Introduction
La littérature purāṇique est une source particulièrement intéressante pour l’étude des figures féminines. En effet, les purāṇa sont des textes religieux mêlant récits mythologiques et prescriptions rituelles et, fait rare dans le paysage de la littérature religieuse sanskrite, ce sont des œuvres dont l’écoute et la récitation sont autorisées aux femmes1. Par conséquent, étudier les figures féminines mises en scène dans ces œuvres rédigées par des hommes brahmanes permet d’entrevoir quelles images, quels modèles et quels messages sont présentés à ce public particulier2. Le discours dominant des purāṇa est généralement en accord avec les valeurs dites du varṇāśramadharma3, largement véhiculées dans la littérature des traités juridiques, les Dharmaśāstra : les femmes chastes et totalement dévouées à leurs époux sont parmi les plus vertueuses4, tandis que les hommes, au stade de leur vie de maître de maison, ne peuvent en aucun cas délaisser ou abandonner leurs épouses5. Par ailleurs, les purāṇa exposent de nombreuses prescriptions religieuses destinées uniquement au public féminin, généralement des vrata (observance). Par exemple, le vœu Anaṅgadāna (chapitre 70 du Matsyapurāṇa), expliquant comment propitier le dieu de l’amour Kāma (nommé également Anaṅga) s’adresse spécifiquement aux femmes6. Le chapitre 112 du Skandapurāṇa (SP) présente, dans un dialogue entre la déesse Pārvatī et des déesses désignées comme les mères du monde, les différents types de jeûnes et d’ascèses qui peuvent être accomplis par les hommes, mais aussi par les femmes si elles ont obtenu l’autorisation de leur époux (chapitre 112.67‑72)7. Ces prescriptions s’accompagnent de nombreux passages décrivant l’attitude attendue des femmes, ce que l’on appelle communément le strīdharma (règle de conduite des femmes)8 :
Skandapurāṇa 112.67
strīnāṃ tu daivataṃ bhartā na tato’nyad vidhīyate |
sa gatiḥ paramaṃ dhāma sa dharmaḥ paramaḥ smṛta ||
Pour les femmes, l’époux est un dieu ; rien d’autre n’est prescrit que cela. Il est le refuge, la demeure suprême ; il est connu comme le dharma suprême.
Le comportement que doit suivre une veuve de brahmane est, par exemple, expliqué en détail au chapitre 83 du Kṛṣṇajanmakhaṇḍa du Brahmavaivartapurāṇa, tandis que le chapitre suivant de cette œuvre propose une catégorisation des femmes selon leurs comportements.
Certains récits mythologiques mettant en scène des figures féminines sont récurrents et se trouvent dans presque tous les purāṇa. Parmi eux, on pourra citer Sāvitrī, épouse dont l’amour et la dévotion à son époux Satyavān lui permettent de sauver ce dernier de la mort. Comme il est d’usage dans la littérature purāṇique, prescriptions et récits mythologiques sont associées et enseignées sous forme de dialogue, qui, dans le cas de prescriptions destinées aux femmes, se tient généralement entre la déesse et son époux, le dieu suprême. L’histoire de Sāvitrī est le support d’un rite spécifique le Sāvitrī vrata qui a fait l’objet de chapitres spécifiques dans les compilations médiévales9 et est encore célébré par des femmes, notamment en Orissa10. Cette histoire a également servi à introduire d’autres sujets, comme la description des enfers (voir Brahmavaivartapurāṇa, vers I.23‑26 du Prakṛtikhaṇḍa).
De Satī à Umā
Parmi les récits mettant en scène des épouses dévouées, on trouve également de manière récurrente le récit de Satī, fille de Dakṣa. À la suite de l’injure faite par son père à Śiva son époux, elle s’immole dans le feu du yoga. Selon Mertens (2019), la figure de la déesse Satī préexisterait à celle d’Umā‑Parvatī mais dès le ive siècle, ces deux identités de la grande déesse fusionnent dans un récit de naissance successive en l’une (Satī) puis l’autre (Umā, fille de Himavat)11. Ces deux naissances successives sont mentionnées dans le Kumārasaṃbhava de Kālidāsa (1.21). Mertens (2002) propose de reconstruire les différentes étapes du développement de ces récits mythologiques qui déclinent les différentes identités de la déesse. Selon elle, lors de la première phase de développement (c’est‑à‑dire dans le Brahmāṇḍapurāṇa, le Vāyupurāṇa et le Brahmapurāṇa), la mort de Satī est un motif indépendant qui, dans la deuxième phase, va être juxtaposé à celui du mythe de Dakṣa (dans le Vāyupurāṇa). Lors de la troisième phase, le récit de la mort de Satī sert de préface au mythe de Dakṣa (voir la Vāyavīyasaṃhitā du Śivapurāṇa). Elle ne deviendrait la cause de la destruction du sacrifice de Dakṣa que lors de la quatrième phase dans les sources suivantes : le Bhāgavatapurāṇa ; la Rudrasaṃhitā du Śivapurāṇa ; le Skandapurāṇa (tardif)12. La cinquième phase, qui pourrait être reconstruite à partir des récits du Matsyapurāṇa et du Padmapurāṇa, présente une forte orientation śākta13 et introduit le récit associé aux 108 lieux de pèlerinage et noms sacrés de la déesse. La dernière phase développe la précédente par l’ajout d’un récit mythologique et étiologique dans lequel Śiva, fou de chagrin, transporte le corps calciné de Satī de place en place créant le paysage sacré du culte śākta des śaktipīṭha14.
L’étude menée par Mertens porte essentiellement sur l’évolution du mythe de Satī en association avec le récit de la destruction du sacrifice de Dakṣa. En s’intéressant aux récits successifs de la déesse, il est possible d’observer l’évolution du culte qui lui est dédié, de comprendre sa place et son rôle dans le panthéon et de révéler les conceptions religieuses des œuvres contenant ces récits. À cet égard, le Skandapurāṇa (SP) est particulièrement intéressant car cette œuvre propose une version atypique des naissances successives de la déesse : l’originalité du récit du SP est double. D’abord, il propose trois naissances successives de la déesse : une première de la bouche de Śiva (dont l’extrait est traduit ci‑après, chapitre 9), une deuxième comme fille de Dakṣa, Satī (chapitre 10.6‑40) et enfin, une troisième en tant que fille de Menā et de Himavat (chapitre 11.19‑38). Cette dernière naissance se distingue dans le SP par l’association à un récit mythologique, par ailleurs connu mais peu courant, celui des trois filles de Himavat nommées Aparṇā, Ekaparṇā et Ekapāṭalā.
Généralement, les récits purāṇiques mentionnent l’immolation de Satī et son statut d’épouse de Śiva comme les antécédents narratifs de la conquête de Śiva par Umā‑Pārvatī : s’étant illustrée antérieurement par sa dévotion extrême à Śiva et son pouvoir ascétique qui lui a permis de s’immoler par le feu de son yoga, la déesse dans cette nouvelle existence réussira à conquérir le cœur de Śiva. Dans le chapitre 21 du Vāmana purāṇa, la demande du récit de la naissance d’Umā est introduite par l’évocation de la mort de Satī, de sorte que ces deux naissances sont perçues comme successives. Ainsi le sage Nārada demande‑t‑il à Pulastya :
nārada uvāca
brahmaṃs tvayā mamākhyāta mṛtā dakṣātmajā satī |
saṁjātā himavatputrīty eva me vaktum arhasi || 21.5
Nārada demanda :
Brahmane, tu m’as raconté que la fille de Dakṣa, Satī, était morte ; peux‑tu me dire comment elle est née en tant que fille de Himavat ?
Le vers 44 du chapitre 1 de la Rudrasaṃhitā du Śivapurāṇa mentionne également les deux naissances successives : la déesse Satī renaît en tant que fille de Himavat. Dans le chapitre 32 du Brahmapurāṇa, l’histoire de Satī est associée au récit de la naissance d’Umā et de son ascèse pour devenir épouse de Śiva. Certaines versions indiquent, comme le Skandapurāṇa, que Himavat et Menā engendrent non pas une, mais trois filles : les sœurs Aparṇā, Ekaparṇā et Ekapāṭalā (Vāyupurāṇa 72.4‑20, Brahmāṇḍapurāṇa 3.10.6‑22, Harivaṁśa 1.13.12‑23)15. Des mentions secondaires de ce récit existent, n’évoquant que les noms de ces trois sœurs ou un détail de l’histoire. Par exemple, le Matsyapurāṇa (13.8‑9) mentionne l’existence de trois sœurs en les nommant Umā, Aparṇā et Ekaparṇā, tandis que le Vāmanapurāṇa (50.1) indique que Menā est la mère de trois filles et un fils, sans les nommer. La particularité du récit des trois sœurs est la mise en scène d’une triple ascèse féminine qui culmine avec celle d’Aparṇā, qui sera celle qui obtiendra la grâce de Śiva. Chacune des sœurs se soumet à une ascèse particulière qui justifie son nom : Ekapāṭalā ne consomme qu’une seule fleur pendant 2000 ans et a pris refuge sous un arbre pāṭalā, Ekaparṇā ne consomme qu’une feuille pendant 2000 ans et pratique l’ascèse sous un banyan, tandis qu’Aparṇā, sans refuge, ne mange absolument rien. Face à cette ascèse extrême, Menā s’écrie « U mā » « Oh ! Non ! », ce qui donne un nouveau nom à Aparṇā. Bien que le Kumārasaṃbhava relaie cette pseudo‑étymologie16 d’Umā et utilise le nom d’Aparṇā pour désigner la déesse (5.8), le récit spécifique des trois sœurs n’y est pas relaté.
Originalité de la première naissance de la déesse et conséquences dogmatiques
Si le SP est original en ce qu’il propose le récit détaillé des ascèses des trois sœurs, il l’est encore plus en introduisant un récit supplémentaire : la naissance de la déesse de la bouche même de Śiva (chapitre 9) avant son existence en tant que Satī. À ma connaissance, aucun autre purāṇa ne relate cette naissance antérieure de la déesse. Le contexte dans lequel elle s’insère est, en outre, tout à fait particulier. En effet, la construction narrative des huit premiers chapitres du SP ne suit pas une chronologie linéaire, mais consiste en une succession de retours en arrière et de situations parallèles au temps de la narration du SP, qui se déroule dans le présent kalpa17. En replaçant les événements narrés sur un axe chronologique, on comprend que la déesse n’existe pas au moment de la création du monde, mais qu’elle n’apparaît que dans le présent kalpa. Elle résulte d’une faveur accordée par Śiva à Brahmā, aux dieux et aux six sages assemblés à Prayāga. La manière dont elle vient au monde reflète une vision cosmogonique non dualiste puisque, comme vous pourrez le lire dans l’extrait ci‑après, elle émane de l’énergie de Śiva sortant de sa bouche. Le SP entretient de fortes relations avec le courant pāśupata, dans lequel Śiva est la cause universelle. L’ajout de cette apparition préalable à sa naissance en tant que déesse est parfaitement cohérent avec une affiliation pāśupata du SP. La déesse n’est pas à voir comme une entité indépendante (ce qu’elle sera dans les courants dualistes ou śākta) mais comme une émanation de Śiva. Ainsi l’étude et l’analyse des mythes narrés dans les purāṇa peuvent indiquer les conceptions religieuses de leurs auteurs.
L’impression de déjà‑vu de la première naissance de la déesse (devī)
Le récit narrant la première apparition de la déesse avant son existence en tant que Satī peut se résumer ainsi : grâce à la réalisation d’une ascèse et à une dévotion intense à Śiva, les sages, les dieux et Brahmā sollicitent et obtiennent du dieu une faveur. Ils demandent, entre autres, qu’il soit toujours accompagné d’une déesse (devī) et d’un fils, ainsi que de gaṇa divins. Cette demande a une fonction programmatique et annonce en quelque sorte le contenu de l’œuvre elle‑même, qui narre le parcours de la déesse en quête de maternité et la naissance d’un fils de Śiva, le tout émaillé de récits de dévots qui deviennent par leurs austérités des gaṇa de Śiva. L’exaucement de la faveur débute par la création de la déesse sollicitée : pour ce faire, Śiva émet une partie de son tejas lumineux, qui sort de sa bouche et devient déesse (elle n’a pas de nom particulier et est simplement désignée par le terme devī). Il enjoint alors à cette dernière de pratiquer l’ascèse et de propitier Brahmā en quête d’une faveur. On pourrait se demander comment le récit de naissance de devī de la bouche de Śiva a pu être intégré et accepté alors qu’aucune autre source ne relate cet événement.
Bien que ce récit, fruit d’une conception śivaïte et pāśupata du monde, soit unique et propre au SP, il produit un effet de déjà‑vu pour un lecteur de l’édition critique. En effet, le récit de cette apparition entremêle des motifs qui ont été utilisés précédemment dans les chapitres 1 à 8. Le premier motif est l’émanation brillante du tejas de Śiva comme cause de la création d’un nouvel être : ce procédé de naissance est mentionné lors de la création de Nīlalohita (SP4.14‑15)18. Dans ce récit, l’apparition d’une goutte de sueur de Brahmā tombant dans le feu du sacrifice est décrite comme étant le tejas de Śiva, tandis que son contact avec le feu du sacrifice donne naissance à Nīlalohita. Dans les deux récits (Nīlalohita/devī), le tejas brillant crée un être qui possède les qualités de la divinité. Un deuxième motif pourrait être la naissance de la déesse Sarasvatī relatée au chapitre 5 (SP5.10‑17) : comme au chapitre 4, un être divin naît du feu du sacrifice, mais cette fois, il s’agit d’une déesse. Alors que l’apparition de Nīlalohita a lieu au temps des origines, celle de Sarasvatī se produit au présent kalpa, tout comme ce sera le cas de l’apparition de devī. Le troisième motif est la création d’une déesse à partir de la bouche de Nīlalohita, cette fois au temps des origines : la déesse Vāc, appelée sarvavidyādhidevī, « la maîtresse de tous les savoirs » et qui sera connue aussi sous le nom de Sarasvatī, naît de la bouche de Nīlalohita au chapitre 7 (SP7.5‑9)19. Outre la répétition des motifs des naissances de Nīlalohita, de Sarasvatī et de Vāc20, qui crée un effet de déjà‑vu, les auteurs introduisent le récit original d’apparition de devī comme un préambule logique aux deux autres naissances en tant que Satī, puis en tant qu’Aparṇā‑Umā : ils enchaînent les trois récits de manière successive et lient ces récits les uns aux autres par la répétition d’autres motifs, comme celui de la faveur demandée par la déesse à Brahmā. Seulement évoquée en SP9.20, cette faveur est mentionnée par deux fois au chapitre 10 (SP10.2‑3 et SP10.24). But de l’ascèse pratiquée par la déesse au chapitre 11, elle se trouvera répétée de manière un peu plus développée au chapitre SP162 quand la déesse obtiendra réellement le statut d’épouse de Śiva. Ces trois naissances successives de la déesse dans le SP peuvent être considérées comme une spirale narrative : le premier anneau de cette spirale est le bref récit de la naissance de la déesse à partir de la bouche de Śiva, qui pose les jalons de son statut (c’est une émanation de Śiva) et de son but (réintégrer l’union avec la divinité). Le second anneau est le récit usuel de la destruction du sacrifice de Dakṣa qui se clôt par l’auto‑immolation de Satī grâce à ses pouvoirs yogiques et son vœu de renaissance. Le troisième anneau, la naissance en tant qu’Umā‑Pārvatī, participe à la réalisation d’une partie de la faveur obtenue par les sages, les dieux et Brahmā et se déploiera dans l’intégralité du SP. La déesse accèdera à une union finale avec Śiva grâce à l’adoption de l’arbre aśoka.
Répétition de motifs, un indice de style authentique ?
Si l’effet de déjà‑vu est réel pour un lecteur de l’édition critique, cette affirmation peut‑elle être généralisée à l’ensemble des auditeurs/lecteurs du SP ? En effet, si l’on observe attentivement l’apparat critique de l’édition, on s’aperçoit que la transmission des premiers chapitres est assez complexe. La présentation de l’état de transmission du texte qui suit, a pour but d’introduire le lecteur aux problèmes rencontrés lors de l’établissement d’une édition critique et à l’une des spécificités du genre purāṇique, la réécriture du texte au fil de sa transmission, ce que Bakker21 appelle « composition-in-transmission ». Les manuscrits utilisés pour établir l’édition critique du premier volume du SP sont au nombre de huit : trois manuscrits anciens nommés S1, S2 et S3‑S4, et cinq plus récents désignés par A1, A2, A3, A4 et R22. Cette situation est particulièrement intéressante et rare23, puisque l’écart temporel entre ces manuscrits permet d’identifier les passages anciens et ceux qui ont été ajoutés au cours de la transmission ; de même, est‑il possible d’observer comment un mot, une épithète ou un pāda ont été modifiés au fil de la transmission. Lorsqu’un passage n’est présent que dans les manuscrits récents, il convient de s’interroger sur son authenticité : ce passage s’est‑il perdu ou a‑t‑il été ajouté au fil de la transmission ? La ligne éditoriale suivie dans tous les volumes du SP est de choisir, autant que possible, les leçons présentes dans les manuscrits S qui sont les plus anciens (Adriaensen et coll., 1998, p. 41‑45). Dans le volume 1, les passages considérés comme des additions faites au cours de la transmission et qui n’étaient pas présents dans les manuscrits S ont été édités en appendice. Pour donner une vue synthétique de la transmission des neuf premiers chapitres, j’ai consigné les informations de l’apparat critique dans le tableau ci‑dessous :
Tableau 1. – Panorama de la transmission des 9 premiers chapitres du SP dans les manuscrits S1, S2, S3-4, R, A1, A2, A3, A4.
MS |
S1 |
S2 |
S3/4 |
R |
A1 |
A2 |
A3 |
A4 |
1.1‑27 |
partiel (1.1‑24) |
partiel (1.21‑27) |
absent |
absent |
complet |
complet |
complet |
partiel (1.15‑27) |
2.1‑29 |
absent |
complet |
absent |
absent |
complet |
complet |
complet |
partiel (2.1‑24) |
3.1‑30 |
complet |
complet |
partiel (3.16‑30) |
partiel (3.16‑30) |
complet |
complet |
complet |
absent |
4.1‑41 |
partiel (4.1‑5) |
complet |
partiel (4.1‑4 et colophon) |
complet |
complet |
complet |
complet |
absent |
5.1‑69 |
absent |
partiel (5.1‑50) |
complet |
complet |
complet |
complet |
complet |
absent |
6.1‑14 |
absent |
absent |
absent |
complet |
complet |
complet |
complet |
absent |
7.1‑38 |
partiel (7.38-39) |
absent |
absent |
complet |
complet |
complet |
complet |
absent |
8.1‑37 |
complet mais retracé |
absent |
absent |
complet |
complet |
complet |
complet |
absent |
9.1‑33 |
complet |
absent |
partiel (9.20‑33) |
complet |
complet |
complet |
complet |
absent |
Ce tableau indique très clairement que le chapitre 6 ne se trouve dans aucun des manuscrits anciens nommés S et qu’il en est presque de même pour le chapitre 7, dont seuls les deux derniers vers 38 et 39 peuvent être lus dans un manuscrit S. Pourtant, bien que non attestés dans les manuscrits anciens, ces deux chapitres n’ont pas été édités en appendice. Les éditeurs ont pris soin de souligner cet état particulier du texte en réduisant la police de ces deux chapitres24, mais malheureusement, ils n’ont pas indiqué explicitement les raisons de ce choix. Certaines peuvent être déduites d’informations données çà et là dans les notes du synopsis. Pour le chapitre 7, les éditeurs indiquent que les vers 7.1‑11 (c’est‑à‑dire la naissance de Vāc) répondent à une question posée par les sages au vers 20 du chapitre 5 qui est, à ce moment‑là du récit, laissée sans réponse25. En revanche, ils concèdent que les vers 26 à 35 du chapitre 7 pourraient être une interpolation des manuscrits R et A26. Pour le chapitre 6, je n’ai trouvé aucun argument explicite dans les notes27 laissant les deux questions suivantes sans réponse : ce chapitre a‑t‑il été inséré au cours de la transmission ? Ou était‑il originellement présent dans les manuscrits S ? Le chapitre 5 qui le précède narre, entre autres, la décapitation de la cinquième tête de Brahmā et se clôt en affirmant que Nīlalohita portera le crâne de cette tête décapitée. Le chapitre 6 raconte en 14 vers comment Nīlalohita reçoit le sang de Viṣṇu dans le bol à aumône qu’est le crâne de Brahmā, puis comment du reflet de Viṣṇu qu’il aperçoit dans le liquide contenu dans le bol, il créé un homme (nara) semblable à Viṣṇu. Le chapitre 7 débute en racontant que Nīlalohita, arrivé dans le Brahmāloka, demande l’aumône et que satisfait de l’offrande offerte par Brahmā, il lui accorde un vœu. C’est lorsqu’il accepte la faveur sollicitée par Brahmā en prononçant la syllabe oṁ que de sa bouche apparaît Vāc.
Bien qu’il serait possible de considérer l’enchaînement narratif des chapitres 5, 6 et 7 comme un indice d’originalité du chapitre 6 en raison d’une cohérence logique, cette dernière pourrait également être le fruit des réécritures postérieures. Un autre argument en faveur d’une ancienneté du chapitre 6 pourrait être la répétition du motif de la naissance de nara, dont la narration partage des points communs avec les autres motifs de naissance des chapitres 4, 5, 7 et 9. Un autre indice pourrait être le fait que deux épithètes utilisées par Brahmā pour désigner Śiva dans son éloge au début du chapitre 9 (chapitre présent dans le manuscrit S1) évoquent la création de Nara (narrée au chapitre 6) et celle de Sarasvatī (chapitre 7) : sarasvatīsṛje (9.6b) et namo narasya kartre (9.9a). Malheureusement, ces deux parties de textes situées à l’extrémité du folio 1.22a du manuscrit S1 sont perdus en raison de l’émiettement du manuscrit. Si la cohérence narrative et la répétition de motifs sont des arguments en faveur de l’existence des chapitres 6 et 7 dans les recensions anciennes, ils ne constituent pas des preuves, mais un faisceau d’indices. À celui‑ci, on pourrait ajouter la numérotation des chapitres présents dans certains colophons28 des manuscrits S : par exemple, le chapitre 9 dans le manuscrit S4 se clôt sur le colophon skandapurāṇe navamo’dhyāyaḥ « le neuvième chapitre du Skandapurāṇa » ; le colophon du chapitre suivant dans le manuscrit S2 est skandapurāṇe daśamo’ddhyāyaḥ « le dixième chapitre du Skandapurāṇa »29. Ces deux colophons issus de deux manuscrits S différents invitent à penser là encore que les chapitres 6 et 7 étaient présents dans la recension ancienne, chapitres dont le contenu n’était peut‑être pas tout à fait celui lisible dans les manuscrits R et A, mais était sans doute proche30. Ainsi, l’enchaînement des motifs observés précédemment est un des indices pouvant conforter la position des éditeurs concernant l’authenticité ou l’ancienneté des chapitres 6 et 7, indice complété par la numérotation des chapitres dans les colophons.
Déterminer si ces chapitres sont présents ou non dans la recension S du SP nécessite de croiser de nombreuses informations : l’observation de l’état de manuscrits, l’étude des colophons, l’analyse des structures des récits et celle des relations d’intratextualité avec d’autres chapitres attestés dans les manuscrits S. Expliciter les choix éditoriaux lors de l’élaboration d’un texte est essentielle pour permettre aux recherches futures d’utiliser ce texte comme source historique, notamment lorsqu’il s’agit de récits particulièrement atypiques. Bien qu’il élude la datation du chapitre 6, l’article de Bakker et Bisschop (2016) s’appuie en partie sur ce dernier pour éclairer l’interprétation et la compréhension d’une représentation de l’arme pāśupata sur une architrave à la porte d’entrée d’un temple dédié à Mahādeva au Rajasthan31. Le récit mythologique de la naissance de Vāc à partir de l’énonciation de la syllabe oṁ est sans aucun doute une source utile pour les Mantra Studies. La possible ancienneté de ces chapitres invite à approfondir les recherches sur l’influence potentielle du SP sur d’autres récits purāṇiques ou d’autres représentations iconographiques.
Avant‑propos sur l’extrait, sa traduction et ses notes
Cet extrait est issu du chapitre 9 du Skandapurāṇa : le texte reproduit ici est celui de l’édition critique sans son apparat32. Pour ce passage précis (chapitre 9 vers 11 à 23), les manuscrits disponibles sont les suivants : S1, S4 (à partir du vers 20), A1, A2, A3 et R. J’ai indiqué dans les notes de bas de page les variantes ou leçons les plus significatives, mais j’ai ignoré celles qui reflètent de simples erreurs dans la transmission. Ce passage représentatif du genre purāṇique alterne récit et paroles rapportées. Par conséquent, on y trouvera des formes verbales au discours direct et aux temps du présent, mais aussi de nombreux verbes à l’imparfait ou au parfait. Cet extrait ne contient pas de difficultés particulières et rassemble les notions ou constructions grammaticales suivantes : le locatif absolu, de nombreux exemples d’absolutifs, la construction des verbes d’énonciation avec double accusatif ainsi que l’emploi de la particule iti ou encore la construction passive, diverses manières d’exprimer la possession et plusieurs exemples de composés. Cet extrait court et relativement simple se présente comme un entrainement facile à la traduction.
Plusieurs parcours de découverte du texte sont possibles pour le lecteur. Il peut au choix s’entraîner à traduire directement le texte en devanāgarī ou en translittération. Il pourra ensuite comparer sa traduction à celle vers à vers proposée après les extraits en devanāgarī ou en translittération. Si certains points restent à éclaircir, il pourra se reporter aux remarques de la traduction pas à pas. Une autre possibilité est de suivre la traduction vers à vers suivie de remarques grammaticales et commentaires de traduction.
Extrait en devanāgarī
सनत्कुमार उवाच।
ब्रह्मण्यथैवं स्तुवति देवदेवः स लोकपः।
उवाच तुष्टस्तान्देवानृषींश्च तपसैधितान्॥ ११॥
तुष्टो ऽस्म्यनेन वः सम्यक्तपसा ऋषिदेवताः।
वरं ब्रूत प्रदास्यामि सुनिश्चिन्त्य स उच्यताम्॥ १२॥
सनत्कुमार उवाच।
अथ सर्वानभिप्रेक्ष्य संतुष्टांस्तपसैधितान्।
दर्शनेनैव विप्रेन्द्र ब्रह्मा वचनमब्रवीत्॥ १३॥
ब्रह्मोवाच।
यदि तुष्टो ऽसि देवेश यदि देयो वरश्च नः।
तस्माच्छिवश्च सौम्यश्च दृश्यश्चैव भवस्व नः॥ १४॥
सुखसंव्यवहार्यश्च नित्यं तुष्टमनास्तथा।
सर्वकार्येषु च सदा हितः पथ्यश्च शंकरः॥ १५॥
सह देव्या ससूनुश्च सह देवगणैरपि।
एष नो दीयतां देव वरो वरसहस्रद॥ १६॥
सनत्कुमार उवाच।
एवमुक्तः स भगवान्ब्रह्मणा देवसत्तमः।
स्वकं तेजो महद्दिव्यं व्यसृजत्सर्वयोगवित्॥ १७॥
अर्धेन तेजसः स्वस्य मुखादुल्कां ससर्ज ह।
तामाह भव नारीति भगवान्विश्वरूपधृक्॥ १८॥
साकाशं द्यां च भूमिं च महिम्ना व्याप्य विष्ठिता।
उपतस्थे च देवेशं दीप्यमाना यथा तडित्॥ १९॥
तामाह प्रहसन्देवो देवीं कमललोचनाम्।
ब्रह्माणं देवि वरदमाराधय शुचिस्मिते॥ २०॥
सा तथेति प्रतिज्ञाय तपस्तप्तुं प्रचक्रमे।
रुद्रश्च तानृषीनाह शृणुध्वं मम तोषणे।
फलं फलवतां श्रेष्ठा यद्ब्रवीमि तपोधनाः॥ २१॥
अमरा जरया त्यक्ता अरोगा जन्मवर्जिताः।
मद्भक्तास्तपसा युक्ता इहैव च निवत्स्यथ॥ २२॥
अयं चैवाश्रमः श्रेष्ठः स्वर्णशृङ्गो ऽचलोत्तमः ।
पुण्यं पवित्रं स्थानं वै भविष्यति न संशयः ॥ २३॥
Extrait en translittération
sanatkumāra uvāca |
brahmaṇy athaivaṃ stuvati devadevaḥ sa lokapaḥ |
uvāca tuṣṭas tān devān ṛṣīṃś ca tapasaidhitān ||11||
tuṣṭo 'smy anena vaḥ samyaktapasā ṛṣidevatāḥ |
varaṃ brūta pradāsyāmi suniścintya sa ucyatām ||12||
sanatkumāra uvāca |
atha sarvān abhiprekṣya saṃtuṣṭāṃs tapasaidhitān |
darśanenaiva viprendra brahmā vacanam abravīt ||13||
brahmovāca |
yadi tuṣṭo 'si deveśa yadi deyo varaś ca naḥ |
tasmāc chivaś ca saumyaś ca dṛśyaś caiva bhavasva naḥ ||14||
sukhasaṃ vyavahāryaś ca nityaṃ tuṣṭamanās tathā |
sarvakāryeṣu ca sadā hitaḥ pathyaś ca śaṃkaraḥ ||15||
saha devyā sasūnuś ca saha devagaṇair api |
eṣa no dīyatāṃ deva varo varasahasrada ||16||
sanatkumāra uvāca |
evam uktaḥ sa bhagavān brahmaṇā devasattamaḥ |
svakaṃ tejo mahad divyaṃ vyasṛjat sarvayogavit ||17||
ardhena tejasaḥ svasya mukhād ulkāṃ sasarja ha |
tām āha bhava nārīti bhagavān viśvarūpadhṛk ||18||
sākāśaṃ dyāṃ ca bhūmiṃ ca mahimnā vyāpya viṣṭhitā |
upatasthe ca deveśaṃ dīpyamānā yathā taḍit ||19||
tām āha prahasan devo devīṃ kamalalocanām |
brahmāṇaṃ devi varadam ārādhaya śucismite ||20||
sā tatheti pratijñāya tapas taptuṃ pracakrame |
rudraś ca tān ṛṣīn āha śṛṇudhvaṃ mama toṣaṇe |
phalaṃ phalavatāṃ śreṣṭhā yad bravīmi tapodhanāḥ ||21||
amarā jarayā tyaktā arogā janmavarjitāḥ |
madbhaktās tapasā yuktā ihaiva ca nivatsyatha ||22||
ayaṃ caivāśramaḥ śreṣṭhaḥ svarṇaśṛṅgo 'calottamaḥ |
puṇyaṃ pavitraṃ sthānaṃ vai bhaviṣyati na saṃśayaḥ ||23||
Traduction vers à vers
11. Tandis que Brahmā le louait, le dieu des dieux, protecteur des mondes, satisfait, répondit à ces dieux et à ces sages grandis par leurs austérités :
12. Je suis satisfait de cette ascèse totale qu’est la vôtre, ô sages et dieux ! Demandez une faveur et je l’accorderai ; prononcez‑vous après y avoir bien réfléchi.
Sanatkumāra dit :
13. Alors, après les avoir observés d’un simple regard, eux tous qui étaient pleinement satisfaits (et) grandis par leurs austérités, ô le meilleur des sages, Brahmā formula (cette) demande :
Brahmā a dit :
14. Ô seigneur des dieux, si tu es satisfait et si un vœu doit nous être accordé, alors puisses‑tu être pour nous favorable, bienveillant et aussi visible !
15. (Puisses‑tu être) toujours facilement accessible, ayant l’esprit satisfait, bien disposé envers tous (nos) actes, bénéfique et bienfaisant !
16. (Puisses‑tu être) accompagné d’une déesse et d’un fils, ainsi que de gaṇa divins33 ! Que ce vœu nous soit accordé, ô dieu, toi le dispensateur de milliers de faveurs !
Sanatkumāra reprit :
17. À ces mots de Brahmā, le bienheureux dieu suprême, parfait connaisseur du yoga, émit son propre tejas34, splendide et divin.
18. Avec la moitié de son tejas35, il expulsa alors de sa bouche une comète ; le bienheureux, lui qui recouvre toutes les formes, lui dit « Deviens femme ».
19. Celle‑ci, après avoir empli l’air, le ciel et la terre grâce à sa majesté, s’arrêta et se plaça (en position d’hommage) devant le seigneur des dieux resplendissante telle la foudre.
20. Souriant, le dieu dit à cette déesse aux yeux de lotus : « Ô déesse au sourire pur, propitie Brahmā le dispensateur de faveur ! »
21. Acquiesçant d’un « soit », celle‑ci commença à pratiquer l’ascèse, et Rudra dit aux sages : « Apprenez de moi (ces) deux satisfactions, je vais vous dire ce qu’[est] votre fruit, ô ascètes qui êtes les meilleurs parmi ceux qui obtiennent des fruits.
22. Vous vivrez ici‑bas immortels, libérés de la vieillesse, sans maladie, exempts de (nouvelle) naissance, dévoués à moi et adonnés à l’ascèse.
23. Et aussi cet excellent refuge, ce meilleur des monts qui possède un pic doré, deviendra assurément un lieu pur et sacré, cela ne fait aucun doute.
Traduction vers à vers annotée et expliquée
sanatkumāra uvāca |
brahmaṇy athaivaṃ stuvati devadevaḥ sa lokapaḥ |
uvāca tuṣṭas tān devān ṛṣīṃś ca tapasaidhitān ||11||36
Tandis que Brahmā le louait, le dieu des dieux, protecteur des mondes, satisfait, répondit à ces dieux et à ces sages grandis par leurs austérités :
uvāca : parfait 3e singulier actif de √vac‑ « dire ».
brahmaṇy athaivaṃ stuvati : locatif absolu, généralement utilisée pour énoncer un procès incident permettant de situer ou déterminer le procès principal. Le sujet du locatif absolu est au locatif, tandis que l’action est souvent exprimée par un adjectif verbal accordé en genre, en nombre et en cas avec le sujet du locatif absolu. Ici le sujet est brahmaṇi, locatif singulier de Brahmā ; la forme verbale du locatif absolu est stuvati, participe présent du verbe √stu‑ au locatif singulier traduit ici par un imparfait duratif pour exprimer l’action en train de se dérouler.
devadevaḥ sa lokapaḥ : nominatif singulier, sujet de la principale. Il s’agit ici de Śiva.
athaivaṃ : est le résultat du sandhi des mots atha et evam.
uvāca tuṣṭas tān devān ṛṣīṃś ca tapasaidhitān : les verbes de parole « dire quelque chose à quelqu’un » en sanskrit se construisent avec un double accusatif, raison pour laquelle les mots tān devān ṛṣīṃś ca + edhitān sont à l’accusatif pluriel.
tapasaidhitān : le sandhi provoque la contraction de la finale ‑ā de tapasā avec l’initiale de edhitān. edhita‑ est l’adjectif verbal formé sur la racine √edh‑ signifiant « croître, augmenter, se réjouir, grossir » et qui se construit avec un complément de moyen à l’instrumental (tapasā).
tuṣṭo 'smy anena vaḥ samyaktapasā ṛṣidevatāḥ |
varaṃ brūta pradāsyāmi suniścintya sa ucyatām ||12||
Je suis satisfait de cette ascèse totale qu’est la vôtre, ô sages et dieux !
Demandez une faveur et je l’accorderai ; prononcez‑vous après y avoir bien réfléchi.
anena vaḥ samyaktapasā : cet ensemble est complément de moyen du verbe. Anena est l’instrumental neutre singulier de idam ; samyaktapasā est un composé appositionnel ou karmadhāraya formé de l’adjectif samyak et du substantif tapas neutre ; vaḥ est le génitif pluriel du pronom personnel tvad‑ ; le sanskrit exprime généralement la possession par cette construction plutôt que par un adjectif possessif.
ṛṣidevatāḥ : composé dvandva au vocatif pluriel : ṛṣi‑devatāḥ. Alors que dans les autres types de composés le premier membre dépend du second, ceux composant le dvandva n’ont pas de relation de dépendance et ont le même statut (ce qui explique que le dvandva admet plus que deux membres). Dès lors, il est logique que l’on débute la traduction par le premier membre (et non par le second comme c’est le cas pour les autres composés) : « sages et dieux », et non l’inverse. Les dieux se sont joints aux sages dans le récit à partir du chapitre 8.
brūta : impératif 2e personne du pluriel de √brū‑.
pradāsyāmi : futur 1e personne du singulier du verbe composé pra√dā‑.
suniścintya sa ucyatām : sa(saḥ) est le nominatif masculin singulier du pronom démonstratif tad‑. Il remplace ici vara‑, substantif masculin signifiant « don », « faveur » et est sujet du verbe ucyatām, qui est une forme d’impératif passif 3e du singulier de √vac-. suniścintya correspond à l’absolutif du verbe composé su‑niś√cint‑ (d’où le suffixe ‑ya ; dans les textes épiques et purāṇiques, il est fréquent de rencontrer des verbes avec plusieurs préverbes).
sanatkumāra uvāca |
atha sarvān abhiprekṣya saṃtuṣṭāṃs tapasaidhitān37 |
darśanenaiva viprendra brahmā vacanam abravīt ||13||
Sanatkumāra dit :
Alors, après les avoir observés d’un simple regard, eux tous qui étaient pleinement satisfaits (et) grandis par leurs austérités, ô le meilleur des sages, Brahmā formula (cette) demande :
abhiprekṣya : absolutif du verbe composé abhi√prekṣ‑ (d’où le suffixe ‑ya). L’absolutif est construit avec un complément d’objet direct : les accusatifs masculins pluriel sarvān+ saṃtuṣṭāṃs+edhitān, qui sont également complément de vacanam abravīt. Pour l’explication de tapasaidhitān, se reporter au vers 11.
abravīt : imparfait 3e singulier actif de √brū‑.
viprendra : vocatif singulier masculin. Ici le sage interpellé est l’interlocuteur à qui Sanatkumāra raconte le Skandapurāṇa. Ce sage n’est autre que Vyāsa, auteur mythique de la grande épopée, le Mahābhārata. L’incipit du SP met en scène une assemblée de sages réunis à Prayāga, un jour de pleine lune, pour se baigner à la confluence de la Gaṅgā et de la Yamunā38. Là, ils demandent à un récitant purāṇique (paurāṇika sūta) qui passait par là et à qui ils offrent un siège, le récit de la naissance de Kārttikeya (le fils des Kṛttikā, c’est‑à‑dire Skanda). Le récitant (sūta) commence alors son récit en racontant que, alors que son fils Śuka avait atteint la destination suprême, Vyāsa était submergé par le chagrin. Ce dernier eut une vision de Tryambaka (Śiva) qui l’apaisa puis, alors qu’il errait à travers les mondes, il rencontra sur le mont Meru Sanatkumāra, fils aîné de Brahmā, sur un char volant et entouré de sages. Après les salutations d’usage, Vyāsa demanda à Sanatkumāra d’éclaircir un point qui le rendait perplexe : comment Skanda pouvait‑il être à la fois le fils de Rudra, de Vahni, de Gaṅgā, d’Umā, de Svāhā, de Suparṇī, des Mātṛ et des Kṛttikā ? Le récit du SP est donc la réponse de Sanatkumāra à Vyāsa. Cet emboîtement de dialogues est un trait caractéristique de la littérature purāṇique39.
darśanenaiva : sandhi défait = darśanena+eva. eva est une particule restrictive qui se place après le mot sur lequel elle porte.
brahmovāca |
yadi tuṣṭo 'si deveśa yadi deyo varaś ca naḥ |
tasmāc chivaś ca saumyaś ca dṛśyaś caiva40 bhavasva naḥ ||14||
Brahmā dit :
Ô seigneur des dieux, si tu es satisfait et si un vœu doit nous être accordé, alors puisses‑tu être pour nous favorable, bienveillant et aussi visible !
deyo : nominatif masculin singulier qui s’accorde avec varaḥ. Il s’agit d’un participe futur passif ou adjectif verbal d’obligation du verbe √dā‑ (cette formation équivaut au gérondif du latin en ‑ndus).
tasmāc chivaś ca : sandhi défait = tasmāt + śivaḥ + ca. Tasmāt est ici l’adverbe corrélatif dans le système subordonnant yadi…. tasmāt « si…, alors ».
bhavasva : impératif 2e personne du singulier de √bhū.
dṛśyaś caiva : sandhi défait = dṛśyaḥ + ca + eva. dṛśyaḥ est également un participe futur passif, littéralement « qui pourra être vu ». La visibilité des dieux n’est possible qu’à certains dévots à qui les dieux offrent cette théophanie. Ici il est intéressant de noter que Śiva n’est pas visible pour les dieux eux‑mêmes, ce qui le place comme divinité suprême. Les dieux obtiendront une théophanie au chapitre 32.
sukhasaṃvyavahāryaś41 ca nityaṃ tuṣṭamanās tathā |
sarvakāryeṣu ca sadā hitaḥ pathyaś ca śaṃkaraḥ ||15||
(Puisses‑tu être) toujours facilement accessible, ayant l’esprit satisfait, bien disposé envers tous (nos) actes, bénéfique et bienfaisant !
sukhasaṃvyavahāryaḥ : composé tatpuruṣa ou déterminatif formé de sukha‑ et de saṃvyavahārya‑. Il qualifie Śiva. La forme nominale saṃvyavahārya‑ est dérivée d’un verbe composé présentant trois préverbes sam‑, vi‑ et ava‑ (l’accumulation de préverbes est fréquente dans la littérature épique et purāṇique). La forme vyavahārya‑ est référencée dans les dictionnaires : il s’agit d’un participe futur passif ou adjectif verbal d’obligation, dont les sens répertoriés sont « ce qui doit être pratiqué », « soumis à une procédure judiciaire », « employé », « utilisé », « ce qui est coutumier, habituel ». Lorsqu’il qualifie une personne, il s’agit de « quelqu’un qui peut être associé à ». Le sens du verbe composé vy‑ava√hṛ‑ recoupe la polysémie du verbe français « commercer » car dans ces deux langues, les relations entendues par ce verbe peuvent à la fois être d’ordre commerciale, privée voire intime. sukha possède également plusieurs sens. En tant qu’adjectif, ce terme se traduit par « facile, plaisant, agréable, heureux ou prospère », ce qui aboutit en début de composé à un sens adverbial, rendu généralement par « facilement, aisément ».
tuṣṭamanās : composé bahuvrīhi ou possessif, combinant tuṣta- et manas-, au nominatif masculin singulier. Le présent composé est un exemple intéressant qui démontre comment un substantif neutre prend une désinence animée (c’est-à-dire masculine ou féminine) lorsqu’il est le dernier terme d’un composé bahuvrīhi ou possessif qualifiant une entité elle-même animée. Le premier élément du composé tuṣta‑ est le participe passé passif de √tuṣ‑ au thème nu.
hitaḥ : nominatif masculin singulier qualifiant Śiva. Il s’agit du participe passé passif de √dhā‑, que l’on peut traduire par « bienveillant, bien disposé ». Il est construit ici avec un complément au locatif pluriel sarvakāryeṣu.
saha devyā sasūnuś ca saha devagaṇair api |
eṣa no dīyatāṃ deva varo varasahasrada ||16||
(Puisses‑tu être) accompagné d’une déesse et d’un fils, ainsi que de gaṇa divins ! Que ce vœu nous soit accordé, ô dieu, toi le dispensateur de milliers de faveurs !
saha‑, sa‑ : le premier pāda de ce vers est intéressant en ce qu’il présente simultanément deux manières d’exprimer le fait d’être en compagnie de quelqu’un. La première façon de dire « avec X » est la construction saha suivi de l’instrumental. La seconde est la formation d’un composé bahuvrīhi dont le premier terme n’est pas un substantif ou un adjectif mais le préfixe sa‑. Ainsi sasūnuḥ est un composé bahuvrīhi au nominatif masculin singulier qu’on traduirait littéralement par « celui qui possède un fils avec lui ».
saha devyā : il est très important de traduire par un article indéfini « une » puisque la déesse dont il est question n’existe pas encore. Elle va être émise par Śiva à la suite de cette faveur accordée aux dieux et aux sages.
saha devagaṇair : saha se construit avec l’instrumental. Le composé à l’instrumental pluriel peut être analysé de différentes manières. Si l’on considère celui‑ci comme un composé dvandva, alors il sera traduit par « avec des dieux et des gaṇa42 ». Si l’on considère ce composé comme un tatpuruṣa dont les deux termes sont des substantifs, on le traduira par « avec des troupes de dieux ». Enfin si l’on opte pour un composé karmadhāraya dont le premier terme deva est un adjectif et le second gaṇa un substantif, on le traduira par « avec des gaṇa divins ». Si l’on analyse ce composé comme un karmadhāraya dont les deux termes sont des substantifs, on pourrait traduire « qui sont à la fois des dieux et des gaṇa ». Ici encore, le choix entre ces différentes possibilités ne peut se faire qu’à l’aide de l’interprétation du texte qui prend en compte les récits contenus dans l’intégralité de l’œuvre. Étant donné la forte proximité du SP avec la doctrine śivaïte pāśupata, le mot gaṇa ne renvoit sans doute pas simplement à l’image habituelle de Śiva entouré d’une horde de serviteurs : il induit peut‑être le sens spécifique de ce mot dans la doctrine pāśupata. Dans les Pāśupata Sūtra et leur commentaire par Kauṇḍinya43, Śiva est le mahāgaṇapati ; c’est‑à‑dire le seigneur suprême des âmes liées (Bisschop, 2005), tandis que l’aspirant pāśupata devient identique à Śiva lorsqu’il en obtient sa grâce. Les dévots décrits dans le SP qui obtiennent la grâce de Śiva deviennent effectivement des gaṇapati divins entourés des âmes liées que sont leurs ancêtres (voir notamment le récit de Sukeśa SP35)44. Ainsi une sorte de hiérarchie est établie : Śiva est à la tête de gaṇa divins qui ne sont autres que des aspirants pāśupata ayant atteint le duḥkhānta (fin des souffrances) et la grâce de Śiva, eux‑mêmes entourés de gaṇa qui sont leurs ancêtres. Comme les dieux eux‑mêmes suivront l’observance pāśupata dans le SP, la traduction « avec des dieux et des gaṇa » pourrait aussi être acceptée. Seulement la faveur ici sollicitée l’est par les dieux et les sages. Ainsi l’autre traduction me paraît plus appropriée, puisque la demande peut alors aussi s’appliquer aux sages qui la réclament.
eṣa no dīyatām + varaḥ : construction au passif. dīyatām est un impératif passif à la troisième personne du singulier de √dā‑, son sujet est constitué du pronom démonstratif etad‑ au nominatif masculin accordé en genre, nombre et cas avec vara- au nominatif masculin singulier (dans ce cas, vara signifie « don », « faveur ». no (naḥ) est la forme enclitique du pronom personnel de la première personne au datif ou génitif pluriel, que l’on peut traduire par « pour nous », « à nous ». Le verbe sanskrit « donner » (√dā‑) se construit indistinctement et concurremment avec le datif ou le génitif.
sanatkumāra uvāca |
evam uktaḥ sa bhagavān brahmaṇā devasattamaḥ |
svakaṃ tejo mahad divyaṃ vyasṛjat sarvayogavit ||17||
Sanatkumāra reprit :
À ces mots de Brahmā, le bienheureux dieu suprême, parfait connaisseur du yoga, émit son propre tejas45, splendide et divin.
evam uktaḥ sa bhagavān brahmaṇā : construction passive du verbe √vac‑ très fréquente en sanskrit, semblable à la construction du verbe to tell en anglais : « the lord was told by Brahmā ».
svakaṃ tejo mahad divyam : complément d’objet direct à l’accusatif singulier neutre du verbe vyasṛjat. Le terme tejas‑ signifie à la fois la puissance, l’énergie vitale, la vigueur, la splendeur, la semence ou le sperme. « Énergie vitale » est peut‑être l’équivalent français qui pourrait rendre partiellement cette polysémie dans le présent contexte. Pour éviter toute confusion dans l’activité de traduction du lecteur, j’ai préféré ne pas traduire le mot sanskrit par deux mots français et j’ai opté pour la préservation du concept en sanskrit.
vyasṛjat : imparfait de la 3e personne du singulier actif du verbe composé vi√sṛj‑. Noter que l’augment de l’imparfait se place entre le préverbe et la racine.
ardhena tejasaḥ svasya mukhād ulkāṃ sasarja ha |
tām āha bhava nārīti bhagavān viśvarūpadhṛk ||18||
Avec la moitié de son tejas46, il expulsa alors de sa bouche une comète ; le bienheureux, lui qui recouvre toutes les formes, lui dit « Deviens femme ! ».
ardhena tejasaḥ svasya : ardhena est l’instrumental singulier du substantif ardha‑ signifiant moitié et est un complément de moyen. tejasaḥ svasya est un groupe nominal au génitif singulier dont la fonction est celle de complément du nom ardhena.
mukhād ulkāṃ sasarja : sasarja est un parfait 3e personne du singulier de √sṛj‑. Il est construit avec un complément d’objet direct à l’accusatif féminin singulier ulkāṃ et un complément de lieu à l’ablatif singulier masculin mukhād indiquant l’origine. Noter l’utilisation comme précédemment de la racine √sṛj‑ pour décrire la création de la déesse qui est donc une émission (ce que le verbe expulser dans la traduction ne rend qu’imparfaitement).
ha est généralement une particule assertorique qui peut être traduit par « vraiment », « assurément ». Lorsqu’elle est placée en fin de pāda, elle a le plus souvent une fonction explétive, c’est‑à‑dire qu’elle n’a pas de valeur grammaticale ou sémantique. Elle a été traduite par un « alors ».
tām āha bhava nārīti bhagavān : le sujet est bhagavān au nominatif masculin singulier (attention les thèmes masculins en -at -ant ont cette forme de nominatif qui peut être confondue avec d’autres désinences de déclinaison vocalique). Ce substantif étant très courant en sanskrit, il est utile d’en apprendre la déclinaison ou du moins de retenir cette forme particulière du nominatif. Le verbe āha est le parfait 3e singulier du verbe défectif √ah‑. Cette forme ainsi que celle de la 3e personne du pluriel āhur, sont très fréquentes dans les épopées et les purāṇa. Les verbes de parole en sanskrit se construisent avec un double accusatif, ainsi la personne à qui on dit quelque chose est à l’accusatif. Ici il s’agit de tām, pronom démonstratif tad‑ à l’accusatif féminin qui remplace ulkām. Le dieu s’adresse donc à la comète expulsée de sa bouche. En sanskrit, les paroles sont généralement rapportées au discours direct en les faisant suivre de la particule iti. Les paroles prononcées sont donc bhava nārī : bhava est un impératif actif à la 2e personne du singulier de √bhū‑ et nārī‑, en tant qu’attribut du sujet sous‑entendu, est au nominatif féminin singulier.
viśvarūpadhṛk : cette épithète qualifiant le dieu est un composé au nominatif masculin formé de deux membres viśvarūpa‑ et dhṛk‑. Le premier membre est lui‑même un composé de deux bases lexicales viśva- et rūpa-. Dhṛk est un nom racine ayant le sens d’un nom d’agent qui, dans la langue classique, n’est employé qu’en second membre d’un composé. L’épithète est ici utilisée fort à propos puisque le dieu, capable de prendre toutes les formes, ordonne à une partie de son tejas de prendre l’apparence d’une femme. Ainsi la déesse qui naît n’est ici qu’une manifestation du dieu lui‑même.
sākāśaṃ dyāṃ ca bhūmiṃ ca mahimnā vyāpya viṣṭhitā |
upatasthe ca deveśaṃ dīpyamānā yathā taḍit ||19||
Celle‑ci, après avoir empli l’air, le ciel et la terre grâce à sa majesté, s’arrêta et se plaça (en position d’hommage) devant le seigneur des dieux resplendissante telle la foudre.
sākāśaṃ : attention ici deux mots ont fusionné sous l’effet du sandhi sā + ākāśam. sā est le pronom démonstratif tad‑ au nominatif féminin singulier. Cette reprise indique un changement de sujet : désormais il est question de la comète, partie émise de Śiva à qui il est demandé de prendre la forme d’une femme.
vyāpya : est un absolutif du verbe composé vy√ap‑ ; son agent est donc l’agent de la principale, c’est-à-dire sā. Ses compléments d’objets directs à l’accusatif singulier sont ākāśam, dyām et bhūmim. Noter la post position de la conjonction de coordination et la possibilité de sa répétition emphatique, ce que le français n’autorise qu’exceptionnellement.
mahimnā : instrumental masculin singulier de mahiman‑. Ce terme a ici un sens spécifique qui fait référence aux attributs de Śiva : ici la capacité de grandir à volonté (pouvoir ou siddhi qui peut aussi s’obtenir par le yoga).
viṣṭhitā : adjectif verbal de vi√ṣṭhā- est au nominatif féminin singulier. Comme très souvent en sanskrit, une forme nominale du verbe a la valeur d’un verbe conjugué au passé.
upatasthe : parfait à la 3e personne du singulier moyen de upa√sthā‑. Ce verbe signifie à la fois s’approcher de quelqu’un, se tenir devant et au‑dessous de lui, rendre hommage et servir quelqu’un. Par conséquent, j’ai ajouté entre parenthèses l’expression (en position d’hommage) pour rendre compte du sens complet du verbe. Il est construit avec un accusatif de direction deveśam.
dīpyamānā : participe présent passif au nominatif féminin singulier de √dīp‑, apposé au sujet. Ce participe est suivi d’un élément comparant introduit par yathā.
tām āha prahasan devo devīṃ kamalalocanām |
brahmāṇaṃ devi varadam ārādhaya śucismite ||20||
Souriant le dieu dit à cette déesse aux yeux de lotus : « ô déesse au sourire pur, propitie Brahmā le dispensateur de faveur ! »
kamalalocanām : composé bahuvrīhi à l’accusatif féminin singulier ayant une portée comparative et qualifiant tām devīm.
prahasan : participe présent de pra√has‑ au nominatif masculin singulier.
tām āha prahasan devo devīṃ : exemple de construction des verbes de parole avec un double accusatif « dire quelque chose (accusatif) à quelqu’un (accusatif) ». āha est le parfait à la 3e singulier de √ah‑ (verbe défectif). Le discours prononcé est au style direct (comme souvent en sanskrit) mais la particule iti est absente. Elle sera utilisée pour la réponse de la déesse à la requête du dieu.
śucismite : composé bahuvrīhi formé de l’adjectif śuci‑ et du substantif smita‑ au vocatif féminin singulier qualifiant devi.
ārādhaya : impératif à la 2e personne du singulier de ā√rādh‑. Ce verbe composé admet deux classes de conjugaison pour former son thème présent : selon le dictionnaire Monier‑Williams (1899), on peut trouver la forme ārādhnoti qui correspond à une classe 5 et la forme ārādhayati qui correspond à une classe 10. Il serait possible d’analyser ārādhayati comme la forme causative du verbe, mais en se référant aux dictionnaires, il apparaît que cette formation n’altère ni ne modifie le sens du verbe.
sā tatheti pratijñāya tapas taptuṃ pracakrame |
rudraś ca tān ṛṣīn āha śṛṇudhvaṃ mama toṣaṇe |
phalaṃ phalavatāṃ śreṣṭhā yad bravīmi tapodhanāḥ ||21||
Acquiesçant d’un « soit », celle‑ci commença à pratiquer l’ascèse, et Rudra dit à ces sages : « Apprenez de moi (ces) deux satisfactions, je vais vous dire ce qu’[est] votre fruit, ô ascètes qui êtes les meilleurs parmi ceux qui obtiennent des fruits.
tatheti = tathā + iti, forme usuelle d’acquiescement.
pratijñāya : absolutif avec le suffixe ‑ya, prati√jñā‑ étant un verbe composé dont le préverbe est prati-. Le sujet ou agent de cet absolutif est l’agent de la proposition dans laquelle l’absolutif est inséré, à savoir le pronom démonstratif sā « celle‑ci » au nominatif féminin singulier.
pracakrame : parfait à la 3e personne du singulier moyen de pra√kram‑. Ce verbe se construit avec l’infinitif taptum du verbe √tap‑, verbe transitif qui est suivi de son complément d’objet direct à l’accusatif singulier neutre tapas.
śṛṇudhvaṃ : impératif présent à la 2e personne du pluriel de √śru‑. Il est construit avec un accusatif au duel toṣaṇe et le génitif du pronom personnel de la première personne mama « apprendre quelque chose (accusatif) de quelqu’un (génitif) ». Le duel se justifie par le fait que le dieu énonce ensuite deux bienfaits, le premier destiné aux dieux et aux sages (vers 22), le second sacralise le lieu où l’événement s’est produit (vers 23).
phalavatāṃ : génitif masculin pluriel de l’adjectif phalavat‑ (formé à partir du substantif phala‑ et du suffixe ‑vat qui exprime la possession). Ce génitif à sens partitif est construit avec le superlatif śreṣṭha : « meilleurs parmi… ».
phalaṃ + yad bravīmi : la construction est ici elliptique et ne présente avec l’habituel corrélatif tad‑ : « je vais dire [ce] qu’[est] la fruit ».
amarā jarayā tyaktā arogā janmavarjitāḥ |
madbhaktās tapasā yuktā ihaiva ca nivatsyatha ||22||
Vous vivrez ici‑bas immortels, libérés de la vieillesse, sans maladie, exempts de (nouvelle) naissance, dévoués à moi et adonnés à l’ascèse.
nivatsyatha : futur à la 2e personne du pluriel de nivas-.
ihaiva : sandhi pour iha + eva.
ayaṃ caivāśramaḥ śreṣṭhaḥ svarṇaśṛṅgo 'calottamaḥ |
puṇyaṃ pavitraṃ sthānaṃ vai bhaviṣyati na saṃśayaḥ ||23||
Et aussi cet excellent refuge, ce meilleur des monts qui possède un pic doré, deviendra assurément un lieu pur et sacré, cela ne fait aucun doute.
caivāśramaḥ : ca + eva + āśramaḥ.
acalottamaḥ : composé tatpuruṣa, dont les membres sont acala‑ et uttama‑, au nominatif masculin singulier, apposé à āśramaḥ.
svarṇaśṛṅgaḥ : composé bahuvrīhi, dont les membres sont svarṇa‑ et śṛṅga‑, au nominatif masculin singulier qualifiant āśramaḥ.
bhaviṣyati : futur actif à la 3e personne du singulier de √bhū‑.
na saṃśayaḥ : formule (dont le verbe est sous-entendu) très fréquente dans les textes épiques et purāṇiques.