[non] Financement de la recherche sur projets

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Mots-clés

ANR, ERC, financement de la recherche

Keywords

ANR, ERC, funding research

Texte

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L’une des tâches des laboratoires est de soutenir financièrement les chercheurs qui en sont membres. En théorie, car c’est malheureusement loin d’être toujours le cas. Tandis que le contexte est à la stagnation des budgets récurrents, les sommes qui leur sont allouées peuvent être réduites ; en outre, elles varient entre les laboratoires, voire au sein des laboratoires eux-mêmes. Trouver des financements est dès lors devenu l’une des activités des chercheurs et une activité à laquelle ils consacrent toujours plus de temps. Ce problème se pose de manière aiguë lorsqu’on travaille sur un terrain étranger. Se rendre à Moscou, Abidjan ou Tokyo n’a pas le même coût qu’aller, quand on est spécialiste de la France, aux archives nationales à Paris ou aux archives municipales en province. Car, outre le billet d’avion, il faut se loger plusieurs semaines sans quoi le séjour risque d’être infructueux. Le problème se pose aussi pour l’organisation de manifestations scientifiques avec des collègues qui peuvent venir de l’étranger, de Russie, d’Amérique du Nord ou d’Australie. Pour une conférence de deux jours, il en coûte ainsi plusieurs milliers d’euros. Le financement par projets est aujourd’hui l’un des moyens à disposition des chercheurs pour qu’ils puissent faire de la recherche et organiser des manifestations — se substituant souvent au financement récurrent dont il n’était pourtant censé être qu’un complément. La « contractualisation » de la recherche, qui s’est accentuée en Europe depuis les années 1980, a débuté plus tardivement en France où l’une de ses principales étapes fut la création de l’Agence nationale de la recherche (anr) en 2005. L’écosystème qui s’est progressivement installé s’appuie ainsi sur divers dispositifs aux niveau régional, national et européen, et repose sur des procédures compétitives d’allocation des fonds1.

Les financements les mieux dotés sont ceux octroyés par le Conseil européen de la recherche (plus connu sous son acronyme anglais : erc) auquel il faut soumettre un projet étoffé en deux parties : seule la première est d’abord évaluée puis, si elle l’est positivement, la seconde l’est à son tour. C’est si intéressant du point de vue du budget et du prestige que des agences se sont spécialisées dans l’aide à la rédaction de projet, conservant, en cas de succès, une commission. Ces financements erc, je m’y suis essayé une fois afin de soutenir des doctorants et des postdoctorants. Les projets soumis à l’agence sont évalués par des comités qui, constitués de 12 à 15 personnes, décident de retenir ou non un projet. Ils tiennent compte de trois critères : la valeur scientifique du candidat et son aptitude supposée à conduire le projet ; la qualité scientifique du projet et son caractère novateur ; la capacité de l’institution d’accueil à permettre la réalisation du projet. Ces évaluateurs ont jugé positivement le fond de mon projet, mais ont exprimé leur scepticisme, justifié, quant à la manière d’organiser la recherche collective. Il est vrai qu’au moment d’écrire le projet, l’aspect logistique m’avait embarrassé. Je ne savais pas trop comment m’y prendre avec ces graphiques, tableaux et diagrammes destinés à montrer combien la chose est pertinente et bien pensée. Je n’y ai pas accordé l’attention nécessaire, pariant sans doute trop sur la partie proprement scientifique. Mon projet n’a donc pas été retenu et je n’ai pas eu la somme mirobolante que j’avais sollicitée. Vu que j’avais raté de peu l’admissibilité, j’aurais dû, en toute logique, postuler une deuxième fois avec un projet corrigé et amélioré, ce que je n’ai pourtant pas fait pour raison familiale.

Si le financement par projets est bien installé, les critiques à son endroit subsistent, qui vont de la dénonciation de la précarisation du métier de chercheur à l’« industrialisation » du travail de la recherche. L’un des problèmes soulevés a trait à la politique scientifique des laboratoires. Car comme le rappelle Jean-Michel Roddaz, ce type de financement « établit une relation directe entre l’agence de financement, ANR ou ERC par exemple, et le porteur du projet, il rompt en partie le lien du chercheur avec son équipe de recherche dans la mesure où le bénéficiaire dispose alors d’une autonomie financière lui permettant de conduire comme il l’entend sa quête scientifique ». À la menace du morcellement des laboratoires, s’ajouterait le danger « que le projet échappe à l’équipe qui avait pourtant donné les moyens de le préparer et était destinée à fournir la logistique pour le mener à bien ». Au sujet du risque d’un affaiblissement stratégique des laboratoires, les constats sont divergents. Pour Jean-Michel Roddaz, les garde-fous mis en place par l’ANR ou l’ERC l’ont non seulement contenu, mais ont pu consolider la direction des équipes « mise devant la responsabilité de réfléchir à une véritable politique scientifique mettant en adéquation ses propositions et les ressources hu-maines dont elle disposait pour les mener à bien2 ». Matthieu Hubert et Séverine Louvel dressent, eux, un tout autre bilan. Ils observent une « perte de capacité stratégique des laboratoires » et décèlent, comme conséquences au niveau de la vie interne des laboratoires, une « “individualisation” des intérêts et des stratégies3 ». Ces analyses, aux conclusions divergentes, ont en commun de mobiliser la fiction d’un laboratoire où les dynamiques personnelles et collectives convergent. Il est probable que cela n’ait jamais été le cas. C’est néanmoins un idéal qui reste partagé par une partie des chercheurs et vers lequel il faut tendre. Au-delà des titulaires, il est important que les doctorants trouvent, dans leur laboratoire, un collectif sur lequel s’appuyer pendant leur thèse puis une ressource pour la suite de leur carrière.

Notes

1 Jérôme Aust, « Financer la recherche sur projet. Figures historiques d’un dispositif de gouvernement », Genèses, vol. 94, no 1, 2014, p. 2-6 ; Alain Peyraube, « Financement de la recherche sur projet », Mélanges de la Casa de Velázquez, 47-1, 2017, p. 343-346. Retour au texte

2 Jean-Michel Roddaz, « Le financement de la recherche sur projets : pourquoi et comment ? », Mélanges de la Casa de Velázquez, 47-1, 2017, p. 321-328. Retour au texte

3 Matthieu Hubert et Séverine Louvel, « Le financement sur projet : quelles conséquences sur le travail des chercheurs ? », Mouvements, vol. 71, no. 3, 2012, p. 13-24. Retour au texte

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Citer cet article

Référence électronique

Grégory Dufaud, « [non] Financement de la recherche sur projets », Les Carnets du LARHRA [En ligne], 1 | 2023, mis en ligne le 08 décembre 2023, consulté le 19 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/larhra/index.php?id=763

Auteur

Grégory Dufaud

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