L’image de Louis XV et Louis XVI, entre tradition et création : stratégies figuratives et inscription dans l’espace public (1715-1793)

  • The image of Louis XV and Louis XVI, between tradition and creation: figurative strategies and inscription in the public space (1715-1793)

Texte

Nombre de travaux ont été consacrés à l’image de Louis XIV. On peut citer, parmi bien d’autres, Le Portrait du roi de Louis Marin (Éditions de Minuit, 1981), Versailles ou la figure du roi de Gérard Sabatier (Albin Michel, 1999) ou encore le livre de Peter Burke, The Fabrication of Louis XIV (Yale, 1992) qui a en grande partie inspiré cette thèse. Or, comparativement, et même dans l’absolu, peu de travaux se sont penchés sur le cas de ses successeurs. Il s’agissait donc, en poursuivant cette étude, de participer à un certain rééquilibrage de la production scientifique.

La première partie de cette thèse est formée d’un catalogue iconographique, organisé et commenté, qui regroupe des productions, contemporaines des deux règnes, peintes, gravées, dessinées ou sculptées. Sans prétendre à l’exhaustivité, ce catalogue établit une typologie qui permet de mesurer l’évolution des représentations au fil du temps. Si les portraits en grand costume royal ou en cuirasse, emblématiques de la tradition monarchique et du roi de guerre, représentent toujours une portion importante du corpus, ils vont néanmoins en déclinant à mesure que l’on avance dans le temps. On s’achemine alors vers une représentation du roi simple et du monarque pacificateur, voire du roi de paix. De même, les supports longtemps privilégiés par le pouvoir, comme les médailles, tendent à disparaître au profit de moyens de diffusion moins coûteux et plus populaires tels que les gravures. Si ces indicateurs pourraient appuyer la théorie de la désacralisation de la monarchie, celle-ci ne permet cependant pas de rendre exactement compte de ce qui se joue réellement à cette période. En effet, si le régime recourt plus parcimonieusement à des modèles anciens et souvent emblématisés par Louis XIV, ce n’est pas nécessairement signe de faiblesse. Il s’agit au contraire de montrer que la tradition monarchique peut cohabiter avec de nouveaux modèles soucieux de correspondre à l’air du temps. S’il est d’abord difficile pour le jeune Louis XV de s’abstraire du modèle de son glorieux aïeul, qui lui a constamment été montré en exemple, la seconde moitié du règne témoigne cependant d’une évolution certaine sous l’impulsion, semble-t-il, de la marquise de Pompadour. On voit apparaître, notamment à la suite de la victoire de Fontenoy de 1745, l’image du Pacificateur qui vient remplacer celle du trop offensif roi de guerre. Les difficultés résultant de l’impopularité du roi, ou bien des revers militaires pendant la guerre de Sept Ans, auraient plutôt tendance à entraîner un retour vers une imagerie royale plus traditionnelle dans un premier temps. Ainsi, alors que le dernier portrait de Louis XV en grand costume royal datait de 1730, ce n’est qu’en 1759 que l’on commande un nouveau tableau de ce type à Louis-Michel Van Loo, soit en plein tournant de la guerre de Sept Ans. À l’issue de cette guerre, l’inefficacité du retour à l’imagerie traditionnelle pousse cependant la monarchie à rechercher encore de nouveaux modèles. Renonçant aux armures, aux manteaux fleurdelysés, le roi est de plus en plus reconnaissable par sa seule représentation en habit rouge. Cet habit devient la parure d’une figure émergente, celle du roi simple. Elle s’impose dans l’extrême fin du règne de Louis XV et devient la référence durant toute la période Louis XVI. Elle répond, et se substitue, à l’habitude de plus en plus répandue dans les monarchies européennes de choisir l’uniforme comme vêtement royal. En France, son origine semble devoir beaucoup aux Leszczynski. C’est en effet d’abord la reine Marie Leszczynska qui a bouleversé les codes de la représentation royale. Dès 1748, elle apparaît dans un portrait par Nattier en robe à la française plutôt qu’en robe de cour. Les fleurs de lys sont presque absentes : c’est une simple particulière. Elle inaugure ainsi le portrait de la reine simple et refuse toute autre représentation par la suite. Le portrait du roi a suivi la même voie quelques décennies plus tard.

La deuxième partie de ce travail s’intéresse à la production de l’image du roi à travers ses acteurs, de sa conception à sa réalisation. Si la Direction générale des Bâtiments du roi s’est peu à peu imposée comme la principale institution commanditaire de portraits du roi, c’est un monopole qui n’allait pas nécessairement de soi au début du règne de Louis XV. En effet, le Régent était un grand amateur d’art et il choisissait lui-même les artistes qui sauraient le mieux rendre la physionomie royale. Ce n’est donc qu’à la majorité du roi que les Bâtiments ont véritablement repris leur activité de commande de portraits. Or, le duc d’Antin, qui se trouve à leur tête jusqu’à sa mort en 1736 ne s’y risque que timidement. En effet, il ne s’y connaissait guère en peinture et préférait, par exemple, posséder des copies plutôt que des originaux pour orner ses résidences. Philibert Orry, qui lui succède, ne joue également qu’un rôle assez limité. Ce n’est qu’avec l’arrivée de proches de la marquise de Pompadour à la tête de cette administration, son oncle, Lenormant de Tournehem en 1745, puis son frère, le marquis de Marigny en 1751, qu’elle impose sa prérogative dans la commande de portraits du roi. À partir de la fin du règne de Louis XV toutefois, les Affaires étrangères cherchent à façonner une nouvelle image royale et en viennent de plus en plus à concurrencer les Bâtiments dans la commande de portraits. Ainsi, Louis XVI se retrouve presque concomitamment avec deux portraits en grand costume royal : celui par Joseph-Siffrein Duplessis, commandé par les Bâtiments, et celui d’Antoine-François Callet, commandé par les Affaires étrangères, et ce alors même que ce type de portrait n’était plus véritablement en faveur. En effet, le premier portrait du roi, exposé au Salon en 1776, le présentait en habit à la française, ce qui semblait parfaitement lui convenir puisqu’il reportait sans cesse les séances de pose pour le portrait en grand costume royal. En dépit de cette querelle de prérogative entre les deux administrations, ce ne sont pas elles qui contribuent véritablement à faire évoluer l’image royale. Du côté des Bâtiments, l’influence de Madame de Pompadour, malgré l’intérêt qu’elle témoigne aux beaux-arts, reste en effet mesurée. Lorsque les nouveautés déplaisent au public du Salon, elle ne persiste pas et prône le retour à une représentation royale traditionnelle. La marquise en agit de même avec ses propres portraits. Sa représentation en femme savante par Maurice Quentin de La Tour, exposée en 1755, est très critiquée. Elle retourne par la suite à une iconographie alors jugée plus convenable pour une femme. En réalité, elle cherche plus à valoriser sa propre image par rapport à l’image royale qu’à faire évoluer cette dernière. Ainsi, alors que l’usage du dais surmontant le portrait du roi est réhabilité pour le Salon de 1751, la marquise exige que son propre portrait soit surmonté d’un dais au Salon de 1757. En revanche, Marie Leszczynska, souvent considérée à tort comme un personnage de peu d’intérêt, semble avoir été très soucieuse de l’image royale. Elle a cherché à faire bénéficier Louis XV de sa popularité et a, en outre, encouragé un rapprochement du roi et du dauphin dans les représentations. C’est elle qui a rendu possible l’émergence de l’image du roi simple qui s’avère être une transformation radicale de l’imagerie traditionnelle. Cette deuxième partie souligne enfin la part prise par des acteurs toujours plus nombreux dans la commande de portraits du roi comme l’Hôtel de Ville de Paris, l’Académie de Saint-Luc ou même des artistes ne tenant ni à cette dernière ni à l’Académie royale. D’autre part, les progrès techniques réalisés à la période permettent une diffusion beaucoup plus large du portrait du roi. Cette diversité, qui reflète également l’affleurement d’une sphère publique plus influente, caractérise plus particulièrement le règne de Louis XVI. Cette particularité oblige alors à penser l’image royale selon de nouvelles modalités explicitées dans la troisième partie.

Cette troisième et dernière partie se consacre aux modalités de diffusion et aux conséquences de la réception de l’image royale dans le contexte de la montée de l’influence de l’opinion publique. Au cours de la période considérée, l’image royale, dans sa forme iconographique, devient de plus en plus interdépendante du texte, qu’il s’agisse du texte qu’elle illustre, de la légende qui accompagne une gravure ou bien du portrait royal tel que présenté dans la presse. Ce fait va profondément modifier la manière dont cette image est façonnée par le pouvoir. Élevé dans l’immédiat après-guerre de Sept Ans, Louis XVI est préparé par son gouverneur, La Vauguyon, à affronter une opinion de plus en plus hostile à la monarchie. Il ne peut plus se contenter de s’appuyer sur la nature mystique du pouvoir royal, il se doit de se manifester comme un prince des Lumières que ses seuls mérites personnels désignent comme le plus à même d’occuper le trône. Délaissant volontairement la représentation du roi glorieux, il s’attache avant tout à se présenter comme un anti-Louis XV, c’est-à-dire comme un roi vertueux, économe et consciencieux. Il renonce pour cela aux vecteurs traditionnels de l’image royale et privilégie des artistes ou des hommes de lettres iconoclastes pour jouer le rôle de propagandistes. De même, les références de la nouvelle image royale regardent du côté des romans sentimentaux tels que La Nouvelle Héloïse ou s’inspirent de la peinture de genre à la manière de Greuze. Si ces nouvelles stratégies aident le roi à maintenir sa popularité jusqu’à la Révolution, elles ne parviennent cependant pas à sauver la monarchie ni un monarque peut-être devenu trop confiant en sa capacité à tourner l’opinion en sa faveur.

Thèse d’histoire moderne, soutenue le 30 novembre 2015 à l’Université Jean Moulin-Lyon 3

Mme Sylvie Steinberg (EHESS), M. Edmond Dziembowski (Université de Franche Comté), M. Philippe Bordes (Université Lumière-Lyon 2), Mme Anne-Marie Mercier (Université Lyon 1), M. Bernard Hours (Université Jean Moulin Lyon 3, directeur)

Citer cet article

Référence électronique

Aurore Chéry, « L’image de Louis XV et Louis XVI, entre tradition et création : stratégies figuratives et inscription dans l’espace public (1715-1793) », Les Carnets du LARHRA [En ligne], 2016 | 1 | 2018, mis en ligne le 12 juillet 2018, consulté le 18 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/larhra/index.php?id=161

Auteur

Aurore Chéry

LARHRA UMR 5190
CNRS-ANHIMA-Projet Rubi Antiqua.

aurore.chery@orange.fr

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