L’ascèse extraordinaire d’Ambā qui a déjoué son destin

Mahābhārata de Vyāsa (5.187)

  • The Extraordinary Asceticism of Ambā Who Foiled His Destiny: Vyāsa’s Mahābhārata (5.187)

DOI : 10.35562/agastya.177

Abstracts

Cet article présente un extrait du Mahābhārata sanskrit de Vyāsa (5.187) décrivant l’ascèse d’Ambā, personnage secondaire de l’épopée, qui renaîtra Śikhaṇḍinī, puis se transformera en homme pour combattre l’homme qu’elle tient responsable de sa détresse, Bhīṣma. Après une introduction qui contextualise ce passage, en résumant l’histoire d’Ambā et en mettant en lumière la singularité du parcours de cette femme qui a cherché à déjouer son destin, le lecteur pourra lire l’extrait, reproduit à partir de l’édition de référence de Pune (BORI). Le texte en nāgarī est suivi d’une translittération en caractères latins avec signes diacritiques, accompagnée d’une traduction et de commentaires (analyse morpho‑syntaxique, explicitations de choix de traductions, clefs de lecture d’ordre culturel).

This article presents an extract from Vyāsa’s Sanskrit Mahābhārata (5.187) describing the asceticism of Ambā, a secondary character in the epic who is reborn Śikhaṇḍinī, then transforms into a man to fight the man whom she holds responsible for her distress, Bhīṣma. After an introduction that contextualises this passage, summarising Ambā’s story and highlighting the singularity of the journey of this woman who sought to foil her destiny, the reader can read the extract, reproduced from the Pune Reference Edition (BORI). The text in Nāgarī is followed by Latin transliteration, translation and comments (morpho‑syntactic analysis, explanations of translation choices, cultural notes).

Outline

Editor's notes

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Text

Introduction

L’histoire d’Ambā apparaît dans le Mahābhārata de Vyāsa, récit‑fleuve dont les indianistes situent généralement la composition entre le ive siècle avant notre ère et le ive siècle après1. Ce personnage épique a une certaine popularité dans l’Inde contemporaine, pas tant dans le milieu nationaliste hindou, qui se plaît pourtant à relire et à réinterpréter les textes de l’Inde ancienne, mais plutôt dans les milieux sensibles aux causes des minorités discriminées et critiquant le patriarcat, car il incarne un exemple de queerness dans l’Inde ancienne et est investi d’un militantisme féministe. On le constate notamment dans l’ouvrage Shikhandi and Other Tales They Don’t Tell You de l’auteur populaire Devdutt Pattanaik (2014), qui présente, parmi trente autres personnages mythiques, l’histoire singulière d’Ambā. Cette histoire a également inspiré des chorégraphes, par exemple Akram Khan dans Until the Lions reprenant l’ouvrage éponyme de Karthika Nair (2019) qui donne voix à dix‑neuf personnages secondaires de l’épopée.

Nous présenterons ici un extrait de quarante strophes (5.187) où il est question de la première ascèse, terrible et extraordinaire, d’Ambā désireuse de se venger d’un homme, Bhīṣma, qui lui a fait perdre son statut social. Avant de lire cet extrait traduit à partir de l’édition critique de Pune2 et accompagné de commentaires, il faut rappeler qui est Ambā, quelle est son histoire et ce qu’elle nous révèle de la culture de l’Inde ancienne concernant en particulier les modes de mariage et les pratiques ascétiques et martiales au féminin.

Son histoire est narrée à plusieurs endroits dans le Mahābhārata : d’abord brièvement au livre3 1, Ādiparvan « le livre des commencements » (chapitre 96), puis plus en détails au livre 5, Udyogaparvan « le livre des préparatifs » (chapitres 169‑193 qui constituent en soi l’Ambopākhyāna « l’épisode sur Ambā »4) et enfin lors de la chute de Bhīṣma, au livre 6, Bhīṣmaparvan « le livre de Bhīṣma » (41‑117, en particulier 112 à 114). Au livre 5, ont lieu les préparatifs précédant la grande bataille eschatologique qui opposera les deux groupes de cousins rivaux : les cinq frères Pāṇḍava contre les cent frères Kaurava menés par le roi Duryodhana. Ce dernier, avec des alliés du camp des Kaurava et Bhīṣma, le grand‑oncle des cousins, évaluent les forces des deux armées qui s’apprêtent à s’affronter. Ainsi, Bhīṣma dresse une liste de combattants ennemis dont il évalue les qualités guerrières et il considère Śikhaṇḍin comme un guerrier éminent. Alors qu’il se déclare prêt à affronter n’importe lequel de ces combattants, il indique qu’il ne pourra pas combattre Śikhaṇḍin car il refuse de combattre ou de tuer une femme ou quelqu’un qui aurait été autrefois une femme. Duryodhana demandant des explications, Bhīṣma raconte l’histoire d’Ambā qui s’est transformée en un homme nommé Śikhaṇḍin.

Mariage des trois sœurs : rapt et perte de statut social pour Ambā

Bhīṣma commence son récit en rappelant ce qui s’est passé au mariage des trois princesses de Kāśī (Bénarès), Ambā, Ambikā et Ambālikā5, déjà raconté au livre 1. Au cours du mariage svayaṃvara6 de ces trois filles du roi de Kāśī, Bhīṣma les a enlevées sur son char pour les donner en mariage à son demi‑frère Vicitravīrya, héritier du trône de Śāntanu et fils de Satyavatī, la fille du roi des pêcheurs devenue veuve. Rappelons que Bhīṣma lui‑même avait renoncé au trône et au mariage afin que son père puisse épouser la belle Satyavatī. Mais l’aînée des trois sœurs, Ambā, se dérobe au mariage avec Vicitravīrya car elle est secrètement fiancée au prince Śālva. Apprenant cette nouvelle, compréhensif, Bhīṣma la libère, mais Śālva de son côté ne veut plus d’elle car elle s’est laissée enlever par Bhīṣma7.

Quittant la ville, Ambā se lamente, ses parents l’ayant abandonnée et Śālva rejetée et chassée, ne sachant si elle doit s’en prendre à elle‑même, à Bhīṣma qui l’a conquise de haute lutte, ou encore à son père qui lui a fait choisir son époux. Elle a été jetée dans le char de Bhīṣma comme une fille de joie (paṇyastrī, 5.173.5), dit‑elle. Considérant finalement que Bhīṣma est le responsable de sa détresse, elle décide de se venger de lui et se réfugie dans l’ermitage de Śaikhāvatya. Les ascètes rappellent à la jeune princesse ce que préconisent les traités sur le dharma (Manusmṛti, 5.148) : une femme n’a que deux recours, son père ou son mari. Puisqu’elle a été abandonnée par le prince Śālva à qui elle était promise, elle doit retourner auprès de son père. Mais Ambā refuse, prétextant que ses parents la mépriseront. Ambā se retrouve privée de son svadharma, son devoir propre, son rôle lié à son statut social lui aussi déchu.

George Dumézil8 a comparé les modes de mariages mis en avant dans cet épisode, soit le mariage svayaṃvara, modalité épique du mariage Gāndharva, et le mariage Rākṣasa par enlèvement qui est propre aux guerriers9, aux modes de mariages germaniques : en particulier celui de l’héroïne Brynhildr, une valkyrie sauvage qui ne peut être mariée que si elle est conquise par un guerrier courageux auquel elle se donnera librement. Mais, comme Ambā, elle est enlevée par Sigfrid pour être donnée à son beau‑frère Gunnar sous les traits duquel il était déguisé. Brynhildr souhaite elle aussi se venger avec la même nécessité de demander l’aide d’un guerrier, le frère de son époux Gunnar, et d’opérer avec ruse. Elle fait ainsi tuer Sigfrid traîtreusement. Nous ajouterons à cette comparaison que dans les deux histoires, ce n’est ni Gunnar, ni Śālva qui sont mis en cause mais une personne tierce, Sigfrid et Bhīṣma, qui sont intervenus dans le rapt de la jeune femme en vue d’un mariage.

Une femme déchue en colère, désireuse de se venger

Se retrouvant seule, Ambā est malheureuse et en pleurs mais elle est également décrite comme étant « pleine de colère » (manyunāviṣṭā, 5.172.19). Elle considère alors que la seule issue possible est la vengeance, « par l’ascèse ou par les armes » (5.172.8). Dans un premier temps, elle n’exprime pas clairement la volonté de prendre elle‑même les armes. Avant qu’elle n’entreprenne une ascèse, son grand‑père maternel, en visite à l’ermitage, lui conseille de solliciter Rāma Jāmadagnya, plus connu après l’épopée sous le nom de Paraśurāma « Rāma à la hache », grand brahmane, mais aussi guerrier, célèbre pour avoir exterminé jadis la classe des guerriers (kṣatriya). Un disciple de ce dernier, Akṛtavraṇa, apparaît soudainement. Après avoir été mis au fait de l’histoire d’Ambā par cette dernière et son grand‑père, Akṛtavraṇa, à qui l’on demande expressément son avis, tranche : Bhīsma est coupable et il est juste qu’Ambā accomplisse une vengeance, littéralement une « contre‑action » (pratikriyā, 5.176.12). À ces mots, Ambā exprime sans détour son désir de mise à mort de Bhīṣma :

mamāpy eṣa mahān brahman hṛdi kāmo 'bhivartate |
ghātayeyaṃ yadi raṇe bhīṣmam ity eva nityadā || (5.176.13)

Ô brahmane, ce grand désir prend perpétuellement place dans mon cœur :
« Si je pouvais faire tuer Bhīṣma au combat ».

Paraśurāma arrive à l’ermitage et Ambā s’en remet à lui. Après avoir pris connaissance des faits, il lui promet de tenter une conciliation auprès de Bhīṣma et, si celle‑ci n’aboutit pas, de prendre les armes contre lui. Ambā, présentant Bhīṣma comme étant la source de son malheur (5.176.38), insiste auprès de Paraśurāma en lui disant à plusieurs reprises : « Tue Bhīṣma ». Paraśurāma part donc à la rencontre de Bhīṣma. Il lui demande de reprendre Ambā, afin qu’elle puisse réaliser son devoir de femme (5.178.6). Bhīṣma répond qu’il ne pourra en aucun cas la ramener à son frère et qu’il est de son devoir de ne pas garder une femme qui en aime un autre. Le combat grandiose entre le maître Paraśurāma et son disciple Bhīsma couvre plusieurs chapitres, l’avantage allant tantôt à Rāma, tantôt à Bhīṣma. Le combat est long et finalement vain.

Une ascèse extraordinaire

C’est à ce moment‑là que le chapitre 5.187, qui sera présenté ici, commence. Rāma Jāmadagnya revient vers Ambā pour lui annoncer son échec face à Bhīṣma. Apprenant cela, le discours d’Ambā change : elle « combattra elle‑même » Bhīṣma (5.187.9). Les yeux pleins de colère, méditant sa mise à mort (cintayatī vadham, 187.10), elle souhaite pratiquer une ascèse. Alors qu’auparavant, l’ascèse et les armes sont présentées comme deux options différenciées (5.172.8), on remarque que l’ascèse est maintenant présentée comme un moyen de pouvoir combattre elle‑même Bhīṣma, mais on ne sait pas encore comment cette ascèse lui permettra d’atteindre ce but d’ordre martial. Au courant de ce qu’Ambā trame dans la forêt, Bhīṣma est inquiet mais les sages Nārada et Vyāsa le rassurent sur le fait qu’aucun humain ne peut détourner son destin, sous‑entendant sans doute qu’une princesse telle qu’Ambā ne pourra en aucun cas le combattre parce qu’elle est une femme. En contraste avec ces paroles de réconfort mettant en avant le caractère limité de l’action humaine, l’ascèse d’Ambā est qualifiée de « surhumaine » (atimānuṣam, 187.18) et dure douze années au cours desquelles elle se nourrit de vent pendant six mois (19), séjourne une année immergée dans l’eau, survit une autre année avec une seule feuille séchée pour nourriture, se tenant sur la pointe des gros orteils, comme soutenue par sa colère (21). En filigrane, on comprend qu’en pratiquant une ascèse surhumaine, Ambā parviendra à déjouer le destin. À la strophe 32, est finalement explicité ce que cherche à atteindre Ambā : obtenir un autre corps pour combattre Bhīṣma. Elle l’exprimera plus clairement au chapitre suivant (188.4‑9) : elle ne peut vaincre Bhīṣma en étant une femme à l’esprit pacifié, il lui faudra donc devenir un homme. Au cours de cette ascèse, la mère de Bhīṣma, qui n’est autre que Gaṅgā, cherche à dissuader Ambā et lui annonce, sous la forme d’une prédiction qui pourrait être une malédiction10, que son ascèse ne lui permettra que de renaître sous la forme d’une rivière sinueuse, souvent asséchée et pleine de crocodiles. Ambā persiste malgré tout et renaîtra pour moitié rivière telle que décrite par Gaṅgā et femme à nouveau.

Puis, au chapitre suivant, Ambā pratique toujours une ascèse11, le dieu Śiva apparaît et lui offre un vœu12 : elle choisit bien sûr de pouvoir vaincre Bhīṣma au combat. Śiva accède à son vœu et lui annonce qu’elle renaîtra homme après s’être sacrifiée dans le feu. En contraste avec ses propres affirmations précédentes sur la nature féminine au mental pacifié, elle est décrite comme possédant un esprit enflammé par la colère (roṣadīptena cetasā, 17)13 et s’immole par le feu, telle une veuve dans le bûcher funéraire de son époux, en prononçant cette dernière parole prenant la forme d’un mantra : « Pour la mise à mort de Bhīṣma ! » (bhīṣmavadhāya14).

Si le système idéologique de l’Inde ancienne est favorable aux ascèses en tant que moyen d’obtenir le fruit de son désir et ultimement la délivrance du cycle des renaissances, il n’est pourtant pas courant qu’elle soit pratiquée par une jeune femme15. C’est pourquoi plusieurs personnages cherchent à dissuader Ambā de pratiquer une ascèse, surtout d’une telle intensité : en premier lieu les ascètes qu’elle rencontre à l’ermitage de Śaikhāvatya, dont certains considèrent qu’elle devrait retourner chez son père, d’autres, chez le roi Śālva et qui, collectivement, la mettent en garde sur la pénibilité de la vie ascétique et sur les risques d’être abordée par des rois alors qu’elle se trouve seule dans la forêt (174.10) ; mais aussi Gaṅgā qui cherche sans doute à protéger son fils (187.29‑36) et qui était aussi intervenue lors du combat entre ce dernier et Rāma Jamadāgnya (179.22‑30).

Renaissance, travestissement, initiation martiale et transidentité

Après son immolation, Ambā renait Śikhaṇḍinī, fille du roi Drupada qui avait, lui aussi, fait une ascèse, tout en rendant un culte au dieu Śiva, pour obtenir un fils capable de provoquer la mort de Bhīṣma (189.5). Drupada obtient une fille et non pas un fils mais Śiva le rassure : elle deviendra homme. Dès sa naissance, Śikhaṇḍinī est un garçon « travesti » (189.14) : elle reçoit les rites de naissance propres aux garçons (189.17) et est appelée Śikhaṇḍin. Sous ce nom et sous l’apparence d’un garçon, elle est initiée au tir à l’arc par Droṇa (190.1), l’illustre maître d’armes de l’épopée qui a formé les Pāṇḍava et les Kaurava. Puis elle est mariée à la fille du roi Hiraṇyavarman qui découvre rapidement la tromperie, provoquant ainsi la menace d’un conflit entre les deux familles. Śikhaṇḍinī, comprenant qu’elle est la cause de cette tragédie, honteuse, part à nouveau dans la forêt pour mener une ascèse et mettre fin à ses jours. Elle entre dans la demeure d’un yakṣa (être semi‑divin), Sthūṇakarṇa, et le supplie de la transformer en homme pour sauver sa famille. Il accepte la requête de Śikhaṇḍinī et cette dernière et le yakṣa échangent leurs sexes pour un temps limité. Le roi Hiraṇyavarman envoie une ambassade de femmes pour vérifier le sexe de Śikhaṇḍin et les deux familles se réconcilient.

Pendant ce temps, Kubera, le maître des yakṣa, va chez Sthūṇakarṇa, découvre l’affaire et, estimant que tous les yakṣa ont été humiliés par ce changement de sexe, maudit Sthūṇakarṇa en le condamnant à rester femme. Au temps convenu, Śikhaṇḍinī retourne chez le yakṣa qui lui raconte la malédiction prononcée par Kubera. Définitivement homme, Śikhaṇḍin, ravi, retourne chez lui et poursuit son apprentissage des armes sous la direction de Droṇa (5.193.56‑57). C’est à ce moment qu’est énoncé le nouveau statut de Śikhaṇḍin (5.193.59) :

evam eṣa mahārāja strīpumān drupadātmajaḥ |
saṃbhūtaḥ kauravaśreṣṭha śikhaṇḍī rathasattamaḥ ||

Ainsi, ô grand roi16, cet homme‑femme, né de Drupada,
Devint, ô meilleur des Kaurava, Śikhaṇḍin, un excellent guerrier.

Rôle sur le champ de bataille

Au livre 6, on retrouve Śikhaṇḍin qui est en compagnie d’Arjuna lors de la grande bataille. Face à Bhīṣma, à plusieurs reprises, il est précisé que Śikhaṇḍin est placé devant, j’ajouterais comme un bouclier protecteur, puisque Bhīṣma, suivant son observance, ne peut tuer Śikhaṇḍin. Arjuna, à l’abri de Śikhaṇḍin, lance des quantités de flèches sur Bhīṣma, celui‑ci faisant savoir que ce sont des flèches d’Arjuna car elles sont douloureuses, tandis qu’il ne sent pas celles de Śikhaṇḍin. Bhīṣma finit par tomber au combat : il est mortellement blessé mais suspend sa mort car il le don d’en choisir le moment (elle aura lieu au livre 13). Dans ce combat, on constate que le caractère ambigu du genre de Śikhaṇḍin, femme devenue homme et « homme‑femme », est essentiel et permet de renforcer le camp des Pāṇḍava. Bien que constituant une faiblesse technique (flèches inopérantes)17, la présence de Śikhaṇḍin est indéniablement un atout tactique. Arjuna‑Śikhaṇḍin fonctionne ainsi comme un couple : c’est grâce à la présence de Śikhaṇḍin qu’Arjuna parvient à abattre Bhīṣma. À ce propos, on ne sera pas étonné d’apprendre que dans le théâtre d’ombres javanais, Srikandi est une femme et l’épouse d’Arjuna18.

Conclusion : une héroïne transgressive qui a déjoué le destin ?

En comparaison avec d’autres héroïnes épiques remarquables19 telles que Śakuntalā, une femme de tête20, Draupadī qui suit ses époux, les cinq Pāṇḍava, dans la forêt où ils sont exilés, Savitrī et Damayantī qui choisissent leur mari malgré les obstacles, ou encore Gāndharī et Kuntī, les mères des deux groupes de cousins rivaux, défendant leurs fils coûte que coûte, Ambā est de loin la plus transgressive en cherchant à déjouer son destin par l’ascèse et en désirant venger elle‑même son honneur en prenant les armes. Lorsque Bhīṣma l’emporte pour la marier à son demi‑frère, elle élève sa voix pour revendiquer un amour secret avec le roi Śālva. Lorsqu’elle est rejetée par ce dernier, elle ne se cantonne pas à ce sinistre état de femme qui ne peut plus être mariée, qui aurait pu constituer une « mort sociale ». Elle décide de se venger de Bhīṣma qu’elle tient entièrement responsable de sa situation et s’engage dans la voie de l’ascèse pour parvenir à son but : devenir un homme pour vaincre Bhīṣma au combat.

Même si on rencontre plusieurs figures féminines pleine de détermination, loin d’être effacées et passives, Ambā paraît donc être un personnage atypique au regard de la norme comportementale des femmes dans l’épopée et dans l’Inde ancienne plus généralement. Pourtant, si son désir de vengeance et sa colère vindicative de nature guerrière sont exceptionnels pour une femme, si son ascèse est surhumaine et lui permet de déjouer son destin personnel, si son initiation martiale en tant que femme travestie est inhabituelle et son changement de sexe déroutant, tous ces événements doivent avoir lieu et ont été prédits et provoqués par les dieux de l’épopée qui ont en charge ce que l’on pourrait appeler le destin épique : Arjuna doit vaincre Bhīṣma et la présence d’une femme, incarnée par « l’homme‑femme » Śikhaṇḍin, à ses côtés, ou plutôt devant lui, n’est qu’un moyen d’y parvenir.

À propos de l’extrait traduit et commenté

Nous avons traduit l’extrait à partir du texte de l’édition de référence de Pune (BORI) qui s’appuie sur les manuscrits du nord de l’Inde. Il existe une variante méridionale de l’épopée, très différente concernant l’histoire d’Ambā, à laquelle il a été fait allusion dans la note 12 mais qui ne sera pas présentée en détail ici.

Un point sur les traductions que nous avons consultées et dont on trouvera les références complètes dans la bibliographie. En français, il existe deux traductions intégrales de cet extrait : celle d’Hippolyte Fauche qui s’appuie sur l’édition de Calcutta datant de 1866 comprenant beaucoup d’inexactitudes mais d’une certaine élégance qui pourra inspirer les traducteurs modernes et celle de Gilles Schaufelberger et Guy Vincent (2015) pas toujours littérale mais bonne dans l’ensemble. La meilleure traduction à nos yeux est la traduction en anglais de J. A. B. van Buitenen (1978). Il existe aussi celle de Kisari Mohan Ganguli (1883‑1896) qui a le mérite d’être consultable en ligne. À côté de ces traductions, il existe l’incontournable ouvrage de Madeleine Biardeau qui livre un résumé de l’extrait et des commentaires précieux, ainsi que le petit ouvrage de Jean‑Michel Peterfalvi qui propose également un résumé commenté par Madeleine Biardeau.

Notre traduction, dont l’objectif est d’être au plus proche du texte source, est suivie, au fil des strophes ou groupes de strophes, de notes explicatives qui permettront, nous l’espérons, d’accompagner le lecteur sanskritiste « en chemin » vers l’apprentissage. Ces notes comprennent essentiellement l’analyse des formes verbales et des composés, des indications sur le vocabulaire peu courant et sur la syntaxe, des explications sur certains choix de traduction et des remarques d’ordre culturel en complément de l’introduction qui fournit déjà quelques clefs de compréhension. On trouvera quelques renvois aux grammaires de références sur des points particuliers ou qui nécessiteraient une présentation trop longue pour le format de l’article qui s’en serait trouvé trop alourdi.

Les abréviations, que nous avons cherché à éviter, sont usuelles : sg. « singulier », pl. « pluriel », m. « masculin », f. « féminin », nt. « neutre », MW « dictionnaire de Monier-Williams ».

Dans cet extrait, comme nous l’avons déjà précisé, Bhīṣma est le narrateur. Il s’adresse à Duryodhana qu’il appelle régulièrement « roi », « descendant de Bharata » au vocatif. Dans ce premier dialogue sont mis en abyme d’autres dialogues et paroles rapportées qui ne sont pas clôturés par l’habituelle particule iti : d’abord un premier dialogue entre Rāma Jāmadagnya et Ambā (1‑9), une parole rapportée de Nārada et Vyāsa s’adressant à Bhīṣma (17), enfin un dialogue entre Gaṅgā et Ambā (29‑36). Rāma Jāmadagnya, appelé simplement Rāma ou descendant de Bhṛgu (bhṛgunandana ou bhṛgūdvaha), est le brahmane guerrier qui sera appelé après l’épopée Paraśurāma, soit Rāma « à la hache ». Il est temps maintenant de lui laisser la parole.

Mahābhārata 5.187 : texte en nāgarī

राम उवाच
प्रत्यक्षमेतल्लोकानां सर्वेषामेव भामिनि ।
यथा मया परं शक्त्या कृतं वै पौरुषं महत् ॥१॥

न चैव युधि शक्नोमि भीष्मं शस्त्रभृतां वरम् ।
विशेषयितुमत्यर्थमुत्तमास्त्राणि दर्शयन् ॥२॥

एषा मे परमा शक्तिरेतन्मे परमं बलम् ।
यथेष्टं गम्यतां भद्रे किमन्यद्वा करोमि ते ॥३॥

भीष्ममेव प्रपद्यस्व न ते ऽन्या विद्यते गतिः ।
निर्जितो ह्यस्मि भीष्मेण महास्त्राणि प्रमुञ्चता ॥४॥

भीष्म उवाच
एवमुक्त्वा ततो रामो विनिःश्वस्य महामनाः ।
तूष्णीमासीत्तदा कन्या प्रोवाच भृगुनन्दनम् ॥५॥

भगवन्नेवमेवैतद्यथाह भगवांस्तथा ।
अजेयो युधि भीष्मो ऽयमपि देवैरुदारधीः ॥६॥

यथाशक्ति यथोत्साहं मम कार्यं कृतं त्वया ।
अनिधाय रणे वीर्यमस्त्राणि विविधानि च ॥७॥

न चैष​ शक्यते युद्धे विशेषयितुमन्ततः ।
न चाहमेनं यास्यामि पुनर्भीष्मं कथंचन ॥८॥

गमिष्यामि तु तत्राहं यत्र भीष्मं तपोधन ।
समरे पातयिष्यामि स्वयमेव भृगूद्वह ॥९॥

एवमुक्त्वा ययौ कन्या रोषव्याकुललोचना ।
तपसे धृतसंकल्पा मम चिन्तयती वधम् ॥१०॥

ततो महेन्द्रं सह तैर्मुनिभिर्भृगुसत्तमः ।
यथागतं ययौ रामो मामुपामन्त्र्य भारत ॥११॥

ततो ऽहं रथमारुह्य स्तूयमानो द्विजातिभिः ।
प्रविश्य नगरं मात्रे सत्यवत्यै न्यवेदयम् ।
यथावृत्तं महाराज सा च मां प्रत्यनन्दत ॥१२॥

पुरुषांश्चादिशं प्राज्ञान्कन्यावृत्तान्तकर्मणि ।
दिवसे दिवसे ह्यस्या गतजल्पितचेष्टितम् ।
प्रत्याहरंश्च मे युक्ताः स्थिताः प्रियहिते मम ॥१३॥

यदैव हि वनं प्रायात्कन्या सा तपसे धृता ।
तदैव व्यथितो दीनो गतचेता इवाभवम् ॥१४॥

न हि मां क्षत्रियः कश्चिद्वीर्येण विजयेद्युधि।
ऋते ब्रह्मविदस्तात तपसा संशितव्रतात् ॥१५॥

अपि चैतन्मया राजन्नारदे ऽपि निवेदितम् ।
व्यासे चैव भयात्कार्यं तौ चोभौ मामवोचताम् ॥१६॥

न विषादस्त्वया कार्यो भीष्म काशिसुतां प्रति ।
दैवं पुरुषकारेण को निवर्तितुमुत्सहेत् ॥१७॥

सा तु कन्या महाराज प्रविश्याश्रममण्डलम् ।
यमुनातीरमाश्रित्य तपस्तेपे ऽतिमानुषम् ॥१८॥

निराहारा कृशा रूक्षा जटिला मलपङ्किनी ।
षण्मासान्वायुभक्षा च स्थाणुभूता तपोधना ॥१९॥

यमुनातीरमासाद्य संवत्सरमथापरम् ।
उदवासं निराहारा पारयामास भामिनी ॥२०॥

शीर्णपर्णेन चैकेन पारयामास चापरम् ।
संवत्सरं तीव्रकोपा पादाङ्गुष्ठाग्रधिष्ठिता ॥२१॥

एवं द्वादश वर्षाणि तापयामास रोदसी ।
निवर्त्यमानापि तु सा ज्ञातिभिर्नैव शक्यते ॥२२॥

ततो ऽगमद्वत्सभूमिं सिद्धचारणसेविताम् ।
आश्रमं पुण्यशीलानां तापसानां महात्मनाम् ॥२३॥
तत्र पुण्येषु देशेषु साप्लुताङ्गी दिवानिशम् ।
व्यचरत्काशिकन्या सा यथाकामविचारिणी ॥२४॥
नन्दाश्रमे महाराज ततोलूकाश्रमे शुभे ।
च्यवनस्याश्रमे चैव ब्रह्मणः स्थान एव च ॥२५॥
प्रयागे देवयजने देवारण्येषु चैव ह​।
भोगवत्यां तथा राजन्कौशिकस्याश्रमे तथा ॥२६॥
माण्डव्यस्याश्रमे राजन्दिलीपस्याश्रमे तथा ।
रामह्रदे च कौरव्य पैलगार्ग्यस्य चाश्रमे ॥२७॥

एतेषु तीर्थेषु तदा काशिकन्या विशां पते ।
आप्लावयत गात्राणि तीव्रमास्थाय वै तपः ॥२८॥

तामब्रवीत्कौरवेय मम माता जलोत्थिता ।
किमर्थं क्लिश्यसे भद्रे तथ्यमेतद्ब्रवीहि मे ॥२९॥

सैनामथाब्रवीद्राजन्कृताञ्जलिरनिन्दिता ।
भीष्मो रामेण समरे न जितश्चारुलोचने ॥३०॥

को ऽन्यस्तमुत्सहेज्जेतुमुद्यतेषुं महीपतिम् ।
साहं भीष्मविनाशाय तपस्तप्स्ये सुदारुणम् ॥३१॥

चरामि पृथिवीं देवि यथा हन्यामहं नृपम् ।
एतद्व्रतफलं देहे परस्मिन्स्याद्यथा हि मे ॥३२॥

ततो ऽब्रवीत्सागरगा जिह्मं चरसि भामिनि ।
नैष कामो ऽनवद्याङ्गि शक्यः प्राप्तुं त्वयाबले ॥३३॥

यदि भीष्मविनाशाय काश्ये चरसि वै व्रतम् ।
व्रतस्था च शरीरं त्वं यदि नाम विमोक्ष्यसि ।
नदी भविष्यसि शुभे कुटिला वार्षिकोदका ॥३४॥
दुस्तीर्था चानभिज्ञेया वार्षिकी नाष्टमासिकी ।
भीमग्राहवती घोरा सर्वभूतभयंकरी ॥३५॥

एवमुक्त्वा ततो राजन्काशिकन्यां न्यवर्तत ।
माता मम महाभागा स्मयमानेव भामिनी ॥३६॥

कदाचिदष्टमे मासि कदाचिद्दशमे तथा ।
न प्राश्नीतोदकमपि पुनः सा वरवर्णिनी ॥३७॥

सा वत्सभूमिं कौरव्य तीर्थलोभात्ततस्ततः ।
पतिता परिधावन्ती पुनः काशिपतेः सुता ॥३८॥

सा नदी वत्सभूम्यां तु प्रथिताम्बेति भारत ।
वार्षिकी ग्राहबहुला दुस्तीर्था कुटिला तथा ॥३९॥

सा कन्या तपसा तेन भागार्धेन व्यजायत ।
नदी च राजन्वत्सेषु कन्या चैवाभवत्तदा ॥४०॥

Mahābhārata 5.187 : translittération, traduction et commentaires

rāma uvāca
pratyakṣam etal lokānāṃ sarveṣām eva bhāmini |
yathā mayā paraṃ śaktyā kṛtaṃ vai pauruṣaṃ mahat ||1||

Rāma dit :
1. Comme il le fallait et sous les yeux de tous les hommes, ô belle femme,
J’ai, grâce à ma puissance, accompli à l’extrême, il est vrai, ce grand exploit.

– Rāma : il s’agit ici de Rāma Jāmadagnya.
– pratyakṣam : adverbe « en présence de » + génitif (ici sarveṣām lokānām).
– bhāminī‑ : adjectif f. « lumineuse ». Substantivé, le terme bhāminī peut également désigner une femme en colère, passionnée. Ce sens pourrait très bien convenir ici mais dans les autres strophes où le terme apparaît, la mention du caractère colérique serait inappropriée (par exemple, le terme est appliqué à un autre personnage féminin, Gaṅgā, qui est décrite comme heureuse et souriante). Or il nous semble préférable, dans la mesure du possible, de systématiser une traduction pour un même terme dans un extrait donné. La traduction par « radieuse » ou « lumineuse » nous semble également inappropriée, Ambā étant décrite auparavant comme triste et désespérée. Nous avons donc opté pour une traduction plus neutre sémantiquement mais qui pourra être maintenue dans tout l’extrait.
– yathā : adverbe, ici nous le comprenons avec le sens « correctement » (yathā = yathāvat) traduit par « comme il le fallait ».
– param : adverbe « extrêmement ». Cela pourrait être aussi un adjectif qualifiant pauruṣam « exploit » et signifier « extrême », « extraordinaire ».
– śaktyā : instrumental, sg. de śakti‑ (f.) « puissance ».
– mayā kṛtaṃ pauruṣaṃ mahat : tournure passive, littéralement « le grand exploit a été fait par moi ».

na caiva yudhi śaknomi bhīṣmaṃ śastrabhṛtāṃ varam |
viśeṣayitum atyartham uttamāstrāṇi darśayan ||2||

2. Mais je ne peux pas surpasser au combat Bhīṣma, le meilleur des porteurs d’armes,
Même en faisant montre, à l’excès, de mes éminentes armes de jet.

– ca : conjonction de coordination « et » pouvant aussi avoir un sens adversatif « mais ».
– yudhi : locatif, f., sg de yudh‑ « combat ».
– na śaknomi viśeṣayitum : « je ne peux pas surpasser », ŚAK‑ « pouvoir » + infinitif.
– vara‑ : m. « le meilleur parmi » + génitif.
– darśayan : participe présent au nominatif, m., sg. de darśayati « il montre », causatif de DṚŚ‑ « voir ».

eṣā me paramā śaktir etan me paramaṃ balam |
yatheṣṭaṃ gamyatāṃ bhadre kim anyad vā karomi te ||3||

3. Ma puissance a atteint sa limite, ma force a atteint sa limite,
Va selon ton désir, ma chère, ou bien puis‑je faire autre chose pour toi ?

– eṣā me paramā śaktir : cette phrase signifie littéralement « cette force qu’est la mienne est à son extrême limite ». paramā est attribut du sujet de śaktiḥ. etan me paramaṃ balam a la même structure syntaxique.
– yatheṣṭaṃ : composé adverbial, yathā « comme » + iṣṭa‑ « désiré ».
– gamyatām : impératif passif 3e sg. de GAM‑ « aller ». L’impératif passif à la 3e personne sg. est une manière polie et courante de donner un ordre que l’on pourra traduire dans d’autres situations par « veuillez + (vous) verbe à l’infinitif ». Ici, te, forme enclitique de tava pronom personnel 2e personne au génitif, exclut le vouvoiement.

bhīṣmam eva prapadyasva na te 'nyā vidyate gatiḥ |
nirjito hy asmi bhīṣmeṇa mahāstrāṇi pramuñcatā ||4||

4. Cherche refuge auprès de Bhīṣma, il n’y a pas d’autre voie pour toi.
Je suis en effet vaincu par Bhīṣma qui a lancé de grandes armes de jet.

– prapadyasva : impératif moyen 2e sg de pra‑PAD‑ « aller vers », « se jeter aux pieds », « chercher refuge auprès de » + accusatif.
– vidyate : présent passif 3e sg. de VID‑ « trouver », au passif « exister », « être ». Ici, te 'nyā vidyate gatiḥ = *tava anyā vidyate gatiḥ « il n’y a pas d’autre voie (anyā gatiḥ) pour toi ».
– pramuñcatā : participe présent à l’instrumental, m., sg. de pra‑MUC‑ « libérer », « lancer », « décocher », accordé à bhīṣmeṇa.

bhīṣma uvāca
evam uktvā tato rāmo viniḥśvasya mahāmanāḥ |
tūṣṇīm āsīt tadā kanyā provāca bhṛgunandanam ||5||

Bhīṣma dit :
5. Alors, ayant ainsi parlé, Rāma, au grand esprit, poussa un profond soupir,
Et resta silencieux. Puis, la jeune femme dit à celui qui fait la joie des Bhṛgu :

– viniḥśvasya : absolutif de vi‑niḥ‑ŚVAS‑ « soupirer fortement ».
– tūṣṇīm : adverbe « silencieusement ».
– āsīt : imparfait 3e sg. d’AS‑ « être ».
– provāca = *pra‑uvāca : 3e sg. parfait de pra‑VAC‑ « dire », « proclamer ».
– bhṛgu‑nandanam : il s’agit de Rāma Jāmadagnya, fils de Jamadagni, fils de Bhṛgu. Bhṛgu est donc le nom du grand‑père de Rāma Jāmadagnya et l’éponyme de sa lignée (gotra). Le nom d’agent nandana‑ signifie « qui réjouit » mais aussi « descendant », « fils » en raison de l’idée qu’un descendant fait, ou se doit de faire, la joie de sa lignée.

bhagavann evam evaitad yathāha bhagavāṃs tathā |
ajeyo yudhi bhīṣmo 'yam api devair udāradhīḥ ||6||

6. Ô bienheureux, c’est assurément comme le bienheureux l’a dit :
Ce Bhīṣma, à la noble pensée, est invincible au combat, même par les dieux.

– Les deux occurrences de bhagavat‑ ont pour référent Rāma Jāmadagnya. bhagavan est au vocatif, bhagavān est au nominatif.
– Corrélation yathā […] tathā : « comme (yathā) cela (etad) précisément (eva) <était> assurément (evam), de cette manière (tathā) le bienheureux a dit (āha) ». Nous interprétons evam comme une particule de renforcement mais evam et yathā pourraient être simplement redondant, « evam eva etad » étant une formule courante et signifie « il en est bien ainsi ». D’autre part, une deuxième construction est possible : la proposition comparative « yathāha bhagavān » pourrait avoir deux principales : (1) « evam eva etat », litt. « cela (etat) [est] bien (eva) ainsi (evam) que (yathā…) » et (2) tathā + pāda cd, donc : « comme (yathā) le bienheureux l’a dit, ainsi (tathā) Bhīṣma… ».
– āha : 3e sg. du parfait de AH‑ « parler », racine dont la conjugaison est défective. On ne rencontre que le parfait 3e personne sg., duel et pluriel et la deuxième personne sg. et duel (pas de présent, ni d’aoriste)21.
– a‑jeya‑ : adjectif verbal d’obligation‑possibilité de JI‑ « vaincre », précédé du préfixe privatif a.
– udāra‑dhīḥ : nominatif, m., sg. d’udāra‑dhī‑, composé bahuvrīhi signifiant « possédant une noble (udāra) pensée (dhī) ».

yathāśakti yathotsāhaṃ mama kāryaṃ kṛtaṃ tvayā |
anidhāya raṇe vīryam astrāṇi vividhāni ca ||7||

7. À la mesure de ta puissance et de ta vaillance, tu as fait ton devoir envers moi,
Sans retenir au combat ton courage et tes diverses armes.

– yathāśakti et yathotsāhaṃ sont des composés adverbiaux du même type que yatheṣṭaṃ à la strophe 3.
– a‑nidhāya : absolutif précédé du suffixe privatif a de ni‑DHĀ‑ « déposer », « conserver », d’où l’idée de « retenir ».

na caiṣa śakyate yuddhe viśeṣayitum antataḥ |
na cāham enaṃ yāsyāmi punar bhīṣmaṃ kathaṃ cana ||8||

8. Finalement, il ne peut pas être surpassé au combat,
Et je ne retournerai en aucune façon chez ce Bhīṣma22.

– na śakyate viśeṣayitum : « il ne peut pas être surpassé au combat ». Les infinitifs n’ont normalement pas de valeur passive, excepté quand ils sont employés avec ŚAK‑ « pouvoir » (et analogues) qui ici porte la valeur passive23.
– yāsyāmi : futur, 1re sg. de ‑ « aller ».

gamiṣyāmi tu tatrāhaṃ yatra bhīṣmaṃ tapodhana |
samare pātayiṣyāmi svayam eva bhṛgūdvaha ||9||

9. Mais j’irai là, ô trésor d’ascèse, descendant de Bhṛgu,
Où, au combat, je ferai tomber moi‑même Bhīṣma.

– Corrélation tatra […] yatra : « là où (yatra) je ferai tomber (pātayiṣyāmi) Bhīṣma, là (tatra) j’irai ».
– pātayiṣyāmi : futur 1re sg., du causatif de PAT‑ « tomber ». Les projets d’ordre martial d’Ambā à l’égard de Bhīṣma sont auparavant exprimés au moyen de verbes au causatif impliquant un deuxième actant chargé d’accomplir ses désirs de vengeance qu’elle ne peut assumer en tant que femme comme dans une strophe précédente (5.176.13) :

mamāpy eṣa mahān brahman hṛdi kāmo 'bhivartate |
ghātayeyaṃ yadi raṇe bhīṣmam ity eva nityadā ||

O brahmane, ce grand désir prend perpétuellement place dans mon cœur :
« Si je pouvais faire tuer Bhīṣma au combat ».

La strophe 5.187.9 marque donc un tournant dans le discours d’Ambā : elle exprime son désir de combattre elle‑même (svayam) Bhīṣma. Le causatif de PAT‑ pātayati n’implique donc pas un deuxième actant mais rend actif un verbe intransitif : PAT‑ « tomber », pātayati « faire tomber ».

evam uktvā yayau kanyā roṣavyākulalocanā |
tapase dhṛtasaṃkalpā mama cintayatī vadham ||10||

10. Ayant ainsi parlé, la jeune femme partit, les yeux pleins de colère,
Fermement résolue à pratiquer l’ascèse, méditant ma mise à mort.

– yayau : parfait 3e sg. de ‑ « aller ».
– roṣa‑vyākula‑locanā et dhṛta‑saṃkalpā : composés bahuvrīhi accordés à kanyā.
– tapase : datif, n., sg de tapas‑ « ascèse ». Construction avec dhṛta‑saṃkalpā : saṃkalpa‑ m. « idée », « intention », dhṛta‑, adjectif verbal de DHṚ‑, « fixé à » + datif ou locatif. Donc tapase dhṛtasaṃkalpā « elle qui a une intention fixée sur l’ascèse ».
– cintayatī : nominatif, f., sg. du participe présent de cintayati (classe 10) « penser ».

tato mahendraṃ saha tair munibhir bhṛgusattamaḥ |
yathāgataṃ yayau rāmo mām upāmantrya bhārata ||11||

11. Alors, Rāma, le plus vertueux des Bhṛgu, accompagné d’ascètes,
Partit, comme il était venu, pour <le mont> Mahendra, après avoir pris congé de moi, ô descendant de Bharata.

– bhṛgu‑sat‑tama‑ : composé tatpuruṣa. Le suffixe ‑tama‑ est employé pour former des superlatifs.
– yathāgatam : composé adverbial ou composé prāditatpuruṣa (composé déterminatif dont le premier membre est un invariant)24 accordé à mahendram (« le mont Mahendra d’où il était ainsi venu »).
– upāmantrya : absolutif d’upaā‑mantrayate (classe 10) « saluer », « prendre congé de » + accusatif.

tato 'haṃ ratham āruhya stūyamāno dvijātibhiḥ |
praviśya nagaraṃ mātre satyavatyai nyavedayam |
yathāvṛttaṃ mahārāja sā ca māṃ pratyanandata
 ||12||25

12. Alors après être monté sur mon char, loué par les deux‑fois nés,
Je pénétrai dans la ville et révélai à ma mère Satyavatī26
Ce qui c’était passé et, ô grand roi, elle m’accueillit chaleureusement.

– stūyamānaḥ : participe présent passif de STU‑ « louer ».
– dvi‑jāti‑ : composé bahuvrīhi. jāti‑ est à prendre au sens de « naissance ».
– nyavedayam : prétérit, 1re sg. du causatif de ni‑VID‑ « révéler ».
– pratyanandata : prétérit, 3e sg., moyen de prati‑NAND‑ « accueillir chaleureusement ».

puruṣāṃś cādiśaṃ prājñān kanyāvṛttāntakarmaṇi |
divase divase hy asyā gatajalpitaceṣṭitam |
pratyāharaṃś ca me yuktāḥ sthitāḥ priyahite mama ||13||

13. Et je désignai des hommes clairvoyants pour s’occuper des nouvelles de la jeune femme.
En effet, jour après jour, ils me rapportaient ses déplacements, ses paroles et ses gestes,
Constamment occupés à ce qui me serait agréable et utile.

– adiśam : prétérit 1re sg. de DIŚ‑ « indiquer », ici, « désigner » (pour une tâche), « affecter ».
– vṛttānta‑ : m. « événement », « information ».
– gata‑jalpita‑ceṣṭitam : composé dvandva à l’accusatif, nt., sg., complément de pratyāharan ; gata nt. adjectif verbal de GAM‑ substantivé signifiant « mouvement », jalpita nt. adjectif verbal de JALP‑ substantivé signifiant « parole », ceṣṭita‑ nt. adjectif verbal substantivé de CEṢṬ‑ signifiant « geste », « manière d’agir ».
– pratyāharan : prétérit 3e pl. de prati‑HṚ‑ « jeter », « frapper », ici « rapporter », « relater ».
– yuktāḥ sthitāḥ : adjectifs verbaux de YUJ‑ « atteler » et STHĀ‑ « se tenir », litt. « demeurant attachés à ».
– priyahite : composé dvandva au locatif, nt., sg.; priya‑ nt. « ce qui est agréable », hita‑ nt. adjectif verbal substantivé de DHĀ‑ signifiant « ce qui est utile ».

yadaiva hi vanaṃ prāyāt kanyā sā tapase dhṛtā |
tadaiva vyathito dīno gatacetā ivābhavam ||14||

14. Tandis que la jeune femme était en route pour la forêt, déterminée à pratiquer une ascèse,
J’étais alors troublé, abattu, l’esprit comme égaré.

– Corrélation yadā […] tadā.
– prāyāt : prétérit 3e sg de pra‑YĀ‑ « se mettre en route ».

na hi māṃ kṣatriyaḥ kaścid vīryeṇa vijayed yudhi |
ṛte brahmavidas tāta tapasā saṃśitavratāt ||15||

15. En effet, aucun guerrier ne peut me vaincre au combat par sa vaillance,
Excepté, mon cher, celui qui connaît le brahman et dont la volonté est disciplinée par l’ascèse.

– vijayet : optatif 3e sg de vi‑JI‑ « vaincre ». L’optatif exprime ici la possibilité.
– ṛte : excepté + ablatif (ici brahma‑vidas et saṃśita‑vratāt).
– vrata‑ : nt. « volonté », « observance », « vœu ». Ici, l’ascèse lui permet de fixer sa volonté, sa détermination. On rencontre plus souvent l’idée qu’un ascète a une détermination à pratiquer l’ascèse comme dans la strophe précédente.

api caitan mayā rājan nārade 'pi niveditam |
vyāse caiva bhayāt kāryaṃ tau cobhau mām avocatām ||16||

16. Aussi, ô Roi, par peur, je fis connaître à Nārada
Et à Vyāsa cette affaire. Tous deux me dirent :

– La première proposition correspond à une tournure impersonnelle. Littéralement : « le fait de faire connaître a été accompli (niveditam) par moi (mayā) ».
– avocatām = *a‑va‑UC‑a‑tām : aoriste à redoublement, 3e duel de VAC‑ « parler ».
– kāryam peut se construire avec niveditam comme nous le proposons dans notre traduction ou bien avec avocatām ce qui donnerait la traduction alternative suivante : « Je fis connaître cela (etad) à Nārada et à Vyāsa. Tous deux me dirent ce que je devais faire ». Cette traduction alternative nous a été inspirée par celle de G. Schaufelberger et G. Vincent : « Comme j’avais peur, je racontai cela à Nārada et à Vyāsa, et tous deux me dirent comment il fallait me comporter27 ». J. A. B. van Buitenen traduit kāryam par « all this » qu’il construit avec niveditam : « In my terror I conveyed all this to Nārada too, king, and to Vyāsa, and both said to me, […]28 ». Puisqu’on constate qu’à la strophe suivante Nārada et Vyāsa ne donnent pas un ordre (ce qui doit être fait) mais prononcent une strophe de réconfort, notre traduction nous semble plus adéquate que celle de G. Schaufelberger et G. Vincent et plus précise que celle de J. A. B. van Buitenen.

na viṣādas tvayā kāryo bhīṣma kāśisutāṃ prati |
daivaṃ puruṣakāreṇa ko nivartitum utsahet ||17||

17. Ne sois pas désespéré Bhīṣma en ce qui concerne la fille de Kāśi.
Qui peut être capable de détourner le destin par l’action humaine ?

– Tournure impersonnelle dans la première proposition. Littéralement : « le désespoir (viṣāda) ne doit pas être pratiqué (na kāryaḥ) par toi (tvayā) ».
– prati : préposition, « vers », « contre », ici « à propos de » + accusatif.
– ut‑sahet : optatif 3e sg d’ut‑SAH‑ « pouvoir » + infinitif.

sā tu kanyā mahārāja praviśyāśramamaṇḍalam |
yamunātīram āśritya tapas tepe 'timānuṣam ||18||

18. Et la jeune fille, ô grand Roi, entra dans un cercle d’ermitages,
Prit refuge sur la rive de la Yamunā et pratiqua une ascèse surhumaine.

– Il y a deux procès incidents gouvernés par deux absolutifs (praviśya et āśritya). Le verbe du procès principal est tepe : parfait moyen 3e sg. de TAP‑ « s’échauffer », « souffrir », « se livrer à l’ascèse ». On remarque l’absence de redoublement et le changement de timbre (a devient e) au thème faible pour les racines telles que TAP‑ et PAC29.
– tapas tepe : tapas étant dérivé de la racine TAP‑, il y a ici un accusatif d’objet interne difficile à traduire fidèlement et élégamment en français. Par exemple, « elle souffrit une souffrance ascétique ». Le tapas désigne en fait la chaleur produite par la pratique ascétique.
– ati‑manuṣam : adj. à l’accusatif, nt., sg. qualifiant tapas. On remarque que le fait que l’ascèse d’Ambā soit qualifiée de surhumaine semble répondre à la strophe précédente où il était question de l’impossibilité de détourner le destin, appelé daiva (dérivé de deva‑) donc dépendant normalement des dieux, par l’action humaine (puruṣakāra‑). Le texte suggère donc qu’Ambā pourrait détourner le destin par son ascèse extraordinaire qui fait d’elle une « supra‑humaine » et la relie au divin (daiva‑), contre lequel aucune action humaine ne peut prévaloir.

nirāhārā kṛśā rūkṣā jaṭilā malapaṅkinī |
ṣaṇmāsān vāyubhakṣā ca sthāṇubhūtā tapodhanā
 ||19||

19. Jeûnant, émaciée, sèche, les cheveux emmêlés, couverte de boue et de poussière,
Et, durant six mois, se nourrissant de vent, elle était un trésor d’ascèse devenue <immobile comme> un tronc.

– ṣaṇ‑māsān : accusatif de durée.
– vāyu‑bhakṣā : composé bahuvrīhi accordée au féminin ; vāyu‑ : m. « vent », bhakṣa‑ : nt. nom d’action « fait de manger/boire », « nourriture ».
– sthāṇu‑ : « tronc », « pilier ». C’est aussi un des noms de Śiva qui est censé rester aussi immobile que le tronc d'un arbre pendant ses austérités.

yamunātīram āsādya saṃvatsaram athāparam |
udavāsaṃ nirāhārā pārayām āsa bhāminī ||20||

20. Après avoir atteint la rive de la Yamunā, ensuite,
Cette belle femme, jeûnant, passa une autre année à séjourner dans l’eau.

– uda‑vāsam : plusieurs interprétations possibles. uda‑vāsam peut être un composé bahuvrīhi qualifiant saṃvatsaram, « une année avec un séjour dans l’eau », un composé adverbial complétant pārayām āsa « elle passa une autre année en séjournant dans l’eau », ou un composé saptamī‑tatpuruṣa (premier membre équivalant à un locatif) complément de pārayām āsa. Dans ce dernier cas, saṃvatsaram ne serait plus complément de pārayām āsa, comme dans les deux premières analyses, mais un complément circonstanciel de temps (« elle passa un séjour dans l’eau durant une autre année »). Cette dernière interprétation est cependant la moins pertinente dans le contexte de ce texte car dans la strophe suivante saṃvatsaram est sans équivoque complément du même verbe. Notre traduction reflète la première analyse.
– pārayām āsa : parfait périphrastique, 3e sg., de pārayati « faire traverser », « résister », « aller au bout de », causatif de PṚ‑ « amener », « sauver », « surpasser ».

śīrṇaparṇena caikena pārayām āsa cāparam |
saṃvatsaraṃ tīvrakopā pādāṅguṣṭhāgradhiṣṭhitā ||21||

21. Avec <pour toute nourriture> une seule feuille fanée, elle survécut une autre année,
Intensément en colère, se tenant sur la pointe des pouces du pied30.

– agradhiṣṭhita‑ : = agrādhiṣṭhita‑ = *agraadhiṣṭhita, agra nt. « pointe », adhiṣṭhita adjectif verbal d’adhi‑ṢṬHĀ‑ « se tenir sur ». Le deuxième a dans le composé agradhiṣṭhita‑ est bref et fautif, sans doute pour des raisons métriques, le mètre anuṣṭubh (quatre fois huit syllabes) nécessitant une syllabe brève à la 5e syllabe du quatrième pāda. Les manuscrits utilisés pour l’édition BORI présentent plusieurs variantes, la leçon °agradhiṣṭhita‑ ayant vraisemblablement posé problème aux copistes : °agraviṣṭhitā, °agraniṣṭhitā, °agrasaṃsthitā, pādāṃguṣṭhena viṣṭhitā.
pādāṅguṣṭhāgradhiṣṭhitā = *pāda-aṅguṣṭha-agra-adhiṣṭhitā : composé tatpuruṣa, équivalant au syntagme pādayoḥ aṅguṣṭhayoḥ agrayoḥ adhiṣṭhitā.

evaṃ dvādaśa varṣāṇi tāpayām āsa rodasī |
nivartyamānāpi tu sā jñātibhir naiva śakyate ||22||

22. Ainsi, durant douze années, elle échauffa le ciel et la terre par son ascèse
Dont elle ne pouvait être détournée même par son entourage.

– rodasī : accusatif, f., duel de rodasī‑ « ciel ». Au duel, le terme désigne « le ciel et la terre ».
– tāpayām āsa : parfait périphrastique de tāpayati « échauffer », « tourmenter », causatif de TAP‑. Pour rendre la pleine signification de ce verbe déjà rencontré à la strophe 18, nous avons eu recours à une périphrase « échauffer par l’ascèse ».
– nivartyamānā : participe présent passif de ni‑VṚT‑ « détourner », au nominatif, f., sg. accordé à « elle ». L’agent est jñātibhiḥ. nivartyamānā n’a pas de complément dans le texte sanskrit, notre traduction « être détourné de l’ascèse » n’est donc pas littérale mais cherche à être compréhensible.
– nivartyamānā na śakyate : la construction la plus courante est ŚAK‑ + infinitif comme on l’a vu aux strophes 2 et 8, mais ŚAK‑ peut aussi se construire avec un participe présent passif équivalant à śakyate + infinitif en –tum (cf. MW, entrée ŚAK‑).

tato 'gamad vatsabhūmiṃ siddhacāraṇasevitām |
āśramaṃ puṇyaśīlānāṃ tāpasānāṃ mahātmanām ||23||
tatra puṇyeṣu deśeṣu sāplutāṅgī divāniśam |
vyacarat kāśikanyā sā yathākāmavicāriṇī ||24||
nandāśrame mahārāja tatolūkāśrame śubhe |
cyavanasyāśrame caiva brahmaṇaḥ sthāna eva ca ||25||
prayāge devayajane devāraṇyeṣu caiva ha |
bhogavatyāṃ tathā rājan kauśikasyāśrame tathā ||26||
māṇḍavyasyāśrame rājan dilīpasyāśrame tathā |
rāmahrade ca kauravya pailagārgyasya cāśrame ||27||

23. Alors, elle partit pour le pays des Vatsa, fréquenté par des êtres accomplis et des pèlerins,
À l’ermitage des ascètes magnanimes aux vertueuses conduites.
24. Là, s’immergeant dans les lieux saints nuit et jour.
Se déplaçant à sa guise, la fille de Kāśi alla <d’ermitage en ermitage> :
25. À l’ermitage de Nanda, ô grand Roi, mon cher, à l’ermitage prospère d’Ulūka,
À l’ermitage de Cyavana et à Brahmasthāna,
26. À Prayāga, la place sacrificielle divine, et dans les forêts divines,
Et aussi à Bhogavatī, à l’ermitage de Kauśika, ô Roi,
27. À l’ermitage de Māṇḍavya, ô Roi, et aussi à l’ermitage de Dilīpa,
Et à l’étang de Rāma, ô descendant de Kuru, et à l’ermitage de Pailagārgya.

– agamat : aoriste thématique 3e sg. de GAM‑ « aller ».
– siddha‑ : m., substantivisation de l’adjectif verbal dérivé de SIDH‑ « réussir ». Littéralement « accomplis », les Siddha sont des ascètes parvenus au terme de leurs austérités et ayant ainsi acquis une grande puissance magique et une vision supranormale de la réalité. Probablement un prolongement dans l’au‑delà des Siddha terriens, le terme désigne également des personnages célestes.
– cāraṇa‑ : m. « pèlerin », « vagabond ». Le terme peut désigner des êtres (terrestres ou célestes) qui ont accompli leurs études védiques. Associés aux Siddha célestes, les Cāraṇa célestes peuvent être des musiciens et des chanteurs ; ces deux catégories faisant partie d’une liste d’être semi‑divins à laquelle peuvent également être associés les Gandharva. Le composé dvandva siddha‑cāraṇa‑ peut ici désigner des êtres célestes ou terrestres. Nous avons choisi de traduire comme s’il s’agissait d’êtres terrestres mais l’autre possibilité (êtres célestes) est également envisageable. La plupart des traducteurs ne traduisent pas ces termes, ce qui peut être un moyen de ne pas choisir l’une ou l’autre des possibilités.
– āplutāṅgī : composé bahuvrīhi *ā‑pluta‑āṅgī‑, ā‑plutā‑ adjectif verbal d’ā‑PLU‑ « baigner », āṅga‑ « membre ».
– vyacarat : prétérit 3e sg. de vi‑CAR‑ « errer », « aller dans différentes directions ». Le préverbe vi‑ indique qu’il y a un déplacement dans différentes directions, d’où notre traduction par une périphrase « aller d’ermitage en ermitage ».
– brahmaṇaḥ sthāne : = brahmasthāne, brahmasthāna est le nom d’un gué sacré (cf. MW).
– tathā : tathā est ici employé en tant que conjonction de coordination « et aussi ».

eteṣu tīrtheṣu tadā kāśikanyā viśāṃ pate |
āplāvayata gātrāṇi tīvram āsthāya vai tapaḥ ||28||

28. Alors, dans ces gués sacrés, la fille de Kāśi, ô Maître des peuples,
A baigné ses membres, pratiquant une ascèse extrême.

– tīrtha‑ : m. « gué », « descente d’une rivière », « lieu saint ».
– viśām : génitif, pl. de viś‑ f. « peuple », complément du nom de pati « maître » ici au vocatif (pate).
– āplāvayata : 3e sg. prétérit moyen du causatif d’ā‑PLU‑.
– āsthāya : absolutif d’ā‑STHĀ‑ « entrer dans l’état de », « pratiquer », « se vouer à » + accusatif.

tām abravīt kauraveya mama mātā jalotthitā |
kimarthaṃ kliśyase bhadre tathyam etad bravīhi me ||29||

29. Ma mère31, s’élevant de l’eau, ô descendant de Kuru, lui dit :
« Pour quelle raison te tourmentes‑tu, ma chère ? Dis‑moi la vérité ! »

– jalotthitā : composé pañcamī‑tatpuruṣa (premier membre équivalant à un ablatif) équivalant à « jalād utthitā », utthita‑ adjectif verbal de ut‑THĀ‑ (*ut‑STHĀ‑) « s’élever ». On remarque la chute de la sifflante dentale entre deux occlusives (cf. Renou, 1996, § 6 et 55).
– kliśyase : 2e sg. présent moyen de KLIŚ‑ (classe 9 et 4) kliśyate « se tourmenter ».
– tathya‑ : nt. « vérité », « réalité ».
– abravīt, bravīhi : de BRŪ‑ « dire ».

sainām athābravīd rājan kṛtāñjalir aninditā |
bhīṣmo rāmeṇa samare na jitaś cārulocane ||30||

30. Alors, ô Roi, <Ambā>, irréprochable, se tenant les mains jointes, lui répondit :
« Rāma n’a pas vaincu Bhīṣma au combat, ô femme aux beaux yeux.

– a‑nindita : adjectif verbal de NIND‑ « blâmer » précédé d’un a‑ privatif.

ko 'nyas tam utsahej jetum udyateṣuṃ mahīpatim |
sāhaṃ bhīṣmavināśāya tapas tapsye sudāruṇam ||31||

31. Qui d’autre pourrait vaincre ce roi de la terre aux flèches <toujours> prêtes ?
Moi que voici, je souffrirai l’ascèse la plus terrible pour la perte de Bhīṣma.

– utsahet : optatif 3e sg. d’ut‑SAH‑ « endurer », « être capable » + infinitif.
– udyateṣum : composé bahuvrīhi accordé à mahīpatim, équivalant à la relative yasya udyatān iṣūn « dont les flèches sont prêtes ».
– sāham = *sā aham : pronom anaphorique démonstratif (tad) au nominatif féminin sg., suivi du pronom personnel 1re pers. mat‑.
– tapsye : futur 1re sg. moyen de TAP‑.
– su‑dāruṇam : dāruṇa adjectif « terrible », le préfixe su‑ a généralement une nuance laudative « bon, beau, correct » mais ici il a une valeur intensive.

carāmi pṛthivīṃ devi yathā hanyām ahaṃ nṛpam |
etad vrataphalaṃ dehe parasmin syād yathā hi me ||32||

32. Je parcours la Terre, ô Divine, afin de pouvoir tuer ce roi,
Et afin de cueillir le fruit de mes observances dans un autre corps ».

– yathā : afin que + optatif.
– hanyām : optatif 1re sg de HAN‑.
– syāt : optatif 3e sg. AS‑ « être ».

tato 'bravīt sāgaragā jihmaṃ carasi bhāmini |
naiṣa kāmo 'navadyāṅgi śakyaḥ prāptuṃ tvayābale ||33||

33. Ainsi, <Gaṅgā>, celle qui rejoint l’océan, dit : « Tu prends le mauvais chemin belle femme !
Ce désir, toi qui as un corps immaculé, tu ne peux pas l’atteindre, femme faible.

– jihma‑ : adj. « oblique », avec un verbe de mouvement il est adverbialisé. jihmam CAR‑ « prendre le mauvais chemin ».
– an‑a‑vadya‑ : adjectif verbal d’obligation‑possibilité vadya‑ « louable » précédé de deux préfixes privatifs. a‑vadya‑ : « non‑louable », « blâmable ». an‑a‑vadya‑ : « non‑blâmable », soit an‑a‑vadya‑ = vadya‑.
– śakyaḥ prāptuṃ tvayā : voir explication à la strophe 8.
– a‑balā‑ : adjectif f. « sans force », « faible ».

yadi bhīṣmavināśāya kāśye carasi vai vratam |
vratasthā ca śarīraṃ tvaṃ yadi nāma vimokṣyasi |
nadī bhaviṣyasi śubhe kuṭilā vārṣikodakā ||34||
dustīrthā cānabhijñeyā vārṣikī nāṣṭamāsikī |
bhīmagrāhavatī ghorā sarvabhūtabhayaṃkarī ||35||

34. Si tu observes ce vœu, fille de Kāśi, pour la perte de Bhīṣma.
Et si, persistant dans ce vœu, tu quittes ce corps,
Tu deviendras une rivière, ô beauté, sinueuse et n’ayant de l’eau que pendant la saison des pluies,
35. Aux mauvais gués, méconnaissable, sans eau de pluie huit mois dans l’année,
Pleine d’horribles crocodiles, terrifiante, effrayant tous les êtres ».

– Construction : Les strophes 34 et 35 forment un yugmaka « une paire de strophes ». Les quatre premiers pāda (abcd) de la strophe 34 contiennent deux propositions hypothétiques coordonnées (yadi […] vratasthā ca […] yadi […]), et 34ef et 35 contiennent la proposition principale (nadī bhaviṣyasi […]), sans corrélatif (tadā).
– vimokṣyasi, bhaviṣyasi : futur 2e sg.
– vārṣikodaka‑ : composé bahuvrīhi « qui a de l’eau (udaka) durant les pluies (vārṣika) ».
– an‑abhi‑jñeya‑ : adjectif verbal d’obligation‑possibilité, « non‑reconnaissable ».
– vārṣikī‑ : adjectif f. « remplie de pluie ».
– aṣṭa‑māsikī‑ : adjectif f. « qui existe huit mois ».
– bhīma‑grāha‑vat‑ : le suffixe ‑vat‑ a une valeur possessive.
– sarva‑bhūta-bhayaṃ-karī : on remarquera la flexion de bhaya‑ « peur » au sein de ce composé.

evam uktvā tato rājan kāśikanyāṃ nyavartata |
mātā mama mahābhāgā smayamāneva bhāminī ||36||

36. Alors, après avoir ainsi parlé, ô Roi, à la fille de Kāśi,
Ma mère, cette belle femme, se retira, bienheureuse, esquissant un sourire.

– nyavartata : prétérit 3e sg. moyen de ni‑VṚT‑ « se retirer ».
– smayamānā : participe présent moyen au nominatif f. sg. de SMI‑ « sourire ».
– iva : particule comparative, ici « un peu » (sur ce sens d’atténuation, cf. Renou, 1996, p. 520).

kadā cid aṣṭame māsi kadā cid daśame tathā |
na prāśnītodakam api punaḥ sā varavarṇinī ||37||

37. Parfois au huitième mois et parfois au dixième,
Cette belle femme, de nouveau, n’ingérait rien, pas même de l’eau.

– mās‑ : m. « lune », « mois ».
– aṣṭame māsi, daśame <māsi> : aṣṭama‑ et daśama‑ sont des ordinaux. Donc au locatif, ce syntagme signifie littéralement « dans le huitième mois » et « dans le dixième <mois> ». Tous les traducteurs dont nous avons consulté les traductions ou résumés comprennent qu’Ambā jeûne pendant huit et dix mois mais grammaticalement cette traduction n’est pas justifiée ; tous, sauf H. Fauche qui traduit correctement les ordinaux au locatif : « Tantôt dans le huitième, et tantôt dans le treizième mois, elle étanche sa soif. Jamais ensuite elle ne boira d’eau, cette vierge de la plus élevée des castes ! »32. Comme H. Fauche, on peut comprendre que si elle s'abstient de boire « de nouveau » le huitième et le dixième (et non pas le treizième), c'est qu'elle a fait de même au cours des mois précédents mais qu’elle a marqué une pause dans son jeûne sec.
– vara‑varṇinī : f., peut signifier de « femme de classe supérieure » (varṇa : « classe sociale ») — rappelons qu’Ambā appartient à la classe des kṣatriya en tant que fille de roi — ou « femme de belle couleur » (varṇa : couleur »).
– prāśnīta : prétérit 3e sg. moyen de pra‑AŚ‑ « manger ».

sā vatsabhūmiṃ kauravya tīrthalobhāt tatas tataḥ |
patitā paridhāvantī punaḥ kāśipateḥ sutā ||38||

38. Courant ça et là, avide de gués sacrés, ô descendant de Kuru,
La fille du maître de Kāśi se retrouva à nouveau à Vatsabhūmi.

– patita‑ : adjectif verbal de PAT‑ (classe 1) « voler », « tomber », « atteindre ».
– paridhāvantī : participe présent au nominatif f. sg. de pari‑DHĀV‑ « courir autour ».

sā nadī vatsabhūmyāṃ tu prathitāmbeti bhārata |
vārṣikī grāhabahulā dustīrthā kuṭilā tathā ||39||

39. Or la rivière à Vatsabhūmi est connue sous le nom d’Ambā, ô descendant de Bharata,
N’ayant de l’eau que durant la saison des pluies, pleine de crocodiles, aux mauvais gués et sinueuse.

– prathita‑ : « connu », adjectif verbal de PRATH‑ « s’étendre ».

sā kanyā tapasā tena bhāgārdhena vyajāyata |
nadī ca rājan vatseṣu kanyā caivābhavat tadā ||40||

40. Grâce à son ascèse, cette jeune femme renaquit rivière avec la moitié de son corps,
Et aussi, ô Roi, resta jeune fille chez les Vatsa.

– bhāga‑ardhena : composé karmadhāraya, littéralement « avec une part pour moitié ».
– vyajāyata : prétérit 3e sg. moyen de vi‑JAN‑ « naître », « se transformer ».
– vatseṣu : locatif, m., pl. de Vatsa, habitants de Vatsabhūmi, « le pays des Vatsa », région mythique située tantôt à l’est tantôt à l’ouest du pays des Kuru (Biardeau, 2002, t. 1, p. 1080).

Bibliography

Source primaire

Sukthankar, V. S., Belvalkar, S. K. et coll. (1933‑1972). The Mahābhārata, for the First Time Critically Edited (22 vol.). Bhandarkar Oriental Research Institute.

Volume dans lequel se trouve l’extrait : (1940). (Fascicule 10, Udyogaparvan 2), p. 627‑631. Consultable en ligne sur : <https://archive.org/details/EmMQ_the-mahabharata-udyoga-parv-part-2-critically-edited-by-vishnu-s-sukthankar-1340/page/630/mode/2up>.
On le trouvera également reproduit sur le site du Gretil : <https://gretil.sub.uni-goettingen.de/gretil/1_sanskr/2_epic/mbh/sas/mahabharata.htm>.

Traductions, résumés, études, créations littéraires

Biardeau, Madeleine. (2002). Le Mahābhārata. Un récit fondateur du brahmanisme et son interprétation (2 tomes). Éditions du Seuil. [Résumé et commentaire sur l’épisode d’Ambā : t. 1, p. 1071‑1103.]

Cahaya, Ratna. (2017). The Visualization of Arjuna and Srikandi in Javanese Wayang Kulit. Conference Paper: 6th International Seminar on Nusantara Heritage, Denpasar, Indonésie.

Dumézil, George. (1979). Mariages indo‑européens. Payot.

Fauche, Hippolyte (trad.). (1866). Le Maha‑Bharata. Poème épique de Krishna-Dwaipayana (vol. 6). A. Durand et Pedone-Lauriel, F. Klincksieck. [Extrait : p. 497‑501.] <www.google.fr/books/edition/Le_maha_bharata_poème_épique_de_Krishn/1n5nz5xnkvYC?hl=fr&gbpv=1>.

Ganguli, Kisari Mohan & Roy, Pratap Chandra (1884‑1894). The Mahābhārata (12 vol.). Munshiram Manoharlal Publishers.
<
https://archive.org/details/the-mahabharata-of-krishna-dwaipayana-vyasa-complete-18-volumes-kisari-mohan-ganguli_202008/page/n7/mode/2up>, <www.mahabharataonline.com/translation/>.

Nair, Karthika. (2019). Until the Lions: Echoes from the Mahabharata. Archipelago Books.

Olivelle, Patrick. (2005). Manu’s Code of Law: A Critical Edition and Translation of the Mānava‑Dharmaśāstra. Oxford University Press.

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Péterfalvi, Jean‑Michel (trad.) & Biardeau, Madeleine (introduction et commentaire). (1985). Le Mahabhārata. Livres I à V. GF Flammarion. [Épisode d’Ambā résumé et commenté : p. 357‑378.]

Renou, Louis & Filliozat, Jean. (1985). L’Inde classique (tome 1). Jean Maisonneuve. [1re éd. 1947.]

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Smith, Ronald M. (1955). The Story of Ambā in the Mahā-Bhārata. Brahmavidyān, the Adyar Library Bulletin, 19(1‑2), 85‑171. [Cet article est cité par George Dumézil dans Mythe et Épopée (1995, p. 206), mais je n’ai pas été en mesure d’y avoir accès.]

Špicova, Zuzana. (2021). “For Bhīṣma’s Destruction!” Ambā, Śikhaṇḍinī and Śikhaṇḍin in the Mahābhārata (Thèse), Charles University, Prague. [Il s’agit d’une étude littéraire.]

Testart, Alain. (2014). L’Amazone et la cuisinière : anthropologie de la division sexuelle du travail. Éditions Gallimard.

Van Buitenen, Johannes Adrianus Bernardus. (1973‑1978). The Mahābhārata (3 vol.). University of Chicago Press. [L’extrait se trouve dans le volume 3, 1978, p. 518‑520. On y trouvera également une brève présentation de l’épisode d’Ambā : p. 173‑178.]

Outils linguistiques

Brocquet, Sylvain. (2023). Grammaire sanskrite et pratique du sanskrit classique. Safran.

Filliozat, Pierre‑Sylvain. (1988). Grammaire sanskrite pâninéenne. Picard.

Gonda, Jan. (1997). Manuel de grammaire élémentaire de la langue sanskrite. Jean Maisonneuve. [1re éd. 1966.]

Renou, Louis. (1996). Grammaire sanskrite (3e éd.), Jean Maisonneuve successeur.

Whitney, William Dwight. (1924). Sanskrit Grammar. Motilal Banarsidass. [1re éd. Leipzig, réimpress. 2002.]

Notes

1 Renou & Filliozat (1985, § 803). J. A. B. van Buitenen (1973, p. xxv) propose une fourchette entre le ve siècle avant notre ère et ve siècle après. Madeleine Biardeau (2002, t. 1, p. 21) se démarque de la doxa en situant l’écriture entre 300 et 100 avant notre ère. Return to text

2 Sukthankar et coll. (1940, p. 627‑631). Return to text

3 Le Mahābhārata est divisé en dix‑huit parvan (« livre » ou « section »), eux‑mêmes subdivisés en adhyāya (« chapitre »). Return to text

4 Un upākhyāna est une histoire insérée dans le récit-cadre. Return to text

5 Sur ces trois noms, Ambā signifiant « mère » suivi de deux diminutifs, récités lors du rite du sacrifice du cheval (aśvamedha) et possiblement connectés au nom de Śiva « Tryambaka » signifiant « aux trois mères » réinterprété « aux trois yeux », voir Biardeau (2002, t. 1, p. 1071) et Van Buitenen (1978, vol. 3, p. 173‑174). Return to text

6 Mode de mariage épique par « choix personnel » d’un époux dans lequel le jeune guerrier doit conquérir son épouse à la suite d’un tournoi. Return to text

7 Cet épisode rappelle l’histoire de l’autre célèbre épopée indienne, le Rāmāyaṇa, dans laquelle Rāma répudie Sītā après que celle‑ci a été enlevée par le démon Rāvaṇa. Return to text

8 Dumézil (1979, p. 66‑71 et 83‑86). Return to text

9 Sur les huit modes de mariages, voir Manusmṛti, 3.20‑42. Return to text

10 Biardeau (2002, t. 1, p. 1097). Return to text

11 La fin du chapitre 187 et le début du chapitre 188 ne sont pas très clairs d’un point de vue narratif. Étant donné qu’au début du chapitre suivant, Ambā pratique toujours une ascèse et s’appelle toujours Ambā, on pourrait comprendre que la renaissance d’Ambā n’a pas encore eu lieu et que les deux dernières strophes du chapitre 187 (39‑40) ne suivent pas une narration chronologique mais correspondent à une prolepse narrative dans le discours de Bhīṣma. Il est possible aussi qu’il s’agisse d’une ellipse narrative d’une première réincarnation sans détails sur la façon dont elle aurait quitté son corps. Cela nous semble cependant manquer de logique car le chapitre 188 commence abruptement par une scène avec des ascètes observant Ambā en pleine ascèse. Madeleine Biardeau est partisane de l’ellipse narrative et n’envisage pas la prolepse (Biardeau, 2002, t. 1, p. 1097). Return to text

12 La version méridionale de l’épopée est ici très différente : c’est Skanda qui apparaît à la suite de son ascèse et qui lui offre une guirlande dont le porteur aura la capacité de vaincre Bhīṣma. Ne trouvant personne, elle finit par la déposer devant la demeure de Drupada chez qui elle renaîtra. En tant que Śikhaṇḍinī, elle retrouvera et portera donc elle‑même la guirlande. À propos de la version méridionale, voir Scheuer (1975, p. 67‑86). Return to text

13 Il était déjà question de la colère d’Ambā à la strophe 5.172.19 comme indiqué supra. Cette colère caractéristique d’Ambā est particulière car elle diffère de celle que la littérature lyrique attribue aux femmes, soit une colère provoquée par une infidélité, toujours dirigée contre l’amant et source d’une dispute amoureuse. Cette colère typiquement féminine correspond du reste à celle de l’héroïne au caractère stéréotypé (nāyikā) bien connue de la poésie sanskrite, la khaṇḍitā nāyikā (l’héroïne en colère). Différente, la colère d’Ambā est celle du guerrier marchant au combat : Ambā va renaître autre que ce qu’elle est, mais il y a déjà en elle la graine de ce qu’elle sera, c’est-à-dire un guerrier farouche. Return to text

14 Cette parole est prononcée sous la forme d’un composé. Ce procédé linguistique semble permettre de concentrer le pouvoir de réalisation d’une formule énoncée de la manière la plus concise possible. Return to text

15 L’ascèse intense d’Ambā rappelle cependant, de façon évidente, celle d’une autre femme illustre : l’ascèse de la déesse Pārvatī qui désire s’unir à Śiva, décrite en particulier dans La naissance de Kumāra (Kumārasaṃbhava) de Kālidāsa, œuvre du iveve siècle. Return to text

16 Bhīṣma s’adresse toujours à Duryodhana. Return to text

17 Ce détail est essentiel et illustre l’incompatibilité ontologique quasi universelle entre féminité et martialité impliquant un jaillissement de sang, étudiée en particulier par Alain Testart (2014). Return to text

18 Cahaya (2017). Return to text

19 Schaufelberger & Vincent (2015, p. 405). Return to text

20 Cf. article de Sylvain Brocquet dans le présent numéro d’Agastya. Return to text

21 Cf. Whitney (1924, § 801a). Return to text

22 Ambā a été enlevée par Bhīṣma pour être donnée à son demi‑frère Vicitravīrya. Bhīṣma l’a laissée partir quand elle lui a annoncé qu’elle était promise à un autre. Mais le roi Śālva la rejette. Elle devrait donc revenir chez ses parents ou chez Bhīṣma car elle ne peut vivre seule comme l’enseigne la Manusmṛti (5.148). À la strophe suivante, elle déclare vouloir retourner voir Bhīṣma, non pas pour l’épouser (il n’en est pas question, il a fait un vœu de célibat) ni son demi‑frère, mais pour l’abattre au combat. Return to text

23 Sur ce point, voir Renou (1996, § 108). Return to text

24 Sur ce type de composé, voit Renou (1996, § 91b) et Filliozat (1988, § 128). Return to text

25 On trouve dans l’épopée des strophes à six pāda. Return to text

26 Satyavatī est la belle‑mère de Bhīṣma. Une belle‑mère peut être appelée simplement « mère ». Return to text

27 Schaufelberger & Vincent (2015, p. 368). Return to text

28 Van Buitenen (1978, vol. 3, p. 519). Return to text

29 Sur ce point, voir Brocquet (2023, p. 267), Gonda (1997, p. 73‑74), et de façon plus développée chez Renou (1996, p. 455). Return to text

30 Si le régime alimentaire d’Ambā est particulièrement étonnant et inhabituel, la pratique de se tenir sur la pointe des pieds, citée dans Manusmṛti (6.22), est préconisée pour les ermites forestiers. Return to text

31 La mère de Bhīṣma est Gaṅgā. Return to text

32 Fauche (1866, p. 500). Return to text

References

Electronic reference

Julie Rocton, « L’ascèse extraordinaire d’Ambā qui a déjoué son destin », Agastya [Online], 1 | 2025, Online since 02 juin 2025, connection on 27 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/agastya/index.php?id=177

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Julie Rocton

TDMAM, Aix-en-Provence, France
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