« Entre Orient et Occident : religions et politiques au XIXe et au XXe siècles »

L’Etat français et les religions en contexte colonial : Etat colonial, catholicisme et islam dans l’Algérie du XIXe siècle (1830-1914)

p. 219-229

Notes de l’auteur

Habilitation à diriger des recherches soutenue à L’Université Lumière - Lyon 2 le 21 novembre 2011.
Jury : Claude Prudhomme (Lyon 2, garant scientifique), Henry Laurens (Collège de France, président), Jacques Frémeaux (Paris IV), Bernard Botiveau (IREMAM), Jean-Dominique Durand (Lyon 3) et Mohamed-Chérif Ferjani (Lyon 2) ; Denis Pelletier (EPHE) a été dans l’impossibilité d’assister à la soutenance publique et a transmis un rapport écrit.

Texte

L’intérêt pour le religieux et le politique est à rechercher dès mes premières années d’étude et s’est concrétisé dans mon sujet de mémoire de maîtrise sur la Séparation de l’Eglise catholique et de l’Etat en Algérie. Pour des raisons qui relèvent des contingences de l’histoire du temps présent, je n’ai pas pu poursuivre dans le cadre de la thèse mon travail sur le catholicisme en Algérie. Pour autant, l’Algérie n’était pas absente de mon doctorat car en choisissant d’analyser les discours de clercs catholiques sur l’islam, les pères blancs sont apparus comme incontournables1.

La thèse soutenue (2001), j’ai poursuivi mes recherches dans des directions où mon intérêt pour les religions abordées dans une démarche comparatiste, ma préoccupation pour le temps long comme outil de décryptage de l’événement et mon souci de « banaliser » l’approche du fait religieux musulman, en d’autres termes sortir du paradigme Orient/Occident ont pu se développer. Quatre axes émergent de mon activité de recherche : l’enseignement du fait religieux, la mission auprès des musulmans, l’islam contemporain et le fait colonial. La réflexion autour de l’enseignement du fait religieux est partie d’une nécessité professionnelle celle de devoir assurer un enseignement sur le sujet dans un contexte qui en faisait un enjeu de société. Immanquablement, j’ai été confrontée à la demande sociale sur ces sujets complexes et sensibles autour des religions. Pour être en mesure d’y répondre, j’ai du repenser son métier d’enseignante-chercheure en terme de fonction sociale de l’historien. Les demandes émanent d’acteurs aussi diversifiés que des professionnels de l’éducation, – assistantes sociales, conseillers d’éducation, personnels de directions et enseignants –, des professionnels de santé – futurs infirmiers et infirmières –, des professionnels du social – le CDIFF, spécialisé dans le domaine des droits des femmes –, mais aussi des politiques comme le Conseil de l’Europe ou encore nos ambassades dans des pays aussi différents que l’Autriche ou l’Indonésie. Cette volonté de faire appel à une historienne trouve ses origines dans des besoins clairement exprimés de sortir d’une actualité qui fait la part belle à l’évènement isolé pour l’insérer dans son axiologie, nuancer sa spécificité et surtout le repenser dans une temporalité plus large. Seule la poursuite de mon travail de recherche en histoire m’a permis de répondre avec les outils de l’historien à cette demande.

Cette recherche, je l’ai poursuivie en direction du catholicisme comme de l’islam sur des segments différents car la démarche comparatiste n’était pas toujours possible à mettre en œuvre. En revanche, continuer à travailler sur les deux religions m’a permis de repérer des mécanismes communs aux deux. Par bien des aspects, ce qui aurait pu être perçu comme spécifique à l’islam prenait une autre orientation éclairée par l’analyse que j’avais par ailleurs faite du catholicisme. Ma double approche du religieux me permettait d’éviter les écueils de l’essentialisme et du culturalisme dénoncés depuis quelques décennies.

Ce choix méthodologique m’a permis, entre autres, de replacer l’histoire du catholicisme algérien dans une histoire de l’Algérie coloniale mais aussi de la France religieuse. J’ai conçu mes recherches sur l’Algérie coloniale dans une perspective d’inclusion : c’est ainsi que l’Algérie catholique a trouvé sa place au sein des matériaux Boulard2 et du dictionnaire des évêques de France au XXe siècle3.

Réintégrer l’Algérie catholique dans les ouvrages d’histoire générale du catholicisme, notamment pour ce qui concerne ses rapports à l’Etat – Cfr les grandes lois sur les congrégations de 1901 et à la loi de Séparation de 19054 – m’a donné l’idée de repenser l’islam algérien dans la même perspective, c’est-à-dire de l’envisager selon une grille d’analyse coloniale et métropolitaine.

Pour rester fidèle au cheminement intellectuel qui est le mien depuis la thèse, j’ai souhaité poursuivre la logique du travail sur ces deux traditions religieuses à partir d’un segment spécifique, celui du rapport avec le politique, dans un contexte déterminé : l’Algérie coloniale du XIXe car s’y concentre bien des facettes d’une expérimentation coloniale polymorphe.

Ce choix de travailler simultanément sur deux traditions religieuses reste toujours problématique et renvoie à la question du comparatisme en histoire et aux problèmes méthodologiques et épistémologiques qui en découlent.

Sans vouloir dresser ici un bilan de l’historiographie sur l’approche comparée des religions, force est de constater que les approches sont soit mono-confessionnelle, soit thématique. Il est toujours possible de trouver des entrées communes comme celles de la mission, du prosélytisme, de la conversion, ou encore de la sainteté.

J’ai pour ma nouvelle recherche fait un autre choix : celui d’une approche comparée de deux religions avec l’Etat comme médiateur afin de ne pas isoler un acteur, ni d’opposer les acteurs, mais d’analyser les positions de l’Etat français colonial en direction de deux religions majoritaires.

Cela n’a pas été sans difficultés car je me suis heurtée :

  • à une historiographie lacunaire pour ce qui concerne l’histoire du catholicisme et celle de la gestion de l’islam ;
  • à des situations et contextes différents induisant des périodisations en décalage ;
  • à des centres d’intérêts divergents,
  • et à des sources dissymétriques.

L’historiographie disponible sur le catholicisme algérien du XIXe est à peu près inexistante, à l’exception des travaux non publiés de Paul Fournier et de la magistrale biographie de François Renault sur Lavigerie5, ou bien l’historiographie présente un caractère hagiographique. Les historiens du religieux ont abandonné l’histoire du catholicisme algérien aux historiens de la colonisation qui n’y ont pas perçu d’intérêt majeur du moins pour le XIXe6.

Pour ce qui concerne la gestion du culte musulman, les travaux spécifiques sont rares ou traitent la question à un niveau plus théorique ou général7 et véhiculent parfois des idées reçues comme celle de clercs officiels formés dans les médersas8.

Il lui a donc fallu, dans un premier temps, dresser séparément le cadre historique dans lequel chacune de ces deux religions a évolué, puis repérer les points de contacts.

Les situations de l’islam et du catholicisme dans l’Algérie du XIXe sont les produits d’histoires différentes. D’un côté se trouve la religion des vaincus, de l’autre celle qui est arrivée avec le conquérant. Le temps de l’islam algérien n’est pas celui d’un catholicisme importé de France dans ses structures et vécut par des populations issues des quatre coins de la Méditerranée. Pour ne prendre que l’exemple des temporalités catholiques : la chronologie du catholicisme algérien est fonction de celle du catholicisme métropolitain, mais s’en distingue aussi. De même que le temps colonial, i. e. la temporalité imposée par le colonisateur, n’est pas toujours celui des populations soumises. Ainsi, pour les pèlerinages, les agents de l’administration font de la déclaration préalable la condition sine qua non à la tenue du pèlerinage et obligent en quelque sorte à prendre date alors que les fidèles ne comprennent pas toujours cette logique.

Le décalage est aussi perceptible dans les centres d’intérêts non convergents : les priorités du catholicisme ne sont pas celles de l’islam, de même que les tensions entre les religions et l’Etat ne se focalisent pas sur les mêmes sujets. Ces asymétries dans les situations, dans la périodisation et dans des centres d’intérêts souvent divergents, se traduisent dans les sources.

La question des sources dissymétriques renvoie à une préoccupation méthodologique, celle d’avoir voulu travailler sur des archives manuscrites pour la plupart issues du centre des archives d’Outre-Mer d’Aix-en-Provence. Pour autant, les dossiers disponibles n’émanent pas tous de la puissance publique dans la mesure où la correspondance avec les administrés musulmans a été conservée, notamment les demandes d’emploi, les réclamations, les contestations de décisions, les demandes d’ouverture de zaouïas et autres. Du côté catholique, les archives de l’archevêché d’Alger ont constitué, dans certains cas, un point de vue extérieur à celui de l’administration.

La richesse du fonds d’Aix-en-Provence réside pour ce travail dans les documents de première main qui constituent autant de cas concrets attestant de la diversité de l’histoire vu depuis le terrain. Cette documentation qui pourrait apparaître comme une succession d’étude de cas n’est en définitive que la traduction d’une réalité plurielle qui n’est pas perceptible à travers les discours des élites. D’une certaine façon, j’ai pris le contre-pied de mon travail de thèse où je m’étais alors intéressée aux discours des élites pour cette fois plonger dans l’univers des hommes de terrain.

Mettre en avant le terrain ne signifie pas pour autant minorer les constructions théoriques, mais m’a permis de nuancer un certain nombre d’idées reçues véhiculées par une historiographie qui sans être erronée, loin s’en faut, est restée attachée aux discours alors que j’ai fait le choix d’interroger les pratiques pour être à même de formuler d’autres hypothèses et d’énoncer à mon tour des théories.

L’historiographie a traditionnellement considéré que l’islam était l’objet d’une politique d’exception. J’ai désiré discuter ce postulat en le confrontant avec les sources, sans séparer la politique à l’égard de l’islam de celle suivie en direction du catholicisme. Seule la perspective comparatiste permet d’éviter d’attribuer à certaines décisions une spécificité dictée par le culte concerné, alors qu’elles relèvent d’une politique des cultes plus générale. Je me suis aussi interrogée sur la pertinence d’un modèle algérien de gestion des cultes et de son éventuelle incidence sur d’autres parties de l’empire français.

Au terme de cette recherche, la clé de la politique religieuse de la France en Algérie est celle du modèle concordataire. Elle aboutit à ce que j’ai appelé l’invention du culte musulman : soit des circonscriptions religieuses déterminées, des établissements cultuels classés et des « fonctionnaires de Dieu » pour remplir des missions définies comme cultuelles par l’Etat.

Dans cette perspective, la loi de Séparation donne un nouveau cadre aux cultes présents en Algérie avec la mise en place des cultuelles, sauf pour les catholiques, et des indemnités temporaires de fonction pour les cinq cultes, islam y compris.

Pour ce qui est de la surveillance des personnels des cultes, catholiques comme musulmans y sont soumis, de même que les processions sont contrôlées, voire interdites pour les deux religions dans les années 1880.

Pourtant, un second niveau d’analyse laisse clairement percevoir une politique d’exception en direction de l’islam. Si la mise en place du culte musulman n’est pas propre à cette religion et répond à la politique inaugurée par Napoléon Ier pour gérer les religions, elle n’est pas menée à terme dans la mesure où l’Etat ne se dote pas d’interlocuteur officiel, pendant politique du système concordataire qui entérine la reconnaissance officielle par l’Etat des religions. Le culte musulman est de facto placé dans une situation différente du culte catholique. De plus, ce que j’ai analysé comme étant le processus de « cultualisation » de l’islam est l’œuvre d’un pouvoir allogène, non-musulman et s’est opéré sur le mode autoritaire. D’autoritarisme, il est encore question dans les modalités de surveillance imposée aux agents du culte musulman, mais aussi aux fidèles. Cette surveillance s’exerce en dehors du cadre légal républicain dans la mesure où les lois en direction des indigènes appartiennent souvent au registre des lois d’exception, quand bien même elles sont constitutionnellement valides. C’est ainsi que la logique du bertillonnage, c’est-à-dire l’anthropométrie judiciaire fondée par Alphonse Bertillon dans le dernier tiers du XIXe siècle et considéré à l’époque comme la panacée en matière de fichage des délinquants en France, se retrouve dans les fiches signalétiques en direction du « personnel religieux musulman », fonctionnaires de Dieu comme indépendants, mais pas dans les renseignements récoltés sur le personnel ecclésiastique catholique. Par ailleurs, la pression des autorités coloniales s’avère plus forte en direction des fidèles musulmans que des fidèles catholiques car toute pratique religieuse est potentiellement assimilée à une revendication politique.

Quant à la loi de Séparation, si elle dote le culte musulman de son premier cadre légal, dans la pratique elle ne fait que prolonger le contrôle avec des cultuelles sous tutelle.

L’Etat a fait en sorte de présenter un semblant d’équité entre les deux cultes majoritaires en Algérie à travers des cadres forgés pour le catholicisme, sans parvenir à des pratiques égalitaires.

L’explication réside, pour partie, dans le système colonial qui ne peut souffrir l’égalitarisme entre populations soumises et colonisateurs. Si au niveau des textes, il est possible de repérer un traitement identique pour les cultes, les pratiques renvoient à une politique d’exception en direction du culte musulman. Cette politique d’exception dans le traitement des cultes est l’une des facettes d’une politique plus globale en direction des indigènes où le droit d’exception a été érigé en droit commun, où l’exception est devenue la règle sans pour autant que la légalité ne donne plus de légitimité aux autorités.

Par bien des aspects, l’Etat colonial s’est retrouvé dans la posture décrite par Machiavel dans Le Prince. C’est en relisant l’analyse des anti-Machiavel faite par Michel Foucault que le parallèle m’est apparu9. En effet, chez Machiavel, le Prince est en rapport de singularité et d’extériorité par rapport à sa principauté. Dans le cas de l’Algérie, l’Etat français doit sa présence à un acte de violence, la conquête. Dans la mesure où ce rapport est d’extériorité, il est fragile, et il ne va pas cesser d’être menacé car il n’y a pas de raison a priori pour que les sujets acceptent l’autorité de l’Etat colonial. L’objectif de l’exercice du pouvoir va être de maintenir, de renforcer et de protéger cette principauté. Pour se maintenir, le Prince ou l’Etat colonial doivent repérer les dangers : d’où viennent-ils, en quoi consistent-ils, quelle est leur intensité comparée : quel est le plus grand, quel est le plus faible ? Il s’agira ensuite de déterminer un art de manipuler les rapports de forces qui vont permettre à l’Etat de se maintenir. Mais, pour citer Foucault, « être habile à conserver son pouvoir n’est pas du tout posséder l’art de gouverner ». 

L’Etat colonial français, en façonnant les cultes catholique et musulman, est-il parvenu à créer un modèle algérien ? Je retiendrai l’idée que l’expérience algérienne de gestion des cultes a servi de boite à outils aux autorités coloniales pour d’autres parties de l’empire notamment l’Afrique sub-saharienne en particulier en direction des confréries. Des comparaisons seraient à développer avec la politique religieuse menée par la France au Sénégal et en Maurétanie. J’ai bien conscience qu’en privilégiant un espace géographique mon interprétation pourrait être faussée si elle ne s’inscrit pas dans une approche comparative avec d’autres empires qu’il me restera à mener.

Pour ne prendre que le cas de la Grande-Bretagne, sa gestion de l’islam en Inde présente de nombreuses similitudes avec la gestion française. C’est ainsi que le droit musulman trouve son pendant dans l’Anglo-muhammadan law, tout comme la réorganisation du système judiciaire au profit d’un système d’inspiration anglaise. En revanche, le législateur anglais ne parvient pas à supprimer les waqfs ou habous privés. Les Britanniques parviennent toutefois à se concilier certaines élites musulmanes et à en faire des médiateurs entre eux et les populations, comme les Français ont du le faire en Algérie10. De même, il serait judicieux d’analyser les ressorts qui ont permis à la Grande-Bretagne, l’une des patries du libéralisme et de la démocratie, de légitimer un pouvoir autocratique11. Cependant, la démarche comparatiste connait au moins deux limites dans ce cas précis : la proximité géographique et la présence d’une minorité visible de ressortissants français, font de l’Algérie un cas unique à l’échelle du monde colonial français, mais aussi britannique.

En faisant le choix de travailler sur ce sujet, j’ai pris des risques dans la mesure où sur le plan méthodologique tout est loin d’avoir été réglé. Pourtant, je demeure convaincue qu’une approche comparatiste est plus que jamais nécessaire pour replacer au mieux possible tous les acteurs du système colonial sans pour autant nier les spécificités imposées aux populations colonisées. Le retour aux sources manuscrites et au XIXe siècle, peut-être un peu délaissés, sont tout autant fondamentales car seul le passage par ce terrain que constituent pour l’historien les archives permettra de sortir des idées reçues. Certes, elles ne sont pas propres à l’histoire de l’Algérie coloniale mais, à la différence d’autres parties de l’empire, tout ce qui touche à l’histoire de la colonisation de l’Algérie fait encore partie des enjeux de société.

Ces dernières années la colonisation est redevenue une question d’actualité tout comme l’histoire des faits religieux. Cet intérêt s’est transformé en demande sociale perceptible aussi chez les étudiants de master. J’ai ainsi été amenée à encadrer des étudiants sur des sujets portants sur les conversions de personnes de culture musulmane au christianisme et j’accompagne un collègue de l’université de Tizi-Ouzou dans son travail de doctorat sur le cadre légal donné aux conversions en Algérie aujourd’hui. Les questions de la conversion et de la mission, centrales dans mon parcours scientifique, sont appelées à soulever un certain nombre d’interrogation de part et d’autre de la Méditerranée. Tout comme d’ailleurs celle des confréries si on se rapporte aux résultats des travaux que j’ai dirigés sur la Tidjaniyya où cette dernière apparaissait comme l’une des voies possibles de l’islam en Europe. Il n’est pas rare, pour tout ce qui touche à l’histoire de la colonisation ou à celle des faits religieux, de voir arriver des étudiants en quête explicite de leur propre histoire familiale ou personnelle. L’encadrement proposé ne peut pas occulter cette dimension et invite à insister peut-être davantage sur les méthodes et les objectifs du travail d’historien. Le résultat semble encourageant car confrontés au document, les étudiants acceptent le verdict de l’histoire, parfois dans la douleur.

Mais c’est surtout en direction du judaïsme que la méthodologie acquise par la fréquentation de l’islam et du catholicisme est pour moi la plus stimulante car elle me permet de vérifier des hypothèses élaborées à partir de ces deux religions et de mettre en évidence des processus communs au moins aux trois monothéismes. Je suis ainsi parvenue au constat que les lignes de démarcation ne passent pas entre les différentes confessions, mais à l’intérieur de chacune d’elles entre toute une gamme d’options qui partent des plus sécularisées aux plus fondamentalistes. J’envisage de discuter ce postulat à travers un choix de thématiques qui seront analysées de manière transversales dans les trois religions. Seul un travail d’équipe avec des doctorants et des chercheurs confirmés permettra de mener à bien ce programme.

L’un des axes retenu est celui des normes religieuses car il permet d’appréhender le religieux selon une optique transversale. Le LARHRA et l’ISERL, dont je suis membre, sont l’un des lieux où cette réflexion peut être menée car ils disposent de compétences internes et d’un solide réseau en France et en Europe. Tout aussi proche, le GREMMO et ses chercheurs, avec qui je collabore régulièrement, reste un des lieux propices aux rencontres scientifiques, comme le sont aussi le GSRL qui depuis 2003 a développé un axe « Islam en question » ou encore l’IISMM et l’IREMAM. Les instituts français à l’étranger demeurent des lieux indispensables pour ces recherches, je pense à l’Ecole française de Rome, l’IFAO et l’IFPO dont j’ai été boursière et avec qui j’ai travaillé, mais aussi l’IRMC de Tunis avec qui je suis en relation suivie notamment pour le séminaire sur l’étude comparée des religions.

Hors des circuits français, je suis parvenue à développer des relations de partenariat avec d’autres institutions comme l’IWF de Vienne ou encore les fondations Adenauer et Abd al-‘Aziz de Casablanca. Je suis, pour ces deux dernières, chargée de l’organisation d’une rencontre scientifique internationale en 2012 autour des enjeux de la colonisation à l’occasion du centenaire du protectorat français au Maroc et du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.

Pour conclure, je demeure convaincue que l’histoire de la colonisation et, dans une certaine mesure celle des faits religieux, doivent se construire simultanément de part et d’autre de la Méditerranée car les histoires sont intimement liées. Ecrire cette histoire partagée reste la seule voie possible pour assumer pleinement nos passés, mieux vivre nos présents et construire nos futurs.

Notes

1 O. Saaïdia, Clercs catholiques et Oulémas sunnites dans la première moitié du XXe siècle, Discours croisés, Paris, Geuthner, 2004. Retour au texte

2 B. Delpal (dir.), Matériaux Boulard, Paris, cnrs, 2011. Retour au texte

3 D.-M. Dauzet et F. Le Moigne (dir.), Dictionnaire des évêques de France au vingtième siècle, Paris, Le Cerf, 2010. Retour au texte

4 P. Cabanel, J.-D. Durand (dir.), Le grand exil des congrégations religieuses françaises 1901-1914, Paris, Le Cerf, 2005 ; J.-P. Chantin, D. Moulinet (dir.), La Séparation de 1905, Les hommes et les lieux, Paris, Les éditions de l’Atelier, 2005. Retour au texte

5 P. Fournier, « La faillite de Mgr Dupuch (1er évêque d’Alger) en 1845 », exposé du séminaire de 3e cycle de l’université de Provence, centre d’Aix-en-Provence, mai 1971 ; « Le clergé d’Algérie, séminaire de troisième cycle, 1972-1973 » et « Jacques Suchet (1795-1870) », travail réalisé à partir des papiers personnels de Jacques Suchet. Travaux non publiés ; F. Renault, Le cardinal Lavigerie 1824-1892, L’Eglise, l’Afrique et la France, Paris, Fayard, 1992. Retour au texte

6 Pour le XXe siècle, les rares travaux sur le sujet se concentrent sur la période de la guerre d’Algérie. Voir, entre autres : M. ImpaggliazzoDuval d’Algeria, Una Chiesa tra Europe e mondo arabo (1946-1988), Edizioni Studium, Roma, 1994. De nombreux autres titres existent, mais ils se présent souvent sous la forme de témoignages, je citerai pour mémoire L.-E. Duval, Au nom de la vérité, Algérie 1954-1962, Albin Michel, Paris, 2001 (1e éd. 1982, éd. Cana) ; F. Bedarida, É. Fouilloux (dir.), La guerre d’Algérie et les chrétiens, Les cahiers de l’ihtp, numéro 9, octobre 1988, CNRS ; S. Chapeu, Des chrétiens dans la guerre d’Algérie, l’action de la mission de France, Paris, Les éditions de l’atelier, 2004. Retour au texte

7 Deux auteurs ont plus directement investi la problématique des rapports islam/Etat au XIXe siècle. Le premier, Azzedine Aïnouche, a soutenu en 1987 une thèse de doctorat à la faculté de droit et de science politique de l’université d’Aix-Marseille, intitulée : « L’administration française et l’organisation officielle du culte musulman en Algérie coloniale (1830-1907) », sous la direction de Bruno Etienne. La méthode mise en œuvre dans ce travail n’a pas reposé sur des documents d’archives. Deux raisons peuvent être avancées, la première réside dans leur classement : étaient-elles déjà toutes disponibles ? La seconde vient, peut-être, d’une certaine conception du travail de recherche en science politique qui n’entend pas partir du terrain mais d’une approche plus générale des faits à travers les « grands textes de référence ». La seconde thèse annoncée, qui ne recouvre que très partiellement mon sujet, est celle de Raberh Achi sur la mise en œuvre de la laïcité en Algérie à partir de la loi du 9 décembre 1905, dite de Séparation des Eglises et de l’Etat. Il est possible, à travers quelques articles publiés, d’avoir une idée de son travail. Pour tout ce qui concerne la période d’avant 1914, je ne peux que noter le nombre restreint de références aux dossiers d’archives sur le culte et la reprise d’un certain discours historiographique – bien connu – qui, sans être erroné, reste éloigné des réalités du terrain car il s’appuie sur des textes généraux dont j’ai pu constater le décalage avec les pratiques Retour au texte

8 L’analyse des procédures de recrutement à partir des archives conduit à une conclusion opposée pour le XIXe. Retour au texte

9 M. Foucault, Sécurité, territoire, population : Cours au Collège de France 1977-1978, Paris, Seuil, 2004. Retour au texte

10 Voir S. Safari, Sufi saints and state power. The pirs of Sind 1843-1947, Cambridge, Cambridge University Press, 1992. Retour au texte

11 Voir T. Metcalf, Ideologies of the Raj, Cambridge, Cambridge University Press, 1994. Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Oissila Saaïdia, « « Entre Orient et Occident : religions et politiques au XIXe et au XXe siècles » », Les Carnets du LARHRA, 1 | 2012, 219-229.

Référence électronique

Oissila Saaïdia, « « Entre Orient et Occident : religions et politiques au XIXe et au XXe siècles » », Les Carnets du LARHRA [En ligne], 1 | 2012, mis en ligne le 04 avril 2025, consulté le 19 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/larhra/index.php?id=1164

Auteur

Oissila Saaïdia

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