L’histoire de la jeune fille Apālā en quête de maturité

dans la Saṁhitā du R̥gveda (R̥V) et dans le Jaiminīyabrāhmaṇa (JB) du Sāmaveda

  • The Story of the Young Apālā and Her Quest for Maturity in the Saṁhitā of the R̥gveda (R̥V) and in the Jaiminīyabrāhmaṇa (JB) of the Sāmaveda

DOI : 10.35562/agastya.239

Abstracts

L’histoire de la jeune fille Apālā est une légende de la littérature védique (premier millénaire avant notre ère). Poussée par son désir d’adolescente de devenir une femme sexuellement mûre en se débarrassant des signes de la puberté (problèmes de peau notamment), elle sort du cadre traditionnel en se saisissant des moyens rituels réservés aux hommes pour entrer en contact avec Indra, dieu guerrier féroce. Ici sont présentés deux textes complémentaires pour la connaissance de cette figure : l’hymne du R̥gveda (8.91) attribué par la tradition à Apālā elle‑même, ainsi que le récit en prose du Jaiminīyabrāhmaṇa 1.220‑221. Une année d’apprentissage du sanskrit devrait suffire pour aborder ces textes : l’apparat didactique commente chaque mot, terminé par une traduction littérale. Les textes sont précédés par une introduction sur le contexte de ces textes ainsi que par une présentation du système d’accentuation et de l’usage des verbes.

The story of the young girl Apālā belongs to the legends of Vedic literature (1st millennium BCE). Her adolescent desire to rid herself of the signs of puberty (skin problems in particular) and become a sexually mature woman leads her to bend tradition by using ritual means reserved for men to enter into contact with the intimidating warrior god Indra. The two texts presented here complement each other as records of this legend: the hymn R̥gveda (8.91), attributed to Apālā herself by the Vedic tradition, followed by the prose story of Jaiminīyabrāhmaṇa 1.220‑221. A year of experience studying Sanskrit should suffice as preparation for reading these texts: pedagogical notes comment each word and a literal translation is found at the end. The texts are preceded by a contextual introduction as well as a brief presentation of Vedic accent and verb usage.

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Editor's notes

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Text

Introduction

L’hymne R̥gveda (R̥V) 8.91 est attribué dans la tradition indienne à une poétesse, Apālā Ātreyī, ou Apālā fille d’Atri1 ; en sanskrit, l’équivalent du nom de famille est un nom dérivé de celui d’un ancêtre mâle ou, moins souvent, d’un ancêtre femelle. Si la grande majorité des hymnes du R̥gveda sont attribués à des hommes, l’attribution d’un hymne à une femme n’est pas sans précédent : une vingtaine de poétesses sont répertoriées dans la Sarvānukramaṇī, grand index rubriquant diverses informations concernant les hymnes du R̥gveda, composé par Kātyāyana et daté du milieu du 4e siècle avant notre ère2, peu après la fin de ce qu’on appelle la période védique3. Pourtant, quand on regarde de plus près avec Pinault (2001, p. 101‑103) et après dans l’article consacré au sujet par Witzel4, presque toutes ces attributions à des femmes se révèlent être des leurres : ce sont des attributions fictives à des déesses, à des outils rituels ou abstractions religieuses de genre féminin en sanskrit, à des animaux ; le nom du poète, y compris dans le cas des hymnes attribués à des hommes, est souvent tiré du contenu de l’hymne. Seulement une partie des noms de poètes de la Sarvānukramaṇī, hommes et femmes confondus, est vraisemblable5.

Quelques‑unes des attributions féminines restent potentiellement crédibles pour Witzel et pour nous, surtout avec la mention en JB 2.219 de la présence de femmes créatrices de formules (mantra‑kr̥t‑) dans la famille d’Atri, les Ātreya. À Viśvavārā Ātreyī est attribué l’hymne 5.28, hymne peu exceptionnel à Agni. Pinault et Witzel notent que le mot viśvavārā‑ se trouve à la première strophe comme épithète d’une cuillère, ce qui affaiblit effectivement la véracité de l’attribution. De l’autre côté, je ne suis pas Witzel quand il veut qu’un hymne composé par une femme « sonne » féminin ou soit composé dans un langage féminin. Précisément, si le clan des Ātreya par exemple acceptait que des femmes composent des hymnes, il aurait intérêt à ce que leurs hymnes ressemblent à ceux des hommes ! Quant à l’hymne attribué à Apālā Ātreyī, il faut noter le fait que des sept strophes qui le composent, cinq, les cinq strophes centrales, forment le discours direct de la locutrice ; la première strophe (1) ainsi que la dernière (7), en revanche, sont narratives, et racontent les événements se déroulant avant et après le discours de la jeune fille. Witzel conclut que le vrai auteur de l’hymne doit être un homme, qui cite ou plutôt invente la prise de parole d’Apālā. Ici, il est possible, bien que peu probable, qu’une Ātreyī ait créé cette prière et que, lors d’une instance rituelle ou festive, un prêtre‑poète homme l’ait récité en ajoutant le cadre narratif. Pinault (2001, p. 122‑123) remarque avec raison sa métrique simple et son style peu orné, tout en restant d’avis qu’il est plus probable qu’un poète rusé compose ce qu’il considère être un discours attribuable à une jeune femme. Il est possible qu’un poète homme pense à une telle thématique, celle du désir de devenir sexuellement mûre et de trouver un époux, dans le cadre de la création d’un hymne servant à un rite pour accroître la fertilité (les strophes 5 et 6 sont des prières dans ce sens). Witzel remarque avec raison que les femmes mises en scène dans les hymnes du R̥gveda parlent beaucoup de sexe, et que cela nous en apprend sans doute plus sur les conceptions qu’avaient les hommes védiques de leurs femmes que sur la présence des femmes dans la sphère rituelle de la production d’hymnes.

Le Jaiminīyabrāhmaṇa (JB), un texte en prose plus tardif, raconte l’histoire en intégrant au récit plusieurs strophes de l’hymne comme des éléments de dialogue. En particulier, la référence énigmatique de la dernière strophe de l’hymne, où Indra « purifie » la jeune fille dans les moyeux des roues de divers véhicules, est étoffée de détails : Indra écorche Apālā en la faisant passer à travers ces trois types de moyeux, ce qui finit par rendre sa peau éclatante et belle.

Ainsi, même si nous ne pouvons pas affirmer sans hésitation que cette légende védique soit le produit d’une femme réelle, elle reste néanmoins notable pour l’attention accordée à la psychologie d’une vierge hésitant entre la peur et le désir de l’homme. Elle est poussée à rechercher l’aide d’Indra en raison de circonstances inconnues mais peut‑être liées à la pauvreté de son père, à laquelle elle fait allusion, ainsi qu’à l’obstacle qu’une affliction de la peau impose à son allure personnelle. Indra, dieu incarnant le roi guerrier, se complaît dans la violence ; ses forces sont accrues par la boisson de soma, plante stimulante dont les tiges sont pressurées avec des pierres pour en extraire un jus offert aux dieux, mêlé de lait et de miel, pendant le rite védique. Accompagnée de sacrifices sanglants, il s’agit d’une procédure centrale du rite solennel (Śrauta), exécuté par des officiants qui sont toujours des hommes. En même temps, la plante de soma est réputée aphrodisiaque et est employée par les individus dans des contextes plus ou moins rituels dans la sphère privée6.

Il est vrai que dans la littérature sanskrite classique, la vierge timide lors de sa rencontre avec l’époux est un lieu commun, mais ici, le désir d’Apālā gagne vite sur sa timidité (exprimée seulement en imagination), la poussant à se saisir elle‑même des moyens de décider du cours de sa vie, même si son but est simplement le mariage. Avec le détail presque blasphématoire de l’écrasement de la plante Soma en offrande à Indra, ainsi que le recours à la parole védique, acte viril par excellence dans cette société, comme le remarque avec justesse Pinault (2001, p. 124), la figure féminine qu’est Apālā est tout sauf orthodoxe pour la religion védique, plus encore si elle a été imaginée par un homme. Si la littérature normative hindoue permet effectivement à la femme de chercher elle‑même un époux, dans le cas où aucun parent masculin ne s’en charge, cela n’est permis qu’après la puberté ; or, Apālā dit explicitement n’avoir pas encore de poils pubiens (pour un exposé très complet en français des indications de la littérature normative ancienne et des textes védiques au sujet du statut légal de la femme, voir Pinault, 2001, p. 95‑100). En outre, du point de vue de la norme hindoue, la motivation de trouver un époux n’est jamais d’ordre sexuel, mais social, et c’est ici que s’illustre une différence sociologique très nette entre les périodes védique et classique dans la littérature sanskrite : la littérature sanskrite classique tend à mettre en scène, quand elles sont au centre de l’action, des femmes gracieuses et respectueuses, citant la loi pour faire valoir leurs droits, alors que les « héroïnes » de la littérature védique sont lascives et insistantes dans leurs demandes de plaisir : on songe après Apālā à Lopāmudrā, Yamī, Indrāṇī et Ghoṣā. La seule exception, Urvaśī, froide et hautaine, se déclare fatiguée des rapports avec son compagnon et le quitte en lui laissant leur fils ; on ne trouve guère là non plus une image d’héroïne imaginable dans la littérature classique. Curieusement, le nom propre d’Apālā pourrait constituer une épithète à double sens : comme l’ont écrit Schmidt et Jamison, il s’agit d’un nom de femme fait sur un nom d’homme : variante en ‑l‑ (cohérente avec le sociolecte védique des femmes) de a‑pārá‑, épithète d’Indra, « sans limite, sans borne », en raison de sa force. Le nom même d’Apālā présume sa relation avec Indra, son maître et « époux », et en même temps suggère qu’elle « passe les bornes » par son comportement.

Cela ne signifie en aucun cas que le statut de la femme était plus libre à l’époque védique7 ! Tout simplement, là où les auteurs védiques n’hésitaient ni à décrire en quoi les femmes pouvaient constituer un ennui pour les hommes, ni à se complaire dans le fantasme sexuel de la femme obsédée du plaisir octroyé par l’homme (les propos explicites de Śaśvatī en R̥V 8.1.34 fournissent un exemple très précis), les auteurs classiques préféraient souvent mettre en scène des modèles de modestie, même si elles peuvent devenir les agents courageux de leurs propres vies, comme dans l’histoire de Śakuntalā, exposée dans ce même numéro.

Quoi qu’il en soit de son attribution à un poète ou à une poétesse, nous espérons que les lectrices et lecteurs de la légende védique ici présentée trouveront l’apparat didactique suffisant pour apprécier la finesse de cette histoire d’une jeune femme humaine, courageuse dans sa rencontre avec le dieu féroce qui l’accompagne lors du passage difficile à l’âge adulte.

Quelques précisions de grammaire

Accent

Le sanskrit védique n’avait pas un accent d’intensité, comme le français, mais un accent de ton, ou accent de hauteur : une syllabe de chaque mot, sauf certains petits mots dits « enclitiques », était prononcée sur un ton musicalement plus haut que les autres. Cet accent est hérité du proto‑indo‑européen et se retrouve au même endroit sur les mots de même formation en grec ancien, par exemple. En sanskrit védique comme en grec ancien, des phénomènes secondaires de tonalité ont surgi autour de cet accent primaire. En outre, les diverses écoles védiques développaient des systèmes tonaux légèrement différents entre eux, documentés dès la fin de la période védique : ce que le grand grammairien Pāṇini (4e siècle avant notre ère) décrit dans son traité l’Aṣṭādhyāyī est conforme à la notation des manuscrits du Yajurveda mais est différent de ce qui est décrit dans le R̥kprātiśākhya (traité de phonétique du R̥V attribué à Śaunaka, d’environ la même époque que Pāṇini) et de la notation des manuscrits du R̥V. En outre, les descriptions peuvent être comparées avec les récitations modernes, qui s’y conforment. Dans la traduction en alphabet latin, par contre, on ne conserve que la notation de l’accent primaire, l’udātta, par un accent aigu sur la syllabe concernée, et un accent grave pour le svarita indépendant qui survient quand l’accent primaire est dissimulé par le sandhi. Traditionnellement, on ne cite des textes védiques avec accent que si l’accent est préservé dans les manuscrits et dans la récitation du texte en question : ici, donc, seul le R̥V, et non le JB, est accentué.

L’accent a de l’importance pour la compréhension de la phrase en védique. Certains faits de base seront à retenir :

  • Le vocatif est accentué uniquement en début de phrase (N. B. Dans les textes métriques, le début de chaque quart de vers ou pāda compte comme un début de phrase) ; alors l’accent est toujours sur la première syllabe. Seul le premier d’une série de vocatifs est accentué, à l’exception, parfois, des vocatifs coordonnés (« Ô mère, Ô père ! » etc.).

  • Le verbe conjugué n’est pas accentué, avec les exceptions suivantes :
    — en subordonnée, déclenchée par le relatif ‑ etc., ou les particules ca, céd, kuvíd dans le sens de « si », néd « de sorte que ne pas », « car », ou encore simplement quand la première de deux phrases en surface indépendantes sont liées par le sens (ex. saṁ cáranti náro, índro jayatu « [quand] les hommes se rassemblent, qu’Indra vainque ! ») ;
    — si le verbe est suivi des particules emphatiques íd et caná ;
    — dans une série de verbes ayant le même sujet, ceux qui suivent le premier sont accentués ;
    — un verbe qui suit un vocatif accentué parce qu’en début de phrase est aussi accentué ;
    — les préverbes sont accentués en principale, dépourvus d’accent en subordonnée s’ils précèdent immédiatement le verbe accentué.

  • Composés (règles générales, beaucoup d’exceptions) :
    karmadhāraya, tatpuruṣa, et dvandva : accent sur le dernier membre, souvent la dernière syllabe ;
    āmreḍita (ex. áhar‑ahar « jour après jour »), composés « à l’inverse » (ex. trasá‑dasyu‑ « effrayant les ennemis »), et bahuvrīhi : accent sur le premier membre. Il y a une exception importante pour les bahuvrīhi qui ont pour premier membre su‑, dus‑, a‑/an‑ dvi‑, tri‑, bahu‑, ou puru‑ ; dans ce cas l’accent est sur le dernier membre, par exemple dvi‑pád‑ « ayant deux pieds » ;
    devatādvandva (littéralement « paire de divinités ») : accent sur chaque membre, ex. índrā‑váruṇā « Indra et Varuṇa ».

  • Différences sémantiques :
    — L’accent fait la différence entre le tatpuruṣa et le bahuvrīhi dans beaucoup de cas : TP rāja‑putrá‑ « fils du roi » vs. BV rā́ja‑putra‑ « dont le fils est roi » ; attention aux BV exceptionnellement accentués sur la dernière syllabe, notamment ceux qui sont formés au moyen de ‑a‑ privatif : TP á‑manuṣa‑ « non humain » vs. BV a‑manuṣá‑ « n’ayant pas d’humains, désert ».
    — Le neutre ou l’emploi substantivé d’un adjectif a tendance à prendre l’accent sur la syllabe radicale en face du masculin ou de l’emploi adjectival qui l’a sur le suffixe : bráhmaṇ‑ nt. « la formule » vs. brahmáṇ‑ m. « le formulateur » ; himā́‑ « hiver » vs. híma‑ « froid ».
    — Le nom d’agent permanent, exprimant une capacité intrinsèque et générale du sujet, est accentué sur la racine, le nom d’agent potentiel sur le suffixe : dā́tr̥‑ « le donateur » vs. dātŕ̥‑ « susceptible de donner » ; cf. Tichy (1995).

Pour un traitement à jour de la phonétique des tons et des systèmes de notation, voir Scharf (2012). Comme le remarque Scharf, la variation entre écoles védiques au niveau de la prononciation des tons avait été correctement décrite déjà dans Wackernagel (1896). La grammaire de Renou (1952) est précise et utile pour la syntaxe et certains faits de base de la phonétique de l’accent (p. 68‑76), mais les sections 83‑84 et le premier paragraphe de 86 ne sont plus valides.

Verbes

Les termes employés dans la description du système verbal védique reflètent les formations du point de vue de la grammaire comparée historique. L’emploi réel d’une catégorie védique dite « imparfait », « parfait », etc. peut n’avoir aucun rapport avec l’emploi de formations portant le même nom dans les langues classiques européennes (grec et latin)8. Les indications suivantes ont été formulées pour aider à la lecture des deux textes présentés ici et ne sont pas exhaustives :

  • L’imparfait sert de temps narratif pour raconter les événements du passé n’ayant plus d’influence sur le présent du locuteur ; traduire au moyen du passé simple (« Il pensa »).

  • Le parfait est souvent employé à côté de l’imparfait dans la narration pour décrire une circonstance générale du passé ; traduire en ce cas avec l’imparfait français (« Il était chauve »). Parfois par contre il faut le traduire comme l’imparfait védique, c’est‑à‑dire au moyen du passé simple français.

  • Le subjonctif est le temps utilisé en védique pour exprimer le futur proche ; traduire au moyen du futur français (« Je presserai ») ; cela vaut quel que soit le thème, de présent ou d’aoriste, sur lequel le subjonctif est formé.

  • L’injonctif, qu’il soit formé sur un thème de présent ou d’aoriste, est à traduire comme un simple présent de l’indicatif « Il fait ».

  • L’impératif, qu’il soit formé sur un thème de présent ou d’aoriste, est à traduire comme l’impératif présent « Fais ! ».

  • L’aoriste sert à exprimer un fait du passé récent ayant encore une influence sur le présent du locuteur (traduire au moyen du passé composé français « Il est venu hier » ou même au moyen de la tournure « Il vient de + infinitif »). Suivi de l’imparfait, il décrit un fait précédant, et ayant des conséquences sur, celui que décrit l’imparfait (« Elle avait trouvé du Soma (aoriste) près du chemin. En rentrant à la maison, elle le mâcha (imparfait) »).

  • L’optatif quand il sert à exprimer le souhait a une convention de traduction « Puissé‑je… », « Puisse‑t‑il… » etc. ; quand il exprime le devoir, « Je dois/devrais… » ; quand il exprime l’irréel, à traduire au moyen du conditionnel français ou selon les besoins de la syntaxe française.

  • Le désidératif : traduire « vouloir » suivi du verbe en question.

  • L’intensif : traduire en ajoutant un adverbe approprié au contexte, du genre « avec effort, avec zèle, avec soin » ou « constamment, instamment, sans cesse » etc.

  • Les préverbes sont souvent séparés de la forme verbale finie qu’ils accompagnent ; on peut aussi les voir comme des prépositions mais il faut généralement combiner leur sens avec celui du verbe et chercher un seul verbe français pour traduire convenablement dans le contexte.

  • Un locuteur unique peut employer la 1e personne tantôt du pluriel, tantôt du singulier, pour s’exprimer ; dans le contexte de cet hymne, il est possible qu’Apālā choisisse parfois le pluriel parce qu’elle parle pour toutes les jeunes filles (suggestion de Leopold von Schroeder).

Morphologie

Le seul point pertinent pour les textes étudiés ici concerne la désinence du neutre pluriel (nominatif/accusatif), qui n’inclut pas obligatoirement le ‑ni de la fin de la désinence classique. Par exemple, ici sárvā = sárvāṇi. La forme sárvā peut donc être confondue avec celle de nom. fém. sg. mais le contexte permet toujours de trancher.

Métrique

Les strophes 1 et 2 de R̥V 8.91 sont en paṅkti (5 lignes de huit syllabes à cadence généralement iambique : bref‑long‑bref‑X) ; les strophes 3 à 7 en anuṣṭubh (4 lignes de huit syllabes à cadence généralement iambique).

Les voyelles à rétablir pour la métrique (cela ne concerne pas la prose) sont indiquées en indice : ex. sū́rya‑ « soleil » généralement à lire en trois syllabes sū́riya‑ ; quand il faut résoudre le sandhi entre quart de vers (pāda), les voyelles restituées ne sont pas en indice mais un tiret signale leur lien défait entre les deux lignes. Cela arrive dans cet hymne aux strophes 3 (ivéndrāya > iva‑ ‑índrāya) et 6 (urvárā́d > urvárā‑ ‑ā́d).

***

Les textes

R̥V 8.91 « L’histoire de la jeune fille Apālā en quête de maturité » suivi de JB 1.220‑1.221 « L’origine de la mélodie dite “Āpāla’’ »

  • Texte sanskrit en translitération ISO 15919.

  • Explication morphologique (et parfois syntaxique) de tous les mots ; un mot une fois glosé dans une forme précise n’est plus glosé par la suite.

  • Traductions données en bloc à la fin.

Texte 1 : R̥V 8.91 (sept strophes)

kaníyā̀ vā́r avāyatī́
sómam ápi srutā́vidat |
ástam bhárantīy abravīd
índrāya sunavai tu
śakrā́ya sunavai tuvā || 1 ||

kanyā̀ : nom. sg. de kanyā̀‑ fém. « jeune fille » (kaníyā avec restitution métrique ; kanyā̀‑ est un exemple d’un mot avec jātya svarita, un type de svarita dû au sandhi interne dans la formation du mot et traduit par un accent grave en caractères romains).

vā́r : acc. sg. de vā́r‑ nt. « eau ».

avāyatī́ : nom. sg. du participe présent actif fém. avāyatī́‑ de la racine avec préverbes avaā‑I « descendre à » (l’hymne est repris dans la Paippalāda‑saṁhitā (4.26) de l’Atharvaveda avec avayatī, donc avec un préverbe en moins).

sómam : acc. sg. de sóma‑ masc. « soma » (la plante de soma, l’éphédra).

ápi : préverbe « près de » + locatif.

srutā́ : loc. sg. de srutí‑ fém. « cours, chemin » (locatif védique srutā́ au lieu de srutáu).

avidat : 3e sg. actif de l’aoriste de VID « trouver ».

ástam : adverbe « à la maison ».

bharantī́ : nom. sg. du participe présent actif fém. bharantī́‑ de BHR̥ « porter, apporter ».

abravīt : 3e sg. de l’imparfait actif de BRŪ « dire » + accusatif.

índrāya : dat. sg. de indra‑ masc. « Indra ».

sunavai : 1e sg. du subjonctif moyen du présent de SU presser ; la Paippalāda‑saṁhitā remplace ce verbe par sunomi (présent de l’indicatif actif).

tvā : « te, toi » acc. sg. du pronom personnel enclitique de 2e personne.

śakrā́ya : dat. masc. sg. de śakrá‑ « le Puissant » (épithète d’Indra).

asáu yá éṣi vīrakó
gr̥háṁ‑gr̥haṁ vicā́kaśad |
imáṁ jámbhasutam piba
dhānā́vantaṁ karambhíṇam
apūpávantam ukthínam || 2 ||

asáu : nom. masc. sg. du pronom déictique de l’éloignement adás ; réfère simultanément au « tu » sous‑entendu par le verbe à la 2e sg. éṣi et à vīrakáḥ. Apālā interpelle Indra directement en le décrivant.

yáḥ : « qui » nom. masc. sg. du pronom relatif yád.

éṣi : 2e sg. du présent actif de I « aller » ; accentué parce qu’en subordonnée introduite par le pronom relatif.

vīrakáḥ : nom. sg. de vīraká‑ masc. « héros chéri, petit héros » (suffixe familier/affectif ‑ka‑).

gr̥háṁ‑gr̥ham : adverbe itératif « de maison en maison ».

vicā́kaśat : nom. masc. sg. du participe présent intensif d’une racine avec préverbe ‑KĀŚ « regarder çà et là », qui ne donne que des formes de présent intensif. La racine CAKṢ, prés. moy. cáṣṭe, pl. cákṣate, est issu d’un présent redoublé de la racine KĀŚ, ce qui a donné ensuite une impression de supplétisme entre cette néo‑racine et la racine de base.

imám : acc. masc. sg. du pronom déictique proche idám « ce, cela ».

jámbha‑sūtam : acc. masc. sg. du composé TP jámbha‑sūta‑ « pressé par les mâchoires », de jámbha‑ « mâchoire » et sūtá‑ « pressé ».

piba : 2e sg. de l’impératif actif du présent de PĀ « boire ».

dhānā́vantam : acc. masc. sg. de dhānā́vant‑ « accompagné de céréales » (dhānā́‑) ; ces deux derniers quarts de vers sont identiques à R̥V 3.52.1ab, où il s’agit précisément des mets offerts avec le Soma à Indra lors du rite de pressurage matinal (prātaḥsavana).

karambhíṇam : acc. masc. sg. de karambhíṇ‑ « accompagné de gruau » (karambhá‑).

apūpávantam : acc. masc. sg. de apūpávant‑ « accompagné de pains » (apūpá‑ est souvent traduit « gâteau » mais ne désigne pas un mets sucré).

ukthínam : acc. masc. sg. de ukthín‑ « pourvu d’hymnes récités » (ukthá‑).

ā́ caná tvā cikitsāmo
'ádhi caná tvā némasi |
śánair iva śanakáir iva‑
‑índrāyendo pári srava || 3 ||

ā́…cikitsāmaḥ : 1re pl. du présent actif désidératif de ā́‑CIT « comprendre, percevoir ».

caná : particule de restriction ; avec négation traduire « point, du tout » etc.

ádhi…imasi : (dans le texte transmis, l’accent de la première syllabe du préverbe se trouve à cause du sandhi placé sur la dernière syllabe du mot précédent : cikitsāmó ‘dhi) 1re pl. du présent indicatif actif de ádhi‑I « observer, comprendre, connaître » mais plus tard « apprendre par cœur, étudier, réciter », verbe d’apprentissage employé dans les textes de la fin de la période védique (le terme sanskrit adhyāya‑ « leçon, lecture » et nom d’une division textuelle, en est le nom d’action résultatif) ; normalement une éducation réservée aux hommes. Apālā veut‑elle rassurer Indra en lui signifiant que son but n’est pas de transgresser les normes en essayant d’apprendre, ou, comme le pense Jamison, qu’elle ne révélera pas aux autres sa prise de contact avec Indra, en évitant de réciter à voix haute en public ? (voir Jamison 1991, p. 164, note 43). L’adverbe śánaiḥ « doucement » de l’hémistiche suivant pourrait confirmer cette interprétation.

 : particule de négation « ne…pas ».

śánaiḥ : adverbe « lentement, doucement » (normalement le pressurage de Soma lors du rite est décrit comme bruyant, tonnant même).

śanakáiḥ : adverbe « tout doucement » avec suffixe ‑ka‑ ; l’ajout du suffixe relève du registre familier, voire des femmes, en védique (Jamison 2009).

iva : particule comparative ici avec son sens atténuatif « quelque peu » ; cet emploi avec l’adverbe au suffixe ‑ka‑ met en scène une Apālā hésitante, secrète, retombant dans le registre familier ou intime. La première syllabe de cette particule peut ne pas être prononcée pour la métrique, comme ici dans sa première occurrence.

indo : voc. sg. de índu‑ masc. « goutte » (pour rappel, c’est normal que le vocatif ne soit pas accentué).

pári srava : 2e sg. actif de l’impératif présent de pári‑SRU « couler » ; ce dernier quart de vers est un syntagme récurrent dans les hymnes du rituel solennel pour l’offrande de Soma.

kuvíc chákat kuvít kárat
kuvín no vásyasas kárat |
kuvít patidvíṣo yatī́r
índreṇa saṁgámāmahai || 4 ||

kuvít : « [Je me demande] si vraiment… ? Est‑ce que vraiment ? » etc. ; introduit une question sur un mode dubitatif et induit l’accentuation des verbes.

śákat : 3e sg. du subjonctif aoriste actif de ŚAK « pouvoir, être capable ».

kárat : 3e sg. du subjonctif aoriste actif de KR̥ « faire, rendre X Y (deux accusatifs) ».

naḥ : « nous » acc. pl. du pronom personnel enclitique (= sans accent) de la 1re personne.

vásyasaḥ : acc. masc. pl. de l’adjectif vásyas‑ « meilleur » ; on n’a pas le féminin attendu, mais le syntagme vásyaso naḥ KR̥ « nous rendre meilleurs » est très fréquemment attesté dans le R̥V (voir Jamison 1991, p. 171, note 52).

patidvíṣaḥ : nom. fém. pl. du composé TP pati‑dvíṣ‑ « qui hait (l’idée d’un) époux, qui déteste les époux », de páti‑ masc. « époux, maître » et dvíṣ‑ « qui hait, qui déteste » (voir remarques dans Pinault 2001, p. 123).

yatī́ḥ : nom. pl. du participe présent fém. yatī́‑ de I « aller ». Le participe implique souvent, comme ici, un contraste ; en outre, apposé à un nom X, le participe de I signifie « quoiqu’étant X, même si X ». Ensuite, « quoique détestant les époux » peut être rendu par « même si nous détestons les époux ».

índreṇa : instr. sg. de índra‑ masc. « Indra ».

saṁgámāmahai : 1re pl. du subjonctif aoriste moyen de sám‑GAM « s’unir » + instrumental.

imā́ni trī́ṇi viṣṭápā
tā́niindra ví rohaya |
śíras tatásyaurvárām
ā́d idám ma úpodáre || 5 ||

imā́ni : acc. nt. pl. du pronom déictique proche (masc. ayám, fém. iyám, nt. idám).

trī́ṇi : acc. nt. pl. du numéral « 3 ».

viṣṭápā : acc. pl. de viṣṭápa‑ nt. « surface ».

tā́ni : acc. nt. pl. du pronom démonstratif (masc. sáḥ, fém. sā́, nt. tád) ; reprend viṣṭápā.

indra : voc. sg. de índra‑ masc. « Indra ».

ví rohaya : 2e sg. actif de l’impératif présent causatif de ‑RUH « faire pousser abondamment ».

śíraḥ : acc. sg. de śíras‑ nt. « tête ».

tatásya : gén. sg. de tatá‑ masc. « papa » (registre familier).

urvárām : acc. sg. de urvárā‑ fém. « champ, terrain ».

ā́t : adverbe « ensuite, après, enfin ».

idám : « ceci » acc. nt. sg. du pronom déictique proche (masc. ayám, fém. iyám, nt. idám).

me : « de moi, mon » gén./dat. sg. du pronom personnel enclitique de la 1re personne.

úpa : préverbe « sur, sous » + locatif.

udáre : loc. sg. de udára‑ nt. « ventre ».

asáu ca yā́ na urvárā‑
‑ā́d imā́ṁ tanúvàm máma |
átho tatásya yác chíraḥ
sárvā tā́ romaśā́ kr̥dhi || 6 ||

asáu : « ce…là‑bas » nom. fém. sg. du pronom déictique de l’éloignement (masc./fém. asáu, nt. adás) ; nominatif ici au lieu de l’accusatif à cause de l’attraction du pronom relatif au nominatif. Voir la grammaire de Renou (1952, p. 398, §460) sur l’attraction.

ca : conjonction « et » (trois mots servant de conjonction enchaînent les trois objets de la prière : ca, ā́t, átho).

yā́ : nom. fém. sg. du pronom relatif « qui, que » (masc. ‑, fém. yā́, nt. yád).

urvárā : nom. sg. de urvárā‑ fém. « champ, terrain ».

imā́m : acc. fém. sg. du pronom déictique proche (masc. ayám, fém. iyám, nt. idám).

tanvàm (lecture métrique trisyllabique tanúvam) : acc. sg. de tanū́‑ fém. « corps ».

máma : « de moi, mon » pronom personnel de 1re sg. au génitif.

átho : adverbe « et ensuite, et après » (átha + u).

yát : « ce qui… » nom. nt. sg. du pronom relatif (masc. ‑, fém. yā́, nt. yád).

śíraḥ : nom. sg. de śíras‑ nt. « tête » (nominatif à cause de la tournure avec relatif « ensuite, ce qu’est la tête de papa… », très courante dans les énumérations en védique).

sárvā : acc. nt. pl. de sárva‑ « tous » (nt. pl. parce que reprenant viṣṭápa‑ nt. plus haut).

tā́ : acc. nt. pl. du pronom démonstratif (masc. sáḥ, fém. sā́, nt. tád).

romaśā́ : acc. nt. pl. de romaśá‑ « poilu ».

kr̥dhi : 2e sg. actif de l’impératif aoriste de KR̥ « faire, rendre X Y (double accusatif) ».

khé ráthasya khé 'ánasaḥ
khé yugásya śatakrato |
apālā́m indra tríṣ pūtvī́y
akr̥ṇoḥ sū́riyatvacam || 7 ||

khé : loc. sg. de khá‑ nt. « trou, moyeu ».

ráthasya : gén. sg. de rátha‑ masc. « char ».

ánasaḥ : gén. sg. de ánas‑ nt. « charrette » (char de transport par contraste avec rátha‑, char de guerre).

yugásya : gén. sg. de yugá‑ nt. « joug ».

śatakrato : voc. masc. sg. de śatá‑kratu‑ (BV) « aux cent volontés » (épithète d’Indra ; krátu‑ masc. signifie en védique la volonté d’un homme, son pouvoir décisif).

apālā́m : acc. sg. de apālā́‑ fém. « Apālā ».

tríḥ : adverbe « trois fois » (le sandhi interne de ‑s‑ précédé de ‑i‑ (ou ‑u‑) devenant rétroflexe est souvent appliqué en sandhi externe en védique).

pūtvī́ (l’accent en sandhi est absorbé par la première syllabe du mot suivant, d’où le texte transmis pūtvy ákr̥ṇoḥ) : « après avoir purifié » ; absolutif védique (avec suffixe ‑tvī́, équivalent de ‑tvā́, qui l’a concurrencé, puis remplacé) de PŪ « purifier ». Divers manuels du rituel domestique védique (Āpastambagr̥hyasūtra 2.4.8, Mānavagr̥hyasūtra 1.8.11, Kāṭhakagr̥hyasūtra 25.8‑9) font réciter cette strophe pendant un rite pour la purification de l’épouse : les versions diffèrent dans le détail, mais le geste essentiel est de verser de l’eau à travers le trou du joug sur la tête de l’épouse (voir Schmidt 1987, p. 4‑5).

akr̥ṇoḥ : 2e sg. de l’imparfait actif de KR̥ « faire ; rendre X Y (double accusatif) ».

sū́ryatvacam : acc. fém. sg. de sū́rya‑tvac‑ (BV) « ayant la peau du soleil=une peau éclatante » ; épithète des épouses d’Indra en Mānavagr̥hyasūtra 1.12.2. L’épouse d’Indra (le plus souvent du nom d’Indrāṇī) est le modèle divin pour la jeune épouse au moment de son mariage.

Texte 2 : JB 1.220‑221

Note concernant le Jaiminīya‑brāhmaṇa : ce texte du milieu de l’époque védique, qui suit les recueils d’hymnes (saṁhitā) mais précède les manuels rituels (sūtra), appartient au Sāma‑veda, le Veda des « mélodies » (sāman‑)9. Lors du rite védique, les hymnes sont soit récités soit chantés sur une mélodie. Chaque récit du JB raconte l’origine d’une mélodie : qui la « vit » en premier (car le découvreur « voit » (racine PAŚ) sa mélodie en védique — sans doute une expression de l’inspiration unique de cet événement) et comment la découverte de cette mélodie a aidé son découvreur. Syntagmes importants : etat sāmāpaśyat « Il/elle vit cette mélodie (dont il est question dans le récit) » ; STU « louer, chanter [un hymne, une louange] » avec l’instrumental de la mélodie sur laquelle on chante. On rencontrera fréquemment ha et vai, particules d’emphase qui rythment la prose ; il est souvent inutile de les traduire. Parfois une tournure comme « C’est X… » peut s’avérer appropriée. Enfin, dans le JB, c’est généralement le datif qui sert à marquer la possession, et pas le génitif comme dans le R̥V.

apālā ha vā ātreyī tilakā vārucchvasā vāpy āsa |

apālā : nom. sg. de apālā‑ fém. « Apālā » ; nom propre.

ātreyī : nom. fém. sg. de ātreyī ‑ « fille/descendante d’Atri » ; dérivé du nom propre atri‑ masc.

tilakā : nom. fém. sg. de tilaka‑ « tachetée, acnéique ».

 : « ou ».

ārucchvasā : nom. fém. sg. de ārucchvasa‑, mot sans doute corrompu mais qui doit décrire quelqu’un souffrant d’un problème de peau. Diverses corrections ont été proposées (voir Schmidt 1987, p. 6‑7) : soit āruś‑chavi‑ soit ārus‑tvacā‑ « ayant une peau comme une blessure = irritée, sujette à des inflammations, à des rougeurs ».

vāpi : « ou bien » ( + api).

āsa : 3e sg. du parfait actif de AS « être ».

sākāmayatāpa pāpaṁ varṇaṁ hanīyeti |

 : « elle » nom. fém. sg. du pronom démonstratif (masc. sáḥ, fém. sā́, nt. tád).

akāmayata : 3e sg. de l’imparfait moyen de kāmaya‑ « désirer ».

pāpam : acc. sg. de pāpa‑ masc. « mauvais ».

varṇam : acc. sg. de varṇa‑ masc. « couleur, mine, apparence ».

apa...hanīya : « puissé‑je m’arracher » ; 1re sg. de l’optatif moyen (d’où le verbe pronominal/réfléchi en français) de HAN « frapper » + le préverbe apa « pour écarter, pour éloigner ».

saitat sāmāpaśyat |

etat : acc. nt. sg. du pronom etad « ce, cela », employé pour référer à quelque chose dont on a déjà parlé (emploi anaphorique) ou dont on parlera (cataphorique) ou encore à quelque chose dont il est généralement question ou qui est bien connu ; comme le but final du récit est d’expliquer l’origine de la mélodie « Āpāla », on doit comprendre etat sāma = « cette mélodie dont il est question ici ».

sāma : acc. sg. de sāman‑ nt. « mélodie ».

apaśyat : 3e sg. de l’imparfait actif de PAŚ « voir ».

tenāstuta |

astuta : 3e sg. de l’imparfait moyen de STU « chanter une louange » + instrumental de la mélodie sur laquelle on chante.

tena : instr. nt. sg. du pronom démonstratif (masc. sáḥ, fém. sā́, nt. tád) ; réfère à la mélodie.

sā tīrtham abhyavayatī somāṁśum avindat |

tīrtham : acc. sg. de tīrtha‑ nt. « rive, gué ».

abhyavayatī : nom. sg. du participe présent fém. abhyavayatī‑ de abhi‑ava‑I « descendre vers ».

somāṁśum : acc. masc. sg. du composé somāṁśu‑ « tige de Soma », de soma‑ « Soma » et aṁśu‑ « tige ».

avindat : 3e sg. de l’imparfait actif de VID (classe 6) « trouver ».

taṁ samakhādat |

tam : acc. masc. sg. du pronom démonstratif (masc. sáḥ, fém. sā́, nt. tád).

samakhādat : 3e sg. de l’imparfait actif de sam‑KHĀD « mâcher ».

tasyai ha grāvāṇa iva dantā ūduḥ |

tasyai : dat. fém. sg. du pronom démonstratif (masc. sáḥ, fém. sā́, nt. tád) ; datif de possession « les dents à elle = ses dents ».

grāvāṇaḥ : nom. masc. pl. de grāvaṇ‑ « pierre de pressurage ».

dantāḥ : nom. pl. de danta‑ masc. « dent ».

ūduḥ : 3e pl. du parfait actif de VAD « parler » ; les pierres de pressurages/les dents « parlaient » en ce qu’elles faisaient un bruit qui attirait Indra.

iva : adverbe post‑posé ; sens comparatif « comme ».

sa indra ādravad grāvāṇo vai vadantīti |

saḥ : « il » nom. masc. sg. du pronom démonstratif (masc. sáḥ, fém. sā́, nt. tád) ; (inutile de traduire ; le sujet est Indra).

indraḥ : nom. sg. de indra‑ masc. « Indra », nom propre du dieu.

ādravat : 3e sg. de l’imparfait actif de ā‑DRU « accourir ».

grāvāṇaḥ : nom. pl. de grāvaṇ‑ masc. « pierre de pressurage ».

vadanti : 3e pl. du présent actif de VAD « parler ».

iti : suppléer « en se disant » ; cette particule signale souvent, dans le JB, la citation au discours direct sans l’appui d’un verbe signifiant « dire ».

sābhivyāharat | kanyā…tvā (R̥V 8.91.1) || iti |

abhivyāharat : 3e sg. de l’imparfait actif de abhi‑vi‑ā‑HR̥ « réciter ».

iti : le discours direct d’Apālā consiste en la récitation de la strophe du R̥V.

asyai vā idaṁ grāvāṇa iva dantā vadantīti viditvendraḥ parāṅ āvartata |

asyai : dat. fém. sg. du pronom déictique proche (masc. ayám, fém. iyám, nt. idám) ; datif de possession « à/de celle‑ci ».

idam : emploi adverbial « voici que » ou peut‑être dans un sens temporal « maintenant », de l’acc. nt. sg. du pronom déictique proche idam « ce, cela ».

iva : « comme », particule de comparaison qui se construit avec le mot qui précède.

dantāḥ : nom. pl. de danta‑ masc. « dent ».

viditvā : « après avoir compris », absolutif de VID « savoir, comprendre » ; ce qui est su est exprimé par une phrase de discours direct terminée par iti (pour mérmoire, l’absolutif de VID‑ « trouver » est vittvā).

parāṅ : nom. masc. sg. de parāñc‑ « tourné de l’autre côté », attribut d’Indra qui complète le sens du verbe āvartata dont il est le sujet.

āvartata : 3e sg. de l’imparfait moyen de ā‑VR̥T « (se) tourner, (se) retourner » ; avec parāñc‑ « se détourner ».

tam abravīt | asau…ukthinam (R̥V 8.91.2) || iti |
anādriyamāṇaivaitam abravīt | ā cana…nemasi (R̥V 8.91.3ab) | iti

an‑ādriyamāṇā : nom. fém. sg. du participe présent moyen ādriyamāṇa‑ de ā‑DR̥ « remarquer, se soucier de » + accusatif (voir Jamison 1991, p. 151, note 17)10, avec le préfixe de négation a(n)‑ (les participes, étant des formes nominales en sanskrit, prennent la négation de mot, contrairement au français où les participes prennent la négation de phrase « ne se souciant pas »).

eva : « seulement », particule de restriction ; avec négation traduire « point, du tout » etc.

etam : « lui, à cet [héros Indra dont il est question dans la strophe qui vient d’être récitée] » acc. masc. sg. du pronom anaphorique masc. eṣaḥ, fém. eṣā, nt. etad.

purā mā sarvayarcāpālā stautīty apaparyāvartata |

purā : adverbe avec un verbe au présent = « bientôt » + le futur (usage du sanskrit classique) OU adverbe « avant, déjà » : « Apālā me loue déjà (= m’a déjà loué ?) avec une strophe entière ».

 : « me, moi » acc. sg. du pronom personnel enclitique de 1re personne.

sarvayā : instr. fém. sg. de sarva‑ « tout, entier ».

r̥cā : instr. sg. de r̥c‑ fém. « strophe » et par métonymie « prière en forme de strophe » (le premier membre du composé R̥g‑veda, d’ailleurs).

stauti : 3e sg. du présent actif de STU « louer ».

apaparyāvartata : 3e sg. de l’imparfait moyen de apa‑pariā‑VR̥T « se retourner en arrière ».

śanaiḥ…srava (R̥V 8.91.3cd) || ity evāsyai mukhāt somaṁ niradhayat |

eva : « ainsi, en effet, alors » (usage védique en début de phrase).

mukhāt : abl. sg. de mukha‑ nt. « bouche, visage ».

niradhayat : 3e sg. de l’imparfait actif de nir‑DHĀ « sucer pour extraire » ; le préverbe nis motive la construction avec l’ablatif mukhāt. Indra boit le soma liquide de la bouche d’Apālā en lui donnant un baiser.

somapītha iva ha vā asya sa bhavati ya evaṁ vidvāṁs striyai mukham upājighrati || 1.220 ||

soma‑pīthaḥ : nom. masc. sg. du composé TP soma‑pītha‑ « boisson de Soma ».

asya : gén. masc. sg. du pronom déictique proche (masc. ayám, fém. iyám, nt. idám) ; fonctionne ici comme un datif d’intérêt ; corrélé avec le pronom relatif yaḥ ici.

saḥ : nom. masc. sg. du pronom démonstratif (masc. sáḥ, fém. sā́, nt. tád) ; ce pronom reprend soma‑pīthaḥ ici et n’est pas à corréler avec ya evaṁ vidvān.

bhavati : 3e sg. du présent actif de BHŪ « devenir, être » ; le sujet saḥ (masc.) réfère à soma‑pītha‑ (masc.).

ya evaṁ vidvān : « qui, sachant ainsi… » ; vidvāṁs‑ est le participe parfait actif (à sens présent) de VID « savoir ». Comparer le syntagme courant ya evaṁ veda « qui sait ainsi » pour désigner celui qui a compris la connexion cachée, le sens intime d’un geste rituel (ou mondain, comme ici !).

striyai : dat. sg. de strī‑ fém. « femme » (datif de possession ici).

mukham : acc. sg. de mukha‑ nt. « bouche, visage ».

upājighrati : 3e sg. du présent actif de upaā‑GHRĀ « flairer, effleurer avec son visage en inspirant ».

tām abravīd apāle kiṁkāmāsīti |

tām : acc. fém. sg. du pronom démonstratif (masc. sáḥ, fém. sā́, nt. tád), ici pronom personnel de 3e personne.

apāle : voc. sg. de apālā‑ fém. « Apālā ».

kiṁkāmā : nom. fém. sg. du BV kiṁkāma‑ « ayant quel désir ».

asi : 2e sg. du présent actif de AS « être ».

sābravīt | imāni…upodare (R̥V 8.91.5 et 6d) || sarvā tā romaśā kr̥dhi || iti
khalatir hāsyai pitāsa | taṁ hākhalatiṁ cakāra |

khalatiḥ : nom. masc. sg. de khalati‑ « chauve ».

pitā : nom. masc. sg. de pitr̥‑ « père ».

āsa : 3e sg. du parfait actif de AS « être ».

tam : acc. masc. sg. de tad, ici pronom personnel de 3e personne reprenant pitā.

akhalatim : acc. masc. sg. de akhalati‑ « non chauve ; chevelu ».

cakāra : 3e sg. du parfait actif de KR̥ « faire ; rendre X Y (double accusatif) » ; le sujet sous‑entendu est Indra.

Note : les particules ha rythment et connectent les deux phrases : s’il n’est pas nécessaire de traduire la première, la seconde peut être traduite par « eh bien, … ».

urvarā hāsya na jajñe | so ha jajñe |

urvarā : nom. sg. de urvarā‑ fém. « champ, terrain ».

na : « ne…pas » particule de négation portant sur le verbe.

jajñe : 3e sg. du parfait moyen de JANI « produire » (au moyen, sens intransitif ; « être productif ; pousser »).

 : nom. fém. sg. du pronom démonstratif (masc. sáḥ, fém. sā́, nt. tád) ; reprend urvarā.

u : particule « et, aussi ».

upasthe hāsyai romāṇi nāsuḥ | tāny u ha jajñire |

upasthe : loc. sg. de upastha‑ masc. « giron, bas‑ventre ».

asyai : « à/de celle‑ci » dat. fém. sg. du pronom déictique proche (masc. ayám, fém. iyám, nt. idám) ; datif du bénéficiaire.

romāṇi : nom. pl. de roman‑ nt. « poil ».

āsuḥ : 3e pl. du parfait actif de AS « être ».

tāni : nom. nt. pl. du pronom démonstratif (masc. sáḥ, fém. sā́, nt. tád) ; reprend romāṇi.

jajñire : 3e pl. du parfait moyen avec valeur intransitive de JANI « produire » (au moyen « être productif, pousser » etc.).

tāṁ khe rathasyātyavr̥hat11 |

tām : acc. fém. sg. du pronom démonstratif (masc. sáḥ, fém. sā́, nt. tád) ; se réfère à Apālā.

khe : loc. sg. de kha‑ nt. « trou, moyeu ».

rathasya : gén. sg. de ratha‑ masc. « char ».

atyavr̥hat : 3e sg. de l’imparfait actif de ati‑VR̥H « tirer à travers violemment » (VR̥H normalement « arracher ») — ici peut‑être « écorcher en la tirant à travers… ». Dans une version de l’histoire racontée dans un texte médiéval, c’est la peau arrachée qui devient un lézard, et non Apālā elle‑même.

sā godhābhavat |

godhā : nom. sg. de godhā‑ fém. « varan, gros lézard » ; en Pañcaviṁśabrāhmaṇa 9.2.13‑14, Indra guérit la jeune femme Akūpārā Āṅgirasī de sa peau de lézard en la purifiant trois fois jusqu’à ce qu’elle devienne sūrya‑tvacā‑ comme Apālā ; voir Jamison (1991, p. 155).

tāṁ khe 'naso 'tyavr̥hat |

anasaḥ : gén. sg. de anas‑ nt. « charrette ».

sā kr̥kalāsy abhavat |

kr̥kalāsī : nom. sg. de kr̥kalāsī‑ fém. « caméléon femelle ».

tāṁ khe yugasyātyavr̥hat |

yugasya : gén. sg. de yuga‑ nt. « joug ».

sā saṁśliṣṭikābhavat |

saṁśliṣṭikā : nom. fém. sg. de saṁśliṣṭikā‑ « bonne à embrasser », adjectif verbal de sam‑ŚLIṢ « coller ensemble » avec suffixe ‑ka‑.

tad eṣābhyanūcyate | khe…sūryatvacam (R̥V 8.91.7) || iti

tat : acc. nt. sg. du pronom tad, ici dans une fonction anaphorique pour reprendre toute l’histoire de la purification d’Apālā qui vient d’être racontée.

eṣā : « cette [strophe bien connue] » nom. fém. sg. du pronom ici cataphorique (faisant référence à ce qui suit) : masc. eṣaḥ, fém. eṣā, nt. etad.

abhyanūcyate : 3e sg. du présent moyen de abhi‑anu‑VAC « référer à » + accusatif.

tasyai ha yat kalyāṇatamaṁ rūpāṇāṁ tad rūpam āsa |

tasyai : dat. fém. sg. du pronom démonstratif (masc. sáḥ, fém. sā́, nt. tád) ; avec le verbe āsa = « à elle était… » = « elle avait ».

yat…tat : pronoms corrélatifs au nom. nt. sg. ; « À elle (tasyai) était (āsa) la couleur (tad rūpam) qui [était] (yat) la plus belle (kalyāṇatamam) des couleurs (rūpāṇām) ».

kalyāṇatamam : acc. nt. sg. du superlatif kalyāṇa‑tama‑ « le plus beau ».

rūpāṇām, rūpam : gén. pl. et acc. sg. de rūpa‑ nt. « couleur, forme » (polyptote).

āsa : 3e sg. du parfait actif de AS « être ».

tad etat kāmasani sāma |

tad…etat « ça, c’est le [sāman] dont on parle ».

kāmasani : nom. nt. sg. du composé TP kāma‑sani‑ « qui réalise le désir, tout ce que l’on désire », de kāma‑ « désir » et sani‑ « qui gagne, réalise ».

sāma : nom. sg. de sāman‑ nt. « mélodie ».

etaṁ vai sā kāmam akāmayata |

vai : « de fait » ; probablement utile de traduire ici, car on constate quelque chose.

kāmam akāmayata : 3e sg. de l’imparfait moyen de la figure étymologique kāmaṁ kāmaya‑ « désirer un désir » = avoir un désir.

so 'syai kāmas samārdhyata |

asyai : dat. fém. sg. du pronom déictique proche (masc. ayám, fém. iyám, nt. idám) (comme noté au début, le datif sert pour indiquer le possesseur dans le JB ; ici on peut hésiter entre le datif de bénéfice et un usage possessif).

kāmaḥ : nom. sg. de kāma‑ masc. « désir ».

samārdhyata : 3e sg. de l’imparfait moyen de sam‑R̥DH « réussir, être exaucé ».

yatkāma evaitena sāmnā stute sam asmai sa kāma r̥dhyate ||

yatkāmaḥ : nom. masc. sg. du BV yat‑kāma‑ « ayant un désir de ce type » (comparer plus haut kiṁ‑kāma‑) ; la syntaxe fait l’économie du pronom relatif yaḥ qu’il faut sous‑entendre et qui serait corrélé avec asmai : « Celui qui, ayant un tel désir, loue… le désir se réalise pour celui‑ci ».

eva : « précisément », inutile de traduire.

etena : instr. nt. sg. du pronom anaphorique etad « ce, cela dont on parle ».

sāmnā : instr. sg. de sāman‑ nt. « mélodie ».

stute : 3e sg. du présent moyen de STU « louer » + instrumental de la mélodie.

sam…r̥dhyate : 3e sg. du présent moyen de sam‑R̥DH « réussir, être exaucé ».

asmai : dat. masc. sg. du pronom déictique proche (masc. ayám, fém. iyám, nt. idám).

yad v apālātreyy apaśyat tasmād āpālam ity ākhyāyate || 2.221 ||

yat : « puisque » ; adverbe fait sur l’acc. nt. sg. du pronom relatif yad « ce qui, ce que », corrélé avec tasmād.

apaśyat : 3e sg. de l’imparfait actif de PAŚ « voir ».

tasmād : « donc, par conséquent » ; adverbe fait sur l’abl. nt. sg. du pronom démonstratif tad.

āpālam : nom. nt. sg. de āpāla‑ « d’Apālā » (dérivé par vr̥ddhi du nom propre apālā‑, avec valeur d’appartenance de ce type de dérivé) ; nom de la mélodie (sāman‑ nt.) vue par Apālā.

ākhyāyate : 3e sg. du présent moyen (usage passif) de ā‑KHYĀ « appeler ».

Traductions

R̥V 8.91

1. Une jeune fille descendant au bord de l’eau avait trouvé du Soma près du chemin. En [le] portant à la maison, elle dit « Je te presserai pour Indra, je te presserai pour le Puissant ».
2. [Toi], le héros chéri‑là qui vas en regardant instamment çà et là de maison en maison, bois ce [Soma] pressuré par [mes] mâchoires, accompagné de céréales, de gruau, de pains et d’hymnes récités.
3. Nous voulons juste te comprendre, nous ne te connaissons point/nous ne te récitons pas à voix haute. Doucement, comme ça, tout doucement, comme ça, ô goutte, coule alentour pour Indra !
4. En sera‑t‑il vraiment capable ? Le fera‑t‑il vraiment ? Nous rendra‑t‑il vraiment meilleure ? Bien que nous détestions les maris, nous unirons‑nous à Indra ?
5. Ces trois surfaces, fais‑les pousser abondamment, ô Indra : la tête de papa, le champ, ensuite ceci sous mon ventre.
6. [D’abord] ce champ là‑bas qui nous appartient, ensuite ce corps mien, et après la tête de papa : rends‑les tous poilus !
7. Dans le moyeu du char, dans le moyeu de la charrette, dans le trou du joug, ô Indra aux cent volontés, après avoir purifié Apālā trois fois, tu [lui] fis une peau éclatante.

JB 1.220‑221

JB 1.220 : Apālā fille d’Atri était acnéique ou bien elle avait la peau sujette à des rougeurs. Elle désira, « Puissé‑je m’arracher [ma] mauvaise couleur ». Elle vit cette mélodie (dont il est question ici, celle dite « Āpāla »). [Elle] loua avec elle. En descendant vers la rive, elle trouva une tige de Soma. [Elle] la mâcha. Ses dents parlaient comme les pierres de pressurage. Indra accourut [en se disant] « Ce sont les pierres de pressurage qui parlent ! ». Elle récita (R̥V 8.91.1) : « Une jeune fille descendant au bord de l’eau a trouvé du Soma près du chemin. En [le] portant à la maison, elle dit « Je te presserai pour Indra, je te presserai pour le Puissant » ». Indra, ayant compris que « Ce sont ses dents qui parlent ici comme les pierres de pressurage », se détourna en se dirigeant ailleurs. [Elle] lui dit (R̥V 8.91.2) : « [Toi], le héros chéri‑là qui vas en regardant instamment çà et là de maison en maison, bois ce [Soma] pressuré par [mes] mâchoires, accompagné de céréales, de gruau, de pains et d’hymnes récités ». Ne s’en souciant point (du fait qu’Indra se désintéressait), [elle] lui dit (R̥V 8.91.3ab) : « Nous voulons juste te comprendre, nous ne te connaissons point/nous ne te récitons pas à voix haute ». [Indra] se retourna en pensant, « Apālā va bientôt me louer avec la strophe entière ». « Doucement, comme ça, tout doucement, comme ça, ô goutte, coule alentour pour Indra ! » (R̥V 8.91.3cd) [dit‑elle]. [Indra] suça alors le Soma de la bouche de celle‑ci. Cela devient comme la boisson de Soma pour lui, qui, sachant ainsi, embrasse la bouche d’une femme.
JB 1.221 : [Indra] lui dit, « Ô Apālā, quel est ton désir ? » Elle dit (R̥V 8.91.5 et 6d) : « Ces trois surfaces, fais‑les pousser abondamment, ô Indra : la tête de papa, le champ, ensuite ceci sur mon ventre. Rends‑les tous poilus ! ». Son père était chauve — [Indra] le rendit chevelu. Le champ de celui‑ci ne donnait pas de fruits — et il en donna. Il n’y avait pas de poils sur son bas‑ventre — et [ensuite] ils poussèrent. [Indra] la tira violemment à travers le moyeu de [son] char. Elle devint un varan. [Il] la tira violemment à travers le moyeu d’une charrette. Elle devint un caméléon. [Il] la tira violemment à travers le trou du joug. Elle devint bonne à embrasser. À cela réfère cette (strophe R̥V 8.91.7) : « Dans le moyeu du char, dans le moyeu de la charrette, dans le trou du joug, ô Indra aux cent volontés, après avoir purifié Apālā trois fois, tu [lui] fis une peau éclatante ». Elle avait la plus belle des couleurs. C’est cette mélodie (dont il est question ici, la mélodie Āpāla) qui réalise tout ce que l’on désire. Elle désira (= eut) ce désir (dont on a parlé plus haut). [Et] son désir fut exaucé. Celui qui ayant un tel désir loue avec cette mélodie (= celle dite « Āpāla »), le désir se réalise pour lui. Et comme Apālā, fille d’Atri, vit [cette mélodie], pour cette raison on appelle cette dernière « Āpāla ».

Bibliography

Grammaires

Macdonell, Arthur A. (1916). A Vedic Grammar for Students. Clarendon. [Plusieurs fois réimprimé ; n’importe quelle édition peut servir].

Renou, Louis. (1952). Grammaire de la langue védique. I.A.C.

Dictionnaires

Grassmann, Hermann. (1872‑1875). Wörterbuch zum Rig‑Veda. F. A. Brockhaus. [Dictionnaire sanskrit‑allemand du R̥V très complet mais dépassé pour un certain nombre de mots].

Mayrhofer, Manfred. (1956‑1980). Kurzgefaßtes etymologisches Wörterbuch des Altindischen / A Concise Etymological Sanskrit Dictionary (4 vol.). Carl Winter. [KEWA, dictionnaire étymologique sanskrit‑allemand‑anglais ; plus d’entrées que EWAia mais avec des notes moins complètes ; consulter d’abord ce dernier].

Mayrhofer, Manfred. (1992‑2001). Etymologisches Wörterbuch des Altindoarischen (3 vol.). Carl Winter. [EWAia, dictionnaire étymologique sanskrit‑allemand beaucoup plus à jour que Grassmann ; avec références aux dernières études parues et l’expression de sa propre opinion sur les vocables débattus].

Monier-Williams, Sir Monier. A Sanskrit‑English Dictionary. <www.sanskrit‑lexicon.uni‑koeln.de/scans/MWScan/2020/web/webtc/indexcaller.php>. [Dictionnaire sanskrit‑anglais servant pour la littérature sanskrite surtout classique].

Il n’y a pas de dictionnaire sanskrit‑français qui suffise pour la langue védique, mais les Études védiques et pāṇinéennes de L. Renou peuvent être consultées, pour chercher des modèles de traduction en français, au moyen de l’index suivant :

Pinault, Georges‑Jean (avec Ronan Moreau). (2012). Index verborum des Études védiques et pâninéennes de Louis Renou. Bulletin d’études indiennes30.

Éditions de référence

Saṁhitā du R̥gveda

Aufrecht, Theodor. (1877). Die Hymnen des R̥gveda. Adolph Marcus.

Cette édition a été reproduite avec une orthographe modernisée et le rétablissement des voyelles pour une lecture métrique :

Van Nooten, Barend A. & Holland, Gary B. (1994). Rig Veda. A Metrically Restored Text. Harvard University Press.

Jaiminīya‑brāhmaṇa du Sāmaveda

Vira, Raghu & Chandra, Lokesh. (1954). Jaiminīya Brāhmaṇa of the Sāmaveda. International Academy of Indian Culture.

Sauf mention explicite, le texte du JB reproduit dans le présent article est la version corrigée qui se trouve dans Jamison (1991, p. 149‑151), et qui se base sur les corrections suggérées par Schmidt (1987) par rapport à l’édition de Raghu Vira et Lokesh Chandra.

Traductions

Saṁhitā du R̥gveda

en français

Renou, Louis. (1938). Hymnes et Prières du Veda. Textes traduits du sanskrit. Adrien‑Maisonneuve. [Il s’agit d’une vieille traduction en français d’une sélection d’hymnes, y compris l’hymne étudié ici (no 31, p. 80‑81). Elle peut être utile comme référence mais reste sujette à des erreurs d’interprétation compréhensibles avant la parution des études citées ci‑dessus].

en anglais

Jamison, Stephanie W. & Brereton, Joel. (2014). The Rigveda: The Earliest Religious Poetry of India (3 vol.). Oxford University Press.

en allemand

Geldner, Karl Friedrich. (1951). Der Rig‑Veda. Aus dem Sanskrit ins Deutsch übersetzt und mit einem laufenden Kommentar versehen (4 vol. Vol. 1‑3 : 1951. Vol. 4 : Nobel, Johannes. Namen‑ und Sachregister zur Übersetzung, dazu Nachträge und Verbesserungen). Harvard University Press.

Jaiminīyabrāhmaṇa

Il n’existe pas de traduction intégrale de ce texte. La sélection de passages traduits en allemand de Willem Caland est ce qu’on a de plus complet, mais ne contient pas le passage étudié ici :

Caland, Willem. (1919). Das Jaiminīya‑Brāhmaṇa in Auswahl. Müller.

Ouvrages cités dans les notes

Bronkhorst, Johannes. (2007). Greater Magadha. Studies in the Culture of Early India. Brill.

Hollenbaugh, Ian. (2018). Aspects of the Indo‑European Aorist and Imperfect. Re‑evaluating the Evidence of the R̥gveda and Homer and Its Implications for PIE. Indo‑European Linguistics, 6, 1‑68. <https://doi.org/10.1163/22125892-00601002>.

Hollenbaugh, Ian. (2021). Tense and Aspect in Indo‑European: A Usage‑Based Approach to the Verbal Systems of the Rigveda and Homer (Thèse de doctorat). UCLA, Los Angeles. <https://escholarship.org/uc/item/3t47g3cx>.

Jamison, Stephanie W. (1991). The Ravenous Hyenas and the Wounded Sun. Myth and Ritual in Ancient India. Cornell University Press.

Jamison, Stephanie W. (2009). Sociolinguistic Remarks on the Indo‑Iranian *‑ka‑ Suffix: A Marker of Colloquial Register. Indo‑Iranian Journal, 52(2/3), 311‑329.

Kulikov, Leonid. (2012). The Vedic ‑ya‑ Presents. Passives and Intransitivity in Old Indo‑Aryan. Rodopi.

Macdonell, Arthur Anthony. (1886). Kātyāyana’s Sarvānukramaṇī of the R̥gveda. Clarendon.

Pinault, Georges‑Jean. (2001). Vierges sages du Veda. Dans C. Chojnacki (dir.), Les Âges de la vie dans le monde indien (p. 95‑129). De Boccard.

Pinault, Georges‑Jean. (2014). About the Names of Some Vedic Poets. Dans H. H. Hock (dir.), Vedic Studies: Language, Texts, Culture, and Philosophy, vol. 1 : Veda Section (p. 57‑77). D. K. Printworld.

Ratié, Isabelle. (2025). Wonderful Anomalies: On the Representations of Women Philosophers in Indian Premodern Literature. Dans J. Petit & G.‑J. Pinault (dir.), Praśasti: Studies in Indology Presented to Nalini Balbir by Colleagues, Students, and Friends (p. 473‑514). Universitätsverlag Halle‑Wittenberg.

Scharf, Peter. (2012). Vedic Accent: Underlying vs. Surface. Dans F. Voegeli, V. Eltschinger, D. Feller, M.‑P. Candotti, B. Diaconescu & M. Kulkarni (dir.), Devadattīyam. Johannes Bronkhorst Felicitation Volume. Peter Lang.

Schmidt, Hanns‑Peter. (1987). Some Women’s Rites and Rights in the Veda. BORI.

Spiers, Carmen S. (2022). Sur un rôle inconnu de Soma : un dieu de l’amour dans l’Atharvaveda. Bulletin d’études indiennes, 35, 161‑183.

Tichy, Eva. (1995). Die Nomina Agentis auf ‑tar‑ im Vedischen. Winter.

Wackernagel, Jacob. (1896). Altindische Grammatik, vol. I : Lautlehre. Vandenhoeck und Ruprecht.

Witzel, Michael. (2009). Female Rishis and Philosophers in the Veda? Journal of South Asia Women Studies, 11(1). <http://nrs.harvard.edu/urn-3:HUL.InstRepos:9886300>.

Notes

1 Études importantes (en anglais) sur l’histoire d’Apālā : Jamison (1991, p. 149‑151, 165‑174) ; Schmidt (1987, p. 1‑29). Une nouvelle traduction française avec introduction et notes, prenant en compte les études ci‑dessus, se trouve dans Pinault (2001, p. 121‑124). Return to text

2 Voir les calculs de l’éditeur : Macdonell (1886, p. viii). Return to text

3 Celle‑ci est censée avoir son début vers 1200 avant notre ère avec les hymnes du R̥gveda, qui sont suivis chronologiquement par les deux recueils d’hymnes (avec des parties en prose) de l’Atharvaveda (Śaunakasaṁhitā et Paippalādasaṁhitā). Cette chronologie rélative s’étale encore avec les formules et réflexions en prose sur le rituel des recueils du Yajurveda, les commentaires et récits des Brāhmaṇa, les textes de réflexion philosophiques (Upaniṣad, Āraṇyaka) et enfin les manuels rituels (Sūtra). La datation des dernières couches pourrait pour certains textes s’avérer tardive, allant jusqu’au début de notre ère ; voir Bronkhorst (2007). Return to text

4 Witzel (2009). Return to text

5 Sur l’onomastique des poètes védiques, voir Pinault (2014). Return to text

6 Spiers (2022). Return to text

7 Le désir de la part de certains collègues de reconstruire une antiquité riche en opportunités pour les femmes, ne peut, à mon avis, qu’obstruer la lutte féministe, en rendant invisibles les obstacles réels que les femmes devaient toujours et doivent encore affronter ; sur les femmes dans les débats de la philosophie indienne, voir l’article de Ratié (2025). Return to text

8 Pour l’emploi de l’imparfait, du parfait, et de l’aoriste dans le R̥V, voir Hollenbaugh (2018 et 2021). Return to text

9 Je remercie Charles De Paiva Santana, maître de conférences en musicologie à Aix‑Marseille Université, pour avoir confirmé que le chant des sāman peut être qualifié de mélodique, même si la mélodie se concentre sur une seule note la plupart du temps. Ceci vaut en tout cas pour l’exemple que je lui ai montré, celui du chantre kéralais de l’école Jaiminīya, Thottam Sivakaran Namboothiri, dans la video suivante : <www.youtube.com/watch?v=Qzz8cUXAlpA>.
J’ai eu l’opportunité d’entendre ce chantre en personne le 1er mars 2021 au Vadakke Madham Brahmaswam de Thrissur, Kérala, lors du colloque « 3 Days National Seminar on Traditional Chanting and Interpretation of Veda », co‑organisé par le SZCC, Thanjavur. Return to text

10 Voir aussi Kulikov (2012, p. 122). Return to text

11 Le texte de Jamison ainsi que l’édition de Raghu Vira et Lokesh Chandra lit atyabr̥hat ; les formes de la racine VR̥H sont souvent écrites avec ‑b‑ (la confusion liée à la perte de la distinction à l’oral entre ‑b‑ et ‑v‑ est un phénomène général des manuscrits et inscriptions indiens), donc je suppose que la racine VR̥H « arracher » est visée, et non pas BR̥H « se gonfler, s’agrandir ». Return to text

References

Electronic reference

Carmen Spiers, « L’histoire de la jeune fille Apālā en quête de maturité », Agastya [Online], 1 | 2025, Online since 02 juin 2025, connection on 27 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/agastya/index.php?id=239

Author

Carmen Spiers

Aix-Marseille Université, CNRS, TDMAM, Aix-en-Provence, France
carmen.spiers[at]univ-amu.fr

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