les bourgeons

De ses doigts devenus papillons

Par l’effet de l’éloge tu es déesse des déesses

Elle ouvre son corps comparable à une terre humide

Il a connu l’orgasme si proche de la mort

15

Revenu à la vie

Après une pause il s’épanouit

S’enfouissant encore et encore là où tout commence

Civakāmi

சுவர்கள் Cuvarkaḷ13

1

இடையே
iṭaiyē

அப்பெருஞ்சுவர் எழுப்பப்பட்டதும்
apperuñcuvar eḻuppappaṭṭatum

கடலில் வீழ்ந்தாள்
kaṭalil vīḻntāḷ

கரைத்துக்கொண்டாள்
karaittukkoṇṭāḷ

5

அவர்களின்
avarkaḷiṉ

படிக்கட்டு உலகங்களில்லை அவள்
paṭikkaṭṭu ulakaṅkaḷillai avaḷ

எங்கும்
eṅkum

காணப்படாது கேட்கப்படாதிருக்கிறாள்
kāṇappaṭātu kēṭkappaṭātirukkiṟāḷ

***

மறந்ததும் மறக்கப்பட்டதும்
maṟantatum maṟakkappaṭṭatum

10

உண்மையானப்பின்
uṇmaiyāṉappiṉ

ஒரு காலைச் சூரியனில்
oru kālaic cūriyaṉil

வருத்தங்களின் ஆடைகளற்று
varuttaṅkaḷiṉ āṭaikaḷaṟṟu

குரோதங்கள் பருவத்தின் பருக்களென
kurōtaṅkaḷ paruvattiṉ parukkaḷeṉa

மாயமாய் மறைந்துவிட
māyamāy maṟaintuviṭa

15

அலையின் களிநடனத்தில்
alaiyiṉ kaḷinaṭaṉattil

வாத சலங்கைகள் அறுந்து வீழ
vāta calaṅkaikaḷ aṟuntu vīḻa

நீதியின் முத்துப்பரல் தெறிக்க
nītiyiṉ muttupparal teṟikka

அஞ்ஞான பேதம் துளைக்காத
aññāṉa pētam tuḷaikkāta

இரும்புத்தோல் கவசத்துடன்
irumputtōl kavacattuṭaṉ

20

சுவர் பிளக்கும்
cuvar piḷakkum

விதையாகி வருகிறாள்
vitaiyāki varukiṟāḷ

Murs

1

À cause de

L’édification de ce grand mur

Elle s’est jetée dans la mer

Elle s’y est dissoute

5

Leur monde

En escaliers n’est pas le sien

En nul lieu

On ne la voit ni ne l’entend

***

Quand ce qu’on a oublié et voulu oublier

10

Est devenu vérité

Dans le soleil matinal

Sans les oripeaux des chagrins

Les colères semblables aux éruptions d’acné

Disparaissant comme par enchantement

15

Dans la danse joyeuse de la mer

Les grelots controversés brisés tombent

Les grains de perles de la justice s’éparpillent

Alors revêtue d’une cotte de maille

Que la haine aveugle ne peut transpercer

20

Elle avance sous la forme d’une semence

Qui fendra le mur

Analyse

Introduction

Dans la littérature classique comme dans la société tamoule patriarcale, Cītai et Kaṇṇaki symbolisent l’épouse vertueuse, au service du maître de maison. Toutes deux possèdent un pouvoir sur le feu grâce à leur chasteté (kaṟpu en tamoul14) : la première sort intacte du brasier dans lequel elle entre afin de prouver sa vertu ; la seconde embrase la cité de Madurai pour venger la mort de son époux injustement accusé du vol de l’anneau de cheville (cilampu) de la reine. Des poètes progressistes tamouls du xxe siècle ont parfois choisi ces deux figures traditionnelles pour inciter leur lectorat à contester la notion de kaṟpu, à reconnaître les droits de la femme dans la société tamoule moderne. Au début du xxie siècle, des poétesses féministes construisent une approche originale des personnages de Cītai et de Kaṇṇaki. Comment la métamorphose de ces figures féminines s’opère‑t‑elle dans ces sept poèmes contemporains ?

Les deux héroïnes sont présentées dans le corpus par des références à la beauté physique associée à leur nom ou à leur vertu conjugale, mais aussi par l’évocation directe ou indirecte de la vulve, source de vie et de fascination. En outre, les analogies entre le corps séduisant et la flore ou la faune donnent lieu à des variations poétiques sur le désir spécifique de la femme en tant que sujet et non plus objet du désir masculin. Enfin et surtout, ces deux héroïnes incarnent la parole poétique à conquérir.

Éloge de la beauté et libération du carcan de l’épouse idéale

Les seuls noms de Cītai et Kaṇṇaki évoquent la perfection physique au féminin captant tous les regards. Au vers 6 de Māyamāṉkaḷ, Umā Ṣakti insiste sur « la belle apparence » (eḻilē uruvamāka cītaiyiṉ aḻaku) de Cītai, « incarnation de la Beauté ». Le suffixe emphatique ‑ē de eḻilē (« beauté, jeunesse ») laisse imaginer l’exceptionnelle beauté de cette femme. Dans Mutal tiṟappu, son autre poème, Umā Ṣakti met en scène une jeune fille anonyme que certaines caractéristiques conduisent à identifier à Cītai15. Celui qui la courtise la loue en une hyperbole flatteuse : « déesse des déesses » (tēvataiyiṉ tēvataiyeṉa). Kuṭṭi Rēvati, dans les deux premiers vers de Tāmarai malar nīṭṭam, donne à voir le corps de Kaṇṇaki sous la forme d’un lotus rouge (centāmaraiyākit), symbole de la beauté physique. En effet l’épithète cem qualifie aussi ce qui est beau, parfait, c’est ce que l’on a plaisir à admirer : […] kaṇṇaki taṉṉuṭal / oru centāmaraiyākit […] kaṇṭāḷ « […] Kaṇṇaki regardait […] / Son corps métamorphosé en lotus rouge » ; or dans le Cilappatikāram la beauté de Kaṇṇaki est semblable à celle de Lakṣmī, déesse parèdre de Viṣṇu, « sur un lotus rouge ». Les rubis, (cemmaṇi) dans l’anneau de cheville de Kaṇṇaki, sont des pierres précieuses dignes de sa beauté parfaite. Le corps d’une beauté incomparable manifeste la beauté morale centrée sur la chasteté conjugale (kaṟpu), vertu inébranlable de l’épouse parfaite.

En effet, la société patriarcale attend de Cītai et de Kaṇṇaki soumission et fidélité inconditionnelles à leur époux : Ku. Umātēvi constate, à la strophe deux de Tacaticai erittuc cirikkum cittiram, que leur unique fonction consiste en l’acceptation « de servir humblement en fidèle épouse » (cēvittaṇaiyap puṉainta). Or ce joug patriarcal est inacceptable selon la locutrice16, qui manifeste son rejet d’une part, en dévalorisant les deux parangons de la vertu conjugale par l’épithète kōḻaik (« pusillanimes »), d’autre part, en plaçant une négation en position forte à la fin de la strophe deux : vaḻiyiṉaḷalla17. La strophe suivante énonce une mise en garde contre toutes les contraintes exercées sur les épouses afin de les obliger à perpétuer la tradition. La pire crainte d’une épouse est que son infidélité cause le suicide du conjoint18, car les femmes appréhendent le veuvage comme la malédiction suprême. La poétesse incite à la vigilance par l’emploi de l’impératif cūḻccicey au début de cette strophe finale ; ensuite, elle déroule les étapes de la libération de la libellule, symbole des aspirations féministes. En effet, le passage de muṟkoṉṟavaḷ (« elle l’a tué avant »), à la troisième personne du féminin singulier ‑avaḷ, à em, possessif de la première personne du pluriel, rappelle que toutes les femmes sont concernées, donc elles ne doivent pas hésiter à contester, à rejeter l’exemple antique de ces deux figures littéraires.

Kuṭṭi Rēvati, dans Aracarkaḷiṉ iravukaḷ, personnifie la vertu essentielle de Kaṇṇaki en lui attribuant le pouvoir de métamorphoser la veuve de Kōvalaṉ en déesse justicière qui incendie la cité de Madurai : kaṇṇakiyiṉ kaṟpu nakarai erittatum  La chasteté de Kaṇṇaki ayant consumé la cité ») ; cependant, les derniers vers laissent entrevoir l’inefficacité, l’inutilité du châtiment. Cela signifie que la notion de kaṟpu a perdu sa force et sa pertinence, comme le prouvent ces rois inconsistants, indifférents aux souffrances de Kaṇṇaki et de la population de Madurai ; ils se réfugient dans des illusions et des rêves, ce que la clôture du poème souligne avec force en établissant une analogie grotesque entre les nuits de ces rois et des ballons (v. 18‑21).

La princesse Cītai suit son époux Rāmaṉ dans son exil en forêt. Malgré des conditions de vie éprouvantes, elle conserve sa beauté qui séduit l’asura Rāvaṇaṉ, le pousse à la capturer puis à la courtiser avec assiduité, en vain. Après l’avoir délivrée, Rāmaṉ consent à ce qu’elle subisse l’épreuve du feu afin de prouver à son peuple qu’elle est restée chaste durant sa longue captivité dans le palais de Rāvaṇaṉ. Vers la fin de Patiṉāṉku ampukaḷ, Cukirtarāṇi donne la parole à Cītai qui, après avoir décrit la préparation du bûcher, s’adresse à Rāmaṉ : « Face à celui‑là qui a tendu l’arc divin / Et m’ordonne de plonger dans le feu puis d’en sortir » (tīyiliṟaṅkik karaiyērac collum / villēntiya avaṉiṭam) : la princesse semble accepter l’épreuve en épouse vertueuse, sûre de sortir victorieuse et belle du feu, mais les vers suivants contredisent cette soumission.

Ces exemples mettent en lumière, par des procédés stylistiques variés, l’inanité du carcan patriarcal de l’épouse idéale, sa contestation et son rejet.

Cukirtarāṇi et Umā Ṣakti donnent à voir la vulve, synecdoque du corps de Cītai, comme un symbole de transgression et une expression des aspirations des femmes.

Valorisation de la vulve et du désir féminin

Dans Patiṉāṉku ampukaḷ, Cītai valorise son organe sexuel, d’une part, en le désignant par le substantif littéraire « yōṉi » (emprunté au sanskrit), d’autre part, en le personnifiant par l’attribution du rôle d’entité active incarnant le pouvoir de trangression : kāppuṭaitta eṉ yōṉiyiliruntu (« De ma vulve qui a brisé l’interdit »). Le locatif yōṉiyiliruntu en fin de vers crée une attente en cohérence avec la révélation de l’infidélité de Cītai19 : elle se prépare certainement à avouer qu’elle accouchera de l’enfant de Rāvaṇaṉ, donc elle doit accepter la répudiation. Or, les trois vers conclusifs exposent sa déclaration inattendue, fantastique, épique, d’une implacable ironie. Certes, les « quatorze flèches », figurant dès le titre, renvoient à celles de Rāmaṉ tuant chacun des quatorze chefs de l’armée adverse, mais le discours vengeur de Cītai tend à humilier le héros épique en suggérant que les flèches surgies de la vulve le visent. La suite confère au sang menstruel une puissance cosmique, destructrice du feu purificateur préparé pour consumer l’épouse indigne et impudique car, en se vantant publiquement de n’avoir pas sauvegardé sa chasteté, elle détruit l’ordre social. Cukirtarāṇi laisse imaginer un combat épique : à la vulve hérissée de flèches magiques devront faire face ceux qui ont dressé le bûcher, font mugir de puissants tambours mais apparaissent ridicules et démunis devant l’héroïne. Le sang déversé sur « l’immense brasier » atteint une dimension cosmique élevant au rang de déesse celle qui, après avoir refusé d’incarner la vertu, a réussi à transformer sa condition de captive en source de plaisir.

Umā Ṣakti décrit, aux vers 9 à 17 de Mutal tiṟappu, l’union sexuelle de Cītai20 avec Rāmaṉ21. La vulve est évoquée, au vers 13, par la synecdoque avaḷ uṭal (« son corps »), précédée de l’analogie īranilameṉa (« comparable à une terre humide22 »), métamorphosant Cītai en terre fertile, prête à accueillir la semence. Puis, la périphrase finale de l’origine du monde et de la vie ātiyiṭattil (« là où tout commence ») glorifie le pouvoir sacré de cette vulve patiemment conquise par « un bel homme » digne de la belle propriétaire d’un champ (ou d’un territoire). La succession de ces tropes variés exalte la beauté et l’omnipotence de l’organe féminin, inépuisable source de désir sexuel et de volupté (kāmam23 au v. 14). Umā Ṣakti met ici en scène une femme en apparence victime d’un conquérant qui s’installe chez elle. Or si dès le début l’épithète admirative aḻakāṉa (« beau ») manifeste la perception féminine du charme masculin, la belle ne cède aux instances du conquérant qu’après les longs et patients efforts de séduction déployés par celui qu’elle désire secrètement. La comédie de l’amoureux transi (pas seulement à cause de la froidure des « jours de vent humide », mais aussi de la résistance de l’aimée), le discours amoureux hyperbolique, les caresses délicates des « doigts devenus papillons » dévoilent les aspirations de l’amante. Le récit poétique de la conquête de cette femme anonyme, figure de Cītai amoureuse de Rāmaṉ au premier regard dans l’épopée, pourrait se lire comme un code de bonne conduite dans les relations amoureuses, code valable pour les deux partenaires24. Le passage du sens concret de nilam (v. 2) au sens métaphorique de « terre humide » (v. 13) indique l’évolution de la relation entre les amants et invite à considérer que la femme, quelle que soit sa condition sociale (princesse ou paysanne), n’est ni un objet à acquérir pour le seul bénéfice et la seule jouissance d’un maître, ni l’incarnation de la notion de kaṟpu, c’est fondamentalement un être qui aspire à l’attention, à la tendresse, aux caresses, à l’amour et au plaisir sexuel tout autant qu’un homme. C’est aussi ce que revendique la locutrice de Tacaticai erittuc cirikkum cittiram à la fin des première et dernière strophes.

Les deux poétesses, à partir d’une mise en scène surprenante, voire scandaleuse, de la figure de Cītai, chantent le corps féminin, la sensualité revendiquée de la femme, la relation amoureuse à laquelle elle aspire. Elles se situent aussi dans la tradition poétique du Caṅkam25 (ou dans celle du Kāmattupāl « le Livre de l’amour », troisième volet du Tirukkuṟaḷ de Tiruvaḷḷuvar26), où le désir sexuel de l’aimée en l’absence de son amant s’expose au même titre que la douleur de la séparation. Comme dans les poèmes du Caṅkam, diverses images végétales et animales contribuent à une approche poétique du désir féminin dans les textes du corpus.

Images végétales et animales du désir féminin

Ku. Umātēvi achève Tacaticai erittuc cirikkum cittiram par le substantif à l’accusatif tumpiyai, attirant l’attention sur une fragile libellule, prisonnière d’une liane, dans l’attente d’une délivrance, à l’instar de Cītai et Kaṇṇaki enfermées dans leur kaṟpu. La libellule, objet d’une délicate opération de sauvetage peinte dans les vers précédents, devient alors la métaphore non seulement du désir de libération de la fidélité conjugale de celle qui dénoue la liane, mais aussi de son désir d’une relation amoureuse harmonieuse qu’énoncent les trois derniers vers de la première strophe. La libération puis l’envol final de la libellule éclairent le titre du texte : le rire qui éclate aux « dix points de l’horizon » est celui de la libératrice des épouses confinées dans leur foyer, contraintes durant toute leur existence à courber « la tête seule / Ainsi qu’un animal sauvage » (mukaṅkaḷai maṭṭumē uḷvāṅki […] / vaṉavilaṅku mātiri […], v. 3‑4). Ce rire, triomphal et cosmique, se moque de la dissimulation résignée des épouses caractérisées comme « pusillanimes », parce qu’elles étouffent leurs désirs envers d’autres hommes que leur époux. Les femmes sont donc invitées à suivre l’exemple de la libellule plutôt que celui de Cītai et Kaṇṇaki.

À la différence des épouses respectueuses de la loi du kaṟpu en toutes circonstances, la Cītai de Māyamāṉkaḷ se laisse séduire par le regard énamouré de l’antilope magique dans la forêt, « un lieu enchanté » (māyaveḷiyil). L’antilope magique est une illusion, tandis que l’héroïne de l’épopée est valorisée par son nom, au début du vers 3, en tant que belle femme désirée, ensuite au début du vers 9, en tant que sujet désirant. Umā Ṣakti atténue l’amour de Cītai, piriyam, par ciṟitu (« un petit peu »), par référence à la pudeur attendue de l’épouse vertueuse ; or dans les derniers vers, la fuite de l’antilope, puis de Rāmaṉ, révèlent leur incapacité à reconnaître autant qu’à accepter l’expression du désir sexuel féminin. Par ailleurs, l’antilope éprise est une femelle, elle rejette les conseils de prudence de son mâle, elle se complaît dans son désir inassouvi, idéalise la femme convoitée, « incarnation de la Beauté ». Cependant l’illusion de l’épouse vertueuse inaccessible, donc désirable, s’évanouit dès lors que Cītai à son tour manifeste son désir. La fable oppose Cītai, figure de celle qui transgresse le modèle de l’épouse idéale, dans la mesure où elle exprime ouvertement son désir de se laisser courtiser par un autre que Rāmaṉ, à l’épouse conformiste que représente l’antilope magique, satisfaite de ses rêves ainsi que de son époux compréhensif auquel elle ordonne d’enlever Cītai. La personnification de l’antilope magique vise à dénigrer l’épouse capricieuse, incapable d’aller jusqu’à l’accomplissement de son rêve de possession de l’être convoité. Toutefois, la transgression de Cītai aboutit à la solitude, qu’elle doit avoir le courage de supporter.

Kuṭṭi Rēvati déploie, dans tāmarai malar nīṭṭam, le tableau de la métamorphose de Kaṇṇaki en lotus épris du soleil insensible à ses charmes. L’intensité du désir est soulignée, d’abord, par la répétition du verbe uyara à la rime du vers 3 ; ensuite, par l’exposition au soleil du « corps‑feuille » de Kaṇṇaki (v. 8) ; enfin, par la douleur de la frustration (v. 10) atteignant son paroxysme dans le cri final (v. 20‑22). La personnification du lotus en ascète « debout sur une seule jambe » rappelle les souffrances endurées par l’épouse que Kōvalaṉ abandonne pour vivre chez son amante, la danseuse Mātavi. La sensualité de la femme métamorphosée en lotus se perçoit dans la ronde des abeilles avides de miel autour de la fleur, image déjà présente dans des poèmes du Caṅkam. Le visage de Kaṇṇaki s’offre lascivement aux baisers, aux rires personnifiant les abeilles. La poétesse féministe reprend un motif littéraire traditionnel (l’abeille symbolisant l’homme et la fleur, la femme) mais elle le détourne pour mettre en lumière le rôle actif de la femme en quête du plaisir. Par ailleurs, en se laissant aimer par les abeilles, Kaṇṇaki agit en amoureuse blessée s’efforçant de rendre jaloux le soleil. Ce comportement ne correspond guère à celui de l’héroïne du Cilappatikāram qui ne proteste pas lorsque Kōvalaṉ dilapide sa fortune au profit de la courtisane. L’image du « corps‑feuille » (v. 7 et 13) épuisé, douloureux, suggère davantage l’ardeur du désir féminin que la langueur de l’épouse confinée dans son foyer. La menace finale d’avaler le soleil brûlant insiste sur l’exaspération et la frustration de l’amoureuse dédaignée. Kuṭṭi Rēvati glorifie la puissance du désir féminin en filant une magnifique et sensuelle métaphore florale.

Les images végétales et animales associées à Cītai et Kaṇṇaki valorisent le portrait de la femme libérée des carcans de la pudeur et de la vertu conjugale, elles glorifient le désir charnel féminin. Les poétesses ont également recours aux tropes pour exposer le désir des femmes de s’approprier la parole, pas seulement pour dénoncer les injustices subies, mais surtout pour montrer en quoi Cītai et Kaṇṇaki sont sources de poésie.

Désir de conquête de la parole poétique

Civakāmi évoque le désir de justice autant que de vengeance de Kaṇṇaki27, ainsi que son pouvoir de destruction, en métamorphosant la vertueuse épouse d’abord en guerrière invincible avec sa « cotte de maille », puis, au dernier vers, en « semence » (vitaiyāki), symbole de la puissance du discours qui tue le roi injuste ainsi que tous ceux qui imposent aux femmes le respect de principes d’un autre âge ; « le grand mur » (début du vers 2, apperuñcuvar), métaphore de l’injustice du roi et de celle de tous les oppresseurs, est lobstacle que démolira la semence. Quant à Kuṭṭi Rēvati, elle s’appuie, dans Aracarkaḷiṉ iravukaḷ, sur la métaphore de la semence afin d’évoquer la force du discours contre toutes les injustices lors du combat que mènent Kaṇṇaki et ses compagnes : peṇkaḷ viḷaivikkum coṟkaḷai / aṟuvaṭai ceyyum paṇi aracarkaḷuṭaiyatu (« La moisson des mots que sèment les femmes / Incombe aux rois »)28. Kaṇṇaki, dans tāmarai malar nīṭṭam, et Cītai, dans Patiṉāṉku ampukaḷ, imposent dans la sphère publique leur voix retentissante : à la fin de chaque texte, l’une pousse un cri menaçant à l’adresse du soleil, figure du pouvoir masculin sourd aux revendications des femmes, l’autre provoque Rāmaṉ et son public masculin en proclamant fièrement sa transgression ; le verbe viḷampukiṉṟēṉ indique un ton de voix particulièrement élevé, car Cītai s’adresse à une importante assemblée masculine, dans un environnement hyperboliquement bruyant à cause du crépitement de « l’immense brasier », des « ululements » du « vent violent », des grondements puissants des tambours. Par ailleurs, les quatorze flèches qu’émet la vulve pourraient se lire comme une image poétique de l’écriture et des discours féministes visant à abolir la norme patriarcale.

Cītai et Kaṇṇaki sont les figures de la poétesse féministe dans Patiṉāṉku ampukaḷ et Tāmarai malar nīṭṭam. Dès l’ouverture du premier poème, Cītai s’empare de la parole, joue avec les couleurs afin d’introduire l’analogie étrange entre, d’un côté, l’euphorbe29 et la forêt qui renvoient à un environnement hostile, et, de l’autre, le fruit et le feu, rouges tous les deux, annonciateurs du sang déversé sur le brasier pour l’étouffer (v. 21‑22). L’analogie née des couleurs amène la personnification insolite de la forêt au vers 3. Le brasier transformé en « sourire » de la forêt paraît moins effrayant ; n’adresse‑t‑il pas un signe de complicité à l’épouse prête pour l’ordalie, avec l’intention de la rassurer ? Puis Cītai présente le vent en des termes qui évoquent un éléphant en rut ou bien un animal sauvage dévastateur. Elle compare le bruit des tambours à de la vapeur, désigne son lieu de captivité (Laṅkā) par la périphrase « l’île en haute mer » (v. 8). Au lieu de manifester de l’angoisse face à l’épreuve proche, Cītai prend plaisir à déployer ses talents poétiques en vue de créer une atmosphère propice au déroulement d’un mystère sacré : la naissance d’une poétesse féministe. Cītai représente alors la voix de Cukirtarāṇi, elle appelle les femmes à se faire plaisir en se livrant à des créations verbales tout en exprimant haut et fort leurs aspirations et leur volonté de se libérer de toutes les oppressions subies depuis des générations.

Dans Tāmarai malar nīṭṭam, véritable démonstration de virtuosité verbale, Kuṭṭi Rēvati élève une scène ordinaire de la femme au bain au rang de joute épique entre Kaṇṇaki et le soleil. La rêverie de Kaṇṇaki naît du reflet de son corps renvoyé par l’eau de l’étang aux lotus. La magie du regard féminin et de la parole poétique métamorphose ce reflet en lotus. La métaphore de la crue du désir crée la vision d’un déluge cosmique. La personnification du lotus en ascète, engagé dans un exercice dont le bénéfice serait d’attirer l’attention et les faveurs du dieu soleil, se déroule le long de deux vers comme pour rappeler la nécessité de la persévérance dans l’ascèse. Kaṇṇaki déploie sur l’eau un « corps‑feuille » consumé par le désir des caresses du soleil. À la fin du vers 7, le comparé uṭalai (« corps », à l’accusatif) est détaché du comparant ilai, la baigneuse observe la métamorphose en cours du corps, elle semble fascinée par sa souplesse, sa grâce, elle se livre à une danse de séduction. En revanche, à l’ouverture du vers 13, les deux termes de la comparaison se soudent en un néologisme surréaliste éminemment poétique, ilaiyuṭal ; cette création verbale signale la fin du processus de métamorphose et le début d’une nouvelle étape de la conquête amoureuse. Kaṇṇaki joue ensuite sur le sens propre et le sens figuré de la brûlure solaire pour montrer la violence de la passion, puis elle entreprend une tentative de séduction différente. La scène de dépit amoureux, concentrée en trois vers, est originale, et surtout très poétique, avec le joyeux ballet des abeilles amoureuses. Finalement, désespérée par l’échec de ses inventions, Kaṇṇaki se saisit de la parole, clame sa menace. Le poème peut se lire comme une métaphore de la création poétique, Kaṇṇaki devient une figure de la poétesse puisant dans la nature et la littérature des images dotées d’une puissance de transfiguration de la réalité. Comme Kaṇṇaki, la poétesse amoureuse des mots les choisit et les organise au prix d’une ascèse épuisante en vue de la création d’un univers poétique original. Il lui arrive aussi de crier son désespoir lorsque les mots lui résistent. Pourtant, de même que Kaṇṇaki connaît un moment d’amour, de plaisir, avec les abeilles qu’attire son miel, de même la poétesse se console lorsqu’elle réussit à jouer avec les mots et les images pour composer ses poèmes.

Conclusion

Les sept poèmes du corpus déconstruisent les figures de Cītai et Kaṇṇaki, modèles traditionnels de la vertu conjugale, afin de proposer une approche féministe de ces héroïnes de la littérature médiévale tamoule. L’éloge de la beauté physique incite les femmes à prendre plaisir à la contemplation de leur corps, à exposer leurs désirs. Cītai et Kaṇṇaki incarnent la femme qui a la force de revendiquer désir et plaisir hors de la relation conjugale. Les analogies insolites entre les deux héroïnes et certains éléments de la flore ou de la faune valorisent la femme source de la création poétique moderne. Cītai et Kaṇṇaki jouent avec les mots, les images littéraires qu’elles dotent de sens multiples et surprenants, offrant ainsi une vision poétique originale du monde. Elles deviennent alors des figures de la poétesse et de la poésie d’aujourd’hui.

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Notes

1 Ces vingt‑deux textes ont servi à la rédaction de mon article dans le volume d’hommage à Marie‑Claude Porcher (Delamourd, 2024, p. 499‑540). Return to text

2 Kampaṉ (1180‑1250). Return to text

3 Voir bibliographie sur ces deux œuvres littéraires. Return to text

4 L’absence de ponctuation est normale chez les poètes tamouls du Caṅkam puis de la période médiévale. Avec l’arrivée de l’imprimerie, au xixe siècle, l’usage de la ponctuation se généralise. Cuppiramaṇiya Pāratiyār (1882‑1921), poète révolutionnaire, initiateur de la poésie tamoule moderne, utilise abondamment toute la gamme des signes de ponctuation pour exprimer des émotions vives. La suppression de la ponctuation dans les textes du corpus manifeste le choix du retour à un modèle poétique antique. Return to text

5 Māyamāṉkaḷ, Tāmarai malar nīṭṭam. Return to text

6 Dans la traduction du premier : 19 vers au lieu de 17 en tamoul ; dans celle du troisième : 20 au lieu de 21 dans l’original ; dans celle du cinquième : 21 au lieu de 22 du texte tamoul. Return to text

7 Ku. Umātēvi (2006, p. 24). Return to text

8 Umā Ṣakti (2009, p. 51). Return to text

9 Kuṭṭi Rēvati (2019, p. 371). Return to text

10 Kuṭṭi Rēvati (2019, p. 457). Return to text

11 Cukirtarāṇi (2022). Return to text

12 Umā Ṣakti (2009, p. 32). Return to text

13 Civakāmi (2012, p. 54). Return to text

14 Ce terme définit précisément la fidélité conjugale de l’épouse. L’épouse chaste et vertueuse est aussi nommée pativiratai, calque du sanskrit pativratā (Tamil Lexicon, vol. IV, partie I). Return to text

15 Elle est propriétaire de sa terre (v. 2), son corps est assimilé à la terre humide (v. 13). Dans l’épopée, Cītai est fille de la terre car elle est sortie du sillon tracé dans le champ par le roi Caṉakaṉ [Janaka] en vue de délimiter l’aire sacrificielle où se déroulera le rituel pour obtenir une descendance. Elle se laisse conquérir par le prince Rāmaṉ qui, pour obtenir sa main, réussit à tendre l’arc de Civa. Return to text

16 Cette locutrice pourrait être « celle qui rit après l’embrasement des dix point de l’horizon » : elle fait voler en éclats la notion de kaṟpu et revendique la libération sexuelle des femmes dans les trois derniers vers. Return to text

17 Littéralement : « je ne suis pas de celles qui suivent cette voie ». Au début de la strophe 2 la référence à l’humble travail domestique de la femme ordinaire suggère que les héroïnes de l’épopée n’ont pas un statut différent. Return to text

18 C’est ce que raconte Perumāḷ Murukaṉ (né en 1966) dans son roman Mātorupākaṉ (Murukaṉ, 2010 ; trad. anglaise, 2013 ; trad. française, 2025). Durant la période coloniale, dans un village situé au sud du Tamiḻ Nāṭu, un couple de paysans aisés désire ardemment un enfant. Au bout de 12 ans d’infertilité, l’épouse se résigne, en désespoir de cause, à s’unir à un inconnu, une nuit, lors d’une fête religieuse. Le mari désespéré prépare la corde pour se pendre dans les dernières lignes du roman. La traduction anglaise a provoqué la fureur de certains hindouistes fondamentalistes ; ils ont accusé l’auteur d’offense religieuse, l’ont menacé de mort, si bien qu’il a fini par annoncer sur les réseaux sociaux son suicide littéraire. Cependant, Perumāḷ Murukaṉ a publié, fin 2014, chez le même éditeur, deux romans où il imagine deux suites différentes à Mātorupākaṉ. Return to text

19 V. 16‑17 eṉṉaic ciṟaiyiṭṭavaṉōṭu / cemmarak kaṭṭilil cayaṉittatai : « Que j’ai couché dans un lit en bois de santal rouge / Avec celui qui m’a retenue captive ». Return to text

20 Désignée par le pronom personnel féminin avaḷ (« elle »), au génitif à l’attaque du v. 2, puis au nominatif au v. 13. Return to text

21 Désigné par aḻakāṉa āṇoruvaṉ, « un bel homme » v. 1, puis par le marqueur de troisième personne au masculin singulier ‑āṉ des formes verbales, énumérant les étapes successives de l’entreprise de séduction, à la clausule des vers 3, 6, 8, 11 et 17. Return to text

22 nilam signifie aussi « champ », « cultivé » ou « bon à cultiver » (Mousset & Dupuis, 1981). Ce terme figure à la fin du v. 2 pour désigner le champ ou le terrain appartenant à la femme anonyme, figure de Cītai, puis au début du v. 13 dans la comparaison renvoyant à la vulve. Return to text

23 Du sanskrit kāma ; voici les différents sens dans le Tamil Lexicon, vol. II : « 1. Desire. 2. Happiness in love, one of four kinds of puruṣārttam. 3. Sexual pleasure. 4. Venereal secretion. 5. Object of desire. » Return to text

24 C’est pourquoi je traduis tous les verbes au passé dans le texte tamoul par le présent (sauf au début des cinquième et quatorzième vers de ma traduction). Return to text

25 Ganapathy-Doré (2016) ; Gros (1983, p. 77‑107). Return to text

26 Tiruvaḷḷuvar, Le Livre de l’amour, traduit du tamoul, présenté et annoté par François Gros (Tiruvaḷḷuvar, Gros (trad.), 1992). Return to text

27 Identifiable par la référence à son anneau de cheville qu’elle brise devant le roi, puis « les grains de perles » de l’anneau de la reine (v. 16‑17), preuves de l’erreur judiciaire du roi qui a condamné à mort Kōvalaṉ accusé du vol de l’anneau de la reine. Return to text

28 Au cours d’un entretien accordé à Vani Viswanathan le 5 août 2012 (publié en ligne par Spark Editors), Kuṭṭi Rēvati déclare : « Writing definitely helps any woman because language is a very strong tool for the fight against this oppressive society. […] I maintain that language is the one tool that can liberate women’s bodies. » Return to text

29 Dans la région du Tirunelveli, l’euphorbia tiroucalli en zone semi‑aride est associée à la déesse de village Nīli/Icakki, parfois identifiée à Kaṇṇaki en tant que déesse justicière. Nīli/Icakki tire vengeance de son assassin, un amant brahmane, dans une vie antérieure où elle était courtisane. Elle saisit un tronçon d’euphorbe, le métamorphose en nourrisson, puis s’en sert pour assouvir sa soif de justice (Schuler, 2009). Return to text

References

Electronic reference

Chantal Delamourd, « Métamorphoses de Sītā et Kaṇṇaki : du parangon de chasteté au sujet du désir selon cinq poétesses féministes tamoules contemporaines », Agastya [Online], 1 | 2025, Online since 02 juin 2025, connection on 27 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/agastya/index.php?id=324

Author

Chantal Delamourd

GREI, EA 2120
chan.del[at]wanadoo.fr

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