Le XIXe siècle a vu aboutir la revalorisation du sacerdoce entamée à la fin du XVIIe siècle avec le développement des séminaires et les saints en soutane que bien des paroisses s’enorgueillissent d’avoir eu sont aussi innombrables que méconnus. C’est donc tout le mérite de Paul Chopelin d’avoir sorti de l’ombre Paul Ducharne, l’un de ces « saints curés » et contemporain du curé d’Ars, en mettant au service de cette figure du catholicisme du XIXe siècle son savoir-faire d’historien.
L’ouvrage n’est, en effet, pas uniquement une biographie traditionnelle mais s’attache à observer comment le personnage, à partir de caractéristiques particulières – le mysticisme, les mortifications, la direction spirituelle – a été perçu comme un candidat convaincant à la sainteté telle que le XIXe siècle la définit. En effet, les sources mobilisées sont issues des archives des maristes et de celles du diocèse de Lyon ; rassemblées en vue de servir sa cause de béatification, elles autorisent principalement une approche de la réputation de Paul Ducharne plutôt que de Paul Ducharne lui-même.
L’auteur donne d’abord le récit de la vie de ce prêtre en commençant par sa formation spirituelle enfantine au cœur de l’Église réfractaire puis sa formation cléricale jusqu’à son ordination en 1820. Les différentes paroisses auxquelles il a été affecté et son œuvre de curé sont ensuite présentées, puis son entrée dans la société de Marie en 1839 et les différentes fonctions d’aumônier, de directeur spirituel et de confesseur, assumées dans ce cadre avant son retrait à La Neylière en 1856. Les dix-huit dernières années de sa vie sont partagées entre ascèse et prière, rencontre de pèlerins et direction spirituelle par correspondance.
C’est au cours des années 1840, soit du vivant même de Ducharne, que commence à se construire sa fama sanctitatis, connue aujourd’hui grâce (entre autres) aux mémoires du P. Mayet, que l’auteur cite longuement. On voit donc s’élaborer, à travers le regard d’un de ses confrères, le profil spirituel d’un prêtre de quarante ans qui n’est pas sans ambiguïté. Certes, Mayet et bien d’autres cherchent – et trouvent – en Ducharne un avatar de la sainteté sacerdotale à partir d’une certaine idée qu’ils s’en font, et qui tient principalement au modèle offert par Jean-Marie Vianney. Mais en même temps, et en dépit de ce schéma préétabli, le comportement du saint curé paraît difficilement reproductible car cette sainteté ne peut exister qu’aux marges de la vie religieuse. Le comportement de Paul Ducharne soulève bien des interrogations. D’après les témoins, les mortifications extrêmes, l’hygiène plus que douteuse, le temps consacré à l’adoration et à la prière sont autant de caractères qui singularisent Ducharne au point de susciter des réserves au sein de sa Congrégation. C’est dire les paradoxes du modèle du « saint curé » tel qu’il se renouvelle au XIXe siècle.
Ces caractères avaient tout pour frapper un large public, populaire (le cercle des paroissiens), scolaire (les pensionnaires des maristes) et clérical. Après le décès de Paul Ducharne en 1874 puis le retour du corps à Charlieu, se met en place une véritable dévotion autour de son tombeau. En 1908 est déposée à Rome une demande d’ouverture d’un procès de béatification, extrêmement argumenté. Le processus qui conduit à cette demande de reconnaissance ecclésiale d’un héros local est intéressant : il est d’abord le fait des maristes, en quête sans doute d’un bienheureux ou d’un saint qu’ils n’ont pas encore et qui rehaussera la congrégation. Il est, ensuite, largement appuyé par trois cercles de témoins. Le premier est, encore, celui des maristes (dix témoins) ; le second est diocésain (sept prêtres séculiers) aux fins d’enrichir le sanctoral lyonnais ; le troisième est local, constitué de 13 laïcs issus des paroisses où officia Ducharne. Les témoignages ainsi compilés renseignent autant, sinon plus, sur les attentes dévotionnelles des personnes sollicitées que sur la vie et les actes de Paul Ducharne. L’attente du miracle et le besoin aigu d’une dévotion de proximité mais parfaitement validée par l’Église montrent bien des permanences avec la spiritualité du XVIIe siècle.
Toutefois, le procès n’a pas abouti et le souvenir de Paul Ducharne ne s’est pas transmis aux générations d’après 1914. Paul Chopelin le montre bien, c’est précisément parce que la perception de cette sainteté et le besoin de miracles sont liés à un contexte religieux et politique le « saint vivant » tombe dans l’oubli au cours des années 1920.
Parmi les thèmes récurrents de l’ouvrage, on notera avec intérêt le fonctionnement de la confession au XIXe siècle, tâche assumée par Ducharne en différents contextes (paroissial, congréganiste, scolaire) et qui cherche encore ses historiens. La direction spirituelle qui montre le désir grandissant d’une religion intériorisée, le rapport d’un individu à la hiérarchie congréganiste, une certaine conception de la pastorale tournée à la fois vers le groupe et l’individu, sont encore d’autres facettes de cet intéressant petit livre.
Enfin, chacun appréciera la mise en contexte de tous les éléments biographiques, qui éclaire les territoires dans lequel Paul Ducharne a inscrit son action et sa spiritualité. Les annexes judicieusement choisies éclairent le propos. Cette page d’histoire du Pays de Charlieu entre en résonnance avec d’autres cas de sainteté promus ou aboutis au tournant des XIXe et XXe siècles et vient s’ajouter utilement au dossier des formes de la piété au siècle du curé d’Ars.