Après 1999 (« l’Année de l’Ecole de Nancy ») et 2005 (« Nancy 2005, le temps des Lumières »), l’année 2013 est à nouveau tournée vers une commémoration du patrimoine culturel et artistique lorrain, celui de la Renaissance non seulement à Nancy mais dans l’ensemble de la région. L’importance de la manifestation résonne comme une invitation faite aux historiens de mener des enquêtes renouvelées et d’apporter, par la révélation d’un travail sur les sources et l’exploitation d’une solide bibliographie, son lot de révélations. La synthèse rédigée par Philippe Martin inaugure justement un ensemble de publications dont l’amateur d’histoire, lorraine et européenne, se réjouit d’avance.
Avec ce livre, l’auteur, aujourd’hui en poste à Lyon après une très longue activité de recherche en Lorraine, relève avec brio un défi original. En effet, la Lorraine possède la réputation d’avoir connu une Renaissance incomplète, lente et surtout tardive, et c’est là une opinion encore largement répandue. Tel n’est pas l’avis de P. Martin qui affirme d’emblée « entre 1508 et 1608 notre région a connu la Renaissance selon les critères qu’en donne l’historien Jacob Burckhardt : [la] naissance de l’Etat moderne et l’affirmation de l’individu » (p. 9). Pas question pour autant de souffler les mots trop tranchés d’hier par un discours surévaluant le théâtre lorrain de la Renaissance. L’ambition consiste plutôt en un examen dépassionné et honnête, à convoquer les faits et à multiplier les éclairages susceptibles de présenter à quel point cet espace, entre René II et Charles III, « est [alors] un siècle original dont il faut retrouver la complexité ». Celui-ci n’est donc pas un bloc et la conclusion propose d’ailleurs un partage chronologique en cinq temps (stabilité des règnes d’Antoine et de François ; hésitations du milieu du siècle ; prospérité économique du règne de Charles III ; rupture belliqueuse des années 1580 qui précède l’ère heureuse des « trente glorieuses », 1594-1624). Pour parvenir à ce tableau contrasté de la modernité lorraine, l’auteur ouvre six grandes boîtes, chacune d’entre-elles organisée autour d’un verbe clé : « affirmer » (vocation européenne du pays d’entre-deux), « gouverner » (forte centralisation ducale et protectorat français), « être » (les saisons de la vie), « travailler » (chapitre très neuf sur les forces économiques et sociales), « vivre » (cadres de vie, formation et imprimerie) et « croire » (la Lorraine terre de réformes et d’innovations). L’intérêt du livre réside enfin dans l’abondance et la qualité des illustrations proposées, une sélection qui permet de mieux saisir l’esprit et les attentes d’une époque tout en contribuant à fabriquer un très beau livre.
Prudent et bien conscient que le futur proche délivrera d’autres messages permettant d’affiner toujours plus notre regard sur la période, P. Martin évoque non pas « la » – ni « sa » –, mais « Une Renaissance lorraine ». On peut affirmer que le pari est rempli. L’âge d’or lorrain, dont les limites peuvent d’ailleurs être un peu élargies tant en amont – 1477 – qu’en aval – la valeur symbolique très forte de la pompe funèbre de 1608 ne doit pas faire oublier que l’élan se prolonge jusqu’aux années 1620 et le début du règne de Charles IV –, est observé sans concessions, les parts d’ombre recouvrant parfois la lumière du « beau XVIe siècle », car la connaissance des contradictions et autres paradoxes est aussi nécessaire que les réussites et avancées à la pleine compréhension d’une ère de mutations. Au final, mieux appréhendée et plus exactement remise en perspective, « la Renaissance n’est pas [plus ?] un siècle mais un long mouvement » (p. 179). Au fond, un XVIe siècle non pas refermé sur lui-même comme on façonne un écrin pour enchâsser jalousement un trésor, mais plutôt une longue transition. La lecture de ce livre s’impose donc comme une indispensable introduction à la connaissance du XVIe siècle lorrain.