1. Introduction et analyse
1.1. Śakuntalā, une femme de tête
Il existe dans le Mahābhārata plusieurs personnages féminins qui jouent un rôle actif et contrastent avec l’image, erronée, qu’on a trop souvent de la femme dans l’Inde ancienne : effacée, dépourvue d’initiative, entièrement soumise à l’autorité masculine — qu’elle soit paternelle ou maritale —, tout au plus destinée à être l’héroïne d’une intrigue amoureuse. Ainsi, par exemple, Sāvitrī (livre III, chapitres1 277‑283), qui impose à ses parents le choix de son époux et parvient, au terme d’un long dialogue qui l’oppose au dieu Yama, venu chercher cet époux qu’elle a choisi afin de l’emporter au royaume des morts, à convaincre celui-ci de renoncer à sa proie, après lui avoir proposé de prendre sa propre vie en échange — ce sacrifice même n’aura pas lieu —, puis lui avoir délivré une savante et pertinente leçon sur le dharma. Ainsi, également, Śakuntalā, la fille de l’apsaras Menakā et de Viśvāmitra, guerrier qui a obtenu par l’ascèse de devenir brahmane : l’histoire de cette figure féminine constitue un épisode (upākhyāna) inséré dans le récit épique, qui occupe les chapitres 62 à 69 du premier livre, regroupant 308 strophes. On y découvre une femme de tête, revendiquant son bon droit, possédant une connaissance supérieure du dharma, capable de réduire à quia — sinon de convaincre tout à fait — l’homme qu’elle a devant elle et qui refuse d’honorer ses engagements, veillant à la perpétuation de la lignée royale et par là au destin de l’univers. Une femme, en deux mots, qui ressemble fort peu à l’héroïne bien connue du drame de Kālidāsa (Abhijñānaśakuntalā, « Śakuntalā au signe de reconnaissance », fin du ive ou début du ve siècle de notre ère), qui, malgré un bref mouvement de révolte, se laisse repousser par le royal amant qui l’avait séduite et, lorsqu’il la reconnaît enfin, après plusieurs années, lui pardonne immédiatement en l’exonérant de toute responsabilité.
1.2. Situation dans le Mahābhārata et résumé
L’épisode de Śakuntalā (Śakuntalopakhyāna) occupe donc huit chapitres de l’Ādiparvan, le « Livre des origines » : deux générations après les péripéties qui font l’objet du récit épique, le sage Vaiśaṃpāyana expose à Janamejaya, l’arrière-petit-fils d’Arjuna, un des héros du récit épique, les origines de la guerre qui a déchiré la famille des Bharatides, opposant les fils de Pāṇḍu à leurs cousins fils de Dhṛtarāṣṭra pour la conquête de la royauté sur la terre. Il s’agit, dans cet épisode, de lui conter les origines de la dynastie, c’est-à-dire les événements qui ont conduit à la naissance de Bharata, son ancêtre éponyme, et l’accession de ce dernier à la royauté universelle.
À l’instar de nombreux autres souverains du lignage, en cet âge de dépérissement du dharma où se situe l’épopée, Duḥṣanta (qui, dans une autre recension de l’épopée ainsi que dans la pièce de Kālidāsa, se nomme Duṣyanta ; dans la recension bengalie de cette dernière, son nom est Duṣmanta), roi d’Hastināpura, est confronté à un problème de génération et donc de succession : il n’a pas de fils pour assurer la continuité du culte aux mânes de la famille — c’est une obligation majeure pour tout homme — et perpétuer la dynastie au pouvoir. Après avoir dressé l’éloge de ce souverain (chapitre 62), le narrateur décrit la chasse féroce à laquelle, suivi de son armée, il se livre dans la forêt, faisant un massacre sanglant de toutes les espèces animales, emporté par une sorte de fureur qui le conduit à montrer une cruauté excessive (chapitre 63). Au cours de cette chasse, Duḥṣanta pénètre dans une autre forêt, où se trouve l’ermitage du sage Kaṇva et où, du fait des activités rituelles auxquelles se livrent les ascètes qui y résident, règne la paix : il décide d’aller lui rendre hommage et, pour cela, descend de son char, se dépouille de ses attributs royaux et congédie son armée (chapitre 63). Il est accueilli par une jeune femme nommée Śakuntalā, qui se présente comme la fille de Kaṇva, momentanément absent parce qu’il est parti cueillir des fleurs pour le sacrifice. Surpris par son extrême beauté, et ne pouvant croire que l’ascète Kaṇva, célèbre pour sa chasteté, ait une fille, Duḥṣanta l’interroge sur ses origines : elle lui répète alors un récit qu’elle a entendu de la bouche de Kaṇva, qui lui-même répondait à un ascète de passage qui l’interrogeait. Le dieu Śakra (Indra), redoutant que Viśvāmitra n’acquière par l’ascèse un trop grand pouvoir, demande à l’apsaras Menakā d’aller le séduire (chapitre 65). Le récit se poursuit sur l’ensemble du chapitre 66 : Menakā remplit sa mission et de son union avec Viśvāmitra naît une petite fille, qu’elle abandonne sur la rive de la Mālinī, à proximité de l’ermitage de Kaṇva. L’ascète la trouve et décide de l’adopter ; comme elle est entourée par des oiseaux, qui la protègent des bêtes sauvages, il la nomme Śakuntalā (śakunta- signifie « oiseau »).
Au chapitre 67, Duḥṣanta lui déclare son amour et lui demande de s’unir à lui, avec la promesse de somptueux cadeaux. Mais la jeune femme s’y refuse, lui enjoignant d’attendre le retour de son tuteur, seul habilité à lui accorder sa main. C’est alors que le roi lui propose l’union sur le mode Gāndharva, un des huit modes de mariage recensés par le dharmaśāstra, la « science du dharma », qui se définit comme l’union libre d’un homme et d’une femme par simple consentement mutuel, sans recours à l’autorité des parents et sans que des rites soient accomplis. L’un des principaux traités exposant cette science du dharma (ces traités reçoivent le nom générique de Dharmaśāstra), la Manusmṛti, dressant la liste des huit formes de mariage (III, 20‑34), en donne la définition suivante, que cite d’ailleurs le roi :
icchayānyonyasaṃyogaḥ kanyāyāś ca varasya ca |
gāndharvaḥ sa tu vijñeyo maithunyaḥ kāmasaṃbhavaḥ ||
L’union mutuelle d’une jeune fille et de son amant, déterminée par le désir,
Il faut savoir que c’est le Gāndharva, pratiqué en vue de l’accouplement et né de l’amour.
Mais avant de consentir, Śakuntalā pose une condition : que le fils qui naîtra de leur union soit consacré « prince héritier » (yuvarāja-) et succède à son père sur le trône. Duḥṣanta s’y soumet et lui promet même d’emmener la jeune femme à Hastināpura : les deux amants s’unissent, le roi repart. Kaṇva, à son retour, révèle à sa fille adoptive qu’il sait tout, approuve une union qu’il déclare conforme au dharma et prédit la naissance d’un fils qui deviendra souverain universel (cakravartin-).
Les treize premières strophes du chapitre 68 résument neuf années complètes : la naissance du jeune garçon, au terme d’une grossesse de trois ans, puis son enfance, à l’ermitage, où il montre une force exceptionnelle et une grande adresse dans la capture et le domptage des animaux sauvages, qui lui vaut de la part des ascètes le surnom de Sarvadamana, litt. « dompte-tout » — terme prémonitoire puisqu’il peut également signifier « qui soumet l’univers ». Lorsqu’il atteint l’âge de six ans, Kaṇva ordonne à Śakuntalā de l’emmener à Hastināpura et de le remettre entre les mains du roi, qui doit devenir son époux légitime (strophes 1‑13).
Ici commence le texte présenté dans ces lignes : le dialogue de Śakuntalā et de Duḥṣanta, qui s’étend de la strophe 14 du chapitre 68 à la strophe 27 du chapitre 69. Au cours de ce dialogue, le roi, feignant de ne pas la reconnaître (c’est un point essentiel), refuse à deux reprises d’accueillir la jeune femme et de respecter ses engagements envers elle et son fils (68.18‑19 et 68.72‑80) ; dans sa seconde réponse, plus longue que la première, il se montre particulièrement injurieux, accusant Śakuntalā tout à la fois de mensonge et d’impureté, et il la chasse ignominieusement. Mais l’essentiel du dialogue revient à Śakuntalā, c’est elle qui parle le plus longuement, par trois fois (68.15‑17, 68.24‑71, 69.1‑27). Dans sa deuxième prise de parole, parvenant à réfréner sa douleur et surtout sa colère (c’est ici le narrateur, Vaiśaṃpāyana, qui parle : 68.20‑23), elle développe une argumentation exhaustive et structurée, par laquelle elle remontre au roi : (1) que le parjure est une faute qui entraîne un châtiment sinon ici-bas — voir sa tête éclater —, du moins dans l’au‑delà (68.24‑35). (2) Qu’un homme renaît dans la personne de son fils, qui le sauve de l’enfer en rendant un culte à ses ancêtres (68.36‑38 puis 47‑48). (3) Qu’il doit honorer son épouse, qui est son indispensable compagne, la source de sa joie et celle qui lui permet de procréer (68.39‑51). (4) Que rien n’égale le plaisir que procure le contact physique d’un fils (68.52‑65). (5) Elle lui fait enfin valoir la noblesse de sa propre ascendance et l’injustice de l’abandon dont elle a été victime une première fois de la part de ses parents et qu’il s’apprête à lui faire subir une seconde fois (68.66‑70), avant de conclure en le suppliant de recevoir, à défaut d’elle-même, au moins son fils (68.71). Sa troisième prise de parole, qui occupe la moitié du dernier chapitre de l’épisode, reprend le fil de l’argumentation au point où elle l’avait laissé, en affirmant que par sa naissance semi-divine, elle est plus noble que Duḥṣanta (69.1‑5). Elle récite ensuite un ensemble de sentences proverbiales comme il y en a beaucoup dans le Mahābhārata : les premières sont assez générales (69.6‑15), mais les suivantes parlent des devoirs d’un homme envers ses fils (69.17‑19 ; la strophe 20 est une objurgation adressée à Duḥṣanta), puis de l’obligation de respecter la vérité. Dans la dernière strophe de sa tirade, Śakuntalā déclare s’en aller, mais prédit que, quelque décision que prenne Duḥṣanta, son fils connaîtra le destin qui lui a été prédit et règnera sur l’univers.
La seconde moitié du chapitre 69 constitue la conclusion de l’épisode : Śakuntalā s’en va, mais à peine a-t-elle quitté la salle qu’une voix céleste proclame la véracité de ses paroles ainsi que la paternité de Duḥṣanta, enjoignant à celui‑ci de nommer son fils Bharata. Le roi laisse alors éclater sa joie, déclare avoir feint de ne pas reconnaître Śakuntalā afin d’éviter la réprobation populaire, accueille celle qu’il reconnaît désormais comme son épouse et consacre l’enfant prince héritier. Le chapitre s’achève par une évocation du destin grandiose de celui‑ci, qui conquiert la terre à la tête de ses armées, ainsi que de ses descendants, les Bharatides.
1.3. Śakuntalā dans l’épopée versus Śakuntalā chez Kālidāsa : une femme au service du dharma
L’objet de cet article n’est pas de montrer comment Kālidāsa a transformé le mythe de Śakuntalā — qui, d’ailleurs, ne se rencontre pas seulement dans le Mahābhārata, mais aussi dans deux Purāṇa, le Bhāgavatapurāṇa et le Padmapurāṇa, qu’il conviendrait d’étudier également —, pour l’adapter au théâtre et lui conférer la dimension sentimentale et pour ainsi dire « romanesque » que nécessite le nécessaire triomphe de la saveur érotique, le śṛṅgārarasa, sans lequel il n’est point de vrai drame ni de vraie poésie. Mais quelques éléments de comparaison entre l’épopée et la pièce de théâtre peuvent éclairer le caractère particulier du personnage dans son contexte épique, par opposition au contexte dramatique.
Chez Kālidāsa, Śakuntalā est avant tout l’héroïne d’une intrigue amoureuse, tout comme Duṣyanta (tel est généralement son nom au théâtre) : cette intrigue se déploie selon le schéma canonique, qui veut que la jouissance de l’amour dans la réunion (saṃbhogaśṛṅgārarasa) soit précédée d’un long épisode de séparation (vipralambhaśṛṅgārarasa), occasion de déployer la saveur pathétique (karuṇarasa), complément nécessaire de la saveur érotique. Les trois premiers actes sont ceux de la rencontre, semée d’embûches et de faux obstacles — en particulier, celui du statut de Śakuntalā — et le dramaturge, donnant la parole à ses personnages, décrit longuement les émotions qu’ils ressentent quand naît leur amour, les réticences de la jeune femme, l’ardeur du roi à la conquérir. Puis vient l’acte IV, le premier qui soit consacré au motif de la séparation, après le départ du roi : on observe alors le désespoir de Śakuntalā, qui se traduit par une faute, commise sous l’emprise de la passion, à l’égard d’un ascète qui la maudit ; il la condamne en effet à n’être pas reconnue du roi quand elle se présentera à lui. L’intrigue culmine à l’acte V, qui est celui de la non‑reconnaissance : aveuglé par la malédiction, Duṣyanta repousse Śakuntalā. Celle‑ci ne réplique pas, ou peu, et se soumet à la volonté de celui qui demeure malgré tout son époux et auquel elle doit une entière obéissance. À l’acte VI, revient le motif de la séparation, mais c’est, cette fois, au désespoir de Duṣyanta que l’on assiste ; la malédiction a en effet pris fin, l’anneau de reconnaissance ayant été retrouvé par un pêcheur dans le ventre d’un poisson, et le roi s’abandonne à une douleur si intense qu’elle le rend presque fou. Mais les dieux veillent : à l’acte VII, revenant d’une campagne au cours de laquelle il a assisté Indra dans sa lutte contre les démons, Duṣyanta fait une halte sur un plateau de l’Himalaya, où il rencontre et reconnaît son fils, puis son épouse. Elle lui pardonne immédiatement, toute à la joie des retrouvailles, et l’intrigue se dénoue, comme il se doit, dans le bonheur partagé.
Les divergences entre les deux versions sont patentes. Tout d’abord, la temporalité, qui est en quelque sorte inversée : dans la pièce, ce n’est que peu de temps après le départ de Duṣyanta que Kaṇva envoie Śakuntalā à Hastināpura, et c’est enceinte qu’elle se présente au roi. Rejetée par celui‑ci, elle est aussitôt, dès sa sortie de scène, enlevée par Menakā, et c’est à l’ermitage himalayen de Mārīca qu’elle accouche et que le petit Bharata vit sa première enfance : lorsque Duṣyanta le rencontre, c’est un jeune garçon fier et courageux, à l’image de son père qu’il ne connaît pas encore. Dans l’épopée, comme on l’a vu, le temps de la grossesse de Śakuntalā (miraculeusement allongée à trois ans) et celui de l’enfance de Bharata, soit neuf années, se déroulent à l’ermitage, avant l’épisode de la non‑reconnaissance — tandis qu’au contraire il ne s’écoule qu’un instant entre le départ de l’héroïne et le dénouement heureux, l’intervention de la voix céleste succédant immédiatement à l’entrevue avec le roi. Il est aisé de corréler cette altération au changement de perspective qui sous-tend le drame : il fallait que ce temps d’attente se situe après le départ de Śakuntalā pour que puisse se déployer la saveur pathétique de l’amour dans la séparation (acte VI).
Autre divergence essentielle, la cause qui entraîne la non-reconnaissance : dans la pièce, l’oubli du roi est provoqué par une malédiction encourue par Śakuntalā — en raison d’un manquement protocolaire commis parce qu’elle était obnubilée par la passion et la douleur — et l’anneau que lui a confié le roi comme gage de sa foi, agissant comme un talisman de reconnaissance, lui rend à la fois la mémoire et l’amour (le même vocable, smara-, désignant l’un et l’autre). Duṣyanta n’a donc aucune responsabilité, ce que confirmeront le pardon immédiat de l’héroïne à la fin de la pièce et les révélations du sage Mārīca. Dans l’épopée, au contraire, le roi reconnaît immédiatement Śakuntalā (68.18), mais feint le contraire. Il assume donc l’entière responsabilité de cette feinte volontaire, à laquelle il a recours pour des raisons politiques, ainsi qu’il s’en explique après coup (69.40‑41). Cette différence livre la clé de ce qui sépare le drame de l’épopée : le premier dresse le théâtre de l’amour et de la mémoire, quand la seconde focalise l’intrigue sur des enjeux à la fois sociaux, rituels et politiques. Et de fait, ce dont il est question dans l’épisode du Mahābhārata, ce qui domine jusqu’au discours de Śakuntalā, c’est la problématique de la génération — qui s’avère en crise dans toute l’histoire dynastique des Kuru, longue lignée de rois impuissants à engendrer une progéniture, et qui constitue la cause première de la guerre. Et donc, bien entendu, celles de la paternité, de la continuité et de la transmission du pouvoir. Ce qui domine au contraire le drame, c’est évidemment l’amour, indissolublement lié à la mémoire et à l’oubli.
Le caractère des protagonistes reflète cette opposition : le Duṣyanta de Kālidāsa est à la fois un roi idéal, un guerrier impavide, un homme pieux animé de scrupules moraux, un fin lettré, un amant délicat. Il est vrai qu’il profite de l’ingénuïté de Śakuntalā et n’a pas la patience d’attendre le retour de son tuteur Kaṇva, entraînant la jeune femme dans l’union Gāndharva ; mais ce sont là quelques‑uns des ingrédients habituels de l’intrigue amoureuse : l’ingénuïté caractérise l’héroïne au moment de la rencontre et l’union Gāndharva, affranchie de toute autorité extérieure au couple, reposant sur le désir immédiat et réciproque des deux partenaires, traduit de la manière la plus appropriée la puissance de l’amour. Rien de tel dans le portrait que dresse le Mahābhārata de Duḥṣanta : il apparaît d’abord comme un chasseur sanguinaire, qui, emporté par une passion irrépressible pour la chasse — à l’instar d’autres rois de l’épopée —, dévaste la forêt et en décime les animaux. S’il montre assez de piété pour descendre de son char et renoncer à ses attributs royaux lorsqu’il pénètre dans la forêt où se trouve l’ermitage de Kaṇva, il est ensuite pris de désir pour la jeune femme qui l’y accueille et n’hésite pas à tenter de l’acheter en lui promettant des cadeaux (67.1‑3), ce qui, même s’il invoque le mode de mariage Gāndharva (67.4), rappelle plutôt le mode Āsura, celui de l’achat, que lui-même pourtant déclare indigne d’un noble guerrier (67.11‑12, cf. Manusmṛti, III, 24‑25). Et la promesse qu’il fait ensuite de couronner le fils qu’il aura d’elle et de l’emmener elle-même à Hastināpura (67.18) ne fait que répondre à la sagesse de la jeune femme, qui pose cette condition à leur union : d’une part, elle se montre meilleure connaisseuse du dharma que lui, puisqu’elle le contraint à adopter une attitude conforme au mode Gāndharva ; d’autre part, lui-même révèle d’emblée une certaine malhonnêteté, puisqu’il ne respectera pas une partie de sa promesse, quittant ensuite l’ermitage sans emmener Śakuntalā, et que c’est elle qui, bien plus tard, répondant à l’injonction de Kaṇva, se rendra dans sa capitale. Le comportement de Duḥṣanta lors de l’entrevue des chapitres 68 et 69, malgré la justification de la feinte politique, se révèle outrancièrement injurieux, en particulier dans sa seconde réponse, à la fin du chapitre 68 (72‑80), réponse qui contraste fortement avec l’hésitante retenue et les scrupules du héros de Kālidāsa. Duḥṣanta n’apparaît donc en rien comme un roi idéal, il est très éloigné du portrait que le drame, fidèle aux normes du kāvya, dresse du personnage. Il n’y a rien d’étonnant à cela : l’épopée (du moins le Mahābhārata), justement, n’est pas le kāvya ; son action se situe à un moment du cycle cosmique où le dharma est décadent et où les rois, qui en sont les garants, se révèlent défaillants. Duḥṣanta inaugure en effet une dynastie défaillante — les problèmes de génération que rencontrent ses membres ne sont que le signe de cette défaillance —, qui ne retrouvera son lustre que dans la restauration finale du dharma, après la victoire des fils de Pāṇḍu, avatars des dieux, sur leurs cousins félons, avatars des démons. Alors seulement pourra être dressé le portrait du souverain idéal.
Le caractère de Śakuntalā se trouve valorisé à la mesure de la dévalorisation qui frappe celui de Duḥṣanta. En cette période de crise cosmique et dynastique, on rencontre un certain nombre de femmes réparatrices, grâce auxquelles les hommes de la lignée pourront surmonter les épreuves et dépasser leurs propres insuffisances. Ces femmes se signalent d’abord par leur connaissance du dharma, dont elles apparaissent ainsi comme les véritables garantes, sinon par leur action — le domaine de l’action demeure celui des hommes exerçant le pouvoir royal —, du moins par leur parole, grâce à laquelle elles se montrent capables de recentrer et d’amender la conduite de leurs interlocuteurs masculins (fussent-ils divins, comme Yama, que Sāvitrī persuade d’épargner son époux). Cet amendement repose évidemment sur leur pouvoir de convaincre, donc, pourrait-on dire, sur leurs qualités rhétoriques : ces femmes se montrent savantes et déterminées, mais également bonnes oratrices, et c’est par le discours qu’elles agissent. On a vu que dans l’ermitage même, à travers le long récit qu’elle fait de son passé (chapitres 65 et 66), Śakuntalā maîtrise parfaitement l’art de la parole. Cette maîtrise ne se révèle pas moindre quand elle « corrige » les propos partiellement erronés, sinon fallacieux, de son partenaire sur le dharma du mariage, imposant une définition juste du mode Gāndharva. Et elle éclate avec plus d’évidence encore dans l’entrevue finale, qui constitue l’acmé du récit : les trois prises de parole de la jeune femme occupent au total 78 strophes réparties entre les deux chapitres 68 et 69 (sur les 140 que comporte l’entrevue, incises narratives comprises : 68.14‑80 et 69.1‑44). Śakuntalā est donc, à l’instar par exemple de Sāvitrī, une femme de parole. Or la parole, dans le monde brahmanique, est le domaine des brahmanes. C’est donc une fonction toute brahmanique que remplit la Śakuntalā de l’épopée : fondée sur une connaissance juste — sur la vérité, par conséquent, dont son discours proclame à plusieurs reprises la suprématie et dont elle apparaît comme la garante —, sa parole corrige la défaillance du roi et restaure l’intégrité de la dynastie. L’enjeu de l’épisode, comme on l’a vu, est en effet éminemment politique et ne comporte guère de dimension érotique : il s’agit d’assurer la naissance et la nécessaire reconnaissance d’un héritier, le futur Bharata, appelé à devenir souverain universel, ainsi que le proclame la voix céleste qui retentit au dénouement, apposant la sanction divine sur les paroles de Śakuntalā. Celle-ci n’est jamais préoccupée d’elle‑même, n’évoque jamais ses propres sentiments, ni sa douleur, et accepte même d’être chassée, pourvu que son fils soit reconnu et couronné (68.71, 69.26‑27). C’est en cela, et non dans sa soumission, qu’elle se révèle une parfaite pativratā (68.33 s’agissant d’elle‑même, 68.39 et 68.44 d’un point de vue général), une « femme fidèle à son époux », traduction trop approximative d’un composé qui littéralement signifie « dont l’époux est [objet d’] observance », c’est-à-dire qui rend à son époux le culte dû à un dieu. Si cette observance prend la forme d’une revendication, si son expression comporte une part de blâme, conséquence d’une défaillance masculine qu’il s’agit de compenser, c’est parce que Śakuntalā veille à l’intérêt supérieur de la dynastie, donc de l’univers — parce qu’elle sert le dharma et en prépare la restauration.
2. Texte2
2.1. Texte en Nāgarī
2.1.1. Adhyāya 68, strophes 14-80
अभिसृत्य च राजानं विदिता सा प्रवेशिता।
सह तेनैव पुत्रेण तरुणादित्यवर्चसा॥१४॥
पूजयित्वा यथान्यायमब्रवीत्तं शकुन्तला।
अयं पुत्रस्त्वया राजन्यौवराज्येऽभिषिच्यताम्॥१५॥
त्वया ह्ययं सुतो राजन्मय्युत्पन्नः सुरोपमः।
यथासमयमेतस्मिन्वर्तस्व पुरुषोत्तम॥१६॥
यथा समागमे पूर्वं कृतः स समयस्त्वया।
तं स्मरस्व महाभाग कण्वाश्रमपदं प्रति॥१७॥
सोऽथ श्रुत्वैव तद्वाक्यं तस्या राजा स्मरन्नपि।
अब्रवीन्न स्मरामीति कस्य त्वं दुष्टतापसि॥१८॥
धर्मकामार्थसंबन्धं न स्मरामि त्वया सह।
गच्छ वा तिष्ठ वा कामं यद्वापीच्छसि तत्कुरु॥१९॥
सैवमुक्ता वरारोहा व्रीडितेव मनस्विनी।
विसंज्ञेव च दुःखेन तस्थौ स्थाणुरिवाचला॥२०॥
संरम्भामर्षताम्राक्षी स्फुरमाणोष्ठसंपुटा।
कटाक्षैर्निर्दहन्तीव तिर्यग्राजानमैक्षत॥२१॥
आकारं गूहमाना च मन्युनाभिसमीरिता।
तपसा संभृतं तेजो धारयामास वै तदा॥२२॥
सा मुहूर्तमिव ध्यात्वा दुःखामर्षसमन्विता।
भर्तारमभिसंप्रेक्ष्य क्रुद्धा वचनमब्रवीत्॥२३॥
जानन्नपि महाराज कस्मादेवं प्रभाषसे।
न जानामीति निःसङ्गं यथान्यः प्राकृतस्तथा॥२४॥
अत्र ते हृदयं वेद सत्यस्यैवानृतस्य च।
कल्याण बत साक्षी त्वं मात्मानमवमन्यथाः॥२५॥
योऽन्यथा सन्तमात्मानमन्यथा प्रतिपद्यते।
किं तेन न कृतं पापं चोरेणात्मापहारिणा॥२६॥
एकोऽहमस्मीति च मन्यसे त्वं न हृच्छयं वेत्सि मुनिं पुराणम्।
यो वेदिता कर्मणः पापकस्य तस्यान्तिके त्वं वृजिनं करोषि॥२७॥
मन्यते पापकं कृत्वा न कश्चिद्वेत्ति मामिति ।
विदन्ति चैनं देवाश्च स्वश्चैवान्तरपूरुषः॥२८॥
आदित्यचन्द्रावनिलानलौ च द्यौर्भूमिरापो हृदयं यमश्च।
अहश्च रात्रिश्च उभे च संध्ये धर्मश्च जानाति नरस्य वृत्तम्॥२९॥
यमो वैवस्वतस्तस्य निर्यातयति दुष्कृतम्।
हृदि स्थितः कर्मसाक्षी क्षेत्रज्ञो यस्य तुष्यति॥३०॥
न तु तुष्यति यस्यैष पुरुषस्य दुरात्मनः।
तं यमः पापकर्माणं निर्यातयति दुष्कृतम्॥३१॥
अवमन्यात्मनात्मानमन्यथा प्रतिपद्यते।
देवा न तस्य श्रेयांसो यस्यात्मापि न कारणम्॥३२॥
स्वयं प्राप्तेति मामेवं मावमंस्थाः पतिव्रताम्।
अर्घ्यार्हां नार्चयसि मां स्वयं भार्यामुपस्थिताम्॥३३॥
किमर्थं मां प्राकृतवदुपप्रेक्षसि संसदि।
न खल्वहमिदं शून्ये रौमि किं न शृणोषि मे॥३४॥
यदि मे याचमानाया वचनं न करिष्यसि।
दुःषन्त शतधा मूर्धा ततस्तेऽद्य फलिष्यति॥३५॥
भार्यां पतिः संप्रविश्य स यस्माज्जायते पुनः।
जायाया इति जायात्वं पुराणाः कवयो विदुः॥३६॥
यदागमवतः पुंसस्तदपत्यं प्रजायते।
तत्तारयति संतत्या पूर्वप्रेतान्पितामहान्॥३७॥
पुन्नाम्नो नरकाद्यस्मात्पितरं त्रायते सुतः।
तस्मात्पुत्र इति प्रोक्तः स्वयमेव स्वयम्भुवा॥३८॥
सा भार्या या गृहे दक्षा सा भार्या या प्रजावती।
सा भार्या या पतिप्राणा सा भार्या या पतिव्रता॥३९॥
अर्धं भार्या मनुष्यस्य भार्या श्रेष्ठतमः सखा।
भार्या मूलं त्रिवर्गस्य भार्या मित्रं मरिष्यतः॥४०॥
भार्यावन्तः क्रियावन्तः सभार्या गृहमेधिनः।
भार्यावन्तः प्रमोदन्ते भार्यावन्तः श्रियान्विताः॥४१॥
सखायः प्रविविक्तेषु भवन्त्येताः प्रियंवदाः।
पितरो धर्मकार्येषु भवन्त्यार्तस्य मातरः॥४२॥
कान्तारेष्वपि विश्रामो नरस्याध्वनिकस्य वै।
यः सदारः स विश्वास्यस्तस्माद्दाराः परा गतिः॥४३॥
संसरन्तमपि प्रेतं विषमेष्वेकपातिनम्।
भार्यैवान्वेति भर्तारं सततं या पतिव्रता॥४४॥
प्रथमं संस्थिता भार्या पतिं प्रेत्य प्रतीक्षते।
पूर्वं मृतं च भर्तारं पश्चात्साध्व्यनुगच्छति॥४५॥
एतस्मात्कारणाद्राजन्पाणिग्रहणमिष्यते।
यदाप्नोति पतिर्भार्यामिह लोके परत्र च॥४६॥
आत्मात्मनैव जनितः पुत्र इत्युच्यते बुधैः।
तस्माद्भार्यां नरः पश्येन्मातृवत्पुत्रमातरम्॥४७॥
भार्यायां जनितं पुत्रमादर्शे स्वमिवाननम्।
ह्लादते जनिता प्रेक्ष्य स्वर्गं प्राप्येव पुण्यकृत्॥४८॥
दह्यमाना मनोदुःखैर्व्याधिभिश्चातुरा नराः
ह्लादन्ते स्वेषु दारेषु घर्मार्ताः सलिलेष्विव ॥४९॥
सुसंरब्धोऽपि रामाणां न ब्रूयादप्रियं बुधः।
रतिं प्रीतिं च धर्मं च तास्वायत्तमवेक्ष्य च॥५०॥
आत्मनो जन्मनः क्षेत्रं पुण्यं रामाः सनातनम्
ऋषीणामपि का शक्तिः स्रष्टुं रामाम् ऋते प्रजाः॥५१॥
परिपत्य यदा सूनुर्धरणीरेणुगुण्ठितः।
पितुराश्लिष्यतेऽङ्गानि किमिवास्त्यधिकं ततः॥५२॥
स त्वं स्वयमनुप्राप्तं साभिलाषमिमं सुतम्
प्रेक्षमाणं च काक्षेण किमर्थमवमन्यसे॥५३॥
अण्डानि बिभ्रति स्वानि न भिन्दन्ति पिपीलिकाः।
न भरेथाः कथं नु त्वं धर्मज्ञः सन्स्वमात्मजम्॥५४॥
न वाससां न रामाणां नापां स्पर्शस्तथा सुखः।
शिशोरालिङ्ग्यमानस्य स्पर्शः सूनोर्यथा सुखः॥५५॥
ब्राह्मणो द्विपदां श्रेष्ठो गौर्वरिष्ठा चतुष्पदाम्।
गुरुर्गरीयसां श्रेष्ठः पुत्रः स्पर्शवतां वरः॥५६॥
स्पृशतु त्वां समाश्लिष्य पुत्रोऽयं प्रियदर्शनः।
पुत्रस्पर्शात्सुखतरः स्पर्शो लोके न विद्यते॥५७॥
त्रिषु वर्षेषु पूर्णेषु प्रजाताहमरिंदम।
इमं कुमारं राजेन्द्र तव शोकप्रणाशनम्॥५८॥
आहर्ता वाजिमेधस्य शतसंख्यस्य पौरव।
इति वागन्तरिक्षे मां सूतकेऽभ्यवदत्पुरा॥५९॥
ननु नामाङ्कमारोप्य स्नेहाद्ग्रामान्तरं गताः।
मूर्ध्नि पुत्रानुपाघ्राय प्रतिनन्दन्ति मानवाः॥६०॥
वेदेष्वपि वदन्तीमं मन्त्रवादं द्विजातयः।
जातकर्मणि पुत्राणां तवापि विदितं तथा॥६१॥
अङ्गादङ्गात्संभवसि हृदयादभिजायसे।
आत्मा वै पुत्रनामासि स जीव शरदः शतम्॥६२॥
पोषो हि त्वदधीनो मे संतानमपि चाक्षयम्।
तस्मात्त्वं जीव मे वत्स सुसुखी शरदां शतम्॥६३॥
त्वदङ्गेभ्यः प्रसूतोऽयं पुरुषात्पुरुषोऽपरः।
सरसीवामलेऽत्मानं द्वितीयं पश्य मे सुतम्॥६४॥
यथा ह्याहवनीयोऽग्निर्गार्हपत्यात्प्रणीयते।
तथा त्वत्तः प्रसूतोऽयं त्वमेकः सन्द्विधा कृतः॥६५॥
मृगापकृष्टेन हि ते मृगयां परिधावता।
अहमासादिता राजन्कुमारी पितुराश्रमे॥६६॥
उर्वशी पूर्वचित्तिश्च सहजन्या च मेनका।
विश्वाची च घृताची च षडेवाप्सरसां वराः॥६७॥
तासां मां मेनका नाम ब्रह्मयोनिर्वराप्सराः।
दिवः संप्राप्य जगतीं विश्वामित्रादजीजनत्॥६८॥
सा मां हिमवतः पृष्ठे सुषुवे मेनकाप्सराः।
अवकीर्य च मां याता परात्मजमिवासती॥६९॥
किं नु कर्माशुभं पूर्वं कृतवत्यस्मि जन्मनि।
यदहं बान्धवैस्त्यक्ता बाल्ये संप्रति च त्वया॥७०॥
कामं त्वया परित्यक्ता गमिष्याम्यहमाश्रमम्।
इमं तु बालं संत्यक्तुं नार्हस्यात्मजमात्मना॥७१॥
दुःषन्त उवाच
न पुत्रमभिजानामि त्वयि जातं शकुन्तले।
असत्यवचना नार्यः कस्ते श्रद्धास्यते वचः॥७२॥
मेनका निरनुक्रोशा बन्धकी जननी तव।
यया हिमवतः पृष्ठे निर्माल्येव प्रवेरिता॥७३॥
स चापि निरनुक्रोशः क्षत्रयोनिः पिता तव।
विश्वामित्रो ब्राह्मणत्वे लुब्धः कामपरायणः॥७४॥
मेनकाप्सरसां श्रेष्ठा महर्षीणां च ते पिता।
तयोरपत्यं कस्मात्त्वं पुंश्चलीवाभिधास्यसि॥७५॥
अश्रद्धेयमिदं वाक्यं कथयन्ती न लज्जसे।
विशेषतो मत्सकाशे दुष्टतापसि गम्यताम्॥७६॥
क्व महर्षिः सदैवोग्रः साप्सरा क्व च मेनका।
क्व च त्वमेवं कृपणा तापसीवेषधारिणी॥७७॥
अतिकायश्च पुत्रस्ते बालोऽपि बलवानयम्।
कथमल्पेन कालेन शालस्कन्ध इवोद्गतः॥७८॥
सुनिकृष्टा च योनिस्ते पुंश्चली प्रतिभासि मे।
यदृच्छया कामरागाज् जाता मेनकया ह्यसि॥७९॥
सर्वमेतत्परोक्षं मे यत् त्वं वदसि तापसि।
नाहं त्वामभिजानामि यथेष्टं गम्यतां त्वया॥८०॥
2.1.2. Adhyāya 69, 1-27
शकुन्तलोवाच
राजन्सर्षपमात्राणि परच्छिद्राणि पश्यसि।
आत्मनो बिल्वमात्राणि पश्यन्नपि न पश्यसि॥१॥
मेनका त्रिदशेष्वेव त्रिदशाश्चानु मेनकाम्।
ममैवोद्रिच्यते जन्म दुःषन्त तव जन्मतः॥२॥
क्षितावटसि राजंस्त्वम् अन्तरिक्षे चराम्यहम्।
आवयोरन्तरं पश्य मेरुसर्षपयोरिव॥३॥
महेन्द्रस्य कुबेरस्य यमस्य वरुणस्य च।
भवनान्यनुसंयामि प्रभावं पश्य मे नृप॥४॥
सत्यश्चापि प्रवादोऽयं यं प्रवक्ष्यामि तेऽनघ।
निदर्शनार्थं न द्वेषात्तच्छ्रुत्वा क्षन्तुमर्हसि॥५॥
विरूपो यावदादर्शे नात्मनः पश्यते मुखम्।
मन्यते तावदात्मानमन्येभ्यो रूपवत्तरम्॥६॥
यदा तु मुखमादर्शे विकृतं सोऽभिवीक्षते।
तदेतरं विजानाति आत्मानं नेतरं जनम्॥७॥
अतीव रूपसंपन्नो न किञ्चिदवमन्यते।
अतीव जल्पन्दुर्वाचो भवतीह विहेठकः॥८॥
मूर्खो हि जल्पतां पुंसां श्रुत्वा वाचः शुभाशुभाः।
अशुभं वाक्यम् आदत्ते पुरीषम् इव सूकरः॥९॥
प्राज्ञस् तु जल्पतां पुंसां श्रुत्वा वाचः शुभाशुभाः।
गुणवद्वाक्यमादत्ते हंसः क्षीरमिवाम्भसः॥१०॥
अन्यान्परिवदन्साधुर्यथा हि परितप्यते।
तथा परिवदन्नन्यांस्तुष्टो भवति दुर्जनः॥११॥
अभिवाद्य यथा वृद्धान्सन्तो गच्छन्ति निर्वृतिम्।
एवं सज्जनमाक्रुश्य मूर्खो भवति निर्वृतः॥१२॥
सुखं जीवन्त्यदोषज्ञा मूर्खा दोषानुदर्शिनः।
यत्र वाच्याः परैः सन्तः परानाहुस्तथाविधान्॥१३॥
अतो हास्यतरं लोके किञ्चिदन्यन्न विद्यते।
यत्र दुर्जन इत्याह दुर्जनः सज्जनं स्वयम्॥१४॥
सत्यधर्मच्युतात्पुंसः क्रुद्धादाशीविषाद् इव।
अनास्तिकोऽप्युद्विजते जनः किं पुनरास्तिकः॥१५॥
स्वयमुत्पाद्य वै पुत्रं सदृशं योऽवमन्यते।
तस्य देवाः श्रियं घ्नन्ति न च लोकानुपाश्नुते॥१६॥
कुलवंशप्रतिष्ठां हि पितरः पुत्रमब्रुवन्।
उत्तमं सर्वधर्माणां तस्मात्पुत्रं न संत्यजेत्॥१७॥
स्वपत्नीप्रभवान्पञ्च लब्धान्क्रीतान्विवर्धितान्।
कृतानन्यासु चोत्पन्नान्पुत्रान्वै मनु अब्रवीत्॥१८॥
धर्मकीर्त्यावहा नॄणां मनसः प्रीतिवर्धनाः।
त्रायन्ते नरकाज् जाताः पुत्रा धर्मप्लवाः पितॄन्॥१९॥
स त्वं नृपतिशार्दूल न पुत्रं त्यक्तुमर्हसि।
आत्मानं सत्यधर्मौ च पालयानो महीपते।
नरेन्द्रसिंह कपटं न वोढुं त्वमिहार्हसि॥२०॥
वरं कूपशताद्वापी वरं वापीशतात् क्रतुः।
वरं क्रतुशतात्पुत्रः सत्यं पुत्रशताद्वरम्॥२१॥
अश्वमेधसहस्रं च सत्यं च तुलया धृतम्।
अश्वमेधसहस्राद्धि सत्यमेव विशिष्यते॥२२॥
सर्ववेदाधिगमनं सर्वतीर्थावगाहनम्।
सत्यं च वदतो राजन्समं वा स्यान्न वा समम्॥२३॥
नास्ति सत्यात्परो धर्मो न सत्याद्विद्यते परम्।
न हि तीव्रतरं किञ्चिदनृतादिह विद्यते॥२४॥
राजन्सत्यं परं ब्रह्म सत्यं च समयः परः।
मा त्याक्षीः समयं राजन्सत्यं सङ्गतमस्तु ते॥२५॥
अनृते चेत् प्रसङ्गस्ते श्रद्दधासि न चेत्स्वयम्
आत्मनो हन्त गच्छामि त्वादृशे नास्ति सङ्गतम्॥२६॥
ऋतेऽपि त्वयि दुःषन्त शैलराजावतंसकाम्।
चतुरन्तामिमामुर्वीं पुत्रो मे पालयिष्यति॥२७॥
2.2. Translittération
2.2.1. Adhyāya 68, strophes 14-80
abhisṛtya ca rājānaṃ viditā sā praveśitā |
saha tenaiva putreṇa taruṇādityavarcasā ||14||
pūjayitvā yathānyāyam abravīt taṃ śakuntalā |
ayaṃ putras tvayā rājan yauvarājye ’bhiṣicyatām ||15||
tvayā hy ayaṃ suto rājan mayy utpannaḥ suropamaḥ |
yathāsamayam etasmin vartasva puruṣottama ||16||
yathā samāgame pūrvaṃ kṛtaḥ sa samayas tvayā |
taṃ smarasva mahābhāga kaṇvāśramapadaṃ prati ||17||
so ’tha śrutvaiva tad vākyaṃ tasyā rājā smarann api |
abravīn na smarāmīti kasya tvaṃ duṣṭatāpasi ||18||
dharmakāmārthasaṃbandhaṃ na smarāmi tvayā saha |
gaccha vā tiṣṭha vā kāmaṃ yad vāpīcchasi tat kuru ||19||
saivam uktā varārohā vrīḍiteva manasvinī |
visaṃjñeva ca duḥkhena tasthau sthāṇur ivācalā ||20||
saṃrambhāmarṣatāmrākṣī sphuramāṇoṣṭhasaṃpuṭā |
kaṭākṣair nirdahantīva tiryag rājānam aikṣata ||21||
ākāraṃ gūhamānā ca manyunābhisamīritā |
tapasā saṃbhṛtaṃ tejo dhārayām āsa vai tadā ||22||
sā muhūrtam iva dhyātvā duḥkhāmarṣasamanvitā |
bhartāram abhisaṃprekṣya kruddhā vacanam abravīt ||23||
jānann api mahārāja kasmād evaṃ prabhāṣase |
na jānāmīti niḥsaṅgaṃ yathānyaḥ prākṛtas tathā ||24||
atra te hṛdayaṃ veda satyasyaivānṛtasya ca |
kalyāṇa bata sākṣī tvaṃ mātmānam avamanyathāḥ ||25||
yo ’nyathā santam ātmānam anyathā pratipadyate |
kiṃ tena na kṛtaṃ pāpaṃ coreṇātmāpahāriṇā ||26||
eko ’ham asmīti ca manyase tvaṃ na hṛcchayaṃ vetsi muniṃ purāṇam |
yo veditā karmaṇaḥ pāpakasya tasyāntike tvaṃ vṛjinaṃ karoṣi ||27||
manyate pāpakaṃ kṛtvā na kaścid vetti mām iti |
vidanti cainaṃ devāś ca svaś caivāntarapūruṣaḥ ||28||
ādityacandrāv anilānalau ca dyaur bhūmir āpo hṛdayaṃ yamaś ca |
ahaś ca rātriś ca ubhe ca saṃdhye dharmaś ca jānāti narasya vṛttam ||29||
yamo vaivasvatas tasya niryātayati duṣkṛtam |
hṛdi sthitaḥ karmasākṣī kṣetrajño yasya tuṣyati ||30||
na tu tuṣyati yasyaiṣa puruṣasya durātmanaḥ |
taṃ yamaḥ pāpakarmāṇaṃ niryātayati duṣkṛtam ||31||
avamanyātmanātmānam anyathā pratipadyate |
devā na tasya śreyāṃso yasyātmāpi na kāraṇam ||32||
svayaṃ prāpteti mām evaṃ māvamaṃsthāḥ pativratām |
arghyārhāṃ nārcayasi māṃ svayaṃ bhāryām upasthitām ||33||
kimarthaṃ māṃ prākṛtavad upaprekṣasi saṃsadi |
na khalv aham idaṃ śūnye raumi kiṃ na śṛṇoṣi me ||34||
yadi me yācamānāyā vacanaṃ na kariṣyasi |
duḥṣanta śatadhā mūrdhā tatas te ’dya phaliṣyati ||35||
bhāryāṃ patiḥ saṃpraviśya sa yasmāj jāyate punaḥ |
jāyāyā iti jāyātvaṃ purāṇāḥ kavayo viduḥ ||36||
yad āgamavataḥ puṃsas tadapatyaṃ prajāyate |
tat tārayati saṃtatyā pūrvapretān pitāmahān ||37||
punnāmno narakād yasmāt pitaraṃ trāyate sutaḥ |
tasmāt putra iti proktaḥ svayam eva svayambhuvā ||38||
sā bhāryā yā gṛhe dakṣā sā bhāryā yā prajāvatī |
sā bhāryā yā patiprāṇā sā bhāryā yā pativratā ||39||
ardhaṃ bhāryā manuṣyasya bhāryā śreṣṭhatamaḥ sakhā |
bhāryā mūlaṃ trivargasya bhāryā mitraṃ mariṣyataḥ ||40||
bhāryāvantaḥ kriyāvantaḥ sabhāryā gṛhamedhinaḥ |
bhāryāvantaḥ pramodante bhāryāvantaḥ śriyānvitāḥ ||41||
sakhāyaḥ pravivikteṣu bhavanty etāḥ priyaṃvadāḥ |
pitaro dharmakāryeṣu bhavanty ārtasya mātaraḥ ||42||
kāntāreṣv api viśrāmo narasyādhvanikasya vai |
yaḥ sadāraḥ sa viśvāsyas tasmād dārāḥ parā gatiḥ ||43||
saṃsarantam api pretaṃ viṣameṣv ekapātinam |
bhāryaivānveti bhartāraṃ satataṃ yā pativratā ||44||
prathamaṃ saṃsthitā bhāryā patiṃ pretya pratīkṣate |
pūrvaṃ mṛtaṃ ca bhartāraṃ paścāt sādhvy anugacchati ||45||
etasmāt kāraṇād rājan pāṇigrahaṇam iṣyate |
yad āpnoti patir bhāryām iha loke paratra ca ||46||
ātmātmanaiva janitaḥ putra ity ucyate budhaiḥ |
tasmād bhāryāṃ naraḥ paśyen mātṛvat putramātaram ||47||
bhāryāyāṃ janitaṃ putram ādarśe svam ivānanam |
hlādate janitā prekṣya svargaṃ prāpyeva puṇyakṛt ||48||
dahyamānā manoduḥkhair vyādhibhiś cāturā narāḥ
hlādante sveṣu dāreṣu gharmārtāḥ salileṣv iva ||49||
susaṃrabdho ’pi rāmāṇāṃ na brūyād apriyaṃ budhaḥ |
ratiṃ prītiṃ ca dharmaṃ ca tāsv āyattam avekṣya ca ||50||
ātmano janmanaḥ kṣetraṃ puṇyaṃ rāmāḥ sanātanam
ṛṣīṇām api kā śaktiḥ sraṣṭuṃ rāmām ṛte prajāḥ ||51||
paripatya yadā sūnur dharaṇīreṇuguṇṭhitaḥ |
pitur āśliṣyate ’ṅgāni kim ivāsty adhikaṃ tataḥ ||52||
sa tvaṃ svayam anuprāptaṃ sābhilāṣam imaṃ sutam
prekṣamāṇaṃ ca kākṣeṇa kimartham avamanyase ||53||
aṇḍāni bibhrati svāni na bhindanti pipīlikāḥ |
na bharethāḥ kathaṃ nu tvaṃ dharmajñaḥ san svam ātmajam ||54||
na vāsasāṃ na rāmāṇāṃ nāpāṃ sparśas tathā sukhaḥ |
śiśor āliṅgyamānasya sparśaḥ sūnor yathā sukhaḥ ||55||
brāhmaṇo dvipadāṃ śreṣṭho gaur variṣṭhā catuṣpadām |
gurur garīyasāṃ śreṣṭhaḥ putraḥ sparśavatāṃ varaḥ ||56||
spṛśatu tvāṃ samāśliṣya putro ’yaṃ priyadarśanaḥ |
putrasparśāt sukhataraḥ sparśo loke na vidyate ||57||
triṣu varṣeṣu pūrṇeṣu prajātāham ariṃdama |
imaṃ kumāraṃ rājendra tava śokapraṇāśanam ||58||
āhartā vājimedhasya śatasaṃkhyasya paurava |
iti vāg antarikṣe māṃ sūtake ’bhyavadat purā ||59||
nanu nāmāṅkam āropya snehād grāmāntaraṃ gatāḥ |
mūrdhni putrān upāghrāya pratinandanti mānavāḥ ||60||
vedeṣv api vadantīmaṃ mantravādaṃ dvijātayaḥ |
jātakarmaṇi putrāṇāṃ tavāpi viditaṃ tathā ||61||
aṅgād aṅgāt saṃbhavasi hṛdayād abhijāyase |
ātmā vai putranāmāsi sa jīva śaradaḥ śatam ||62||
poṣo hi tvadadhīno me saṃtānam api cākṣayam |
tasmāt tvaṃ jīva me vatsa susukhī śaradāṃ śatam ||63||
tvadaṅgebhyaḥ prasūto ’yaṃ puruṣāt puruṣo ’paraḥ |
sarasīvāmale ’tmānaṃ dvitīyaṃ paśya me sutam ||64||
yathā hy āhavanīyo ’gnir gārhapatyāt praṇīyate |
tathā tvattaḥ prasūto ’yaṃ tvam ekaḥ san dvidhā kṛtaḥ ||65||
mṛgāpakṛṣṭena hi te mṛgayāṃ paridhāvatā |
aham āsāditā rājan kumārī pitur āśrame ||66||
urvaśī pūrvacittiś ca sahajanyā ca menakā |
viśvācī ca ghṛtācī ca ṣaḍ evāpsarasāṃ varāḥ ||67||
tāsāṃ māṃ menakā nāma brahmayonir varāpsarāḥ |
divaḥ saṃprāpya jagatīṃ viśvāmitrād ajījanat ||68||
sā māṃ himavataḥ pṛṣṭhe suṣuve menakāpsarāḥ |
avakīrya ca māṃ yātā parātmajam ivāsatī ||69||
kiṃ nu karmāśubhaṃ pūrvaṃ kṛtavaty asmi janmani |
yad ahaṃ bāndhavais tyaktā bālye saṃprati ca tvayā ||70||
kāmaṃ tvayā parityaktā gamiṣyāmy aham āśramam |
imaṃ tu bālaṃ saṃtyaktuṃ nārhasy ātmajam ātmanā ||71||
duḥṣanta uvāca
na putram abhijānāmi tvayi jātaṃ śakuntale |
asatyavacanā nāryaḥ kas te śraddhāsyate vacaḥ ||72||
menakā niranukrośā bandhakī jananī tava |
yayā himavataḥ pṛṣṭhe nirmālyeva praveritā ||73||
sa cāpi niranukrośaḥ kṣatrayoniḥ pitā tava |
viśvāmitro brāhmaṇatve lubdhaḥ kāmaparāyaṇaḥ ||74||
menakāpsarasāṃ śreṣṭhā maharṣīṇāṃ ca te pitā |
tayor apatyaṃ kasmāt tvaṃ puṃścalīvābhidhāsyasi ||75||
aśraddheyam idaṃ vākyaṃ kathayantī na lajjase |
viśeṣato matsakāśe duṣṭatāpasi gamyatām ||76||
kva maharṣiḥ sadaivograḥ sāpsarā kva ca menakā |
kva ca tvam evaṃ kṛpaṇā tāpasīveṣadhāriṇī ||77||
atikāyaś ca putras te bālo ’pi balavān ayam |
katham alpena kālena śālaskandha ivodgataḥ ||78||
sunikṛṣṭā ca yonis te puṃścalī pratibhāsi me |
yadṛcchayā kāmarāgāj jātā menakayā hy asi ||79||
sarvam etat parokṣaṃ me yat tvaṃ vadasi tāpasi |
nāhaṃ tvām abhijānāmi yatheṣṭaṃ gamyatāṃ tvayā ||80||
2.2.2. Adhyāya 69, strophes 1-27
śakuntalovāca
rājan sarṣapamātrāṇi paracchidrāṇi paśyasi |
ātmano bilvamātrāṇi paśyann api na paśyasi ||1||
menakā tridaśeṣv eva tridaśāś cānu menakām |
mamaivodricyate janma duḥṣanta tava janmataḥ ||2||
kṣitāv aṭasi rājaṃs tvam antarikṣe carāmy aham |
āvayor antaraṃ paśya merusarṣapayor iva ||3||
mahendrasya kuberasya yamasya varuṇasya ca |
bhavanāny anusaṃyāmi prabhāvaṃ paśya me nṛpa ||4||
satyaś cāpi pravādo ’yaṃ yaṃ pravakṣyāmi te ’nagha |
nidarśanārthaṃ na dveṣāt tac chrutvā kṣantum arhasi ||5||
virūpo yāvad ādarśe nātmanaḥ paśyate mukham |
manyate tāvad ātmānam anyebhyo rūpavattaram ||6||
yadā tu mukham ādarśe vikṛtaṃ so ’bhivīkṣate |
tadetaraṃ vijānāti ātmānaṃ netaraṃ janam ||7||
atīva rūpasaṃpanno na kiñcid avamanyate |
atīva jalpan durvāco bhavatīha viheṭhakaḥ ||8||
mūrkho hi jalpatāṃ puṃsāṃ śrutvā vācaḥ śubhāśubhāḥ |
aśubhaṃ vākyam ādatte purīṣam iva sūkaraḥ ||9||
prājñas tu jalpatāṃ puṃsāṃ śrutvā vācaḥ śubhāśubhāḥ |
guṇavad vākyam ādatte haṃsaḥ kṣīram ivāmbhasaḥ ||10||
anyān parivadan sādhur yathā hi paritapyate |
tathā parivadann anyāṃs tuṣṭo bhavati durjanaḥ ||11||
abhivādya yathā vṛddhān santo gacchanti nirvṛtim |
evaṃ sajjanam ākruśya mūrkho bhavati nirvṛtaḥ ||12||
sukhaṃ jīvanty adoṣajñā mūrkhā doṣānudarśinaḥ |
yatra vācyāḥ paraiḥ santaḥ parān āhus tathāvidhān ||13||
ato hāsyataraṃ loke kiñcid anyan na vidyate |
yatra durjana ity āha durjanaḥ sajjanaṃ svayam ||14||
satyadharmacyutāt puṃsaḥ kruddhād āśīviṣād iva
anāstiko ’py udvijate janaḥ kiṃ punar āstikaḥ ||15||
svayam utpādya vai putraṃ sadṛśaṃ yo ’vamanyate |
tasya devāḥ śriyaṃ ghnanti na ca lokān upāśnute ||16||
kulavaṃśapratiṣṭhāṃ hi pitaraḥ putram abruvan |
uttamaṃ sarvadharmāṇāṃ tasmāt putraṃ na saṃtyajet ||17||
svapatnīprabhavān pañca labdhān krītān vivardhitān |
kṛtān anyāsu cotpannān putrān vai manur abravīt ||18||
dharmakīrtyāvahā nṝṇāṃ manasaḥ prītivardhanāḥ |
trāyante narakāj jātāḥ putrā dharmaplavāḥ pitṝn ||19||
sa tvaṃ nṛpatiśārdūla na putraṃ tyaktum arhasi |
ātmānaṃ satyadharmau ca pālayāno mahīpate |
narendrasiṃha kapaṭaṃ na voḍhuṃ tvam ihārhasi ||20||
varaṃ kūpaśatād vāpī varaṃ vāpīśatāt kratuḥ |
varaṃ kratuśatāt putraḥ satyaṃ putraśatād varam ||21||
aśvamedhasahasraṃ ca satyaṃ ca tulayā dhṛtam |
aśvamedhasahasrād dhi satyam eva viśiṣyate ||22||
sarvavedādhigamanaṃ sarvatīrthāvagāhanam |
satyaṃ ca vadato rājan samaṃ vā syān na vā samam ||23||
nāsti satyāt paro dharmo na satyād vidyate param |
na hi tīvrataraṃ kiñcid anṛtād iha vidyate ||24||
rājan satyaṃ paraṃ brahma satyaṃ ca samayaḥ paraḥ |
mā tyākṣīḥ samayaṃ rājan satyaṃ saṅgatam astu te ||25||
anṛte cet prasaṅgas te śraddadhāsi na cet svayam
ātmano hanta gacchāmi tvādṛśe nāsti saṅgatam ||26||
ṛte ’pi tvayi duḥṣanta śailarājāvataṃsakām |
caturantām imām urvīṃ putro me pālayiṣyati ||27||
3. Notes explicatives3
3.1. Adhyāya 68
Str. 68.14
– vidita- : adj. verbal de VID-, II, P, vetti, « connaître » ; le différencier de vitta-, que l’on rattache à VID- (même racine), VI, P, vindati, « trouver » (vitta-, n : « richesse »).
– praveśita- : adj. verbal de praveśayati, « introduire », causatif de pra-VIŚ-, VI, P, praviśati, Ā, praviśate, « entrer ».
– taruṇāditya-varcas-, bv. : « qui a la splendeur (varcas-) du jeune (taruṇa-) soleil (āditya-) », « qui brille comme le soleil matinal ».
Str. 68.15
– yathā-nyāyam, abh. : « conformément à la règle ».
– abhiṣicyatām : 3e sg. de l’impér. passif d’abhi-SIC-, VI, P, abhiṣiñcati, « oindre », « consacrer » ; avec le locatif : « consacrer dans le statut de » (ici, yauvarājya-, n : « statut de prince héritier »). Cet impératif est justifié par l’engagement formel que le roi a pris, avant de s’unir à Śakuntalā (1, 67, strophe 18), répondant en cela à la condition que la jeune femme avait posée (ibidem, strophes 15‑17).
Str. 68.16
Construction (anvaya) : tvayā… sutaḥ… mayy utpannaḥ : on peut comprendre cette construction de deux façons, sans que le sens en soit modifié : (1) sutaḥ est un adj. verbal, prédicat de la proposition, dont ayam est le sujet et tvayā l’agent ; dans ce cas, utpannaḥ est apposé au sujet. (2) sutaḥ est un substantif (adj. verbal substantivé) signifiant « fils » et constitue le noyau du groupe sujet ayaṃ sutaḥ, le prédicat étant utpannaḥ (avec le même agent : tvayā).
– mayi (mayy devant voyelle, à cause du sandhi) : loc. sg. du pronom personnel de 1re personne, mad- (N aham) ; on se rappelle que la femme qui donne naissance à un enfant est désignée au locatif : l’homme engendre cet enfant dans [le sein de] la femme — construction qui traduit une conception patriarcale.
etasmin vartasva : VṚT-, I, Ā, vartate, « se conduire », se construit avec un locatif désignant la personne (ou la chose) envers laquelle on adopte une certaine conduite.
– suropama-, bv., « qui a une ressemblance (upamā-) avec un dieu (sura-) », « semblable à un dieu », « d’apparence divine ».
– yathā-samayam, abh. : « selon la convention » ; il s’agit de la convention passée entre le roi et Śakuntalā lors de leur union Gāndharva, c’est-à-dire de la condition imposée par la jeune femme, à laquelle son partenaire a consenti — l’accession du fruit de ses entrailles au statut de prince héritier (voir 67, strophes 15‑18).
Str. 68.17
Construction : les pāda ab contiennent une proposition subordonnée conjonctive, introduite par yathā, « comme », dont le prédicat est kṛtaḥ ; les pāda cd contiennent la proposition principale, introduite par tam, qui renvoie à sa samayaḥ : il y a donc une sorte d’anacoluthe (changement de construction), assez courante en sanskrit, consistant dans le fait que le corrélatif introduisant la proposition principale est celui qui s’emploie normalement quand la proposition subordonnée est une proposition relative et non pas conjonctive.
– samāgama-, m : « rencontre » ou « union (sexuelle) » ; les deux sens sont possibles ici.
– pada-, m : au sens de « lieu », ce mot est souvent employé de manière explétive à la fin d’un composé désignant un endroit.
Str. 68.18
– tad vākyaṃ ou tad-vākyaṃ tasyāḥ : litt. « cette parole d’elle » ; mais on peut aussi construire tasyāḥ avec smaran : SMṚ-, I, P, smarati, « se souvenir », peut en effet se construire avec un complément au génitif ; dans ce cas, tad-vākyam peut s’analyser comme un ṣaṣṭhītatpuruṣa, équivalent de tasyā vākyam. Le sens serait alors : « ayant entendu ces/ses paroles, bien que se souvenant d’elle… ».
– smarann api : api a ici un sens concessif — le roi expliquera ensuite (69.39‑42) la raison de cette feinte, cause imaginée par le narrateur pour justifier le comportement de Duḥṣanta, en apparence contraire au dharma. La rhétorique qu’il emploie et la difficulté qu’il cherche à résoudre par là ne sont pas sans rappeler les justifications données dans le Rāmāyaṇa aux « fautes » du guerrier Rāma, en particulier sa double répudiation de Sītā, qui inscrit dans la structure narrative d’une épopée indienne une structure idéologique héritée de la préhistoire indo-européenne (voir infra). Kālidāsa, dans sa pièce, transformera cette justification de manière radicale, en lui conférant un caractère dramatique : le roi ne se souviendra pas de Śakuntalā, parce que le couple sera victime d’une double malédiction condamnant l’amant à oublier, la femme à n’être point reconnue. Abhijñānaśakuntalā est un drame de la mémoire.
– kasya tvam : ici, contrairement à 65, strophe 12a (kasyāsi), cette expression signifie « de qui es‑tu l’épouse ? » ; entre temps, Śakuntalā, bien que le roi ne la reconnaisse pas — du moins en apparence — est désormais non plus une fille dépendant de son père adoptif, mais une femme qui est mère et dépend d’un époux, quel qu’il soit. Ce changement de dépendance est une caractéristique majeure du système indien. Cf. Manusmṛti, V, 147‑152 (voir aussi IX, 3) :
bālayā vā yuvatyā vā vṛddhayā vāpi yoṣitā |
na svātantryeṇa kartavyaṃ kiṃ cid kāryaṃ gṛheṣv api ||147||
bālye pitur vaśe tiṣṭhet pāṇigrāhasya yauvane |
putrāṇāṃ bhartari prete na bhajet strī svatantratām ||148||
pitrā bhartrā sutair vāpi necched viraham ātmanaḥ |
eṣāṃ hi viraheṇa strī garhye kuryād ubhe kule ||149||
sadā prahṛṣṭayā bhāvyaṃ gṛhakārye ca dakṣayā |
susaṃskṛtopaskarayā vyaye cāmuktahastayā ||150||
yasmai dadyāt pitā tv enāṃ bhrātā vānumate pituḥ |
taṃ śuśrūṣeta jīvantaṃ saṃsthitaṃ ca na laṅghayet ||151||
147. Qu’elle soit une enfant, une jeune femme ou une vieille, la femme
Ne peut accomplir aucune action de manière autonome, même à la maison.
148. Dans son enfance, elle dépend du bon vouloir de son père, de celui de l’homme qui l’a épousée dans sa jeunesse,
De celui de ses fils quand son époux est mort : la femme n’a pas droit à l’autonomie.
149. Elle ne doit pas souhaiter être séparée de son père, de son époux ou de ses fils,
Car si elle se sépare d’eux, une femme provoque la déchéance des deux lignées.
150. Elle doit être toujours joyeuse et adroite aux tâches domestiques,
Bien entretenir les ustensiles du ménage et se montrer économe dans la dépense.
151. Envers l’homme à qui son père l’a donnée, ou son frère avec l’assentiment de son père,
Elle doit être obéissante tant qu’il vit, et quand il a trépassé ne point l’offenser.
On peut également citer IX, 3‑4 :
pitā rakṣati kaumāre bhartā rakṣati yauvane |
rakṣanti sthavire putrā na strī svātantryam arhati ||3||
kāle ‘dātā pitā vācyo vācyaś cānupayan patiḥ |
mṛte bhartari putras tu vācyo mātur arakṣitā ||4||
3. Son père veille sur elle dans son enfance, son époux veille sur elle dans sa jeunesse,
Dans son vieil âge ses fils veillent sur elle : la femme n’est pas digne de l’autonomie.
4. Un père qui ne la donne pas en mariage en temps voulu est blâmable, et blâmable un époux qui ne l’honore pas en temps voulu ;
Mais lorsque son époux est mort, un fils est blâmable qui ne veille point sur sa mère.
Str. 68.19
– dharma-kāmārtha-saṃbandha-, m : « lien (saṃbandha-) concernant/pour le dharma, le kāma et l’artha » ; le lien matrimonial est en effet inscrit dans la quête nécessaire du trivarga-, ou « triade [des buts de l’homme (puruṣārtha-)] » : le dharma, respect des obligations rituelles, hiérarchiques et morales ; le kāma-, « amour », conduisant à la procréation d’au moins un fils en mesure d’assurer la continuité du culte aux ancêtres de la lignée paternelle et l’artha-, « richesse », insertion harmonieuse dans la société et la vie économique.
– tvayā : I sg. du pronom de seconde personne, tvad- (N tvam) ; cet instrumental est complément du composé qui occupe le pāda a et dont le dernier membre est saṃbhanda-, qui se construit avec ce cas, « relation, lien avec… ».
Str. 68.20
– evam uktā : apposé à sā = śakuntalā ; on se rappelle que VAC-, II, P, vakti, « dire », se construit avec l’acc. du destinataire ; il peut donc s’employer au passif (cf. angl. to tell, lat. doceo, etc.) ; le sens est donc : « Cette [jeune femme] à la taille exquise, à qui [le roi] avait ainsi parlé […] », qu’on traduira, plus élégamment, « Oyant ces mots, la jeune femme à la taille exquise […] ».
– vrīḍiteva : iva a ici le sens de « plus ou moins », « en quelque sorte ».
– visaṃjña-, adj. : « privé de conscience », « évanoui », « stupéfié ».
Str. 68.21
– saṃrambhāmarṣa-tāmrākṣī, bv. : « dont les yeux (akṣi-) sont d’un rouge cuivré (tāmra-) sous l’effet de la colère (saṃrambha-) et de l’indignation (amarṣa-) » ; la Śakuntalā épique est beaucoup plus revendicative que celle de Kālidāsa, qui ressent aussi de la colère mais l’étouffe aussitôt et se soumet. Celle‑ci, au contraire, domine sa colère mais pour prendre le dessus dans la discussion.
– oṣṭha-saṃpuṭa-, m ou n : « ouverture entre les lèvres », d’où « lèvres entrouvertes » ; le -o- initial d’oṣṭha-, m, « lèvre », présente la particularité de se contracter en -o- (et non en -au-) avec un -a- ou un -ā- précédent.
– aikṣata : 3e sg. du prétérit d’ĪKṢ-, I, Ā, īkṣate, « voir », « regarder » ; avec tiryak, « regarder de travers ».
– kaṭākṣair nirdahantīva : le partic. présent nirdahantī est inchoatif (« chercher à… », « entreprendre de… », « sur le point de… ») ; il ne s’agit pas d’une métaphore : le regard d’une personne dotée de puissance ascétique, lorsqu’elle ressent de la colère, peut brûler celui vers qui il est dirigé (voir la strophe 22).
Str. 68.22
– ākāra-, m : ici, « expression », « expression du visage ».
– saṃbhṛtaṃ tejaḥ : Śakuntalā, fille adoptive de Kaṇva qui a été élevée dans un ermitage, possède une énergie ascétique qui pourrait être dangereuse pour son entourage, mais qu’elle parvient à retenir ; c’est une énergie ignée, susceptible d’être projetée et de consumer effectivement sa cible (on a vu que nirdahantī, en 21c, est à prendre au sens propre).
Str. 68.23
– abhisaṃprekṣya : cette fois, Śakuntalā regarde le roi en face (abhi-), et non de biais comme à la strophe 21 ; la discussion sur le dharma commence ici.
Str. 68.24
– niḥsaṅgam, abh. : « avec détachement ».
– yathānyaḥ prākṛtaḥ : proposition subordonnée comparative (corrélatif : tathā, qui fait partie de la proposition principale, où il porte sur prabhāṣase).
– anyaḥ : « un autre [que toi-même] », la conduite du roi est indigne de lui.
– prākṛta-, m : « homme du commun », « homme vil ».
Str. 68.25
– atra… veda : atra, « à ce propos », « dans cette affaire » ; veda, dont le sujet est te hṛdayam, est construit absolument (sans complément exprimé) : « sait ».
– satyasyaivānṛtasya = satyasya eva anṛtasya : compléments de sākṣī, « témoin de… », qui est attribut de tvam (pāda c) ; satya- et anṛta- sont antonymes, satya- ayant remplacé ṛtá-, le nom védique signifiant « vérité ».
– bata : interjection pouvant exprimer la surprise (« Ah ! »), le regret (« hélas ! »), etc., et indiquant l’intensité émotionnelle des paroles prononcées ; il appartient au traducteur de rendre cette intensité de la manière qui lui semble la plus appropriée dans sa langue, y compris en ne traduisant pas bata par un mot mais en recourant au point d’exclamation.
– mā… avamanyathāḥ : injonctif prohibitif présent (2e sg.) ; il s’agit d’une forme védique : dans le Veda, il existe en effet deux injonctifs, un bâti sur le thème de présent (prétérit sans augment), un autre bâti sur le thème d’aoriste (aoriste sans augment). La langue classique n’a conservé l’injonctif que dans l’expression de la prohibition, avec la particule mā ; il s’agit normalement de l’aoriste, mais dans l’épopée, on rencontre aussi le prétérit. Le sens est légèrement différent : l’injonctif prohibitif prétérit est inhibitif (arrêter un procès en cours ou sur le point d’être commis), l’injonctif aoriste est préventif (voir Oberlies, 2003, § 6.2, p. 132‑133).
– ava-MAN-, IV, Ā, avamanyate : « mépriser », « renier » ou « répudier », « rejeter » ; ici, tous ces sens pourraient convenir, mais « répudier » est plus probable, parce que dans la suite de son discours, Śakuntalā enjoindra à Duḥṣanta de ne pas la répudier : en répudiant ou en reniant sa femme, un homme se renie ou se répudie lui-même : c’est un des arguments qu’elle développera.
Str. 68.26
Construction : les pāda ab contiennent une proposition subordonnée relative (yaḥ… pratipadyate), les pāda cd la proposition principale (tena, corrélatif de yaḥ), qui est interrogative (kiṃ tena na kṛtaṃ pāpam) ; les deux instrumentaux du pāda d sont apposés à tena.
– anyathā… anyathā… : « autrement… autrement… » ; litt. « celui qui (yaḥ) se (ātmānam) prétend (pratipadyate) autrement (anyathā), étant (santam, accordé à ātmānam) autrement (anyathā) », « celui qui se prétend autre que ce qu’il est ».
Str. 68.27
Mètre : au lieu de l’anuṣṭubh usuelle dans l’épopée4, on a ici une upajāti, mètre qui combine librement des pāda d’indravajrā (⎼ ⎼ ⏑ | ⎼ ⎼ ⏑ | ⏑ ⎼ ⏑ | ⎼ ⎼) et d’upendravajrā (⏑ ⎼ ⏑ | ⎼ ⎼ ⏑ | ⏑ ⎼ ⏑ | ⎼ ⎼) ; on notera qu’ici, la 7e syllabe du pāda c est longue au lieu d’être brève.
Construction : les pāda a et b contiennent chacun une proposition indépendante, en asyndète (sans conjonction) ou en parataxe (sans subordination), si l’on restitue une relation de cause à effet du pāda b au pāda a ; les pāda cd contiennent une phrase complexe, composée d’une subordonnée relative (pāda c : yo veditā…) et de sa proposition principale, introduite par le corrélatif tasya (pāda d).
– hṛcchaya-, adj. : litt. « qui siège (śaya-) dans le cœur (hṛd-) » ; concept de conscience, mais sans la nuance à la fois morale et psychologique que ce terme comporte généralement en français (cf. antara-puruṣa-, 28d et kṣetra-jña-, 30d).
– veditṛ-, m : « connaisseur », nom d’agent avec rection nominale (construit avec le génitif et non l’accusatif).
– vṛjina-, adj. : « torve », « frauduleux », d’où, substantivé au neutre : « fraude ».
Str. 68.28
Construction : chaque hémistiche contient une phrase, avec parataxe (on pourrait, pour le sens, ajouter dans la première un pronom relatif sujet de manyate, donc yaḥ, dont enam serait le corrélatif dans la seconde, qui deviendrait ainsi la proposition principale). Les pāda ab sont composés de deux propositions, dont la seconde (pāda b) est au discours direct (marqué par iti), introduit par manyate ; le sujet de manyate, qui est aussi le référent de mām et qui est repris par enam au pāda c, est indéfini (« celui qui… », donc « quiconque… ») : c’est une sorte de proverbe.
– vetti : 3e sg. du présent de VID-, II, P, vetti, « savoir ».
– svaḥ… antara-puruṣaḥ : « son être intérieur », cf. 27b.
Str. 68.29
Mètre : de nouveau, une upajāti.
– āditya-candrau, anilānalau : dv. au duel, désignant des paires.
– ubhe saṃdhye : le crépuscule du matin et celui du soir.
– hṛdayam : c’est le terme important dans cette série.
– dharma- : désigne ici de dieu Dharma, personnification de l’ordre cosmique, rituel, social.
– vṛtta- : adj. verbal (VṚT-, I, Ā, vartate, « se conduire ») substantivé au neutre avec le sens de « conduite », « actions ».
Str. 68.30
Construction : les pāda ab contiennent la proposition principale, « introduite5 » par le corrélatif tasya, tandis que les pāda cd contiennent une propositions subordonnée relative, « introduite » par yasya, complément de nom de kṣetrajñaḥ.
– yamo vaivasvataḥ : Yama fils de Vivasvat (le soleil), dieu des morts et de la justice post mortem, qui lie et emporte le défunt dans les enfers, le juge et le rétribue en fonction de ses actes.
– niryātayati, X, P : « emporter ».
– kṣetra-jña-, m : litt. « celui qui connaît le champ », « celui qui connaît la personne », « la conscience » : ce terme est en quelque sorte glosé par l’apposition hṛdi sthitaḥ, qui explique aussi antara-puruṣaḥ (28d, cf. 27b, muniṃ purāṇam).
– karmasākṣī = karmaṇaḥ (ou karmaṇāṃ) sākṣī ; construction de sākṣin- : voir 25bc.
Str. 68.31
Construction : on remarquera le chiasme que forme cette strophe avec la précédente : alors qu’à la strophe 30 l’ordre des propositions était proposition principale (tasya) suivie de proposition relative (yasya), dans celle‑ci l’ordre est proposition relative (yasya) suivie de proposition principale (tam).
– eṣaḥ = kṣetrajñaḥ de 30d.
– duṣkṛtam : Ac. sg. de duṣ-kṛt-, m, « malfaisant ». En 30a, il s’agissait du neutre duṣ-kṛta-, « mauvaise action » ; on a donc une sorte d’antanaclase, qui souligne l’alternative : dans un cas comme dans l’autre, Yama emporte une entité appelée duṣkṛtam, mais dans le premier, il s’agit de l’accusatif de duṣkṛta-, n, qui désigne la faute dont l’auteur est ainsi lavé, tandis que dans le second, il s’agit de l’accusatif de duṣkṛt-, m, qui désigne le coupable, lui‑même emporté en enfer par le dieu. La conscience d’un individu détermine donc si celui‑ci mérite d’être lavé de ses fautes (que Yama annule en les emportant — cf. l’invocation catholique Agnus Dei qui tollit peccata mundi), ou s’il en demeure définitivement souillé (Yama l’emporte alors lui-même dans la mort).
Str. 68.32
Construction : les pāda ab contiennent une proposition indépendante, tandis que les pāda cd contiennent une phrase comprenant une proposition subordonnée relative (pāda d), précédée de sa principale (pāda c).
– avamanyātmanātmānam : découper avamanya (absolutif) ātmanā (I sg.) ātmānam (Ac sg., complément d’objet) ; ātmanā est ici le pronom réfléchi (litt. « par lui-même »), tandis qu’ātmānam peut être pris soit comme le pronom réfléchi, soit comme un substantif signifiant « âme », « esprit », « être individuel » (voir l’explication du pāda d). Cette redondance est assez courante.
– śreyas-, adj. : ici, « favorable », « propice » ; construit ici avec le génitif tasya.
– ātman-, m, peut avoir deux sens : il s’agit soit du pronom réfléchi, soit du substantif signifiant « âme », « esprit », « être individuel » ; quel que soit le sens retenu, il est le même pour ātmānam (pāda a) et pour ātmā (pāda d).
– kāraṇa-, n : « cause », « cause agissante », d’où « ressource », « secours » (être une cause agissante implique le fait d’« agir », en l’occurrence dans le sens de son propre salut).
Str. 68.33
– svayaṃ prāpteti : proposition au discours direct sans verbe introducteur : « songeant que », « au motif que » ; svayaṃ prāptā : « elle est venue d’elle-même », c’est-à-dire qu’elle a pris l’initiative, prérogative normalement interdite aux femmes ; cela renvoie à l’indépendance que le rite Gāndharva attribue à chacun des deux partenaires : Śakuntalā n’est pas amenée par son père ou son tuteur (svayam est repris au pāda d, construit cette fois avec upasthitām, quasi-synonyme de prāptā).
– mā avamaṃsthāḥ : injonctif prohibitif sur le thème d’aoriste sigmatique (on voit donc que l’opposition entre l’inhibitif et le préventif est en grande partie neutralisée : la nuance entre 25d et 33b n’est pas perceptible !).
– pati-vratā-, f : bv. substantivé, litt. « dont l’observance est l’époux », « dont la loi est l’époux », c’est-à-dire « qui obéit à la loi du mariage » ; il s’agit de la femme mariée, qui respecte l’ensemble des obligations que comporte son statut. On traduit souvent simplement par « femme fidèle à son époux », mais la fidélité conjugale ne constitue qu’une de ces obligations et le terme ne comporte pas de nuance psychologique ou sentimentale. Voir aussi les strophes 39 et 44. On voit ici que la Śakuntalā épique est, tout autant que celle de Kālidāsa, une pativratā, mais que cela n’implique pas de sa part une soumission inconditionnelle — elle est en somme soumise au dharma, qu’elle connaît parfaitement, plus qu’à son époux.
– arghyārha-, adj. : « digne (arha-) des rites d’hospitalité (arghya-) » ; arghya-, n, est ici un équivalent de pādya- (« [eau] pour laver les pieds »).
– svayam, adv. : porte sur upasthitām, « venue de mon plein gré ».
Str. 68.34
– kimartham, adv. : « pour quelle raison ? ».
– prākṛtavat, adv. : « comme un être vil » (-vat- : suffixe permettant de former un adverbe comparatif).
Str. 68.35
Construction : les pāda ab contiennent une proposition subordonnée hypothétique introduite par yadi, « si », tandis que les pāda cd contiennent la proposition principale, introduite par tataḥ, « alors » ; les deux propositions sont au futur.
– vacana-, n : « parole » ; vacanaṃ KṚ- + G : « accomplir les paroles de… », « faire ce que dit… », donc « obéir à… » ou « complaire à… ».
– yācamānāyāḥ : G f sg. du partic. présent moyen de YAC-, I, P, yācati, Ā, yācate, « demander », apposé à me.
– PHAL-, I, P, phalati : « éclater » ; la tête du parjure était censée éclater d’elle-même.
Str. 68.36
Construction : les pāda ab contiennent une proposition subordonnée de cause, introduite par yasmāt, « parce que », tandis que les pāda cd contiennent la proposition principale, sans corrélatif.
– jāyāyā iti jāyātvam : jāyātva-, n, signifie « fait d’être une épouse », « caractère d’épouse » ; il s’agit d’une spéculation étymologique : jāyā- est interprété comme un nom d’agent de jāyate, « naître » (la femme est appelée jāyā- parce que l’homme qui a pénétré en elle « renaît » d’elle sous la forme de son fils). La particule iti renvoie aux pāda ab.
Str. 68.37
– āgamavat-, adj. : le sens de ce composé possessif dépend de celui de sa base, āgama-, m ; si elle signifie « Veda », le sens est celui que propose van Buitenen (I, p. 166) : « who follows the scriptures » ; si elle signifie « approche sexuelle », le sens est « qui a approché sexuellement une femme ». Ce second sens est plus probable, en raison de la strophe précédente.
– yat… tad-apatyam prajāyate : « ce qui (yat) naît (prajāyate) comme sa (tat-) progéniture (apatya-) ».
– saṃtati-, f : « lignée », « descendance » (idée de continuité).
Str. 68.38
Cette strophe est une citation à la lettre de Manusmṛti, IX, 138.
– pun-nāman-, bv. : « qui a pour nom ‘Put’ », enfer destiné aux hommes morts sans avoir eu de fils ; la strophe comporte une spéculation étymologique, selon laquelle putra- serait formé du nom de cet enfer et d’un nom d’agent du verbe TRAI-, I, Ā, trāyate, « sauver ».
– svayambhū-, m : litt. « né de lui-même », appellation du dieu créateur, Brahmā (cf. 67.8).
Str. 68.39
Construction : chaque pāda contient une phrase indépendante, formée d’une proposition principale, toujours la même (sā bhāryā, litt. « celle-là est une épouse… »), suivie d’une proposition subordonnée relative de définition, introduite par yā (« qui… »).
– pati-prāṇa-, bv. : « dont la vie (prāṇa-, litt. « souffles vitaux ») est [son] époux (pati-) » ; ce composé est formé comme pati-vratā- (voir 33b).
Str. 68.40
– sakhā : N sg. de sakhi-, m, « ami », « compagnon » (N pl. : sakhāyaḥ, cf. 42a).
– trivarga-, m : « triade » des buts de l’homme (voir 19a).
– mariṣyataḥ : G m sg. du partic. futur de MṚ-, VI, Ā, mriyate, « mourir » : « mourant », « agonisant », « moribond ».
Str. 68.41
Construction : analogue à celle de la strophe 39, à ceci près que chaque pāda ne contient qu’une proposition : au lieu d’une proposition subordonnée relative, on trouve les adjectifs possessifs bhāryāvantaḥ (pāda acd) et sabhāryāḥ (pāda b), chacun suivi d’un attribut.
– kriyā-, f : « action », d’où « rite ».
– gṛha-medhin-, m : «celui qui sacrifie à la maison », « celui qui effectue les sacrifices domestiques » ; il existe deux sortes de sacrifice : le sacrifice solennel, effectué lors de cérémonies publiques par des brahmanes auxquels on a recours pour l’occasion, et le sacrifice domestique, effectué chaque jour par le maître de maison, assisté de son épouse — dont la participation est une condition sine qua non du rituel. Un « foyer » est en effet d’abord un lieu où s’accomplit le rituel domestique, qui, en plus des sacrifices occasionnels, consiste essentiellement dans les cinq offrandes quotidiennes (pañca-mahā-yajña-) : aux ancêtres, aux dieux, aux brahmanes, aux « êtres » (bhūta-), aux hôtes. Sur le rituel domestique et les devoirs rituels du maître de maison, voir Manusmṛti, III, 67‑286 et plus particulièrement, s’agissant des cinq sacrifices, 67‑121.
– sabhāryāḥ : peut se comprendre comme un adjectif apposé à bhāryāvantaḥ, « accompagnées de leurs épouses », ou comme un substantif synonyme du même bhāryāvantaḥ, « ceux qui sont accompagnés de leurs épouses ».
– śriyā anvitāḥ : śrī- peut signifier ici « prospérité » ou « gloire », ou les deux à la fois.
Str. 68.42
– etāḥ = bhāryāḥ.
– priyaṃ-vada- : composé de type upapadasamāsa à 1er membre fléchi, litt. « qui disent (vada-) ce qui est aimable (priyam) » ou « qui parlent aimablement ».
– ārtasya : génitif « d’intérêt » (plutôt que compl. de nom) ; ārta- est ici un adj. substantivé : « homme souffrant ».
Str. 68.43
– dārāḥ, m pl. : « épouse » ou « ensemble des épouses » d’un homme.
– sadāra-, adj. : « marié » ou « accompagné de son/ses épouse(s) ».
Str. 68.44
– eka-pātin-, adj. : « qui partage le sort commun ».
– anv-I-, II, P, anveti : « suivre » : référence au rite dit de la satī (litt. « femme vertueuse »), consistant dans le fait que la veuve monte sur le bûcher funèbre de son époux — cf. 45cd (paścāt… anugacchati).
satatam : porte probablement sur bhartāram, « [celui qui est] toujours [son] époux » ; la mort ne rompt pas la relation de dépendance d’une femme envers son époux.
Str. 68.45
saṃsthitā : deux sens possibles, « demeurant » (dans le monde des morts, par conséquent, sans renaître), ou « décédée », ce dernier étant redondant avec pretya.
Str. 68.46
Construction : les pāda cd contiennent une proposition subordonnée de cause introduite par yat, « parce que », tandis que les pāda ab contiennent la proposition principale, introduite par le corrélatif etasmāt, « de ce fait ».
– iṣyate : 3e sg. du passif de IṢ-, VI, P, icchati, « désirer », « souhaiter » (sujet : pāṇi-grahaṇam, « mariage »).
– iha loke paratra ca = tasmin loke parasmin loke ca, « dans ce monde et dans l’autre » (on trouve aussi, dans d’autres textes, iha paratra ca).
Str. 68.47
paśyet : optatif exprimant un souhait ou une généralité ; construit ici avec un compl. d’objet (bhāryām) et un adverbe dont la fonction est prédicative, mātṛvat, « comme une mère ».
Str. 68.48
– janitam (pāda a), janitā (pāda c) : respectivement, Ac m sg. de l’adj. verbal et N sg. du nom d’action, janitṛ- (= fr géniteur) de janayati, X, P, « engendrer », causatif de JAN-, IV, Ā, jāyate (adj verbal jāta-), « naître ». L’association de ces deux dérivés de la même racine constitue une figure étymologique (analogue au polyptote).
– puṇya-kṛt-, m : ici, simplement « qui fait ce qui est pur », « pieux », plutôt qu’« officiant des actes sacrés », comme en 68.3b.
Str. 68.49
– cāturāḥ : découper ca āturāḥ ; ātura-, adj : « malade », « affligé » hlādante sveṣu dāreṣu : le locatif indique ce à propos de quoi est réalisé le procès de se réjouir ; mais il peut aussi se comprendre au sens proprement local, avec une connotation sexuelle.
Str. 68.50
– brūyāt : optatif de souhait ou de généralité.
– rāmāṇām : G pl. de rāmā-, f, « femme charmante », d’où simplement « femme », compl. second de brūyāt (l’accusatif, avec les verbes de parole, est plus courant).
– rati-, f : « plaisir sexuel ».
– dharma-, m : ici, le sens est celui d’ « acte dharmique », « acte méritoire », d’où « mérite » (accumulé par les actes dharmiques) ; on peut cependant traduire simplement par « dharma », afin de préserver l’unité du concept.
– āyatta-, adj. verbal d’ā-YAT-, I, Ā, āyatate, « venir auprès de… », « être à la disposition de… » : « à disposition », « sous la main », « disponible » ; attribut des trois compl. d’objet occupant le pāda c.
Str. 68.51
– ṛṣi-, m : « sage », « voyant » ; ce mot désigne en particulier les sages qui ont composé les hymnes du Veda, inspirés par les dieux, et qui représentent donc les poètes par excellence — or les poètes possèdent une puissance créatrice, celle de la parole, par laquelle ils participent à la création de l’univers : d’où la particule api, « même ».
– śaktiḥ sraṣṭum : le substantif śakti-, « pouvoir (de…) », peut se construire avec un infinitif en -tum, au même titre que l’adjectif śakta-, « capable de ».
– ṛte + Ac : « sans ».
Str. 68.52
Construction : les pāda abc contiennent une proposition subordonnée conjonctive de temps introduite par yadā-, « quand », tandis que le pāda d contient la proposition principale, introduite par l’adverbe corrélatif tataḥ, compl. d’adhika- (adhika- + Ab : « plus que », « au-delà de ») ; de ce fait, la proposition subordonnée de temps joue le rôle de comparant d’adhikam.
– ā-ŚLIṢ-, IV, P, āśliṣyati, Ā, āśliṣyate : « se coller à… », « embrasser ».
– pari-PAT-, I, P, paripatati : « tourner autour » ou « se jeter » ; on imagine le jeune garçon qui joue sur le sol et se jette sur son père pour l’embrasser.
– kim iva : interrogatif renforcé, « qu’est-ce donc qui… ? ».
Str. 68.53
– sa tvam : litt. « toi que voici », « toi tel que tu es ».
– svayam anuprāptam : cf. 33a, svayaṃ prāptā, 33d, svayaṃ bhāryām upasthitām : le roi voit venir à lui, de leur propre chef, non seulement une épouse, mais aussi un fils — or il est pour le moment sans descendance.
– sābhilāsa-, adj. : « éprouvant de l’affection » ; -am : adv., « affectueusement ».
– kākṣa-, adj. : « qui fronce les sourcils » (de mépris), « qui regarde avec mépris » ; substantivé (m ou n) : « froncement de sourcils », « regard méprisant ».
Str. 68.54
– bibhrati (bi-BHR-ati) : 3e pl. du présent de BHṚ-, III, P, bibharti (bi-BHAR-ti), Ā, bibhṛte (bi-BHṚ-te), « porter ».
– bhindanti (BHI-n-D-anti) : 3e pl. de BHID-, VII, P, bhinatti (*BHI-na-D-ti), bhintte (*BHI-n-D-te), « fendre », « briser », « détruire ».
– pipīlika-, m : « fourmi ».
– bharethāḥ : 2e sg. de l’optatif moyen de BHṚ-, ici I, P, bharati, Ā, bharate, « porter ».
Str. 68.55
Construction : les pāda cd contiennent une proposition subordonnée comparative « introduite » par yathā (« de même que… », « autant que… »), tandis que les pāda ab contiennent la proposition principale, « introduite » par le corrélatif tathā (« …de même… », « …autant… »).
– sukha- : ici, adjectif dans ses deux occurrences, (« agréable », « qui procure du plaisir »).
– āliṅgyamāna- : partic. présent passif d’ā-LIṄG-, I, P, āliṅgati, Ā, āliṅgate ou X, P, āliṅgayati, « embrasser ».
Str. 68.56
– śreṣṭha-, variṣṭha- : superlatifs construits avec un compl. au génitif ; vara- : « excellent », construit de la même façon, a aussi la valeur d’un superlatif (il est donc synonyme de variṣṭha-).
– garīyas- adj. : comparatif de guru- substantivé dans le sens de « personne très respectable », « personne la plus respectable » ; il y a donc un jeu étymologique.
– sparśavat-, adj. : litt. « pourvu de contact », c’est-à-dire « que l’on touche » (le suffixe d’adjectif « possessif » exprime en fait la notion d’actualisation : « qui actualise le contact »).
Str. 68.57
– vidyate : 3e sg. du passif de VID-, VI, vindati, « trouver » : « il se trouve », « on trouve », « il existe » (cf. latin videtur) ; loke na vidyate : « il ne se trouve pas au monde ».
– putra-sparśāt : compl. (à l’ablatif) de sukhataraḥ.
Str. 68.58
– triṣu varṣeṣu pūrṇeṣu : locatif absolu ; pūrṇa-, adj. verbal de PṜ-, III, P, piparti ; VI, P, priṇati ; IX, P, pṝṇāti, « remplir » ; ici, « écoulé » (temps) ; grossesse miraculeuse qui s’est intégralement déroulée à l’ermitage de Kaṇva, contrairement à celle de l’héroïne de Kālidāsa, qui se présente enceinte au roi et sera enlevée par sa mère Menakā et accouchera ultérieurement.
– prajātā : adj. verbal substantivé de sens actif : « [femme] ayant enfanté » ; se construit ici comme un nom d’agent à rection verbale, avec un accusatif (imaṃ kumāram) ; voir Oberlies (2003, § 10.3.2, p. 315‑316).
– ariṃ-dama-, m : « dompteur d’ennemis », composé à premier membre fléchi (cf. samitiṃ-jaya-, 62.4d).
– śoka-praṇāśanaḥ = śokān praṇāśayati (upapadasamāsa : type de tatpuruṣa dans lequel le second membre est un nom d’agent, dont le premier membre est le complément ; l’usage est de le gloser au moyen d’une proposition avec un verbe conjugué) ; attribut d’imaṃ kumāram, compl. d’objet de prajātā.
Str. 68.59
– āhartṛ-, m : « celui qui offre », « celui qui célèbre » (un sacrifice).
– vāji-medha-, m : « sacrifice du cheval », équivalent d’aśva-medha- (vājin-, m : « cheval de course », « coursier », « cheval » en général). Le sacrifice du cheval est un grand sacrifice royal par lequel un roi se consacre souverain de la terre entière : on lâche un cheval qu’on laisse gambader à son gré, suivi de l’armée royale qui conquiert tous les pays qu’il vient à traverser ; au terme de l’année, le cheval s’unit symboliquement à la reine puis est sacrifié.
– śata-saṃkhya-, bv. : « ayant cent (śata-) pour compte (saṃkhya-) », « au nombre de cent ».
– vāg antarikṣe… abhyavadat : les dieux délivrent volontiers leurs oracles par le truchement d’une voix céleste, litt. « [qui retentit] dans l’espace » ; ce sera encore une voix céleste qui, à la fin de l’épisode (69.28‑34), annoncera à Duḥṣanta que Śakuntalā est bien son épouse, que c’est bien son fils qu’elle lui amène, lui prédisant son destin de souverain universel et lui enjoignant de le nommer Bharata.
Str. 68.60
– nanu nāma : « n’est-il pas vrai, en vérité, que… ? » ; locution faussement interrogative (interrogation « rhétorique » passée dans l’usage), renforçant une affirmation ; nāma, « en vérité », renforce nanu.
– grāmāntaraṃ gatāḥ : « lorsqu’ils sont allés dans un autre village », c’est-à-dire lorsqu’ils reviennent de voyage et retrouvent leur famille ; antara-, ifc : « autre » (c’est un pronom-adjectif : ifc, il est pronominal, litt. « un autre en fait de »).
– mūrdhni upā-GHRĀ-, III, P, upājighrāti, I, P, upājighrati, Ā upājighrate (épique) : litt. « renifler sur la tête », geste d’affection et de reconnaissance.
– āropya : absol. d’āropayati, causatif d’ā-RUH-, I, P, ārohati, « monter », « se jucher sur ».
– snehāt : abl. compl. de manière ou de cause.
Str. 68.61
– dvijāti-, m = dvija-, m.
– mantra-vāda-, m : « formule rituelle » (litt. « énoncé d’une formule »).
– imam : réfère à ce qui suit, c’est-à-dire la strophe suivante.
– jāta-karman-, n : « rite de la naissance », « cérémonie de la naissance ».
– tava : compl. d’agent de viditam (viditam tathā : litt. « il est connu ainsi », « cela est connu », tournure « de type C », ou « passif impersonnel ») ; les formes nominales du verbe ont souvent un agent au génitif.
Str. 68.62
Construction : succession de quatre propositions indépendantes (une par pāda), en asyndète.
– aṅgāt aṅgāt : « de chaque membre ».
– ātmā : ici, « moi-même », attribut du sujet auquel réfère la désinence du verbe asi (« tu »).
– putra-nāmā, bv. = yasya nāma putra iti.
– jīva : 2e sg. de l’impératif de JĪV-, I, P, jīvati, « vivre » ; il s’agit d’une prière.
– śaradaḥ śatam : « pendant cent automnes », donc « pendant cent ans » (accusatif exprimant la durée).
Str. 68.63
– adhīna-, adj. , ifc : « qui dépend de » ; c’est en effet le fils qui, à travers l’offrande quotidienne aux mânes de son père, de son grand-père et de son arrière grand-père paternels, nourrit ces derniers (rite de la śraddhā).
– saṃtānam… akṣayam : la continuité de la lignée mâle constitue un des deux motifs sur lesquels repose la nécessité d’avoir au moins un fils — l’autre étant la śraddhā ; c’est dans l’épopée l’enjeu de tout l’épisode, tandis que Kālidāsa fait porter l’accent sur l’intrigue amoureuse (śṛṅgārarasa, « saveur érotique »).
– susukhin- : le préfixe mélioratif su- permet de dériver une sorte de superlatif d’un thème d’adjectif.
– śaradāṃ śatam : śata-, « cent », est un substantif neutre, qui s’emploie donc soit avec un génitif pluriel, soit ifc. Il arrive qu’il soit employé comme un adjectif numéral (cf. 62d, śaradaḥ śatam).
Str. 68.64
– ayam : réfère à Bharata.
– sarasīvāmale ’tmānam : découper sarasi iva amale ātmānam ; le dernier sandhi est irrégulier et ne se rencontre que dans la langue épique (dans la langue classique stricte, où ne s’élide, à l’initiale, qu’un -a- bref, on aurait : sarasīvāmala ātmānam) ; cf. 68.10d et voir Oberlies (2003, § 1.2.6a, p. 26‑27).
– ātmānaṃ dvitīyam : attribut de sutam, compl. d’objet de paśya.
Str. 68.65
Construction : les pāda ab contiennent une proposition subordonnée comparative introduite par yathā, « de même que… », tandis que les pāda cd contiennent la proposition principale, introduite par tathā (« …de même,… »)
– praṇīyate : 3e sg. du passif de pra-ṆĪ-, I, P, praṇayati, Ā, praṇayate, « conduire », « produire », « extraire », « dériver ».
– āhavanīya-, m : sous-entendu agni- : « [feu] destiné aux oblations » (litt. « [feu] dans lequel il faut verser les oblations », adj. verbal d’obligation d’ā-HU-, III, ājuhoti, Ā, ājuhute) ; ce vocable désigne un des trois feux domestiques.
– gārhapatya-, m, sous-entendu agni- : « [feu] du maître de maison » (dérivé à vṛddhi initiale de gṛha-pati-, m, « maître de maison »), un autre des trois feux domestiques. Le « feu du maître de maison » se lègue de père en fils ; c’est à partir de ce feu qu’un homme qui accède au statut de gṛha-pati-, lorsqu’il emménage, allume le feu sacrificiel destiné aux oblations du rituel domestique (fonder un foyer se dit « allumer les trois feux » ou « installer les trois feux »). Ces trois feux sont : (1) gārhapatya-, (2) dakṣiṇa-, (3) āhavanīya- ; ils sont cités notamment dans la Manusmṛti III, str. 231 :
pitā vai gārhapatyo ‘gnir mātāgnir dakṣiṇaḥ smṛtaḥ |
gurur āhavanīyas tu sāgnitretā garīyasī ||
Le feu du maître de maison est en vérité le père, le feu du sud est la mère, enseigne la tradition,
Tandis que le feu destiné aux offrandes est le maître spirituel — cet ensemble de trois feux est ce qu’il y a de plus vénérable.
– dvidhā KṚ- : « dédoubler ».
Str. 68.66
– mṛgāpakṛṣṭena hi te mṛgayāṃ paridhāvatā : absence d’accord en cas, comme il arrive dans la langue épique ; au lieu de te, on attend en effet tvayā, qui s’accorderait avec l’adj. verbal apakṛṣṭena et le partic. présent paridhāvatā, tous deux à l’instrumental (l’instrumental et le génitif peuvent tous deux marquer l’agent d’une forme nominale du verbe — ici āsāditā : c’est sans doute ce qui explique l’anacoluthe) ; voir Oberlies (2003, § 10.2.3 (III), p. 297‑298).
– mṛgayā-, f : « chasse », mṛgayāṃ pari-DHĀV-, I, P, paridhāvati, Ā, paridhāvate, « aller à la chasse », « se livrer à la chasse ».
Str. 68.67
– urvaśī, etc. : série d’Apsaras, sorte de nymphes célestes.
– vara- + G : valeur superlative, voir 56d.
Str. 68.68
– brahma-yoni-, bv. : « qui a Brahmā pour origine », « né de Brahmā » (yoni-, f, « matrice », a aussi, notamment ifc, le sens d’« origine »).
– divaḥ : Ab sg de dyu-, m, « ciel » (N sg. dyauḥ).
– jagatī-, f : ici, « terre ».
– ajījanat : aoriste à redoublement, associé à un verbe ayant un présent de la classe X (janayati, « enfanter », « engendrer », causatif de JAN-, IV, Ā, jāyate, « naître »).
– menakā […] viśvāmitrād ajījanat : on remarquera qu’ici, c’est la femme qui est présentée comme l’agent du procès d’enfanter, l’homme étant désigné au moyen d’un ablatif, donc comme simple origine ; l’expression usuelle (dans laquelle l’homme est marqué comme agent et la femme, désignée au locatif, comme simple « lieu » de l’engendrement : cf. str. 18) est donc inversée, ce qui annonce l’argumentation que Śakuntalā développera dans le chapitre suivant.
– apasarāḥ : les thèmes en -as- allongent leur syllabe finale au N sg. animé, c’est-à-dire masculin ou féminin (vs. manas, n, « esprit »).
– viśvāmitrāt : ablatif d’origine, marquant ici le père — on a vu que le locatif marquait la mère lorsque l’agent est le père.
Str. 68.69
– pṛṣṭha-, n : « dos », d’où, s’agissant d’un lieu, « surface », « sommet », « pente » (d’une montagne).
– asatī : « femme dénuée de vertu », « dévergondée » ; antonyme de satī-.
– parātmaja- : probablement « enfant d’un amant » ; ātmaja-, litt. « né de soi » signifie généralement « fils » quand il est masculin, « fille » quand il est féminin (ātmajā-) ; mais ici il désigne l’« enfant » de manière indifférenciée ; para-, m : probable équivalent de para-puruṣa-, m, « autre homme [que le mari] », « amant ».
Str. 68.70
– kṛtavaty asmi : 1re sg. d’une sorte de parfait périphrastique, formé de l’auxiliaire AS- (destiné à indiquer la personne, à travers la désinence verbale, lorsqu’il ne s’agit pas d’une « 3e personne », auquel cas l’accord avec le groupe sujet au nominatif est suffisant), et de l’adjectif verbal « activé » au moyen du suffixe -vat-, f. -vatī-.
– janmani : « dans une vie antérieure » ; janman-, n, « naissance », signifie souvent, par métonymie, « existence » (dans le cadre du saṃsāra).
– yad : conjonction de subordination susceptible d’exprimer divers rapports logiques ; ici, nuance consécutive (« pour que… »).
Str. 68.71
– kāmam…tu… adv. : nuance d’opposition entre les deux propositions (pāda ab et pāda cd), qui sont en parataxe (absence de subordination).
– gamiśyāmy aham āśramam : chez Kālidāsa, l’héroïne exprime la même intention après avoir été rejetée par le roi, mais cette possibilité lui est refusée par la voix de la femme ascète qui, sur l’ordre de Kaṇva, l’a accompagnée ; s’étant unie à Duṣyanta, en effet, elle ne dépend plus de son tuteur, qui ne peut continuer de lui offrir sa protection.
– nārhasi + infinitif en -tum : « daigne ne pas… » ; Śakuntalā est davantage préoccupée du destin de son fils — donc de l’intérêt supérieur de la dynastie de Duḥṣanta et du devenir du monde — que de son propre statut ou de ses propres sentiments : c’est une différence essentielle entre l’épopée et le drame.
Str. 68.72
– śraddhāsyate : 3e sg. du futur moyen de śrad-DHĀ-, III, P, śraddadhāti, Ā, śraddhatte, « faire confiance à… », « ajouter foi à… » (+ Ac).
– a-satya-vacana-, bv. : « dont les paroles (vacana-) sont non (a-) vraies (satya-) », « menteur » (on peut aussi interpréter ce composé comme un upapadasamāsa, « qui dit le faux », asatyaṃ vakti).
Str. 68.73
– bandhakī-, f : « femme débauchée », « dévergondée », « courtisane ».
– niranukrośa-, adj. : « dépourvu de pitié », attribut de jananī (idem dans la strophe suivante).
– praverita- : adj. verbal qu’il faut rattacher au verbe *pravelayati, non attesté, mais qui serait une forme préfixée de velayati, « lancer », « jeter », « rejeter » ; c’est un mot rare, qui évoque ici une grande violence (la distribution entre formes en -r- et formes en -l-, qui correspondent à l’origine à deux dialiectes différents, est une des difficultés de la phonétique de l’indo-aryen ancien !).
– nirmālyā-, f : « restes d’une offrande de fleurs ».
Str. 68.74
– brāhmaṇatve lubdhaḥ : lubdha-, adj. verbal de LUBH-, IV, Ā, lubhyati, « désirer », a un sens actif (« qui désire ») et peut se construire avec le locatif (litt. « qui éprouve du désir à l’égard de ») ; brāhmaṇatva-, n : « rang de brahmane » ; Viśvāmitra est en effet un kṣatriya, un membre de la classe des guerriers (kṣatrayoniḥ, « né dans l’ordre des guerriers », au pāda b), qui a effectué une longue ascèse — normalement incompatible avec l’amour — pour obtenir des dieux de devenir brahmane ; c’est ce qui, aux yeux du roi, explique qu’il ait abandonné sa fille illégitime.
– parāyaṇa-, n, ifc : « qui a pour but suprême », « entièrement dévoué à… », « qui s’adonne à… ».
Str. 68.75
– maharṣīṇāṃ ca te pitā : suppléer l’attribut śreṣṭhaḥ, à partir de śreṣṭhā du pāda a, attribut de menakā. On notera l’incohérence dans l’argumentation du roi : après avoir fondé son refus sur le mépris que lui inspirent les parents de Śakuntalā, une apsaras qui a abandonné son enfant et un faux ascète qui s’est adonné à des amours illégitimes (strophes 73 et 74), il invoque à présent leur noblesse et leur haut statut pour accuser de mensonge la jeune femme qui se prétend leur fille. Il faut mesurer la distance qui sépare cette incohérence de la rigueur et de l’exhaustivité qui président au contraire au plaidoyer de Śakuntalā.
– abhidhāsyasi : 2e sg. du futur actif d’abhi-DHĀ-, « dire » ; tayor apatyam… tvam… ; le futur a ici une valeur modale : « comment pourrais-tu… ? » ; construction : suppléer ātmānam (apatyam étant attribut du compl. d’objet), ou prendre apatyam comme compl. d’objet : « évoquer un rejeton de ces deux êtres » (ils ne sont pas susceptibles d’en avoir).
– puṃścalī-, f : litt. « qui court (calī-) après les hommes (puṃs-) », « dévergondée », « courtisane » ; cf. la qualification de Menakā en 73b.
Str. 68.76
– lajjate + partic. présent : « avoir honte de… ».
– a-śraddheya-, adj. : « à quoi on ne peut ajouter foi » (privatif de l’adj. verbal d’obligation de śrad-DHĀ-).
– viśeṣataḥ, adv : « en particulier », « surtout ».
– sakāśe, ifc ou + G : « en présence de ».
– duṣṭatapasi : V sg de duṣṭa-tapasī-, « ascète indigne ».
– gamyatām : 3e sg. de l’impératif passif de GAM-, I, P, gacchati, « partir » (litt. « que l’action de partir soit accomplie », tournure injonctive usuelle).
Str. 68.77
Construction : mise en opposition d’un ensemble de deux interrogations (pāda ab) avec une troisième (pāda cd) ; kva + N… kva ca + N… : litt. « où est… où est… », tournure exprimant une irréductible dissemblance entre les objets nommés ; cf. Kālidāsa, Raghuvaṃśa, I, strophe 2 :
kva sūryaprabhavo vaṃśaḥ kva cālpaviṣayā matiḥ |
titīrṣur dustaraṃ mohād uḍupenāsmi sāgaram ||2||
D’un côté, la lignée qui descend du Soleil
- De l’autre, mon esprit dénué d’envergure :
Dans ma folie j’entreprends sur un radeau
De traverser l’infranchissable océan !
Str. 68.78
– atikāya-, adj. : « au corps très/trop grand » (ici, « trop »).
– bālo ’pi balavān : api a ici un sens concessif (« bien que… », ou « encore… ») ; on notera la paronomase, qui rapproche artificiellement bala-, n, « force » (dans le dérivé possessif balavat-, « fort ») et bāla-, m, « enfant ».
Str. 68.79
– sunikṛṣṭa-, adj. : « très (su-) bas (nikṛṣṭa-) » ; avec un thème d’adjectif, le préfixe su- peut servir à former une sorte de superlatif (cf. 63d, 74b).
– yoni-, f : cf. 68b.
– prati-BHĀ-, II, pratibhāti : « briller », « apparaître », ici « paraître », « sembler » (avec attribut).
– yadṛcchayā, adv. (I sg. de yadṛcchā-, « hasard », « accident ») : « par hasard », « par accident ».
– jātā menakayā : on remarquera l’emploi de l’instrumental, surprenant avec jātā, qui, usuellement, ne se construit pas avec un complément d’agent — contrairement à l’adj. verbal du causatif, janita‑ ; jāyate, « naître », est en effet intransifif. On attendrait l’Ab menakāyāḥ, que le mètre interdit : ce léger écart grammatical serait-il motivé par la métrique ? Par ailleurs, dans ce type de construction, la femme est généralement désignée au moyen d’un locatif.
Str. 68.80
Construction : les pāda ab contiennent une phrase complexe, composée d’une proposition principale (pāda a) suivie d’une proposition subordonnée relative (pāda b) ; etat est le corrélatif de yat, pronom relatif au N n sg. (« ce que… »). Les pāda cd contiennent deux propositions indépendantes en parataxe.
– parokṣa-, adj. : litt. « au-delà (paraḥ) du regard (akṣa-) », « invisible », d’où, ici, « obscur ».
– yatheṣṭam, adv. : « selon [son] désir », « à son gré ».
3.2. Adhyāya 69
Str. 69.1
Construction : cette phrase se compose de deux propositions indépendantes, une dans chaque hémistiche, qui sont mises en opposition (paśyasi : na paśyasi).
– mātrā-, f : « mesure » ; ifc (bv.) : « ayant pour mesure… », « ayant la taille de… », « ne consistant qu’en… ».
– chidra-, n : ici, « faute », « défaut », « vice » ; para-, iic, s’oppose à ātmanaḥ (pāda c).
– paśyan api na paśyasi : cette expression, où api a sa valeur concessive, fait écho à 68.18bc, rājā smarann api | abravīn na smarāmīti. On peut donc penser que paśyan signifie bien « voyant [tes propres fautes] » et non, avec un sens plus général, « doué de vision »
– sarṣapa-, m : « moutarde », « graine de moutarde ».
– bilva-, m : nom de l’arbre Aegle marmelos, de son fruit, de sa feuille ; le fruit du bilva est beaucoup plus gros qu’une graine de moutarde (cf. le proverbe français, où les comparants sont la paille et la poutre).
Str. 69.2
– tridaśāḥ, mpl. : « les Trente [dieux] » ; ce terme peut désigner les dieux en général.
– menakā tridaśeṣu : locatif prédicatif (« est parmi… », « appartient à… »).
– anu + Ac : « à la suite », « après », « derrière » (en suivant) ; l’affirmation revêt un caractère hyperbolique.
– udricyate : 3e sg. du passif d’ud-RIC- (RIC-, VII, P, riṇakti, Ā, riṅkte), verbe employé seulement au passif, avec une valeur intransitive, « être supérieur » (« à… » : + Ab), « exceller ».
Str. 69.3
antara-, n : « intérieur », « intervalle », « distance » (au sens étymologique), différence (« entre… » : + G).
Str. 69.4
mahendra-, kubera-, yama-, varuṇa- : respectivement les Gardiens (lokapāla-) de l’Est, du Nord, du Sud et de l’Ouest — Śakuntalā se déplace donc jusqu’aux quatre points cardinaux, ce qui l’associe au concept de royauté universelle et la légitime comme mère d’un prince qui y accèdera (cf. 3ab et, s’agissant du destin de Bharata, 27c).
Str. 69.5
Construction : les pāda bc contiennent une proposition subordonnée relative introduite par yam, dont l’antécédent est pravādo ’yam ; le pāda a contient la proposition principale, dans laquelle ayam est le corrélatif de yam. Le pāda d contient une proposition indépendante, où le neutre tat désigne pravādo ’yam.
– pravakṣyāmi : 1re sg. du futur de pra-VAC-, II, P, pravakti, « dire », « annoncer ».
– artham-, ifc : « avec pour but… », « afin de… ».
– KṢAM-, I, Ā, kṣamate : « supporter », « endurer » ; ici, « accepter ».
– arhasi + infinitif en -tum : « daigne… » ; vient ensuite un ensemble de strophes de style proverbial (6‑19), dont les premières expriment une série d’oppositions (6‑13), tandis que les dernières traitent de la paternité en général (16‑19), permettant à Śakuntalā de revenir au cas particulier du fils qu’elle lui a amené — organisation rhétorique courante, qui consiste à justifier une demande ou une injonction en la présentant comme l’application d’une loi générale qui se vérifie dans une multiplicité de cas. C’est donc une leçon de dharma que la jeune femme délivre à Duḥṣanta. Le Mahābhārata abonde en maximes ou sentences proverbiales, souvent délivrées les unes à la suite des autres, dont certaines sont récurrentes et peuvent se rencontrer dans d’autres textes.
Str. 69.6
Construction : les pāda ab contiennent une proposition subordonnée de temps, introduite par yāvat (« tant que… »), tandis que les pāda cd contiennent la proposition principale, « introduite » par tāvat (« tout ce temps… »).
– anyebhyo rūpavattaram : le compl. du comparatif (ici en -tara-, cf. grec –τερος) se met à l’ablatif.
Str. 69.7
Construction : les pāda ab contiennent une proposition subordonnée de temps, introduite par yadā (quand… »), tandis que les pāda cd contiennent la proposition principale, introduite par tadā (« alors… »).
– vikṛta-, adj. : « difforme » (litt. « fait de travers »).
– Pāda cd : formule énigmatique ; itara-, pronom-adj. : « autre », en principe « autre de deux » ; le sens est probablement ici « inférieur » dans le premier cas, « supérieur » dans le second, la fonction d’itaraṃ janam étant celle d’un attribut du compl. d’objet ātmanam. Être « autre » revient à posséder la qualité contraire (van Buitenen : simplement « he knows how inferior he is »).
Str. 69.8
– atīva, adv. : « excessivement », « au plus haut point » (atīva rūpasaṃpannaḥ : superlatif).
– avamanyate : ici, « mépriser ».
– na kiñcit, adv. : « en aucune façon ».
– viheṭhaka-, m : « diffamateur » (viheṭhayati).
Str. 69.9
– ādatte (*ā-da-D-te): 3e sg. du présent d’ā-DĀ-, III, « recevoir », « prendre », au sens ici de « choisir », « retenir ».
Str. 69.10
Pāda d : pouvoir conventionnellement attribué à l’oie sauvage (qui est fréquemment associée à l’âme individuelle, qui aspire à rejoindre le Brahman comme l’oiseau aspire à retourner au lac Mānasa) ; cf. Lanman (1898).
Str. 69.11
Construction : yathā… tathā… : « de même que… de même… » (pāda ab : proposition subordonnée comparative, pāda cd : proposition principale).
– paritapyate : 3e sg. du passif de pari-TAP-, I, P, paritapati, « brûler », employé comme un verbe intransitif ; avec partic. présent : « souffrir de ».
– pari-VAD-, I, P, parivadati : « mal parler de… », « diffamer », « blâmer ».
Str. 69.12
Construction : la même que dans la strophe précédente, mais tathā est ici remplacé par evam (qui a le même sens).
– abhivādya : absol. d’abhivādayati, causatif d’abhi-VAD-, I, P, abhivadati : « saluer respectueusement » ; le causatif a le même sens que le verbe base.
– sat-, adj./m : « (homme) de bien », « juste » ; saj-jana-, m : idem (substantif seulement).
– gacchanti nirvṛtim, bhavati nirvṛtaḥ : expressions de sens rigoureusement équivalents.
Str. 69.13
– yatra, adv. relatif : « là où », dans le sens de « lorsque ».
– vācya-, adj. verbal d’obligation de VAC- : « à qui il faut parler » ou « qui mérite le blâme ».
– sukham JĪV- : « vivre heureux » (sukham est ici adv.) ; jīvanti a deux sujets, qui sont mis en opposition dans le cadre d’une asyndète.
– Pāda d : peu clair ; on peut comprendre : « ils disent (āhuḥ) que les autres (parān : ceux qui leur parlent ou ceux qui les blâment) sont de cette sorte (tathā-vidhān) », c’est-à-dire « ils disent que les autres sont comme eux ». Mais on peut aussi comprendre parān dans le sens d’ « ennemi », attribut de tathāvidhān (van Buitenen : « When the good are belittled by others they call such people enemies »).
Str. 69.14
Construction : les pāda cd contiennent une proposition subordonnée relative introduite par yatra, « là où… », dans le sens de « le fait (éventuel) que… » ; les pāda ab contiennent la proposition principale, introduite par le corrélatif ataḥ (compl. du comparatif hāsyataram), qui renvoie à la proposition subordonnée.
Str. 69.15
– satya-dharma-cyuta- : « qui s’est écarté (cyuta-) de la vérité (satya-) et du dharma (dharma-) » ; on pourrait comprendre le premier membre de ce composé tatpuruṣa comme un karmadhāraya et non comme un dvandva : litt. « le dharma qui consiste en la vérité », donc « le dharma de vérité », « le devoir de vérité », comme le fait van Buitenen (simplement : « a liar »), mais on trouve le duel satya-dharmau, qui ne peut être qu’un dvandva, en 20c.
– āśīviṣa-, m : « serpent venimeux ».
– anāstika-, āstika-, m : « le mécréant », « le croyant » ; « le sceptique », « l’orthodoxe » ; āstika- est un dérivé délocutif (avec vṛddhi de la syllabe initiale) de la phrase asti : son sens est « celui qui dit ‘[cela] existe’ » ; an-āstika- en est tiré au moyen du préfixe négatif ; on rencontre plus souvent nāstika-, délocutif dérivé directement de la phrase négative na asti.
– ud-VIJ-, I, P, udvijati, Ā, udvijate : « être agité », « trembler », d’où « avoir peur de… » (+ Ab).
– kiṃ punaḥ, loc. adv. : « que dire alors de… ? », « a fortiori ».
Str. 69.16
Construction : les pāda ab contiennent une proposition subordonnée relative « introduite » par yaḥ, tandis que le pāda c contient la proposition principale, introduite par tasya, compl. de nom de śriyam ; pāda c : proposition indépendante, pour laquelle il faut suppléer le sujet.
– ghnanti (*GHN-anti) : 3e pl. de HAN-, II, P, hanti (HAN-ti), « frapper », « tuer », « détruire ».
– śriyam : cf. 68.41d.
– lokān upāśnute : ces « mondes » sont les mondes post mortem, en particulier le ciel ; c’est une formule équivalente à « gagner le paradis » (svargaṃ gacchati).
Str. 69.17
Construction : les pāda ab contiennent une proposition subordonnée causale « introduite » par hi, « parce que », et les pāda cd, la proposition principale « introduite » par tasmāt, « pour cette raison ». On peut aussi considérer hi comme un adv. qui articule cette strophe à la précédente (« car ») et les pāda ab comme contenant une phrase indépendante, où tasmāt joue le rôle d’adverbe (« c’est pourquoi »).
– kula-vaṃśa-, m : « la famille et la lignée », sorte d’hendiadyn.
– pitaraḥ, mpl. : les « pères », « les ancêtres ».
– saṃtyajet : optatif prescriptif, dont le sujet est indéfini (on peut traduire par « on »).
Str. 69.18
Remarque générale : Cette strophe, qui est peut-être interpolée, se présente comme une citation de la Manusmṛti, bien qu’elle n’en reproduise ni les termes exacts ni le nombre des items : elle semble renvoyer à IX, str. 158‑160 :
putrān dvādaśa yān āha nṝṇāṃ svāyaṃbhuvo manuḥ |
teṣāṃ ṣaḍ bandhudāyādāḥ ṣaḍ adāyādabāndhavāḥ ||158||
aurasaḥ kṣetrajaś caiva dattaḥ kṛtrima eva ca |
gūḍhotpanno ‘paviddhaś ca dāyādā bāndhavāś ca ṣaṭ ||159||
kānīnaś ca sahoḍhaś ca krītaḥ paunarbhavas tathā |
svayaṃdattaś ca śaudraś ca ṣaḍ adāyādabāndhavāḥ ||160||
158. Parmi les douze [sortes de] fils que Manu fils de Svayambhū a mentionnées pour les hommes,
Six sont à la fois parents et héritiers, six parents mais non héritiers.
159. Le fils légitime et celui qui est né de l’épouse, le fils donné en adoption et le fils désigné,
Le fils clandestin et celui qui a été adopté après abandon sont les six qui sont à la fois héritiers et parents.
160. Le fils né d’une femme non mariée, le fils porté par une femme lors de son mariage, le fils acheté et le fils d’une veuve remariée,
Le fils qui s’est lui-même donné en adoption et le fils d’une [épouse] śūdra sont les six qui sont parents sans être héritiers.
On reconnaît aisément les diverses catégories :
– sva-patnī-prabhava-, « né de sa propre épouse », désigne sans doute ce qui chez Manu porte le nom de kṣetra-ja-, litt. « né dans le champ » (la femme est assimilée au champ où l’homme sème une graine : ibidem, IX, 32‑55), appellation attribuée au fils obtenu par lévirat (mariage d’une veuve avec son beau-frère, destiné à la perpétuation de la lignée du défunt) ; il regroupe peut-être cette catégorie avec celle du fils légitime (celui qu’un homme engendre dans le sein de sa femme légitime, c’est-à-dire épousée selon les règles qui définissent les unions entre varṇa), appelé aurasa- par Manu, litt. « issu du sein [de son père] » ou « [que le père prend] sur [son] sein » ; les deux catégories sont en effet, du point de vue du droit et du statut, considérées comme équivalentes.
– labdha-, « obtenu », désigne sans doute le fils adopté que son père naturel a confié à son père adoptif, que Manu appelle datta- (labdha- étant en quelque sorte la contrepartie de datta-, énonçant le même procès mais du point de vue du récipiendaire, non plus du donataire). Il se peut aussi qu’il regroupe plusieurs types de fils adoptifs (apaviddha- et svayaṃdatta-).
– krīta-, « acheté », correspond exactement à une des catégories de la seconde subdivision de Manu.
– vivardhita-, « qu’on a fait grandir », « élevé », peut faire référence au fils porté par une femme au moment de son mariage et à celui d’une veuve remariée (respectivement sahoḍha- et paunarbhava- chez Manu), peut-être aussi à celui qui a été abandonné, si ce cas particulier n’est pas inclus dans la catégorie labdha-.
– kṛta- correspond probablement à ce que Manu appelle kṛtrima- (litt. « artificiel »), qui est le fils désigné, adopté à l’initiative du seul père adoptif.
– anyāsu utpanna-, « né dans le sein d’autres femmes », regroupe probablement le fils clandestin, c’est-à-dire né d’une relation adultère (gūḍhotpanna- chez Manu), le fils né d’une femme non mariée (kānīna-) et le fils d’une femme śūdra, que le varṇa du père lui interdit d’épouser.
On peut proposer le tableau de correspondance suivant :
Mbh |
Manusmṛti |
svapatnīprabhava- |
aurasa-, kṣetraja- |
labdha- |
datta-, svayaṃdatta-, (apaviddha- ?) |
krīta- |
krīta- |
vivardhita- |
sahoḍha-, paunarbhava-, apaviddha- ? |
kṛta- |
kṛtrima- |
anyāsūtpanna- |
gūḍhotpana-, kānīna-, śaudra- |
Cette reconstruction est évidemment hypothétique et appelle une recherche plus complète, dans les commentaires de la Manusmṛti, dans les Dharmasūtra et les autres Smṛti (ainsi que leurs commentaires), et dans la littérature secondaire portant sur le dharmaśāstra, la « science du dharma ».
NB : pañca (pāda a) renvoie aux cinq premiers éléments, en asyndète, de l’énumération (jusqu’à kṛtān, au pāda c) ; le dernier élément, anyāsu cotpannān, est « ajouté » aux cinq précédents au moyen de la particule ca : l’énumération vérifie la relation d’associativité, c’est-à-dire qu’elle peut associer une partie des unités énumérées dans un sous-ensemble (a, b, c = [a, b], c ou a, [b, c]).
Str. 69.19
– narakāt : ici, « enfer » en général (terme générique) : il s’agit en fait de l’enfer Put (cf. 68.38).
– jātāḥ : adj. verbal de JAN-, apposé au sujet putrāḥ, « en naissant », « par leur naissance ».
– dharma-plava-, m, kdh. : « navire (plava-) qu’est le dharma (dharma-) », métaphore très courante dans la littérature morale, le mal, l’adversité et le cycle des renaissances étant représentés comme un océan qu’il s’agit de traverser.
Str. 69.20
Construction (anvaya-) : les pāda cd peuvent indifféremment se rapporter (par apposition de pālayānaḥ à tvam) à la proposition contenue dans les pāda ab ou à celle contenue dans les pāda ef.
– pālayānaḥ : N m sg. du participe présent de pālayate, X, Ā (usuellement P, pālayati), « protéger » « préserver », « sauvegarder » ; on notera l’emploi du suffixe de participe moyen normalement réservé aux présent athématiques (on attend pālayamānaḥ) ; voir OBERLIES 2003, 9.1, p. 263‑264.
– voḍhum : infinitif en -tum de VAH-, I, P, vahati, Ā, vahate, « transporter », « véhiculer », « conduire », ici « mener à terme », « commettre ».
Str. 69.21
– vara-, adj., + Ab : « meilleur que… » ; n : «… est une meilleure chose que… », « il vaut mieux… que… ».
– kūpa-śatāt : śata-, « cent », est un substantif qui se construit le plus souvent avec le génitif ou ifc. (voir 68.63d).
Str. 69.22
Construction : les deux hémistiches contiennent chacun une proposition indépendante, ces deux propositions se trouvant en parataxe (absence de subordination entre deux propositions liées par un lien logique) ; la relation est ici hypothétique : les pāda ab énoncent l’hypothèse, les pāda cd la conclusion qu’on en tire.
– hi : relie l’ensemble de la strophe à la strophe qui précède.
– sahasra-, n : « mille » ; à l’instar de śata-, c’est un substantif, qui se construit le plus souvent avec un génitif pluriel, ou, comme ici, ifc.
– viśiṣyate : 3e sg. du passif de vi-ŚIṢ-, VII, P, viśiṇaṣṭi, « distinguer », employé comme un présent intransitif, « se distinguer », « être supérieur » (« à » : + Ab) ; même structure qu’udricate en 2c.
Str. 69.23
Construction : les pāda ab contiennent deux composés nominaux qui sont sujets du groupe verbal, étrangement accordé au singulier, qui occupe le pāda d ; celui-ci est constitué du verbe AS- à l’optatif potentiel, syāt, et de deux attributs, samaṃ et na… samam, articulés par la conjonction vā, « ou bien » : c’est une double possibilité qui est ainsi exprimée. Le pāda c est difficile à comprendre, en raison, vraisemblablement, d’une altération textuelle — les manuscrits présentent d’ailleurs plusieurs variantes (édition critique du B.O.R.I., vol. 1, p. 313-314). Si on admet la leçon satyaṃ ca vadato rājan, il faut comprendre satyaṃ vadataḥ comme complément de samam, vadataḥ étant le G m sg. substantivé du partic. présent de VAD- et satyam son complément d’objet : « [égal/pareil à] celui qui dit la vérité » ; mais, outre que l’expression est étrange, qui associe par la comparaison ce groupe nominal désignant un homme aux deux composés des pāda ab qui désignent des conduites, la présence de la conjonction ca est dans ce cas incompréhensible : elle implique en effet que satyam soit, au même titre que les deux composés qui précèdent, sujet du verbe. Parmi les autres leçons signalées par l’édition critique, la plus convaincante est celle qui propose de lire vacanaṃ au lieu de vadato : si on la retient, satyaṃ ca vacanam, « et la parole véridique » (satyam est alors adjectif) constitue bien le 3e terme d’une énumération qui rassemble les sujets du verbe, samam et na… samam étant leur attribut commun, toujours accordé au singulier. Le sens général est le même — il est d’ailleurs énigmatique : la récitation des Veda et la visite des lieux sacrés peuvent être considérées comme valant ou ne valant pas, sur le plan moral et rituel, le fait de dire la vérité. Toutes les traductions consultées, sans préciser quelle leçon elles ont suivi, comprennent ainsi la strophe6.
– sarva-vedādhigamana-, n : « étude (adhigamana-) de tous (sarva-) les Veda (veda-) ». L’étude et la récitation des Veda, c’est-à-dire des quatre recueils liturgiques (Ṛgveda, Sāmaveda, Yajurveda, Atharvaveda), est source de mérite.
– sarva-tīrthāvagāhana-, n : « fait de se baigner (avagāhana-) dans tous (sarva-) les gués sacrés (tīrtha-) » ; la tournée des gués ou lieux sacrés, qui constitue une sorte de pèlerinage, est une pratique rituelle fréquente, à laquelle se livreront plusieurs personnages de l’épopée. Elle apporte des mérites, au même titre que l’étude et la récitation des Veda.
Str. 69.24
– para-, adj., + Ab : « situé au-delà de… », « supérieur à… » ; n : « chose supérieure ».
– anṛta-, n (substantivation d’un adj. verbal précédé du préfixe négatif) : litt. « non-vérité », « mensonge » ; s’oppose ici à satya-, adj., « vrai » et n, « vérité » (en védique, antonyme de ṛtá-, « vérité », vocable qui a été supplanté par satya-).
Str. 69.25
– samaya-, m : « convention », d’où « engagement », « règle », « loi ».
– mā tyākṣiḥ : 2e sg. de l’injonctif prohibitif (aoriste sigmatique) de TYAJ-, I, P, tyajati, « abandonner ».
– saṅgata- = saṃgata- : adj. verbal de saṃ-GAM-, « qui accompagne », « qui suit », « qui s’attache à… », + I ou G.
Str. 69.26
Construction : les pāda ab et le premier mot du pāda c (ātmanaḥ, mis en relief par ce rejet : c’est à lui-même que le roi ferait tort en ne reconnaissant pas son fils, ainsi que Śakuntalā le lui a longuement expliqué, 68.36-38, 47-48, etc.) constituent un ensemble de deux propositions subordonnées hypothétiques, « introduites » par cet, « si » ; elles dépendent des deux propositions en asyndète qui occupent le reste du second hémistiche, à partir de hanta.
– prasaṅga-, m : « attachement », + I, G ou L.
– ātmanaḥ : génitif compl. de śraddhāsi ; śrad-DHĀ-, « se fier à… », « accorder crédit à… », se construit anciennement avec le datif, ultérieurement avec le génitif ou le locatif d’un nom désignant une personne, le locatif d’un nom désignant une chose.
– hanta : particule exclamative exprimant diverses émotions — ici, le mécontentement, la douleur (« hélas »…).
– tvādṛśe : adjectif substantivé, « quelqu’un tel que toi » ; ce locatif est compl. de saṅgatam, « réunion », « union ».
Str. 69.27
– ṛte : « sans » ; se construit normalement avec l’accusatif ou l’ablatif, mais ici avec le locatif ; voir OBERLIES 2003, 10.3.7, p. 358, remarque. L’expression est significative : le destin de l’univers ne dépend pas de la décision de Duḥṣanta et c’est la connaissance qu’elle en possède, c’est-à-dire sa connaissance de la vérité, qui fonde dans tout le dialogue la supériorité de Śakuntalā.
– śaila-rājāvataṃsaka-, bv. : « ayant comme parure d’oreille (avataṃsaka-) le roi (rāja-) des montagnes (śaila-) » (śaila-rāja- = himavat- = himālaya-).
– catur-antām imām urvīm : cf. 4ab ; catur-anta-, bv. : litt. « comprenant [les] quatre (catur-) limites (anta-) », d’où « jusqu’à ses quatre limites », « jusqu’aux quatre points cardinaux », c’est-à-dire la terre entière.
– pālayiṣyati : pālayati signifie à la fois « protéger » et « gouverner » (gouverner, c’est protéger).
4. Traduction
4.1. Adhyāya 68
14.
Elle se rendit auprès du roi, où elle se fit connaître et introduire,
En compagnie de ce fils dont la splendeur était celle du soleil matinal.
15.
Après lui avoir rendu hommage selon l’étiquette, Śakuntalā lui dit7 :
Voici ton fils, ô roi : qu’il soit par toi consacré au rang de prince héritier !
16.
Car c’est toi qui as engendré ce fils, né dans mon sein, pareil à un dieu :
Agis envers lui comme il a été convenu, ô le plus éminent des hommes.
17.
Cette condition que jadis tu acceptas, quand nous nous unîmes
Près de l’ermitage de Kaṇva, souviens-t-en, ô fortuné !
18.
Quand il eut ouï ces paroles qu’elle avait dites, le roi, bien qu’il se souvînt,
Lui répondit : Je ne me souviens pas ! De qui es-tu l’épouse, ascète impure ?
19.
Je ne me souviens pas d’un lien qui m’unirait à toi, pour le dharma, le kāma ou l’artha ;
Va-t’en ou demeure, à ta guise, ou bien agis comme il te plaira !
20.
Oyant ces mots, la jeune femme à la taille exquise, ressentant une sorte de honte, pleine de sagesse,
Demeura comme stupéfiée par la douleur, aussi immobile que le tronc d’un arbre.
21.
Les yeux rouges de colère et d’indignation, les lèvres entrouvertes et tremblantes,
Elle regarda le roi de travers, comme si elle cherchait à le brûler par ses regards.
22.
Dissimulant l’expression de son visage alors qu’elle était emportée par sa fureur,
Elle retint alors, usant de sa puissance ascétique, l’énergie accumulée en elle.
23.
Après un instant de réflexion, remplie de douleur et d’indignation,
Elle regarda son époux et avec colère lui adressa ces mots :
24.
Pourquoi, grand roi, alors que tu me reconnais, me dis-tu ainsi,
Détaché, que tu ne me reconnais pas, agissant comme si tu étais un autre que toi-même, un homme vil ?
25.
Ton cœur, lui, sait ce qu’il en est ! De la vérité comme du mensonge,
Noble seigneur, tu es le témoin ! Ne va te répudier toi-même !
26.
Celui qui se prétend lui-même autre que ce qu’il est,
Ce voleur qui est lui-même l’objet de son larcin, de quel mal n’est-il point coupable ?
27.
Tu penses que tu es seul : tu ignores le vieux sage qui habite ton cœur !
Tu commets cette fraude devant celui qui connaît ton forfait !
28.
L’homme coupable d’un forfait songe : « Personne ne me connaît ! » ;
Mais les dieux le connaissent, et son être intérieur également !
29.
Le soleil et la lune, le vent et le feu, le ciel, la terre, les eaux, le cœur, Yama,
Le jour et la nuit, les deux crépuscules et Dharma connaissent les actions d’un homme.
30.
Yama Vaivasvata emporte le méfait de celui
Dont la conscience, témoin de ses actes qui habite son cœur, est satisfaite.
31.
Mais l’homme au cœur mauvais dont la conscience n’est pas satisfaite,
C’est lui que Yama emporte, ce malfaisant coupable d’un forfait.
32.
Se répudiant lui-même par lui-même, il se prétend autre ;
Or les dieux ne se montrent pas propices envers celui qui n’est pour lui-même d’aucun secours !
33.
Ne me répudie pas ainsi, moi, ton épouse obéissant à la loi du mari, au motif que je suis venue de moi-même :
C’est ta femme, venue d’elle-même auprès de toi, qu’en moi tu refuses d’honorer, digne pourtant des présents d’hospitalité !
34.
Pourquoi, comme si j’étais une femme vile, me regardes-tu avec mépris, en pleine assemblée ?
Je n’élève pas ma supplique dans un désert : pourquoi ne m’entends-tu pas ?
35.
Si tu ne fais pas ce que je dis alors que je te supplie,
Duḥṣanta, alors ta tête aujourd’hui éclatera en cent morceaux !
36.
Un époux, après avoir pénétré son épouse, renaît en elle :
Les poètes d’autrefois savaient qu’en cela consiste le caractère d’épouse que possède une épouse.
37.
Celui qui naît comme le rejeton d’un homme qui a approché une femme,
Celui-là assure par sa descendance le salut de ses ancêtres morts autrefois.
38.
Parce qu’un fils sauve son père de l’enfer appelé Put,
Le dieu né de lui-même l’a lui-même proclamé putra.
39.
Est une épouse celle qui est experte à la maison, est une épouse celle qui enfante,
Est une épouse celle dont l’époux est toute la vie, est une épouse celle qui obéit à la loi du mari.
40.
L’épouse est la moitié de l’homme, l’épouse est son compagnon le plus précieux,
L’épouse est la racine de la triade des buts de l’homme, l’épouse est l’allié de qui va mourir.
41.
Ceux qui ont une épouse sont ceux qui accomplissent les rites ; en compagnie d’une épouse, ils accomplissent le sacrifice domestique ;
Ceux qui ont une épouse connaissent la joie ; à ceux qui ont une épouse s’attache la fortune.
42.
Ces épouses aux paroles aimables sont des compagnons dans la solitude,
Des pères dans l’accomplissement du dharma, des mères pour celui qui souffre.
43.
Même au cœur des forêts sauvages, elles sont le repos de l’homme qui voyage ;
On peut faire confiance à un homme qu’accompagne une épouse, aussi les épouses sont-elles le meilleur chemin.
44.
Même quand il est défunt et qu’il transmigre, partageant dans l’adversité le sort commun,
Une épouse qui obéit à la loi du mari suit celui qui est toujours son époux.
45.
Une épouse première défunte demeure chez les morts à attendre son mari,
Tandis qu’une femme vertueuse suit son époux s’il meurt avant elle.
46.
C’est pour cette raison, ô roi, que l’on souhaite se marier :
Parce qu’un mari gagne une épouse dans ce monde et dans l’autre monde.
47.
Un fils, c’est soi-même engendré par soi-même, disent les sages ;
C’est pourquoi un homme doit voir en son épouse, mère de son fils, sa propre mère.
48.
Le fils né dans le sein d’une épouse est comme son propre visage dans un miroir ;
À sa vue, le géniteur se réjouit autant que l’homme pieux qui a atteint le paradis.
49.
Consumés par les souffrances de l’âme et affligés par les maladies, les hommes
Se réjouissent dans leurs épouses comme ceux qui, souffrant de la chaleur, se baignent dans l’eau.
50.
Même au comble de la colère, puisse le sage ne point dire à ses femmes d’amères paroles,
Voyant en elles, à portée de sa main, son plaisir, sa joie et son dharma.
51.
Les femmes sont toujours le champ sacré de leur propre naissance :
Quel pouvoir ont les sages eux-mêmes de créer une progéniture, sans la femme ?
52.
Lorsqu’un fils, tout couvert de la poussière du sol, se jette
Dans les bras de son père et l’embrasse, que peut souhaiter de mieux celui-ci ?
53.
Et toi, tel que tu es, ce fils qui est venu de son propre chef, plein d’affection,
Et qui te regarde, pourquoi le rejettes-tu, fronçant les sourcils de mépris ?
54.
Les fourmis portent leurs œufs sans les briser :
Pourquoi ne porterais-tu pas, toi qui connais le dharma, ton propre fils ?
55.
Toucher des vêtements, de jolies femmes, de l’eau ne procure pas autant de plaisir
Que le plaisir qu’on ressent à toucher le tout jeune fils qu’on embrasse !
56.
Le brahmane est le meilleur des bipèdes, la vache le plus précieux des quadrupèdes,
Le maître vénéré le meilleur des êtres vénérables — le fils est le plus exquis des êtres que l’on touche.
57.
Que ce fils de si belle apparence t’embrasse et te touche :
Il n’existe rien au monde qu’on ait plus de plaisir à toucher qu’un fils !
58.
Après que se furent écoulées trois années, ô dompteur d’ennemis, j’ai enfanté
Ce prince, ô seigneur des rois, pour qu’il mette fin à tes peines.
59.
« Il célèbrera au total cent fois le sacrifice du cheval », ô descendant de Puru :
Voilà ce qu’autrefois, au moment de sa naissance, me dit une voix céleste.
60.
Quand, après être allé dans un autre village, ils prennent tendrement sur leurs genoux
Leurs fils et reniflent leur tête, les hommes ne se réjouissent-ils donc pas ?
61.
Dans les Veda même, les deux-fois-nés prononcent cette formule rituelle,
Lors de la cérémonie marquant la naissance de leurs fils — tu la connais aussi :
62.
« Tu nais de chacun de mes membres, tu nais de mon cœur,
En vérité tu es moi-même sous le nom de fils : tel étant vis cent automnes !
63.
Car ma nourriture dépend de toi, ainsi que ma lignée impérissable ;
Aussi, vis cent automnes dans le plus grand bonheur, mon petit ! »
64.
C’est de tes membres qu’est né cet enfant, d’un homme un autre homme :
Regarde mon fils comme un second toi-même, reflété dans l’eau pure d’un étang.
65.
Car de même qu’on allume le feu destiné aux oblations au feu du maître de maison,
De même cet enfant est né de toi : toi, d’un que tu étais, tu es devenu double.
66.
C’est toi qui, entraîné au loin par une gazelle au cours d’une partie de chasse,
Es venu à moi, alors que j’étais une jeune fille, ô roi, à l’ermitage de mon père.
67.
Urvaśī, Pūrvacitti, Sahajanyā, Menakā,
Viśvācī et Ghṛtācī sont les six plus belles Apsaras.
68.
Parmi elles, celle qui se nomme Menakā, une exquise Apsaras née de Brahmā,
Ayant rejoint la terre depuis le ciel, m’a enfantée des œuvres de Viśvāmitra.
69.
C’est elle, l’Apsaras Menakā, qui m’a mise au monde sur une hauteur de l’Himalaya,
Avant de s’en aller en me laissant là, comme une dévergondée abandonne l’enfant d’un amant.
70.
Quel acte impur ai-je donc commis autrefois, dans une vie antérieure,
Pour que mes parents m’abandonnent dans mon enfance, et toi aujourd’hui ?
71.
Abandonnée de toi, je m’en irai du moins à l’ermitage,
Mais cet enfant qui est ton fils, daigne ne point l’abandonner toi-même !
Duḥṣanta dit :
72.
Je ne reconnais pas ce fils né dans ton sein, Śakuntalā ;
Les femmes sont menteuses : qui se fiera à tes paroles ?
73.
Menakā, ta mère débauchée, est dénuée de pitié,
Qui sur une hauteur de l’Himalaya t’a rejetée, comme les restes d’une offrande de fleurs !
74.
Et ton père, né dans l’ordre des guerriers, est dénué de pitié lui aussi,
Viśvāmitra qui, aspirant à devenir brahmane, s’est adonné à l’amour !
75.
Menakā est la meilleure des Apsaras et ton père, le meilleur des grands sages :
Comment pourras-tu te prétendre leur rejeton, toi, telle une dévergondée ?
76.
N’as-tu point honte de proférer ces propos auquel on ne saurait ajouter foi,
Surtout en ma présence ? Va-t’en, ascète impure !
77.
Où est le grand sage toujours féroce ? Où est l’Apsaras Menakā ?
Et où es-tu, toi, cette misérable qui porte les vêtements d’une ascète ?
78.
Et le corps de ton fils est trop grand, il est fort malgré son jeune âge :
Comment en si peu de temps a-t-il pu grandir et devenir pareil au tronc d’un arbre śāla ?
79.
Ta naissance est bien vile, tu me sembles une dévergondée :
C’est par accident, par un effet hasardeux de la passion amoureuse, que tu es née de Menakā !
80.
Tout ce que tu me dis me semble bien obscur, ascète,
Moi je ne te reconnais pas — va-t’en où te conduira ton désir !
4.2. Adhyāya 69
Śakuntalā dit :
1.
Ô roi, tu vois les fautes d’autrui, qui ont la taille d’un grain de moutarde ;
Quoique les ayant sous les yeux, tu ne vois pas les tiennes, qui ont la taille du fruit du bilva.
2.
Menakā fait partie des Trente dieux et les Trente viennent après Menakā :
Ma naissance surpasse ta naissance, Duḥṣanta !
3.
Toi tu erres sur la terre, ô roi, moi je me meus dans le ciel :
Il y a entre nous, comme tu vois, autant de différence qu’entre le Mont Méru et un grain de moutarde !
4.
Du grand Indra, de Kubera, de Yama et de Varuṇa
Je fréquente les demeures : vois quelle est ma puissance, ô roi !
5.
Elle est véridique, cette parole que je m’en vais t’adresser, ô irréprochable,
Pour t’instruire et non par ressentiment : daigne l’entendre et l’accepter.
6.
Un homme laid, tant qu’il ne voit pas son propre visage dans un miroir,
Se croit doué d’une beauté qui dépasse celle des autres.
7.
Mais quand il contemple son visage difforme dans un miroir,
Alors il se reconnaît comme une personne inférieure plutôt que supérieure.
8.
Un homme doué d’une extrême beauté ne montre jamais aucun mépris ;
En murmurant des propos d’une extrême dureté, on devient ici-bas un diffamateur.
9.
Car le sot, quand il entend les propos bons et mauvais que murmurent les hommes,
Retient les paroles mauvaises, comme le cochon qui se nourrit d’ordures.
10.
Mais le sage, quand il entend les propos bons et mauvais que murmurent les hommes,
Retient les paroles vertueuses, telle l’oie sauvage qui de l’eau extrait le lait.
11.
Car de même que l’homme vertueux souffre d’avoir à blâmer autrui,
De même à blâmer autrui le méchant homme prend plaisir.
12.
De même que les justes sont heureux de parler avec respect aux anciens,
De même le sot éprouve du bonheur à injurier le juste.
13.
Ceux qui ignorent les vices vivent heureux, comme les sots qui sont à l’affût des vices ;
Quand les justes s’attirent le blâme des autres, ils disent que ces autres sont tels qu’eux-mêmes.
14.
Il ne se trouve dans le monde rien de plus risible
Que d’entendre un méchant traiter lui-même un juste de méchant.
15.
Un homme qui s’est écarté de la vérité et du dharma, autant qu’un serpent venimeux quand il est furieux,
Inspire de la terreur à l’incroyant lui-même : que dire alors du croyant !
16.
De celui qui renie un fils semblable à lui après l’avoir lui-même engendré,
Les dieux détruisent la fortune et il n’accède pas aux divers mondes.
17.
Les ancêtres ont dit que le fils est le fondement de la famille et de la lignée,
Le plus éminent de tous les dharma : aussi ne faut-il point abandonner son fils !
18.
Nés de l’épouse, reçus en adoption, achetés, élevés,
Désignés : Manu a dit qu’il existe cinq sortes de fils, plus ceux que d’autres femmes ont enfantés.
19.
Ils apportent aux hommes le dharma et la renommée, ils accroissent la joie que ressent leur esprit,
Par leur naissance ils sauvent leurs pères de l’enfer : les fils sont le navire du dharma.
20.
Tel que tu es, ô tigre des rois, daigne ne point abandonner ton fils,
Sauvegardant ta propre personne, la vérité et le dharma, ô maître de la terre ;
Ô lion parmi les hommes, daigne ne point commettre de fausseté !
21.
Un étang vaut mieux que cent puits, un sacrifice vaut mieux que cent étangs,
Un fils vaut mieux que cent sacrifices — la vérité vaut mieux que cent fils.
22.
Car si l’on pèse sur une balance mille sacrifices du cheval et la vérité,
La vérité l’emporte sur les mille sacrifices du cheval.
23.
Étudier tous les Veda, se baigner à tous les gués sacrés
Et dire la vérité, ô roi, se valent ou ne se valent pas.
24.
Il n’est point de dharma plus haut que la vérité, il n’est rien au-delà de la vérité,
Il n’est rien de plus amer en ce monde que le mensonge.
25.
Ô roi, la vérité est le Brahman suprême, la vérité est la loi suprême :
Ne renonce pas à ton engagement, ô roi, que la vérité soit avec toi !
26.
Si tu t’attaches au mensonge, si de toi-même tu n’accordes pas crédit
À ta propre personne, hélas je m’en vais : il n’est point d’union avec un homme comme toi.
27.
Même sans toi, Duḥṣanta, mon fils protègera cette terre
Jusqu’à ses quatre limites et portant le roi des montagnes comme parure d’oreille.