Du discours d’opposition au consensus politique

Parcours de l’institutionnalisation de la rhétorique anti-mafia

DOI : 10.35562/celec.569

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Texte

Selon l’historien Umberto Santino, très marqué politiquement, mais aussi très engagé dans le mouvement anti-mafia, on peut distinguer trois phases dans l’histoire de la lutte contre la mafia. Un premier cycle s’étend des Fasci siciliani au deuxième après-guerre (soit de la fin du XIXe siècle aux années 1950). À cette époque, la bataille contre la mafia pourrait être assimilée à une lutte des classes et à une lutte pour la démocratie. Selon cette lecture politisée, le combat contre la mafia ressemble alors davantage à une lutte pour l’émancipation des masses paysannes1. Pendant les années 1960-1970, on observe une seconde phase, souvent méconnue en dehors des cercles partisans de l’époque, où le combat est mené « dalle forze politiche di opposizione e da piccole minoranze2 ». Enfin, la troisième et dernière période, qui commence à partir des années 1980, est celle du mouvement de masse. Elle se caractérise par l’engagement d’une partie de la société en réaction à plusieurs grands événements traumatisants, comme les assassinats du préfet Carlo Alberto Dalla Chiesa (1982) et des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino (1992). Aujourd’hui, la lutte contre la mafia est un argument récurrent du discours des autorités italiennes, ce qui contraste singulièrement avec la situation des années 1960, 1970 et avec celle du début des années 1980. Alors, l’existence de la mafia était constamment remise en question par bon nombre d’hommes politiques, qui refusaient même de la nommer. Comment expliquer, trente ans plus tard, la position centrale occupée par l’anti-mafia dans les déclarations officielles ? Quelles sont les étapes de ce processus d’institutionnalisation ? Après avoir souligné, grâce à l’étude de la presse et des interventions de responsables politiques, combien le discours de lutte contre la mafia était identifié à un discours partisan jusque dans les années 1980, nous nous interrogerons sur le tournant de 1992, qui pourrait être considéré comme le point de départ d’un consensus politique. Enfin, nous analyserons l’institutionnalisation du discours antimafia à travers la construction d’une véritable rhétorique commémorative.

Un discours partisan

Un contexte propice à la polarisation politique

Après la seconde guerre mondiale, le contexte sicilien est propice à la polarisation politique. La Sicile est secouée par un fort mouvement d’occupation des terres non cultivées, qui accentue l’opposition idéologique entre les paysans (« i braccianti ») et les propriétaires des grands latifundia (« gli agrari »). Ces luttes paysannes, perçues comme « un secondo Risorgimento e una lotta per la liberazione3 », constituent, selon Umberto Santino, « l’ultimo atto4 » de l’affrontement entre les paysans et les forces conservatrices. Dès 1876, le rapport des parlementaires Leopoldo Franchetti et Sidney Sonnino rend compte des liens qui unissent « gli agrari » aux mafieux : en effet, les riches propriétaires payent des « gabellotti5 » mafieux pour protéger leurs terrains. Cet échange de « bons procédés » perdure dans l’Italie libérale et jusqu’après la seconde guerre mondiale, où il est même renforcé par la prise de position de la Démocratie Chrétienne (DC) en faveur des notables aux élections législatives de 1948. Les paysans, quant à eux, sont soutenus par les forces de gauche, que la mafia tente d’intimider en exécutant des dizaines de syndicalistes et de communistes entre 1944 et 1947.

Pour bien comprendre les enjeux de cette période, il est impératif de relier la situation sicilienne au contexte international. C’est en effet le moment où se mettent en place les équilibres internationaux de la guerre froide. Les forces atlantistes s’allient pour endiguer le communisme et l’Église prend également position en appelant ses fidèles à mener une croisade contre le communisme (1946). Les résultats des premières élections régionales siciliennes, le 20 avril 1947, remportées par la coalition de gauche, risquent donc d’avoir des répercussions au niveau national et de déstabiliser l’équilibre international. C’est pourquoi les forces conservatrices décident de mettre un frein à la progression communiste en utilisant la mafia comme arme politique, lors du massacre de Portella della Ginestra, le 1er mai 1947. Le « bipartisme imparfait6 » qui va caractériser le système politique italien se met en place dès mai 1947 : la Démocratie chrétienne (DC) rompt l’alliance antifasciste en excluant les forces de gauche du gouvernement national, condamnant ainsi le Parti Communiste (PCI) à n’être qu’un parti d’opposition.

La radicalisation du débat politique entraîne une polarisation de la presse nationale : les organes de presse des deux partis exacerbent le conflit idéologique. L’Unità, journal du PCI, utilise un langage stigmatisant qui propose une lecture politisée des événements, selon le schéma de la lutte des classes. La mafia est ainsi décrite comme un instrument de la classe dominante pour opprimer les paysans. De son côté, Il Popolo, le quotidien de la DC, est très embarrassé lorsqu’il doit parler de mafia : il entretient un flou linguistique et conceptuel, parlant de « trame eversive della violenza politica e della criminalità comune7 » au lendemain de l’assassinat du secrétaire régional du PCI, Pio La Torre, et de son chauffeur Rosario Di Salvo, le 30 avril 1982. Comme nous l’a expliqué le journaliste Francesco La Licata – qui a commencé sa carrière à L’Ora au début des années 1970, avant de rejoindre le Giornale di Sicilia (de 1980 à 1982), puis La Stampa –, on retrouve cette opposition politique et idéologique dans la presse locale :

Allora la società era […] nettamente divisa: qua ci sono i mafiosi, e qua ci sono i comunisti. Per cui noi eravamo comunisti, ma non eravamo ideologicamente comunisti. […] Il giornalismo de L’Ora era un giornalismo di denuncia, un giornalismo d’inchiesta. […] Eravamo un giornale d’opposizione. […] Poi nell’80 sono andato al Giornale di Sicilia perché arrivava un grande direttore che era Fausto De Luca. […] Nell’82 muore Dalla Chiesa e qui, fine dei giochi perché Cosa nostra s’impossessa dei giornali. […] Cambia la linea politica, cambia il direttore. […] È l’editore che s’inventa direttore per poter attuare una linea politica appetibile ai suoi amici, diciamo, Lima, Ciancimino… […] È ovvio che il Giornale di Sicilia è un giornale compromesso, culturalmente compromesso […]. Il compito di questo giornale è di smocciare tutto, di depotenziare qualsiasi tipo di notizie8.

Le Giornale di Sicilia semble donc intrinsèquement lié à l’élite DC locale – dont certaines figures étaient très proches de Cosa Nostra –, alors que L’Ora est notamment utilisé par le parti communiste pour dénoncer ces relations clientélistes qui engendrent les collusions entre mafia et politique qui caractérisent le système de pouvoir démocrate-chrétien au niveau local. Ainsi, la presse est un instrument essentiel pour les deux principaux partis : ils vont utiliser les journaux pour polariser encore plus le débat, conférant à la lutte contre la mafia une dimension éminemment politique.

La lutte contre la mafia comme combat politique

Au niveau national, les communistes n’ont de cesse de demander la création d’une Commission d’enquête parlementaire anti-mafia pour rendre compte du phénomène, alors peu connu. Leur requête est accordée en décembre 1962, mais ce n’est qu’après le massacre de Ciaculli (30 juin 1963), où sept carabiniers trouvent la mort suite à l’explosion d’une voiture piégée, que la Commission se réunit pour la première fois. Au lendemain de ce tragique événement, le débat parlementaire fait justement émerger les clivages partisans et les constantes de l’argumentation de chaque parti. Le Président de la Chambre, Brunetto Bucciarelli Ducci (DC) demande « l’adozione urgente di validi rimedi che stroncando il male alla radice, liberino l’ambiente dal sinistro servaggio imposto da forze oscure, espressione di eversione morale e di brutale barbarie9 ». Outre la périphrase complexe et emblématique du discours démocrate-chrétien de l’époque pour éviter de prononcer le mot « mafia », cette citation montre que Bucciarelli Ducci tente de faire de la DC un parti demandeur de la Commission parlementaire anti-mafia, ce qui ne manque pas de provoquer un tollé général10, puisque tout avait été fait pour en retarder le plus possible la création. Le premier rapport de la Commission, publié en 1976, donne lieu à de nouveaux conflits entre DC et PCI qui se soldent par la publication d’une relation de minorité, car les communistes estiment que « alcuni settori della DC hanno cercato di impedire [l’indagine], a tutti i costi, sabotando i lavori della commissione11. » La lutte contre la mafia semble donc être un véritable combat politique mené exclusivement par l’opposition. Cependant, pour les communistes, « la lotta contro la mafia e il sistema di potere mafioso [è] parte integrante della più generale lotta per il rinnovamento economico della Sicilia12 ». On voit que la lutte contre la mafia n’est pas une finalité en soi : dénoncer les collusions qui compromettent le bon fonctionnement des administrations publiques est une solution parmi d’autres pour régler la question méridionale.

De leur côté, les démocrates-chrétiens utilisent le « sicilianisme » comme argument de défense : cette approche culturelle vient des travaux de Giuseppe Pitrè13, pour qui la mafia et les comportements mafieux n’étaient que l’émanation de la culture et de l’identité sicilienne. Voici ce que déclarait Nello Martellucci (alors qu’il était maire de Palerme en 1982), en pleine guerre de mafia :

Si vuol continuare a criminalizzare una regione e una città che invece vogliono essere rispettate come meritano… la mafia, quando c’era, era cosa di paese, non toccava Palermo. Parliamo invece di criminalità organizzata di data recente che si è insediata a Palermo intorno al traffico della droga14.

On remarque tout d’abord qu’il dénonce de manière caricaturale – en la présentant comme une persécution – la marginalisation de la ville et de la région. Puis il nie l’essence même de l’organisation, c’est-à-dire son caractère unitaire, et en utilisant le syntagme « criminalità organizzata », il réduit la mafia à une criminalité commune, qui ne serait pas aussi noble que la vieille mafia rurale, faisant référence au « mythe » de la bonne et de la mauvaise mafia. De plus, remplacer le mot « mafia » par « criminalité organisée » ou, pire, noyer le concept dans d’obscures périphrases – comme Bucciarelli Ducci, en 1963, dans la déclaration citée ci-dessus – est une bataille sémantique lourde de sens : cela atténue considérablement la portée du phénomène. Martellucci utilise donc la stratégie démocrate-chrétienne de dénégation classique et typique de l’après-guerre. Nando Dalla Chiesa, fils du préfet assassiné le 3 septembre 1982 avec sa femme, Emanuela Setti Carraro, et un agent d’escorte, Domenico Russo, n’hésite d’ailleurs pas à parler de « manipolazione linguistica » dont le but serait, à travers l’utilisation de syntagmes opaques, la remise en question de l’existence même de la mafia :

In un titolo a tutta pagina “Il Popolo” del 9 settembre [1982] arriva a metterla, la mafia, addirittura tra virgolette (come dire: è un’invenzione). Quando poi va bene si parla di criminalità mafiosa e terrorismo mafioso; e la mafia diventa aggettivo di altro, non fenomeno in sé. […] Le parole non vengono usate per definire la realtà, bensì per eluderla15.

La conséquence logique d’une telle stratégie communicative est la stigmatisation de la lutte contre la mafia comme argument partisan, que l’opposition instrumentaliserait à des fins politiques16. En septembre 1982, Nando Dalla Chiesa dénonce dans la presse les intérêts politiques qui se cachent derrière le meurtre de son père. L’interview intitulée « Cercate i mandanti nella DC siciliana17 » fait grand bruit et provoque une levée de boucliers sans précédent dans les rangs démocrates-chrétiens. La stratégie de défense est à la fois simple et subtile : réduire les propos du fils du général à l’amalgame « DC = mafia », pour ensuite le déstabiliser et le décrédibiliser en lui demandant de démontrer qu’il n’est pas inscrit au PCI. Nando Dalla Chiesa s’y refuse, mais les démocrates-chrétiens, pour le discréditer aux yeux de l’opinion publique, font le raccourci suivant : ce sont ses convictions politiques qui le poussent à porter de telles accusations et on le définit comme « il figlio comunista18 ».

La dépolitisation de la lutte contre la mafia

Il faut attendre la moitié des années 1980 pour que s’atténue la dimension politique du débat sur la lutte contre la mafia. Avec la création du « pool anti-mafia », après l’assassinat du juge Rocco Chinnici, en 1983, et la collaboration de Tommaso Buscetta (premier « repenti »), en 1984, la magistrature revient au premier plan et se réapproprie la lutte contre la mafia. La dénonciation dépassionnée de la mafia et du système de pouvoir mafieux, ainsi que la lutte judiciaire qui s’ensuit, permettent de sortir le discours anti-mafia des interprétations partisanes. Toutefois, peut-on pour autant parler d’une dépolitisation de la lutte contre la mafia ?

En juillet 1985, Leoluca Orlando, à la tête d’une coalition dite « pentapartite19 », est élu à la mairie de Palerme. Il fait partie de la frange de la DC qui a toujours été opposée au système de connivence avec la mafia20. Son élection marque donc un tournant : il souhaite œuvrer pour la transparence de l’administration et des pratiques d’adjudication des marchés publics, ce qui soulève bien des protestations. On appelle cette période le « Printemps de Palerme », car, pour la première fois, un vent de légalité souffle sur la ville. Ce renouveau politique est décrit par Bartolomeo Sorge – jésuite officiant à Palerme et membre de l’association chrétienne Città per l’Uomo – comme « una rivoluzione copernicana21 » :

Ovviamente la stagnazione politica costituiva l’humus più adatto all’espansione della criminalità organizzata e al suo inserimento nei gangli nevralgici della società e della vita pubblica. […] La rinascita di Palermo e dell’Isola doveva necessariamente passare attraverso un nuovo modo d’intendere la politica, cioè attraverso la riscoperta dei valori ideali, una coraggiosa riforma delle istituzioni e soprattutto attraverso il ricambio della classe dirigente22.

De leur côté, les magistrats enquêtent sur les figures qui, comme Vito Ciancimino ou les cousins Ignazio et Antonino Salvo, sont au cœur du système de collusions entre Cosa Nostra et la DC sicilienne. Le pouvoir local soutient la magistrature et autorise la construction d’une salle d’audience spéciale (« l’aula bunker »), afin que le plus grand procès jamais célébré contre la mafia – comptant presque 500 accusés – puisse se tenir à Palerme. Le « maxi-procès », également surnommé « il processo del secolo », débute en février 1986 et se conclut en décembre 1987 par la condamnation de tous les chefs mafieux incriminés. Il s’agit de la première victoire de l’État sur la mafia, comme le souligne unanimement la presse :

La sentenza che ha concluso il più grande processo mai celebrato contro appartenenti alla mafia ci invia segnali di varia natura, ma tutti di segno positivo e di grande importanza. Il primo è che questo processo ha posto fine al mito più che secolare dell’impermeabilità e della invincibilità della mafia. Moltissimi componenti della Commissione posta al vertice della organizzazione mafiosa sono stati condannati all’ergastolo. La rete di protezione e di omertà che ha sinora circondato i capi è ceduta, così come non ha più senso il luogo comune che era in sostanza la mafia a gestire i processi, abbandonando alla giustizia solo i pesci piccoli ormai irrimediabilmente compromessi.

Senza timore di usare parole grosse, si deve dire che lo Stato ha dimostrato di essere più forte non solo del contropotere criminale-mafioso, ma anche di quell’area di contiguità formata dai cosiddetti insospettabili che formavano gli anelli di collegamento tra il gruppo criminale e i poteri legali23.

Malgré ce succès historique, le Printemps de Palerme ne dure pas. D’une part, la majorité d’Orlando chute en 1987 et, de l’autre, le pool anti-mafia est démantelé. Tout est fait pour écarter Giovanni Falcone des postes à responsabilités et pour le décrédibiliser : plusieurs lettres anonymes diffamatoires qui mettent en cause son intégrité sont publiées dans la presse :

Illustri signori, Giovanni Falcone, per usare un eufemismo, fino ad oggi vi ha preso per i fondelli facendovi credere di essere un paladino dell’antimafia laddove si è rivelato uno squallido opportunista. […] Falcone si è venduto per un posto di procuratore aggiunto. Che squallore24 !

Elles font partie d’une stratégie mafieuse visant à l’affaiblir publiquement avant de s’en prendre à lui physiquement, avec l’attentat de l’Addaura (20 juin 1989), nom de la contrée où Falcone avait loué une villa pour l’été. La bombe n’explose pas, mais il s’agit d’un épisode sur lequel la justice n’a pu faire toute la lumière. En effet, le magistrat Luca Tescaroli explique les zones d’ombre de cette affaire, en insistant sur l’intervention suspecte de l’artificier Francesco Tumino, qui mit plus de trois heures à arriver sur place et détruisit la charge explosive : « Dopo l’esplosione, la borsa era sensibilmente lacerata : la prova principale del fallito attentato era stata irrimediabilmente distrutta25. » L’attentat de l’Addaura constitue l’apogée de cette stratégie de délégitimation à l’encontre du juge Falcone : la bombe n’ayant pas explosé, le bruit commence à courir qu’il aurait organisé lui-même un faux attentat afin de servir ses ambitions personnelles. Voilà pourquoi les années 1988-1990 sont appelées la « Saison des poisons », et le climat devient si délétère que Falcone quitte le Parquet de Palerme pour travailler au Ministère de la Justice, à Rome, en 1991.

1992 : le début d’un consensus politique ?

Les attentats contre Falcone et Borsellino

La sentence du maxi-procès est confirmée en Cassation le 30 janvier 1992 et Cosa Nostra ne tarde pas à régler ses comptes avec ceux qu’elle juge responsables. Le député européen et chef du courant andreottien de la DC en Sicile, Salvo Lima, référent de Cosa Nostra depuis les années 1960, est assassiné le 12 mars 1992. En parallèle, en février 1992, le socialiste Mario Chiesa est arrêté en possession d’une valise pleine de billets à Milan, c’est le début de l’opération Mains Propres et du scandale de « Tangentopoli », qui révéle le système de corruption généralisé qui alimente le financement occulte des partis politiques. Tous les partis sont touchés : les révélations discréditent la classe politique tout entière et affaiblissent le système, qui finit par s’effondrer, entraînant la disparition de tous les partis historiques de la République italienne.

C’est dans ce climat de vide institutionnel, avec un Parlement qui peine à élire un nouveau Président de la République, qu’a lieu l’attentat de Capaci, qui coûte la vie au juge Falcone, à sa femme et à trois agents de son escorte, le 23 mai 1992. Le caractère spectaculaire de l’attentat (500 kg d’explosif éventrent l’autoroute reliant Palerme à l’aéroport de Punta Raisi) provoque l’effroi :

La più infame delle stragi si consuma in cento metri di autostrada che portano all’inferno. Dove mille chili di tritolo sventrano asfalto e scagliano in aria uomini, alberi, macchine. C’è un boato enorme, sembra un tuono, sembra un vulcano che scarica la sua rabbia. In trenta, in trenta interminabili secondi il cielo rosso di una sera d’estate diventa nero, volano in alto automobili corazzate, sprofondano in una voragine, spariscono sotto le macerie. […] Un bombardamento, la guerra. Sull’autostrada Trapani-Palermo i boss di Cosa nostra cancellano in un attimo il simbolo della lotta alla mafia. Massacro “alla libanese” per colpire e non lasciare scampo al Grande Nemico26.

Palerme est comparée à Beyrouth (« Una strage come in Libano27 ») et à la Colombie (« La Sicilia come la Colombia28 »), les territoires considérés comme les plus violents à l’époque. La situation italienne apparaît désespérée et la classe politique ne semble pas de taille à affronter cela. L’élection d’Oscar Luigi Scalfaro au Quirinal ne calme pas les esprits. Lors des funérailles de Falcone, la rupture entre une partie de la société et le monde politique est consommée : la foule insulte les hommes politiques, leur lance des pièces et les chasse au cri de « Vergogna, vergogna, assassini29 » ou « Sciacalli, andate via : lo Stato non siete voi30 ».

Le 19 juillet 1992, soit cinquante-sept jours plus tard, la mafia frappe à nouveau l’État en plein cœur : un attentat à la voiture piégée coûte la vie à Paolo Borsellino, ami, collègue et successeur naturel de Falcone, ainsi qu’à cinq agents d’escorte. Dans les gros titres de la presse, les journalistes recourent aux mêmes qualificatifs et aux mêmes images que pour le massacre de Capaci : « Un boato, un lampo, una strage. Altre sei vite bruciate dal tritolo31 », « Via d’Amelio, angolo di Beirut32 ». Une mobilisation civile sans précédent se met en place : dès le 22 juillet, des femmes entament une grève de la faim d’un mois sur une place centrale de Palerme, pour demander la démission des plus hautes autorités judiciaires de la ville, et des chaînes humaines sont organisées autour du Palais de Justice. Une frange des palermitains exprime sa colère et son indignation en exposant des draps blancs aux fenêtres, sur lesquels on peut lire : « Non li avete uccisi, le loro idee camminano sulle nostre gambe. » Ce mouvement prend une telle ampleur que le Comitato dei lenzuoli voit le jour, ce qui est « una vera rivoluzione per Palermo33 ». Une partie de la société s’approprie ainsi l’héritage moral des juges, tandis que la classe politique, secouée chaque jour par des révélations sur Tangentopoli, ne semble pas légitime pour rendre hommage aux victimes34. La famille de Borsellino refuse les funérailles d’État (« Nessun politico ai funerali35 »), et certains citoyens expriment leur animosité envers le monde politique par le désormais célèbre slogan « Fuori la mafia dallo Stato. »

Des victimes encensées, une classe politique décriée : les réactions dans la presse

Après sa mort, les éloges de Falcone dans la presse locale, nationale et internationale posent les bases rhétoriques de la construction de sa figure de héros. Pour l’opinion publique, Falcone était le fer de lance de la lutte contre la mafia, et les journalistes le décrivent comme : « il Grande Nemico36 » de la mafia, « il simbolo della lotta alla mafia37 », « il giudice antimafia38 » et même « un eroe anti-mafia39 », « un mito discreto e moderno d’impegno civile », « un personnaggio indimenticabile40 » qui devrait recevoir la « medaglia d’oro della Resistenza41 ». Ainsi, les qualités propres au héros sont mises en évidence dans tous les portraits, son courage, ses exploits, son dévouement et le caractère exemplaire de son engagement : « Tutti ricordano le straordinarie qualità del magistrato, la sua capacità di lavoro, la dedizione assoluta alla giustizia, pur in condizioni assai aspre e spesso segnate da polemiche e dissensi42. » De plus, l’attentat qui lui coûte la vie a un tel écho qu’il passe à l’histoire sous l’appellation métonymique43 de « massacre de Capaci », expression qui contient à la fois la dimension spectaculaire de l’attentat, mais aussi l’importance de la victime. Cependant, si la métonymie est habituellement une figure d’atténuation, l’utilisation du mot « strage » vient annuler cet effet et fait de la violence la caractéristique principale de l’événement. On note aussi un transfert de sacralité entre Falcone et Borsellino, qui se voit attribuer les mêmes qualificatifs : on parle du « massacre de via d’Amelio », mais la figure de Borsellino a une dimension de héros tragique qui est absente chez Falcone. Borsellino savait que sa mort était inéluctable et s’est lancé, après Capaci, dans une véritable course contre la montre, en se dédiant corps et âme à l’enquête sur la mort de Falcone : « Interrogava i pentiti e diceva: “Spero di fare in tempo”44. » Cette conscience parfaite d’aller à l’encontre de la mort (« Borsellino sapeva: “Il tritolo per me è già arrivato a Palermo”45 »), attestée par de nombreux témoignages, renforce la dimension exceptionnelle de son engagement, mais aussi la critique de l’inertie de la classe politique, qui n’a rien fait pour le protéger.

Le monde politique, déjà malmené par Tangentopoli, doit faire face aux critiques véhémentes de la presse. Simona Dalla Chiesa, fille du préfet assassiné en 1982, ne se fait aucune illusion sur la capacité de réaction des institutions :

In questa desolante aula parlamentare, tra i soliti volti, i soliti protagonisti, le solite affermazioni, il solito inutile sdegno ci si chiede con angoscia […] se tutto riprenderà come prima, come sempre, come ogni volta46.

L’éditorialiste de Repubblica, Eugenio Scalfari, apostrophe la classe politique dans un éditorial intitulé « Ai signori del Parlamento47 », tandis que Pino Arlacchi, sociologue spécialiste de la mafia, fait le constat dramatique du dégoût suscité par les déclarations des hommes politiques : « Ed eccoci qui, con la nausea che sale, ad ascoltare le tiepide e scontate dichiarazioni degli esponenti di partito48. » Le manque de confiance dans la classe politique et dans sa capacité à reprendre en main la situation fait donc consensus dans la presse. Les journalistes émettent une condamnation sans appel : l’État est frappé en plein cœur par la mafia, et les politiques apparaissent comme moralement responsables de ce chaos, par manque de réactivité. Palerme est livrée à elle-même, et l’homélie que le cardinal Pappalardo avait prononcée dix ans plus tôt aux funérailles de Dalla Chiesa semble tristement actuelle : « Si può applicare una nota frase della letteratura latina […]: “Dum Romae consulitur… Saguntum expugnantur” mentre a Roma si pensa sul da fare, la città di Sagunto viene espugnata dai nemici! E questa volta non è Sagunto ma Palermo. Povera Palermo49! » Afin de remédier à cela, la classe politique ne propose qu’une solution : s’unir.

Un consensus nécessaire

Au vu de l’impact médiatique de l’assassinat de Falcone, on aurait pu s’attendre à un discours élogieux venant du président du Conseil Giulio Andreotti, dans la lignée des portraits brossés par les journalistes. Or, le discours qu’il prononce à Montecitorio, le 25 mai 1992, est très ambigu et dépourvu de toute émotion. Après une reconstruction factuelle de l’attentat, il insiste sur les moyens investis pour assurer la sécurité du juge lors de ses nombreux allers et retours entre Rome et Palerme. Ainsi, pour dégager l’État de toute responsabilité, il souligne les habitudes du juge :

Come soleva fare da quando era stato trasferito al ministero, anche sabato scorso il dottor Falcone si era recato a Palermo per trascorrervi il fine settimana, servendosi, per ovvie ragioni di sicurezza, di un aereo di Stato. […] Dall’inizio dell’anno il giudice Falcone aveva effettuato con aerei di Stato undici voli per Palermo. E altrettanti voli aveva effettuato per il rientro a Roma dopo il fine settimana50.

Cette accusation d’imprudence – à peine voilée – revient souvent au lendemain d’événements dramatiques : elle permet de décrédibiliser la victime en lui faisant porter la responsabilité de l’attentat51. Puis, au lieu de rendre hommage au juge, le Président du Conseil se lance dans un pamphlet en défense du gouvernement. Enfin, il relie très habilement la figure de Falcone à celle de Salvo Lima, faisant rentrer l’homicide du parlementaire dans le même dessein d’attaque contre les institutions, interprétation qui rabaisse Falcone et réhabilite Lima52. L’intervention d’Andreotti tranche donc avec le vibrant hommage qu’Oscar Luigi Scalfaro a prononcé la veille53, alors qu’il était encore président de la Chambre, et avec les réactions des députés54.

Les séances parlementaires qui ont lieu après les attentats contre Falcone et Borsellino sont particulièrement houleuses. Nous retrouvons des constantes dans toutes les interventions des députés : un hommage ému à la victime55, un constat de la gravité de la situation56, une condamnation de la mafia et une dénonciation des responsabilités de l’État57. On remarque que le scandale de Tangentopoli conditionne les discours des parlementaires, car le débat est incontestablement politisé. Ainsi, pour ramener la discussion sur le terrain de l’affrontement politique, Umberto Bossi parle d’un « delitto politico » et de « cupola politico-mafiosa »58. Les petits partis comme la Ligue du Nord et le MSI demandent la démission du gouvernement après la mort de Borsellino, appelant ainsi à la rénovation de l’élite gouvernementale. Ils instrumentalisent la mort de Borsellino pour donner l’image d’un État non seulement corrompu mais hypocrite59, où les partis non éclaboussés par Tangentopoli seraient la seule alternative.

Malgré les polémiques partisanes, les appels à l’unité sont nombreux pour faire face à l’attaque de la mafia : à travers les juges, c’est l’État tout entier qui est pris pour cible. La notion de guerre est donc au cœur de toutes les interventions. Après le massacre de via d’Amelio, Arnaldo Forlani, secrétaire de la DC, parle d’une « guerra aperta e dichiarata allo Stato60 » et Achille Occhetto, secrétaire du PCI, en appelle au « doveroso senso di responsabilità nazionale61 ». Quant au ministre de l’Intérieur, Nicola Mancino, il estime que le principe même de démocratie est visé. Le Parlement comprend la gravité de la situation et décide d’agir car, comme dit Occhetto, « non è il momento della retorica62 ». Ainsi, afin de marquer les esprits, le gouvernement suit le conseil de Gianfranco Fini, « rispondere alla guerra […] con atti di guerra63 », et décide d’envoyer l’armée en Sicile. La crise de violence mafieuse de 1992 est donc une étape cruciale : le consensus politique qui émerge sur la lutte contre la mafia institutionnalise encore un peu plus le discours antimafia.

L’institutionnalisation du discours anti-mafia

La construction d’une rhétorique commémorative

Cette institutionnalisation passe également par la construction d’une rhétorique commémorative qui, au fil du temps, devient un discours normatif. Quelles sont donc les constantes de cette rhétorique commémorative ? Tout d’abord, on voit apparaître en toile de fond le martyrologe de la lutte contre la mafia. Comme s’il fallait historiciser le discours, le rappel de la longue liste de victimes précédentes est une caractéristique que l’on note dès les années 198064. Les journalistes comme les hommes politiques ancrent chaque nouvelle victime dans la lignée de l’attaque que Cosa Nostra livre aux institutions, comme en témoigne cet extrait d’un article publié sur Repubblica le 24 mai 1992 et intitulé « Una scia di sangue lunga vent’anni » :

Ma la scia di sangue, dopo l’uccisione del procuratore Scaglione negli anni ’70, era iniziata sul finire di quel decennio: cade prima Cesare Terranova, alla vigilia del suo nuovo incarico come consigliere istruttore, e quindi nell’agosto dell’80 tocca a Gaetano Costa, procuratore della Repubblica, che aveva firmato gli ordini di cattura contro il clan Spatola-Gambino. Per la prima volta si toccava il livello dell’imprenditoria mafiosa e del grande riciclaggio internazionale dei narcodollari. Sei mesi prima, a gennaio, era stato assassinato il presidente della Regione Piersanti Mattarella. Due anni dopo, siamo nell’82, la sfida raggiunge il massimo di tracotanza: il 30 aprile cade il segretario regionale del Pci Pio La Torre, il 3 settembre viene trucidato, insieme alla moglie e all’ agente di scorta, il generale Carlo Alberto Dalla Chiesa che, spedito in Sicilia, invano aveva chiesto poteri speciali antimafia. L’anno nero per i poliziotti sarà l’85, quando venne decapitata la squadra mobile, con l’ omicidio del commissario Beppe Montana e del vicequestore Ninni Cassarà. Un salto di alcuni anni, ma tutti punteggiati da delitti eccellenti, per arrivare all’ultima sfida lanciata proprio quest’anno65.

Les qualités communes à toutes les victimes sont mises en avant66, ce qui renforce l’impression d’un martyrologue unitaire : « l’impegno antimafia mette a repentaglio la vita di chi lo sostiene67 ». Enfin, la référence aux victimes précédentes est aussi l’occasion de rappeler les grandes avancées de la lutte contre la mafia, nées après chaque moment dramatique (comme la loi Rognoni-La Torre, qui instaure le délit d’association mafieuse et la confiscation des biens, adoptée après la mort du préfet Dalla Chiesa).

Une autre constante de cette rhétorique commémorative est la comparaison avec d’autres événements traumatisants de l’histoire italienne, en particulier avec les années de plomb. L’expression est même reprise telle quelle en 1982 dans L’Ora pour décrire le martyrologue : « C’è una lunga, spessa trama di violenza che segna questi “anni di piombo” siciliani68 ». De même, après le massacre de Capaci, Luciano Violante – alors président de la Commission parlementaire anti-mafia – fait de suite le parallèle avec l’affaire Moro et l’attentat de la gare de Bologne69, tout comme Andrea Sergio Gravini lors de son discours à la Chambre :

Vi è un’impotenza a fermare le stragi di mafia come vi è stata un’impotenza a cercare e a trovare i responsabili delle stragi fasciste, da Piazza Fontana… […] alla stazione di Bologna, (Proteste dei deputati del gruppo del MSI-destra nazionale) […] salvo la certezza che vi avessero messo mano i servizi segreti70.

Les communistes ainsi que Leoluca Orlando71 se réfèrent aux heures les plus sombres de la République en citant des événements qui sont tous entourés d’une part de mystère, puisqu’on suppose qu’ils impliquaient des commanditaires jamais inquiétés par la justice. Il est frappant de constater qu’Umberto Bossi développe la même argumentation : il dénonce lui aussi la dimension politique de l’assassinat de Falcone en mettant directement en cause les institutions.

Si tratta di un delitto politico che presenta evidenti analogie con altri delitti clamorosi registrati nel vasto capitolo della strategia della tensione.

Gli anni di piombo, dunque, non sono ancora terminati72.

De plus, la mafia frappe l’État en plein cœur en s’attaquant à un juge, ce qui ne manque pas de rappeler le climat des années de plomb. Toutefois, le souvenir du terrorisme est en réalité instrumentalisé par la Lega pour justifier la nécessité d’un renouvellement de la classe politique : « La strategia della tensione diviene lo strumento principe della partitocrazia centralista; diventa lo schema centrale della strategia del palazzo, per difendere ad oltranza il potere che ha usurpato73. » En revanche, pour les autres partis, la comparaison avec les années de plomb est une manière d’inciter la classe politique à réagir de la même façon, en étant unie, forte et intransigeante.

Enfin, le renouvellement de l’engagement de l’État dans la continuité de l’action des victimes devient une conclusion classique de ces discours, si classique qu’il faut se demander dans quelle mesure cela relève de la « langue de bois ». Lors de son intervention à Montecitorio après Capaci, Giulio Andreotti conclut sur « l’impegno a non deflettere74 », comme au temps du terrorisme. La fin de ce discours tranche nettement avec le début, ce qui nous laisse supposer qu’il s’agit là d’une conclusion « politiquement correcte ». Ceci est par ailleurs confirmé par la suite car, après avoir tenté de discréditer Falcone et sans jamais avoir rendu hommage à ses qualités, il incite l’assemblée à s’inscrire dans la continuité de son action : « Ciascuno di noi dovrà coltivare e tenere alta ed intatta l’eredità civile e morale che Falcone ha lasciato75. » La notion d’héritage est donc également au cœur de la rhétorique commémorative et elle est bien souvent intrinsèquement liée à la dimension sacrificielle de l’engagement de la victime. En effet, la mort perçue comme ultime sacrifice au nom des valeurs institutionnelles et démocratiques pose nécessairement la question de l’utilité d’un tel sacrifice :

«È dolce e nobile morire per la patria», come diceva il poeta antico, signor Presidente, oppure è atroce e amaro, soprattutto perché è inutile? […]

Cerchiamo di parlare chiaro in Parlamento a quella parte del paese che ci sta ascoltando. Noi vogliamo dire al paese che ciascun italiano deve ricostruire con intransigenza la legalità nella propria vita quotidiana76.

L’intervention de Francesco Rutelli est éloquente puisqu’elle fait le lien entre une des valeurs centrales de l’engagement de la victime et l’action que chacun peut faire pour rendre ce sacrifice utile. Ainsi, la population – comme la classe politique – doit s’approprier l’héritage du juge Falcone en redonnant toute son importance au principe de légalité. De plus, les institutions ont le devoir non seulement transmettre cet héritage aux jeunes générations, mais également montrer l’exemple en luttant efficacement contre la mafia, s’inscrivant ainsi dans la continuité de l’action du juge Falcone. Cependant, au fil des commémorations, on voit émerger un discours de circonstance, qui n’est pas toujours animé par une réelle volonté politique : on risque alors de tomber dans l’antimafia rhétorique.

Une anti-mafia ?

En effet, comme dit le proverbe, « Tra il dire e il fare, c’è di mezzo il mare »… selon Luciano Violante, les engagements politiques ne tiennent qu’un temps :

Prima l’omicidio eccellente; poi, nell’ordine, indignazione, reazione, nuove leggi, nuovi arresti, nuovi processi. Dopo la disattenzione. Dopo la disattenzione, fioriscono le assoluzioni e gli interventi che, direttamente o indirettamente, volontariamente o involontariamente, riprendono a favorire la mafia77.

Qu’il s’agisse du centre-gauche ou du centre-droit, nombreuses sont les réformes qui ont entravé la lutte contre la mafia : de l’allègement des règles du régime carcéral spécial pour les mafieux (article 41 bis) à la modification substantielle de la loi sur les repentis, en passant par l’autorisation de rapatriement des capitaux de provenance illicite et même par le projet, jamais actualisé, d’abolir les peines de prison à perpétuité78. Cependant, il nous faut souligner la différence de culture politique qui est à l’origine de ce constat. Les réformes sur les repentis et les prisons voulues par le centre-gauche sont le fruit du « garantismo » – le respect des libertés individuelles dans le cadre de la Consitution –, valeur qui a toujours guidé les forces de gauche, en particulier pendant les années de plomb. En revanche, les réformes, actualisées ou non, du centre-droit s’inscrivent dans la continuité de la politique judiciaire menée de 2001 à 2006, puis de 2008 à 2011, caractérisée par les lois ad personam dont le but était de protéger les intérêts privés du Président du Conseil, Silvio Berlusconi, au prix d’un certain laxisme envers les organisations criminelles. En 2002, alors que le centre-droit gouverne depuis peu, le constat de La Licata est sans appel :

Altro che amnesia. Qui siamo di fronte ad una vera e propria rimozione. Saremmo tentati di chiederci cosa direbbe Falcone, se fosse vivo. Ma buona regola è quella di non chiamare in causa i morti. […] Dovrebbe far riflettere il fatto che ancora oggi ci troviamo a discutere sull’emergenza mafiosa e sui possibili rimedi. Per fortuna ci viene risparmiato il vecchio tormentone sull’esistenza della mafia. I tanti caduti sono la prova più evidente della “buona salute” di Cosa Nostra79.

Même si la situation n’est plus celle des années 1960-1970, les signaux envoyés par certains hommes politiques sont donc parfois inquiétants et les polémiques mémorielles ne font que renforcer cette impression.

En 2007, le maire de Comiso (Province de Ragusa, en Sicile), Giuseppe Digiacomo (DS80), décide de donner à l’aéroport le nom de Pio La Torre, pour le vingt-cinquième anniversaire de la mort de celui-ci. La proposition est très bien accueillie et l’aéroport est inauguré « in pompa magna81 » par un vol spécial de Massimo D’Alema, alors ministre des affaires étrangères du gouvernement centre-gauche dirigé par Romano Prodi. En 2008, après un changement de majorité au niveau national – puisque la coalition de centre-droit, guidée par Berlusconi, est de nouveau aux commandes –, le nouveau maire de Comiso, Giuseppe Alfano (AN82) annule la décision de Digiacomo, redonne à l’aéroport le nom de Vicenzo Magliocco (général de l’aéronautique fasciste décédé en Ethiopie, en 1936) et se justifie ainsi : « Non vogliamo mettere in discussione la figura e gli straordinari meriti di La Torre, ucciso dalla mafia […], ma riteniamo più giusto conservare una denominazione che fa parte da più di mezzo secolo della memoria collettiva di questa città83. » Alfano oppose la mémoire collective de sa ville à la mémoire collective de la lutte contre la mafia. De plus, cette polémique s’inscrit dans un climat de révisionnisme latent qui voit se multiplier les tentatives de réhabiliter la figure du Duce84. L’opposition des deux figures revêt donc une dimension politique qui déclenche un véritable battage médiatique. Plusieurs représentants de la majorité de centre-droit se prononcent cependant contre la décision d’Alfano. Fabio Granata (AN, vice-président de la Commision parlementaire anti-mafia depuis 2008) défend ainsi la figure de La Torre : « Pio La Torre è patrimonio comune di tutti noi siciliani come lo sono Falcone e Borsellino a prescindere dalle idee politiche che ognuno di loro poteva avere85. » La spécificité de ce débat est donc de faire émerger le concept de patrimoine culturel appliqué à la lutte contre la mafia, en faisant directement référence aux juges Falcone et Borsellino. Les polémiques suscitées par la décision du maire AN de Comiso révèlent, certes, les enjeux partisans qui ont déterminé les choix des deux maires, mais si Pio La Torre est une figure éminemment politique, il n’en va pas de même pour Falcone et Borsellino. Pourtant, le fait d’avoir donné leurs noms à l’aéroport de Palerme suscite encore des critiques. Ainsi, Gianfranco Miccichè, candidat du centre-droit à la présidence de la Région Sicile, a déclaré en septembre 2012 :

Ritengo che sia una scelta di marketing sbagliata, per un territorio a vocazione turistica come il nostro, intitolare un luogo di partenza e arrivo come l’aeroporto alla memoria dei propri eroici caduti. Non ci si presenta ai tanti turisti che accoglie la Sicilia con il sangue di una delle più profonde e, ancora non sanate, ferite della nostra terra86.

Cette déclaration est emblématique de l’anti-mafia rhétorique, qui repose sur un paradoxe insoluble : Falcone et Borsellino sont des figures ambivalentes, qui incarnent à la fois les valeurs positives de la lutte contre la mafia, mais également l’image négative de la violence mafieuse, c’est pourquoi leurs détracteurs s’engouffrent dans cette brèche pour ne mettre en avant que la dimension négative.

Les petites phrases comme celles-ci en disent long sur le retour de certaine connivence avec la mafia, qui n’apparaît plus comme un tabou. En 2001, Pietro Lunardi, ministre des transports et des infrastructures de Silvio Berlusconi, déclenche l’indignation générale en déclarant : « Con la mafia, bisogna convivere87 ». Cette phrase marque le début d’un rapport « décomplexé » avec la mafia, propre au centre-droit, que l’affaire Dell’Utri va largement amplifier. Ami de longue date et bras droit de Silvio Berlusconi, co-fondateur de Forza Italia, Marcello Dell’Utri a de nombreux démêlés avec la justice pour ses rapports étroits avec les familles mafieuses de Palerme. Condamné à neuf ans de prison, devenus sept ans en appel, avant que la condamnation ne soit annulée en Cassation en 2012, il déclarait ceci en 2005, au début de son épopée judiciaire : « La mafia l’ho vista solo al cinema, e l’ho letta anche sui libri. Come l’immagino? Ma non esiste la mafia! Cos’è la mafia? Un posto dove lei va a bussare e dice: “Permette? Qui c’è la mafia? C’è il direttore regionale?” Ma non esiste88! » Il faut souligner que Totò Riina, lors de sa déposition au procès de Florence pour les attentats à la bombe de Milan, Florence et Rome en 1993, adopte exactement la même tactique de défense89. On retrouve, ici, la stratégie de dénégation typique des années 1960-1980, ce qui met clairement en doute la crédibilité d’une partie de la classe politique pour affronter le sujet.

Le refus de la rhétorique mémorielle

Ainsi, les différentes associations anti-mafia sont pour le moins réticentes à faire intervenir les élus ou les membres du gouvernement lors des commémorations qu’elles organisent. Mis à part le cas Dell’Utri, le choc moral provoqué par les massacres de 1992 empêche de tenir des discours niant l’existence de la mafia. Néanmoins, le discours anti-mafia, sans en faire un phénomène de mode, semble relever d’une règle de bienséance à laquelle on ne peut déroger. À l’approche des commémorations et pendant les cérémonies, on entend de plus en plus une forte dénonciation de cette rhétorique officielle. Marco Travaglio, dans un article intitulé « Fate schifo90 », critique violemment et avec une pointe de sarcasme, l’attitude ambiguë des hommes politiques :

La leggenda del “mai abbassare la guardia”, delle “centinaia di arresti”, della “linea della fermezza”, del “tutti uniti contro la mafia”, mentre dietro le quinte si tresca con quella per venire a patti, avere voti, usarla come braccio armato e regolare i conti sporchi della politica, rimuovendo un ostacolo dopo l’altro: da Mattarella, La Torre e Dalla Chiesa, giù giù fino a Falcone e Borsellino. Ora, nel ventennale di Capaci e via d’Amelio, prepariamoci a un surplus di retorica, nastri tagliati, cippi, busti e monumenti equestri, moniti quirinalizi, lacrime tecniche e sobrie, corone di fiori delle alte cariche dello Stato (anche del Presidente del Senato indagato per concorso esterno91 […]).

Cette antimafia de façade donne lieu régulièrement à des polémiques qui peuvent être très virulentes. Ainsi, les célébrations du vingtième anniversaire de l’assassinat de Borsellino ont été marquées par une rupture entre les proches du juge disparu et les représentants des Institutions92. Salvatore et Rita Borsellino ont même refusé les couronnes de fleurs envoyées par le chef de l’État : « Niente corone di Stato per una strage di Stato. » Et, dans une lettre imaginaire à Paolo Borsellino lue via d’Amelio, sur les lieux de l’attentat, Roberto Scarpinato a tenu les propos suivants :

Stringe il cuore a vedere talora tra le prime file, nei posti riservati alle autorità, anche personaggi la cui condotta di vita sembra essere la negazione stessa di quei valori di giustizia e di legalità per i quali tu ti sei fatto uccidere; personaggi dal passato e dal presente equivoco le cui vite – per usare le tue parole – emanano quel «puzzo del compromesso morale» che tu tanto aborrivi e che si contrappone «al fresco profumo della libertà»93.

Le magistrat dénonce ici l’État-Janus en faisant explicitement référence aux négociations secrètes avec la mafia menées par certains représentants des institutions entre les massacres de Capaci et via d’Amelio. Ces révélations sur la « trattativa » renforcent le sentiment de méfiance envers une partie de la classe politique, qui semble avoir joué un rôle-clef dans les « ibridi connubi fra criminalità organizzata, centri di poteri extraistituzionali e settori devianti dello Stato94 » déjà dénoncés par le juge Falcone. Afin d’éviter les situations embarrassantes, les associations essaient alors de se distinguer du pouvoir politique, notamment en organisant des commémorations civiles en marge des cérémonies officielles. Par exemple, l’association Libera a créé en 1996 la Giornata della memoria e dell’impegno in ricordo delle vittime delle mafie, célébrée le 21 mars, date symbolique, puisqu’il s’agit du premier jour du printemps. Voyant que l’initiative avait beaucoup de succès, le pouvoir politique a voulu se l’approprier en tentant d’instaurer une journée du souvenir pour les victimes des mafias le jour d’un homicide « excellent », ce qui n’a pas manqué de déclencher des polémiques. Ainsi, à la réunion réservée aux proches de victimes lors de la Journée de la mémoire de 2010, Franco La Torre, fils du député assassiné, critique violemment l’attitude des parlementaires : « Il Parlamento, tradendo la natura stessa delle istituzioni – la rappresentanza del pubblico interesse – alla proposta nostra d’istituire il giorno della memoria ex legis propone di fare questa giornata il giorno della strage di Capaci o, perché no, al 30 aprile […] quando venne ucciso Pio La Torre95. » La volonté des hommes politiques d’institutionnaliser cette manifestation est perçue comme un acte d’ingérence par les membres de Libera, qui ont farouchement refusé de changer la date du 21 mars. De plus, les associations craignaient que l’organisation et la nature mêmes de la commémoration soient remises en question. Devant autant de résistance, le pouvoir politique a renoncé, laissant ainsi à Libera le soin d’organiser la cérémonie à sa guise, une cérémonie très codifiée, qu’on peut assimiler à un rituel laïc. Les proches se retrouvent d’abord à huis clos pour partager leur douleur et leurs expériences d’engagement civil au sein du réseau associatif de Libera ; puis une cérémonie religieuse a lieu, suivie d’une première lecture des noms des victimes ; après une manifestation festive et colorée, suit une lecture publique et solennelle de tous les noms des victimes des mafias (plus de 900) et plusieurs intervenants se succèdent sur scène : ainsi ritualisée, la commémoration civile n’est pas à l’abri d’une anti-mafia rhétorique. Pour éviter cet écueil, les associations font alors le choix d’ancrer les commémorations dans le présent, les cérémonies sont donc avant tout l’occasion de faire le point sur l’action anti-mafia du gouvernement et de la magistrature, mais ce lien avec l’actualité comporte toutefois le risque d’une politisation de la commémoration. Après la partie plus classique de la Journée de la mémoire, une demi-journée est consacrée à des tables rondes et des ateliers pour faire le bilan des initiatives mises en place pendant l’année écoulée et renouveler les thèmes et les modalités d’actions : c’est par ce processus d’élaboration collective de la réflexion que sont définis les nouveaux objectifs de l’action civile. Comme l’explique don Luigi Ciotti, prêtre fondateur de Libera, les associations font du souvenir des victimes le point de départ de leur engagement :

Non li avete uccisi: le loro idee camminano sulle nostre gambe. Era bello quello striscione, ma per rimanere attuale quello slogan deve trasformarsi in un impegno concreto e quotidiano. […] La memoria non chiede celebrazioni o proclami, chiede corresponsabilità e impegno. Chiede di raccogliere il testimone di chi è morto per la giustizia, e di spendersi perché quella giustizia sia realizzata : per lui, per i suoi familiari e per tutti96.

L’anti-mafia civile fait donc le choix de s’inscrire dans la continuité de l’action des victimes de la mafia, en militant pour la justice et la légalité auprès des jeunes, notamment à travers les programmes éducatifs qui impliquent des milliers d’écoles sur tout le territoire national. Cette promotion de la culture de la légalité passe aussi par la réutilisation sociale des biens confisqués à la mafia. Plusieurs coopératives ont ainsi vu le jour sur des terrains confisqués, par exemple, à Giovanni Brusca97 et cultivent des produits vendus sous la marque Libera Terra. Cette réappropriation des biens confisqués est une manière très originale de montrer aux jeunes générations que la société peut se défaire de l’emprise de la mafia pour produire un travail libre et propre ; il s’agit là non seulement d’une alternative crédible au joug de la mafia, mais, surtout, d’un grand message d’espoir pour toute la population insulaire.

On observe donc que, jusqu’aux années 1980, la lutte contre la mafia est un argument qui cristallise les tensions politiques pendant la guerre froide. Puis la magistrature se réapproprie le combat contre la mafia avec le maxi-procès, contribuant ainsi à la dépolitisation du thème. En 1992, les assassinats des juges Falcone et Borsellino représentent un tournant majeur dans l’histoire du mouvement antimafia, tant civil que politique. En effet, les hommes politiques comprennent la nécessité de prendre vigoureusement position contre la mafia et cela marque le début d’un processus d’institutionnalisation du discours anti-mafia. On voit ainsi apparaître, au lendemain des événements traumatisants et lors des commémorations, une véritable rhétorique mémorielle qui, pourtant, peut parfois s’apparenter à la « langue de bois ». En outre, la vigueur du mouvement anti-mafia civil, constitué par la myriade d’associations qui le compose, témoigne d’une ritualisation qui passe par la récurrence des pratiques commémoratives fournissant, d’une part, un cadre propice au développement d’une rhétorique sacralisante et, d’autre part, une visibilité médiatique à l’engagement des associations sur les traces des victimes. Toutefois, face au risque grandissant d’une antimafia rhétorique, les associations anti-mafia tendent à se distinguer du pouvoir politique, en opposant l’action de terrain à la rhétorique mémorielle. Le slogan de Libera « La memoria costruisce l’impegno » prend alors tout son sens. Toutefois, si l’institutionnalisation du discours et des rituels anti-mafia est profondément liée à la pratique collective du souvenir, on peut se demander si ce processus participe d’une sacralisation ou au contraire d’une banalisation de l’anti-mafia.

Notes

1 Bien que l’interprétation de Santino à propos de cette première phase soit discutable parce que trop marquée idéologiquement, son découpage chronologique nous semble, en revanche, tout à fait judicieux. Retour au texte

2 « Par les forces politiques d’opposition et par de petites minorités » in Santino Umberto, Storia del movimento antimafia. Dalla lotta di classe all’impegno civile, Rome, Editori Riuniti University Press, 2009, p. 17. Retour au texte

3 Selon l’historien Francesco Renda in Santino U., op. cit, p. 176. Retour au texte

4 Ibid., p. 177. Retour au texte

5 Nom donné en Sicile aux locataires de terrains agricoles. Retour au texte

6 Delpirou Aurélien et Mourlane Stéphane, Atlas de l’Italie contemporaine. En quête d’unité, Paris, Autrement, 2012, p. 43. Retour au texte

7 Cavedon Remigio, « Una lotta a difesa del sistema » in Il Popolo, 1er mai 1982, p. 1. Retour au texte

8 Entretien avec Francesco La Licata réalisé le 6 juillet 2011 à Rome. Retour au texte

9 Intervention de Brunetto Bucciarelli Ducci, in Séance parlementaire du 1er juillet 1963, p. 145. Retour au texte

10 Les représentants des groupes parlementaires du PCI, du Parti socialiste italien (PSI) et du Mouvement social italien (MSI) protestent vigoureusement : ils dénoncent le retard de la mise en place de la Commission d’enquête parlementaire anti-mafia. L’intervention du député Pietro Ingrao (PCI) est interrompue par de nombreuses protestations venant du centre : « Noi riteniamo che se non vi fosse stato quell’episodio e se la Commissione antimafia avesse cominciato a funzionare già da allora, forse oggi non lamenteremo questi fatti luttuosi. (Proteste al centro). Ma, a stare alle proteste dei colleghi, che pure dovrebbero come noi desiderare che la Commissione d’inchiesta parlamentare possa finalmente funzionare… (Interruzioni al centro). Se avete paura dei lavori di questa Commissione… (Proteste al centro – Rumori all’estrema sinistra – Richiami del Presidente). » in Séance parlementaire du 1er juillet 1963, p. 147. Le Président Bucciarelli Ducci coupe court aux insinuations d’Ingrao en retournant la situation ; il l’accuse d’instrumentaliser la discussion à des fins politiques : « Non posso consentire che si innesti una discussione politica su questo argomento. Non facciamo polemiche su fatti così incresciosi! » (ibid.). Retour au texte

11 Mafia e potere politico, Prefazione di Pio La Torre, Roma, Editori Riuniti, 1976, p. 8. Retour au texte

12 Ibid., p. 9. Retour au texte

13 Anthropologue et homme de lettres de la fin du xixe siècle et du début du xxe dont les travaux portent sur le folklore sicilien. Retour au texte

14 Extrait d’un article publié sur La Nazione le 8 avril 1982, cité in Dimenticati a Palermo. 3000 ore di morte da Pio La Torre a Carlo Alberto Dalla Chiesa, Palermo, Ila Palma, 1982, p. 35. Retour au texte

15 Dalla chiesa Nando, Delitto imperfetto. Il generale, la mafia, la società italiana, Milano, Mondadori, 1984, p. 140. Retour au texte

16 Lorsqu’en 1963, après le massacre de Ciaculli, un pasteur de l’Église évangélique écrit au cardinal de Palerme, Ernesto Ruffini, pour lui demander de « dissocier la mentalité dite mafieuse de la mentalité religieuse », celui-ci répond qu’il s’agit là d’une « supposition calomnieuse » qu’ont fait circuler les communistes (cf. Santino U., op. cit, p. 287-288). Retour au texte

17 Dalla chiesa N., op. cit, p. 231-235. Retour au texte

18 Expression utilisée par Indro Montanelli dans Il Giornale, ibid., p. 151. Retour au texte

19 DC-PSI-PRI (Parti républicain italien)-PSDI (Parti Socialiste Démocratique Italien)-PLI. Retour au texte

20 Il s’agit d’hommes politiques appartenant au courant d’Aldo Moro, soit à l’aile centre-gauche du parti, qui ont payé de leur vie leur engagement contre la mafia et contre les pratiques clientélistes du parti : Michele Reina, secrétaire provincial de la DC à Palerme, est assassiné le 9 mars 1979 et Piersanti Mattarella, président de la Région Sicile, est abattu le 6 janvier 1980. Un ouvrage a été récemment consacré à Mattarella : BASILE Pierluigi, Le carte in regola. Piersanti Mattarella, un democristiano diverso, Palermo, Centro studi ed iniziative culturali Pio La Torre, 2007. Retour au texte

21 Lentini Fabrizio, La primavera breve. Quando Palermo sognava una Città per l’Uomo, Milano, Paoline, 2011, p. 12. Retour au texte

22 Ibid., p. 12-13. Retour au texte

23 Neppi Modona Guido, « In quell’aula è caduto un mito secolare », in Repubblica, 17 décembre 1987, p. 4. Retour au texte

24 La Licata F., Storia di Giovanni Falcone, Milano, Feltrinelli, 2002, p. 110. Retour au texte

25 Tescaroli Luca, Obiettivo Falcone, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2011, p. 43. Retour au texte

26 Bolzoni Attilio, « Una strage come in Libano », in Repubblica, 24 mai 1992, p. 2. Retour au texte

27 Ibid. Retour au texte

28 « La Sicilia come la Colombia. Mille chili di esplosivo per uccidere Falcone », in Il Tempo, 23 mai 1992, p. 1. Retour au texte

29 D’avanzo Giuseppe, « Vergogna, vergogna, assassini », in Repubblica, 25 mai 1992, p. 2. Retour au texte

30 Lodato Saverio, « Rabbia nel Palazzo dei veleni. “Sciacalli, andate via: lo Stato non siete voi” », in L’Unità, 25 mai 1992, p. 3. Retour au texte

31 Mulè Giorgio, « Un boato, un lampo, una strage. Altre sei vite bruciate dal tritolo », in Giornale di Sicilia, 20 juillet 1992, p. 2. Retour au texte

32 Melilli Massimiliano, « Via d’Amelio, angolo di Beirut », in Giornale di Sicilia, 20 juillet 1992, p. 6. Retour au texte

33 Entretien avec Francesco La Licata, cit.. Retour au texte

34 « Oggi è proprio l’uomo politico che deve ricostruire non soltanto la propria legalità, ma anche – come hanno dimostrato le ultime elezioni e le vicende che hanno interessato la magistratura – la propria legittimità di fronte al paese. », Intervention de Francesco RUTELLI (Les Verts),in Séance parlementaire du 25 mai 1992, p. 106. Retour au texte

35 Scarpa Riccardo, Nessun politico ai funerali, in Il Tempo, 21 juillet 1992, p. 2. Retour au texte

36 Bolzoni A., « Una strage come in Libano », cit. p. 2. Retour au texte

37 Pierantoni Valerio, « Tutta la vita per l’antimafia », in Giornale di Sicilia, 24 mai 1992, p. 3 ; Bolzoni A., op. cit, p. 2 ; Farkas Ruggero, « Assassinato Falcone », in L’Unità, 24 mai 1992, p. 1 ; Quaratino Enzo « Ucciso il simbolo della lotta alla mafia », in Il Tempo, 24 mai 1992, p. 3. Retour au texte

38 Pepi Giovanni, « Un’esplosione nel vuoto di potere », in Giornale di Sicilia, 24 mai 1992, p. 1. Retour au texte

39 Chiaromonte Gerardo, « Un eroe anti-mafia », in L’Unità, 25 mai  1992, p. 1. Retour au texte

40 Arlacchi Pino, « Ma stiamo perdendo la guerra », in Repubblica, 25 mai 1992, p. 1. Retour au texte

41 Bocca Giorgio, « Quel giudice della nuova Resistenza », in ibid. Retour au texte

42 Polara Frasca Giorgio et Inwinkl Fabio, « Montecitorio sotto choc. “Facciamo presto” », in L’Unità, 24 mai 1992, p. 1. Retour au texte

43 Florea Marie-Laure et Rabatel Alain (dir.), Evoquer la mort, Questions de communication no 20 (2011), p. 12. Retour au texte

44 Mulè G., « Interrogava i pentiti e diceva : “Spero di fare in tempo” », in Giornale di Sicilia, 21 juillet 1992, p. 2. Retour au texte

45 Massaro Francesco, « Borsellino sapeva: “Il tritolo per me è già arrivato” », in ibid., 22 juillet 1992, p. 10. Retour au texte

46 Dalla Chiesa S., « Le parole di Rosaria » in L’Unità, 26 mai 1992, p. 1. Retour au texte

47 Scalfari E., « Ai signori del Parlamento », in Repubblica, 25 mai 1992, p. 1. Retour au texte

48 Arlacchi P., « Ma stiamo perdendo la guerra », in ibid., p. 1. Retour au texte

49 Omelia dell’Emerito Monsignor Arcivescovo durante i funerali del prefetto Carlo Alberto Dalla Chiesa e della moglie Emanuela Setti Carraro, Eglise de San Domenico, 4 septembre 1982. Retour au texte

50 Séance parlementaire du 25 mai 1992, p. 99. Retour au texte

51 Cette accusation avait déjà été formulée dans la presse à l’encontre du général Dalla Chiesa, et son fils l’avait analysée ainsi : « Il generale, già eroe, aveva abbassato la guardia. Non era stato attento, non era più lui. Era, attraverso gli intrecci di potere nazionali, la conferma della nuova tattica del potere mafioso verso le vittime. Non più la loro beatificazione, ma la loro distruzione morale. […] Era l’inizio di una manovra avvolgente che mirava a stabilire un principio inaudito: quello per cui la colpa è della vittima » (Dalla Chiesa N., op. cit, p. 156). Retour au texte

52 On remarque que ce sont des membres de la DC, ou des journalistes proches du parti, qui utilisent la figure de Falcone pour réhabiliter celle de Lima : « Una mafia, però, che alza il tiro e che sfida al cuore lo Stato e i suoi rappresentanti, come è accaduto per l’assassinio di Salvo Lima, che ricordiamo commossi » (Intervention de Gerardo Bianco (DC), Séance parlementaire du 25 mai 1992, p. 113) ; cf. ibid., Intervention de Giulio Andreotti p. 102 et PEPI Giovanni, « Un’esplosione nel vuoto di potere », in Giornale di Sicilia, 24 mai 1992, éditorial p. 1. Retour au texte

53 « Un’intelligenza viva e ricca, una volontà ferrea per conseguire l’obiettivo nella incessante lotta al fenomeno mafioso, una rara capacità di lavoro e di impegno, una memoria di eccezione […] Un magistrato, insomma, degno del suo compito, ardito nella sua responsabilità, inflessibile nella sua determinazione; un magistrato, però, sempre umano, attento ad ogni sentimento […]. Ma un punto, evidentemente, non gli fu perdonato: che non cedette mai, né alle minacce, né alle insinuazioni, né alle lotte o alle solitudini che si uniscono fatalmente ad un impegno così delicato e così rischioso. Ha servito la giustizia, ha onorato la toga, ha servito lo Stato democratico. », in Séance parlementaire extraordinaire du 24 mai 1992, p. 213. Retour au texte

54 Séance parlementaire du 25 mai 1992. Retour au texte

55 « Si tratta di esempi di civile eroismo e di dedizione ad uno Stato che non ha saputo difenderli. » (Intervention d’Altero Matteoli (MSI), in Séance parlementaire du 25 mai 1992, p. 118). Retour au texte

56 « Il baratro potrebbe essere anche quello dell’imbarbarimento delle istituzioni. » (Intervention d’Alfredo Biondi (PLI), in ibid., p. 105). Retour au texte

57 « C’è il fallimento di uno Stato che non è stato capace di organizzare la difesa del giudice Falcone. » (Intervention d’A. Matteoli (MSI), cit., p. 116), et : « Si può dire che l’Italia ha lasciato non protetto il giudice Falcone. » (Intervention d’Ugo La Malfa (PRI), in Séance parlementaire du 25 mai 1992., p. 120). Retour au texte

58 Intervention d’Umberto Bossi (Ligue du Nord), in ibid., p. 115. Retour au texte

59 Interventions de Gianfranco Fini (MSI-destra nazionale) et de Franco Rocchetta (Ligue du Nord), in Séance parlementaire du 20 juillet 1992, respectivement p. 1285-1286 et p. 1283. Retour au texte

60 Intervention d’Arnaldo Forlani (DC), ibid., p. 1279. Retour au texte

61 Intervention d’Achille Occhetto (PCI), ibid., p. 1280. Retour au texte

62 Ibid. Retour au texte

63 Intervention de G. Fini (MSI-destra nazionale), ibid., p. 1286. Retour au texte

64 Au lendemai n de l’assassinat de Pio La Torre et de son chauffeur, de nombreux articles insèrent les victimes dans le martyrologue de la lutte contre la mafia : Calabro Antonio, « I nostri anni di piombo », in L’Ora, 1er mai 1982, p. 5 ; « I delitti “politici” della mafia. Une lunga fila di “cadaveri eccellenti” », in Il Giornale d’Italia, 1er mai 1982, p. 4 ; G. L., « Una catena di spietate “esecuzioni” », in Il Messaggero, 1er mai 1982, p. 3. Retour au texte

65 Rosso Umberto, « Una scia di sangue lunga vent’anni », in Repubblica, 24 mai 1992, p. 4. Retour au texte

66 « Li ricordiamo […] come grandi esempi morali per i giovani e per tutta l’Italia : esempi di passione civica, di senso delle istituzioni, di abnegazione e spirito di sacrificio, fino all’estremo, nella lotta contro le forze del crimine, della violenza, dell’anti-Stato » (Discours de Giorgio Napolitano le 23 maggio 2009 in Il patto che ci lega, Bologne, Il Mulino, 2009, p. 130). Retour au texte

67 Calabro Antonio, « I nostri anni di piombo », in L’Ora, 1er mai 1982, p. 5. Retour au texte

68 Ibid. Retour au texte

69 Violante L., « E adesso le parole sono gusci vuoti », in L’Unità, 24 mai 1992, p. 1. Retour au texte

70 Intervention d’Andrea Sergio Gravini (Rifondazione comunista), in Séance parlementaire du 25 mai 1992, p. 109. Retour au texte

71 Intervention de L. Orlando (La Rete), in ibid., p. 124. Retour au texte

72 Intervention d’U. Bossi (Ligue du Nord), in ibid., p. 115. Retour au texte

73 Ibid. Retour au texte

74 Intervention de G. Andreotti (Président du Conseil), in Séance parlementaire du 25 mai 1992, p. 103. Retour au texte

75 Ibid. Retour au texte

76 Intervention de F. Rutelli (Les Verts), in ibid., p. 105. Retour au texte

77 Violante L., Il ciclo mafioso, Rome-Bari, Laterza, 2002, p. 61-62. Retour au texte

78 La Licata F., op. cit, p. 189. Retour au texte

79 Ibid., p. 190. Retour au texte

80 « Democratici di Sinistra », parti de centre-gauche, issu de l’ancien PCI ; il fait partie de la coalition de centre-gauche. Retour au texte

81 Cavallaro Felice, « Comiso cancella Pio La Torre. Aeroporto intitolato a un generale », in Corriere della Sera, 28 août  2008, www.archiviostorico.corriere.it Retour au texte

82 « Alleanza Nazionale », parti d’extrême-droite issu de l’ancien MSI néofasciste appartenant à la coalition de centre-droit. Retour au texte

83 Fava Claudio, « Aeroporto di Comiso, la destra cancella La Torre », 28 août 2008, http://archivio.antimafiaduemila.com/notizie-20072011/95-claudio-fava/8676-comiso-la-destra-cancella-pio-la-torre.html Retour au texte

84 En 2007, Marcello Dell’Utri annonce qu’il possède des journaux intimes du Duce. L’authenticité des documents est ensuite démentie par des historiens. Dans le même temps, Berlusconi cite directement Mussolini dans ses interventions publiques, parlant de lui comme d’un grand homme d’État. Pire, lors des célébrations du jour de la mémoire de la Shoah, le 27 janvier 2013, Berlusconi a déclaré : « Il fatto delle leggi raziali è stata la peggiore colpa di un leader, Mussolini, che per tanti altri versi invece aveva fatto bene. » in « Berlusconi: Mussolini fece cose buone, leggi raziali la peggior colpa. È bufera. Comunità ebraica: falsità sconcertanti », in ilmessagero.it, 27 janvier 2013, http://www.ilmessaggero.it/primopiano/politica/monti_berlusconi_shoah_mussolini_leggi_razziali/notizie/247248.shtml Retour au texte

85 Cavallaro Felice, op. cit. Retour au texte

86 Di Nico Giuseppe, « Miccichè : “Aeroporto Falcone-Borsellino? Un errore” », in Il Giornale, 19 septembre 2012, http://www.ilgiornale.it/news/interni/micchich-aeroporto-falcone-borsellino-errore-838895.html Retour au texte

87 La Licata Francesco, op. cit, p. 189. Retour au texte

88 Interview de M. Dell’Utri : http://www.youtube.com/watch ?v =WQ2NdOMBss0 Retour au texte

89 À l’avocat général, qui lui demande s’il n’a jamais entendu parler de l’association criminelle Cosa Nostra, il répond sans sourciller que, comme tout le monde, il en a entendu parler dans les journaux et à la télévision ! http://ricerca.repubblica.it/repubblica/archivio/repubblica/1999/10/02/riina-cosa-nostra-mai -sentita.html Retour au texte

90 Travaglio M., « Fate schifo » (13 mars 2012), in Borsellino Salvatore et Travaglio M., 19 luglio 1992-19 luglio 2012. Due anni di stragi. Vent’anni di trattativa, Ariccia, Il Fatto Quotidiano, 2012, p. 138. Retour au texte

91 Ibid. Retour au texte

92 Tout cela a lieu dans un contexte particulier de fortes polémiques entre la magistrature et le Quirinal. Les enquêtes sur le massacre de via d’Amelio ont été dépistées pendant de nombreuses années (grâce à de faux repentis livrant de faux témoignages) et il semble désormais certain que des personnages liés aux services secrets ont eu un rôle dans la préparation logistique de l’attentat contre le juge Borsellino, d’où la dénomination de « massacre d’État ». De plus, il apparaît que des membres de l’État-major des carabiniers ont mené une négociation secrète avec la mafia (la « trattativa ») entre les massacres de Capaci et de via d’Amelio. Le parquet de Palerme a mis sur écoute des représentants institutionnels de l’époque pour essayer de faire la lumière sur cette période. C’est ainsi que les magistrats ont intercepté une communication de Nicola Mancino, nommé ministre de l’Intérieur début juillet 1992 (et qui a toujours nié avoir rencontré Borsellino en juillet 1992, bien que l’agenda du juge dise le contraire), au Quirinal, dans laquelle il demande explicitement à être couvert vis-à-vis du parquet de Palerme. Cette conversation téléphonique a mis le Président Napolitano dans une position délicate, car ces propos suggèrent qu’il y ait une tentative institutionnelle de minimiser la portée de la « trattativa », ainsi que le nombre de personnes impliquées. Retour au texte

93 Scarpinato R., « Scarpinato, lettera a Borsellino », in L’Unità, 29 juillet 2012, http://www.unita.it/italia/scarpinato-lettera- a-borsellino-1.433881 ; ancien procureur de Caltanissetta en charge des enquêtes sur les massacres de Capaci et de via d’Amelio, Scarpinato est procureur général de Palerme depuis le 7 février 2013. Retour au texte

94 Intervention de Giovanni Falcone à Courmayeur en avril 1986, « Ibridi connubi tra mafia, poteri extraistituzionali e settori devianti dello Stato », in Antimafia duemila, no 69 (2012), p. 139 ; en utilisant l’expression « secteurs déviants », Falcone fait référence à certains membres des services secrets détournés de leur mission primaire pour être en lien avec la mafia, le plus souvent par l’intermédiaire d’hommes politiques proches de celle-ci. L’enquête sur la « trattativa » a confirmé l’existence de ces complicités – sans pour autant que les membres de services secrets impliqués soient identifiés –, on parle donc désormais de « servizi deviati ». Retour au texte

95 Intervention de F. La Torre à Milan, le 19 mars 2010. Retour au texte

96 Gambino Daniela et Zanca Ettore (dir.), Vent’anni, Trapani, Coppola editore, 2012, p. 42-43. Retour au texte

97 Mafieux qui a actionné le détonateur lors du massacre de Capaci ; arrêté en 1996, il s’est « repenti » en 1997. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Charlotte Moge, « Du discours d’opposition au consensus politique », Cahiers du Celec [En ligne], 7 | 2014, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 06 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/celec/index.php?id=569

Auteur

Charlotte Moge

Université Grenoble II

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