Une Histoire catalane de Paris à Venise

DOI : 10.35562/celec.104

Texte

Les deux textes auxquels nous avons choisi de nous intéresser sont un roman de 1627, L’Hiacinthe. Histoire catalane, écrit par Jean Pierre Camus évêque de Belley1, et la traduction qu’en propose Giovan Francesco Loredano2 sous le titre Historia Catalana, publiée à Venise en 16413. Dans son avertissement au lecteur, Loredano précise d’emblée :

Ne t’étonne pas si je me suis éloigné des règles prescrites aux traducteurs. Par endroits, je me suis servi du sens, j’en ai paraphrasé d’autres et j’en ai laissé exprès de côté de nombreux autres. Seul l’embryon est de Monseigneur de Belley4.

Ni l’aveu ni la profession de foi méthodologique ne doivent nous surprendre pour l’époque et au regard d’une pratique de « translation » des textes très éloignée de ce qu’est la traduction contemporaine, en particulier universitaire. Dans ce cas, pourtant, l’écart entre le texte source et sa traduction n’est pas aussi important que le laisse supposer le scrupuleux préambule de Loredano.

Avant de mesurer le travail de sélection – de coupe5 – et d’« interprétation » ou de réécriture de notre traducteur, commençons par résumer le roman français. Jean Pierre Camus présente lui-même son roman en ces termes :

Parmy les compositions des Pharmaciens, la confection d’Hiacinthe tient un rang notable ; entre les proprietez que luy communiquent les simples dont elle est assaisonnée, elle a celle-cy d’estre fort pectorale & cordiale ; mon cher Lecteur, l’Histoire que ie te presente en ce livre est une vraye confection d’Hiacinthe, car elle ne traicte que du cœur & du plus noble de ses monnemens, qui est l’Amour6.

Il s’agit en réalité d’un roman qui enchaîne deux histoires exemplaires :

Je vous expose icy deux histoires […] afin que vous en faisiez par vostre iugement une dilection anatomique, & que vous voiez en Lascaris & Procore, & en Gaston & Hiacinthe de quelle façon il fault se prendre pour avoir de bonnes Amours & amitiez, & de quelle façon il faut eviter les mauvaises7.

Ces histoires reposent sur le postulat explicite qui est revendiqué dans les deux avant-propos : il s’agit, nous dit ainsi Loredano dans son « Avertissement au lecteur », en paraphrasant l’« Avant-discours » Camus, de souligner la valeur de ceux qui sont « transplantés » en terre étrangère – où l’on voit bien que ce récit présente les traits d’un bildungsroman avant la lettre8, mais il est surtout question d’asseoir sur ces bases, le long récit d’une première amitié d’exception9, dont on verra qu’elle est en réalité, pour Loredano, autant inspirée par le récit de Camus que par la chronique vénitienne, puis le récit, plus court et redondant, d’une deuxième amitié.

Pour résumer la première « histoire » du roman de Camus, indiquons qu’elle met en scène Lascaris et Procore. Le premier est envoyé par son père en Italie ; le second est déjà installé en terre lombarde pour le même motif que son ami : étudier à la prestigieuse université de Pavie. Mais chemin faisant, Lascaris rencontre des Espagnols qui l’entraînent en Flandres, où il ne connaîtra que les misères des champs de bataille et la maladie. Mis à l’abri par un religieux au grand cœur, il peut se rétablir et prend la route pour l’Italie. À peine les Alpes franchies, il est attaqué par des brigands, dépouillé du peu qu’il avait (ses lettres de change et ses vêtements), jeté en prison pour vagabondage et, se souvenant que Procore n’était pas loin de là, est alors tiré de cette situation par cet ami d’enfance retrouvé. Lascaris s’installe dans la modeste chambre d’étudiant de son ami en attendant que son père lui renvoie de quoi vivre et récompenser Procore des sacrifices qu’il fait pour lui – car Procore est pauvre, du moins l’est-il en raison de la grande avarice de son père10. C’est le début d’une amitié qui ne se démentira que provisoirement, le temps de quelques rivalités amoureuses. La première de celles-ci s’articule autour du personnage de Pélagie : Lascaris l’aime, mais elle aime Procore ; le premier se sent trahi, le second peine à se défendre, mais après maintes manigances de Pélagie, contrecarrées par Procore, les deux amis se réconcilient et la belle, humiliée, se rabat sur un certain Aurelio, « celuy d’entre ses poursuivans qui luy sembla le plus digne de son alliance, & le plus propre pour satisfaire ensemble à son Amour, & à sa vengeance »11 – précisons qu’Aurelio ne tiendra pas sa promesse de venger Pélagie de son humiliation12. Lascaris guéri, s’éprend d’Inès, l’épouse et s’installe dans sa ville de Barcelone où Procore ne tarde pas à les rejoindre. C’est alors que ce dernier, fréquentant assidûment une librairie de la ville, tombe amoureux de la fille du patron, Engrace (Graziosa, dans le texte italien). Pour citer Camus : « Au commencement Lascaris qui faisoit des-ja le pere de famille, remontra doucement à son Amy l’extreme inegalité qui estoit entre sa naissance, sa qualité, son sang, son rang, ses biens, & son parentage, & la condition de celle qu’il aimoit13. » Voici donc la deuxième pomme de discorde entre Lascaris et Procore dont le père, qui désapprouve lui aussi ces amours, entre dans le jeu, menaçant son fils de tous les chatiments, insultant le père d’Engrace, lequel s’y met aussi pour séparer les amants. Procore accuse Lascaris d’avoir fait venir son père à Barcelone, d’intriguer contre lui, et les tentatives de Lascaris pour réconcilier tout le monde ne font qu’ajouter au quiproquo. Quant à Engrace, sa famille lui fait épouser un veuf, le riche, vieux et tyrannique Agesilas. Une fois encore, Lascaris et Procore se réconcilient, mais Procore, inconsolable, commence une longue vie d’errance jusqu’à la mort du père d’Engrâce et attend pendant près de seize ans la mort d’Agesilas qui lui permettrait enfin d’épouser Engrace. En réalité, celle-ci mourra sans que ce projet ne se réalise et Procore vivra de nombreuses autres années dans le chagrin et le souvenir de cette femme jusqu’à ce que, sur le tard, une fille de Lascaris, Doristelle14, le sorte de son désespoir. Il commence par en faire son héritière, puis par favoriser ses amours avec Hiacinthe, quand il se surprend à nourrir pour elle des sentiments tout autres que « paternels »15. Lascaris découvre que son vieil ami est amoureux, lui fait avouer de qui16 et lui promet alors d’agir en sorte que Hiacinthe soit éloigné et que la main de Doristelle lui revienne.

La deuxième amitié exemplaire que propose le roman de Camus est celle qui unit Gaston, le frère de Doristelle, à Hiacinthe, l’amant éconduit de celle-ci, dont Gaston n’aura de cesse de défendre les intérêts, contre Procore et contre son propre père. Elle occupe environ les deux tiers du dernier Livre. Les amours fugaces mais dangereuses de Gaston et Nigella, mariée, constituent une digression au regard du récit des tentatives de Procore pour épouser Doristelle et des obstacles qu’il rencontre17, mais c’est là l’occasion, pour Camus, de mettre en scène un guet-apens du mari jaloux contre Gaston et l’intervention de Hiacinthe pour sauver son ami, circonstances redondantes au regard de celles qui firent naître l’amitié de Lascaris et Procore… Entre temps, Procore est tué et Lascaris se convaint de la culpabilité de Hiacinthe. Il lui vouera une haine féroce jusque sur son lit de mort, lui refusant définitivement et son pardon et la main de sa fille. Les deux amants se marient peu après, de même que Gaston :

Les deux amis vesquirent longuement en leurs mesnages benis de Dieu d’une belle linée, qui transmettra leurs noms bien avant dans la fuite des aages en la mémoire de la posterite. Leur amitié en sa confiance & en son egalité ne ceda en rien à celle que prattiquerent Lascaris & Procore parmy tant de troubles & d’orages. Elle fut aussi forte, mais elle fut plus honneste : Et comme elle fut conduitte avecque plus de moderation & de iugement, elle fut aussi comblée de plus de paix & de benedictions18.

Revenant au prémbule de Loredano sur sa traduction, observons tout d’abord le travail de « réduction » qu’il opère. On s’aperçoit en premier lieu qu’un certain nombre de digressions du texte de Camus sont éliminées : par exemple, dès le début du Livre Premier, alors qu’il évoque l’arrivée de Lascaris en Flandres, Camus rappelle le rôle du duc d’Albe dans la révolte des Hollandais (« Ie renvoye le curieux à l’Histoire … »19) : Loredano, lui, saute le paragraphe. Autres simplifications du traducteur : la plupart des références mythologiques présentes dans le texte de Camus sont supprimées du récit vénitien : l’évocation de la victoire de Miltiade et de Thémistocle sur les Perses presqu’à la fin du Livre Premier, pour ne citer que ce cas20. Et d’une manière plus générale, Loredano tend à gommer les excès du texte français, leur préférant la brevitas toute laconique qui caractérise ses écrits. Ainsi, au début du Livre Second, alors qu’est décrit le caractère volage de Lascaris, comparé aux butineries des abeilles, on passe de ce :

[…] suçant de divers lieux le miel de la complaisance, miel semblable à celui d’Heraclée qui, recueilli sur l’aconit, est très dangereux, & excite des vomissements & desvoyements, ou tout au moins des maux de cœur, des foiblesses, des migraines, des fievres, & et des tournoyements de teste21

à :

[…] suçant en divers lieux le miel de la complaisance. Miel qui, toutefois, aspergé de poison, n’apporte que fièvre, faiblesses, déplaisirs, ainsi que des étourdissements et des oppressions du cœur.22

Aussitôt après :

Qui ne voit que ces Amourettes que les jeunes gens forment sans dessein de mariage, parmy les diverses compagnies, où ils fréquentent, sont de cette façon, puisqu’elles causent des inquiétudes, des troubles, des émotions fievreuses, mais passageres, des cajolleries, des muguetteries, & tant d’autres fatras qui se font qu’embarrasser leurs esprits, & en allanguir la vigueur, & la force23.

devient :

Qui ne voit que ces Amours, qui nourrissent les jeunes gens sans espoir de mariage ne causent qu’inquiétudes, que troubles et émotions ? ne faisant qu’embarrasser leurs esprits, dont ils engourdissent la vigueur et la force24.

Ailleurs encore, Loredano réduit de manière draconienne les pages décrivant le caractère de Pélagie, son succès auprès de nombreux soupirants, la liberté que lui laissent ses parents de choisir le parti qui lui convient, la naissance de sa passion pour Procore et ainsi de suite. Point n’est besoin de multiplier les exemples pour comprendre qu’à ce rythme, la traduction réduise le texte source d’environ un tiers de sa longueur25.

D’autant que Loredano supprime systématiquement les vers, sonnets et autres inclusions poétiques qui parsèment le texte français (et il y en a beaucoup) : parfois sans compensation, parfois en transposant en prose le sens des vers effacés – ce sont là, en particulier, les « paraphrases » auxquelles son propos liminaire se réfère. Ainsi, à la fin du Livre Premier, Camus introduit dans le récit un sonnet dont le sens est supposé rendre celui d’un « romance » récité par Procore à Lascaris, sur le thème de la reconnaissance et de la libéralité26, et la réponse de Lascaris à Procore par un autre « romance »27 ; pour sa part, Loredano choisit d’ignorer l’échange poétique entre les personnages et ampute le Livre de plus de trois pages, s’arrêtant à ce propos littéralement prosaïque :

Ces indignations qui eussent éteint une petite amitié, en augmentent une grande. Et comme les forgerons se servent de l’eau pour rendre plus vive et plus ardente la flamme de leur forge, de même ces petites et délicates indignations enflamment doublement la bienveillance réciproque de ces deux amis28.

Au final, cependant, malgré la mise à l’écart de quelques paragraphes digressifs, l’allègement, ici ou là, des couplets les plus lourdement moralisateurs, le limage des tournures ampoulées, la réduction en prose ou la suppression des inclusions poétiques, la traduction proposée par Loredano n’est pas aussi infidèle au texte de Camus que ne le laisse entendre son Avertissement au Lecteur. Et il reste, du roman de Camus, beaucoup plus que son « embryon ». Loredano ne sera donc pas accusé de haute trahison d’un auteur envers lequel il témoigne, en réalité, d’un respect certain.

Mais ce qui nous intéresse plus encore que le traitement réservé au roman français, c’est en revanche son choix et le relatif succès qu’a obtenu cette traduction, succès non négligeable, si l’on se réfère au nombre de ses rééditions : elle en a, en effet, connu au moins six entre la princeps (de 1641) et celle de 167029. Pourquoi ce roman-ci ? Certes, dès le premier livre, l’« ineptie » des Espagnols – nous empruntons le qualificatif à Camus – est soulignée sans ambages, justifiant les objectifs des voyages auxquels les habitants les moins rustres de la Péninsule ibérique invitent leurs rejetons, en Flandres et en Italie, pour parfaire leur éducation30. De tels couplets anti-espagnols31 n’étaient sans doute pas pour déplaire au patricien Loredano, alors très proche de la noblesse vénitienne dite « minuta »32 et de ses chefs de file, ceux qui soutenaient la politique – menée, entre autres, par le doge Niccolò Contarini jusqu’en 163533, farouchement anti-curiale et anti-espagnole, occasionellement philo-protestante – en tout cas prête à soutenir, plus ou moins discrètement, les Pays-Bas contre l’Espagne… Mais les attaques de Camus sont à la fois trop attendues, trop topiques (les remarques sur le caractère espagnol, en particulier) et trop marginales pour justifier à elles seules l’intérêt de Loredano, qui n’avait nul besoin de se réfugier derrière un Jean Pierre Camus pour se défouler, littérairement parlant, de son hostilité envers l’Espagne. Il est vrai, aussi, que l’évêque de Belley pouvait apporter à notre traducteur la caution morale attachée à sa fonction religieuse. Le libertin Loredano, fondateur d’un cénacle qui fut pendant trois décennies, le repère notoire de tout ce que Venise comptait d’intellectuels en délicatesse avec l’Église, ne manquait jamais une occasion de compenser son rôle dans la diffusion de thèses et d’écrits sulfureux par de solennelles déclarations d’orthodoxie, par des écrits propres à en prouver l’authenticité (la vie d’un pape ou une hagiographie, par exemple34) ou par l’accueil, parmi les Incogniti, d’ecclésiastiques ou de personnages proches des milieux romains. En réalité, la sensibilité « jeune » de Loredano – au sens politique de ce terme – explique bien plus sûrement qu’il ait pu trouver un intérêt particulier au thème central du roman de Camus, l’amitié. Il faut, pour le comprendre, rappeler dans quel contexte vénitien évolue notre patricien polygraphe et quelle place idéologique prend le concept d’amitié à Venise dans les années Vingt de son siècle (et un peu au-delà). Qu’on nous permette, pour en juger, une digression historique, un peu longue, mais indispensable à notre démonstration.

Il convient tout d’abord de rappeler que la République de Venise fut secouée par deux crises institutionnelles de même nature : la première à la fin du XVIe siècle, la seconde en 1623-29. La crise de 1582-83 divisait deux catégories de patriciens, ceux qui souhaitaient l’élargissement des responsabilités du Sénat (une assemblée consultative émanant de l’organe législatif de la République, le Grand Conseil)35 et qui péconisaient, de ce fait, une limitation de celles du Conseil des Dix – lequel avait peu à peu accaparé des compétences financières revenant normalement au Sénat et des compétences criminelles qui auraient dû rester aux mains de la Quarantia (l’organe judiciaire de la République) – et ceux qui, au contraire, soutenaient l’idée d’un Conseil des Dix aux larges prérogatives36. C’est à cette dernière catégorie que renvoie le terme de « Vieux », tandis que les « Jeunes » étaient ceux qui s’opposaient à l’hégémonie d’un Conseil des Dix privilégiant un groupe restreint de nobles. Précisons que les Jeunes ne remettaient absolument pas en cause le caractère aristocratique du système vénitien et ne prônaient donc aucune transformation radicale de cette oligarchie, ils en craignaient juste le resserrement. Il ne s’agissait pas non plus d’un simple conflit de générations opposant « la maturité et l’instinct de conservation des nobles les plus vieux, détenteurs de positions de commandement, à l’impétuosité agressive des autres, inférieurs en âge et en expérience, impatients de les remplacer, avec des intentions innovatrices »37. En effet, les Vieux étaient surtout les représentants des Case Vecchie, les plus vieilles familles de la noblesse et aussi, souvent, les plus riches et les plus conservatrices, tandis que les Jeunes étaient membres des Case Nove, financièrement moins solides et politiquement plus inquiètes – encore faut-il ne pas trop réduire ce conflit à un long heurt entre deux groupes aussi schématiquement divisés. Ce sont, en tout cas, deux conceptions de la politique vénitienne qui s’affrontent lors de cette crise, ainsi que lors de la seconde, provoquée, dans les années 1623‑29, par des Jeunes moins modérés que ceux réunis autour de Leonardo Donà, et sous l’égide, cette fois, de Nicolò Contarini38. Conceptions diverses de la distribution des pouvoirs entre les différentes institutions de la République, mais aussi quant à la politique internationale de Venise et aux limites du pouvoir d’ingérence de l’Église dans les affaires d’État. Les Vieux se montraient, en effet, des défenseurs acharnés d’une politique de neutralité et de paix qui les poussait à plus de tempérance dans les rapports avec la papauté et à une grande défiance vis-à-vis des pays protestants. Ils percevaient trop le danger des infiltrations hérétiques qui auraient pu ébranler l’unité indispensable au maintien du corps social et des institutions garantissant alors la force de l’État. Les Jeunes, pour leur part, jugeaient cette politique du statu quo d’un coût exorbitant et incompatible avec leur volonté de redonner de l’élan à l’économie de la Sérénissime. Au moment de l’Interdit (1605), c’étaient les Jeunes qui dominaient la scène politique vénitienne, et ils le firent pendant une bonne partie des deux décennies suivantes. Au plan institutionnel, la crise de 1582‑83 n’ayant été que partiellement résolue39, le mécontentement des Jeunes resta latent. Par ailleurs, les plus menacés pas ce système étaient les patriciens de second rang, les plus pauvres, exclus des postes-clé du gouvernement par le monopole croissant du pouvoir des plus riches. Cette partie de la noblesse victime de l’involution économique se voyait condamnée à la misère à brève échéanche40. Si bien qu’en 1625, des propositions de sévères mesures d’application fiscales déclenchèrent la fureur des Pauvres contre les Riches, ce conflit reproduisant, très globalement, le clivage entre Jeunes et Vieux des décennies précedentes, et l’impétuosité de leur porte-parole, Renier Zeno41 provoqua même la dislocation progressive du clan des Jeunes : les plus modérés d’entre eux (Nicolò Contarini, entre autres, ou même Domenico Da Molino, un des patriciens les plus influents de la décennie, qui, en l’occurrence, s’était rallié au doge) craignaient par trop le désordre profond que risquaient d’engendrer les protestations libertaires des « zénistes ». Pour citer l’historien Gaetano Cozzi

Les voix de la contestation s’étaient faites plus fortes, mêlées aux remontées de l’insupportation et des vieilles passions politiques. Les exigences soulevées par ce mouvement, malgré ses prémisses, n’étaient plus simplement d’ordre économique […] Ou elles n’étaient, du moins, des exigences qu’indirectement économiques. On voulait le libre accès à toutes les charges et à tous les instruments du pouvoir, également parce que de ceux-ci et avec ceux-ci, on pouvait tirer des avantages à la fois politiques et financiers. Mais les questions les plus débattues par la petite noblesse concernaient l’égalité effective des droits, l’administration droite et équitable de la justice, la libération des abus électoraux42.

À la fin du mois d’août 1628, fut adoptée une réforme du Conseil des Dix – dite « correction » –, qui resta très limitée : elle ne céda pas sur un point essentiel pour les Pauvres, à savoir le rééquilibrage des pouvoirs judiciaires entre le Conseil et la Quarantia, et fit la preuve de l’infériorité politique des Pauvres, mettant du même coup en lumière le bienfondé de leurs revendications. Au terme de cette bataille de clans, c’est incontestablement le groupe des Vieux (et des Riches) qui tira le mieux son épingle du jeu ; il en sortit indemne, voire renforcé. Le court dogat de Nicolò Contarini (élu le 18 janvier 1630 et emporté par la peste au début de 1631) marqua en réalité la fin de la domination effective des Jeunes dans le gouvernement de la République43.

Alors que s’annonçait la seconde des deux crises que nous venons de résumer, vers 1618‑19, l’amitié entre deux nobles, Nicolò Barbarigo, à la tête d’une considérable fortune, et Marco Trevisan, dont les revenus étaient, à l’inverse, plus modestes, eut un retentissement exceptionnel en raison du contexte conflictuel dans lequel elle était, assumant une valeur très emblématique du climat politique et moral de Venise à cette période. Pour des raisons qui n’ont jamais été éclaircies, Nicolò Barbarigo avait été mis au ban de la société et, alors qu’une discussion sur lui s’était engagée dans un groupe au sein duquel se trouvait Marco Trevisan et que tous se seraient acharnés à couvrir le malheureux Barbarigo d’accusations infâmantes, Trevisan s’éleva courageusement pour le défendre. Barbarigo l’apprenant, l’en remercia. Peu à peu, les deux hommes se rapprochèrent, mais dans une société vénitienne où l’ostracisme pouvait être féroce, l’impopularité du premier eut pour effet de condamner Trevisan à la même haine. Pour autant, il ne céda pas aux injonctions de sa famille ni de tous ceux qui lui conseillaient de renier cette amitié : il préféra quitter les siens et alla s’installer chez Nicolò Barbarigo qui, non seulement l’accueillit à bras ouverts, mais encore paya ses dettes de jeu et lui assura un train de vie qu’il n’eût probablement pas pu soutenir en restant dans sa famille. Barbarigo le désigna même comme administrateur de ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir44, et testa en sa faveur, lui laissant la jouissance de tous ses biens45. Marco Trevisan en fit autant, à ceci près qu’il n’avait pas grand-chose à léguer… La publication des deux testaments (en 1627, pour faire taire ceux qui spéculaient sur leur contenu …) fit grand bruit. Beaucoup parièrent sur la courte durée d’une amitié de cette sorte, « inégale, au fond, dans son poids, faite, pour l’un, de sentiments très élevés, mais pour l’autre, de charges domestiques et économiques »46. D’autres, au contraire, virent dans cette amitié le symbole de l’harmonie retrouvée, de la fin des dissensions patriciennes – parmi eux, Paolo Sarpi47 et son biographe, Fulgenzio Micanzio, ou Nicolò Contarini –, et de nombreux ouvrages glorifièrent bientôt cette amitié sous le nom d’« héroïque », contribuant pendant un temps à faire parler des deux amis, et ceci bien au-delà des frontières vénitiennes48. Sept de ces récits furent composés par des Incogniti, simples inscrits ou membres actifs du cénacle de Loredano, mais en tout cas tous témoins de la perméabilité de ce groupe d’intellectuels à un incident qui doit son importance à l’arrière-plan des graves agitations secouant alors la classe dirigeante vénitienne49. En 1644, après la mort de Barbarigo, l’« eroica amicizia » n’inspira quasiment plus de commentaires, mais il est intéressant de constater que Loredano eut des contacts épistolaires, bien plus tard, avec Trevisan, alors même que celui-ci, oublié, essayait de revenir au premier plan de la chronique en faisant rééditer des opuscules sur son « aventure amicale »50. Enfin, comme Trevisan, Loredano eut à combattre des médisants51 et, comme lui, il fut victime de revers de fortune52. Bref, la proximité idéologique de Loredano avec les Jeunes, l’intérêt suscité parmi ceux-ci (comme parmi leurs adversaires) et au sein de l’académie des Incogniti par cette « héroïque amitié », plus quelques coïncidences que nous allons relever entre cette affaire et le roman de Camus nous incitent à considérer que notre traduction pourrait bien n’être qu’un huitième récit de cette amitié issu des rangs des Incogniti, récit bien à l’abri, toutefois, de l’alibi d’une signature « transalpine ».

Il est certain que cette traduction est publiée de manière décalée au regard des autres ouvrages incogniti sur nos deux amis (tous parus entre 1626 et 1630) : elle sort bien plus tard, en 1641, mais tout de même avant la mort de Barbarigo, avant, donc, que le « soufflé ne soit retombé ». Le roman de Camus, rappelons-le, paraît en 162753, c’est-à-dire que Loredano l’a eu entre les mains quand Barbarigo et Trevisan étaient au cœur de l’actualité vénitienne, et nous ne saurions croire que les coïncidences entre cette « aventure amicale » et le récit de Camus n’aient pas eu un rôle déterminant dans la décision de le traduire. Car non seulement le roman de Camus fait la part belle à un thème dont la résonance ne pouvait qu’être forte pour le vénitien Loredano en ces années-là, mais aussi développe-t-il abondamment les thèmes corollaires de la libéralité, d’une forme certaine de solidarité de classe et d’attention à l’honneur de l’autre.

Revenons donc à notre roman. Relevons tout d’abord que lorsque Procore porte secours à Lascaris, dévalisé, dépouillé de ses vêtements et recouvert de haillons en place de ceux-ci, puis, parce qu’il était méconnaissable, rejeté par les compatriotes auxquels il demanda de l’aide… il lui donne des vêtements dignes de lui, il lui redonne, en somme, son apparence de gentilhomme, reconnaissant ainsi sa condition : il lui rend son existence sociale perdue54 comme ce fut le cas pour Trevisan défenseur de Nicolò Barbarigo contre les calomnies dont il l’était l’objet, et qu’il fréquente quand tout le monde l’avait mis à l’écart. Peu après, Lascaris se fait envoyer par son père de nouvelles lettres de change, il rembourse bien sûr Procore de ce qu’il a dû débourser pour l’aider, mais surtout, il lui confie tout l’argent qu’il a en sa possession– « Une petite flotte estant arrivée à Lascaris, aussi tost il la remit toute entre les mains de Procore pour luy tesmoigner par / cette confiance le ressentiment de l’obligation qu’il luy avoit »55 –, si bien que chacun rivalise de reconnaissance envers la générosité de l’autre : « heureuse contestation, & qui fut le fondement d’une amitié fort signalée, car deslors ils se lierent d’une telle affection, qu’il sembloit […] que ce ne fust qu’une ame en deux corps, tant leurs volontés estoient unies. »56 Mais, surtout et plus prosaïquement, leur amitié se traduit par l’extraordinaire libéralité du riche Lascaris(‑Barabrigo) avec un Procore(‑Trevisan) désargenté. Voici ce qu’écrit Loredano à ce sujet :

Il y avait […] entre eux cette différence que Lascaris, pour entretenir les plaisirs de Procore, donnait librement et abondamment de sa poche, alors que Procore ne rendait en échange que les manifestations de son respect et de son obligation, qui étaient tout ce que pouvait donner un jeune homme de bonne famille qui ne possède rien en propre et qui ne se distinguait d’un domestique qu’à ses vêtements. Et ceux qui savent qu’un des effets de l’amitié est de mettre en commun ce qu’on possède avec ceux qu’on aime, ne trouveront pas extraordinaire le geste de Lascaris ni le fait que Procore, rendant en échange de tant de courtoisie une affection cordiale et entière, ne pouvait être accusé d’ingratitude57.

Cette disparité économique reproduit bien la situation de nos « amis héroïques », dont l’historien Gaetano Cozzi commente les échanges testamentaires en ces termes :

La fusion de leurs deux volontés était donc advenue, et de la manière la plus limpide et la plus évidente, et c’était un fait qui ne pouvait pas ne pas faire sensation. Barbarigo n’en était pas le seul bénéficiaire : plus qu’à lui, c’est même à Trevisan qu’on accordait le plus d’attention. Dans le geste éclatant du premier se trouvait soulignée la manifestation de la gratitude plus que la générosité. Marco Trevisan, pour sa part, avait eu le courage de lui montrer estime et confiance, il l’avait ramené la tête haute dans la vie sociale, il lui avait redonné son honneur ; et Barbarigo l’en récompensait avec les moyens matériels dont il disposait58.

D’autre part, on a eu l’occasion de dire que Trevisan était joueur et que Barbarigo avait réglé ses dettes, c’est aussi ce que fait le personnage de Lascaris pour son ami. Et quand Procore, qui tente de se procurer de l’argent en jouant pour moins solliciter son ami, perd le peu qu’il a et cherche vainement à se faire prêter de l’argent par d’autres, il finit par recourir encore à Lascaris59, qui « sold[e] aussitôt la partie si promptement que Procore en rest[e] ébloui »60. Et il ne reçoit, en guise de sermon, que ce « doux reproche » :

Est-il possible que Procore, qui m’est plus cher que mes yeux, ait voulu recourir à un autre ami, me faisant passer après une personne inconnue, oubliant la confiance qu’il doit avoir en ma sincérité. Dis-moi, cruel mais si aimé Procore, quelle raison as-tu eue de me traiter de cette manière61 ?…

La leçon appelle une réponse de Procore d’une aussi grande amabilité62 – et d’une longueur égale, cette joute courtoise s’étirant au final sur près de cinq pages. Ce dialogue aboutit à une conclusion du Livre Premier sur la louange de l’amitié « vraie et parfaite »63 : « Oh ! saint nœud de l’amitié dont les liens sont si doux et si fins, qui serrent les cœurs. L’amitié est un instrument qui rend les cœurs si tendres que Lascaris et Procore, pour se réconcilier, versent d’abondantes larmes »64… Enfin, on l’a dit, la fidélité des deux amis leur fait aussi surmonter les querelles suscitées par leurs échecs amoureux (celui de Lascari pour conquérir Pelagia et celui de Procore pour épouser Graziosa), mais elle pousse surtout Lascari à sacrifier l’amour de sa fille Doristella pour Giacinto au désir sénile de Procore, comme il le déclare à son cher ami :

Soyez sûr de ma volonté, tandis que j’emploierai toute mon imagination pour amener le cœur de Doristella a consentir au vôtre […]. Lascaris, oubliant qu’il était père pour se montrer ami, prit soin de dissoudre peu à peu l’accord entre ces deux amants (Giacinto et Doristella), afin que Doristella […] se rende à l’amour de Procore65.

Cette attitude si peu familiale de Lascaris n’est pas sans évoquer, une fois encore, celle de Barbarigo, qui, dans le fameux testament en faveur de Trevisan, ne mentionne même pas son épouse…

De telles coïncidences entre la fiction de Camus et l’« héroïque amitié » qui défrayait la chronique vénitienne au moment de sa parution ont sans nul doute frappé Loredano autant que nous, et nous paraissent justifier que ce dernier ait choisi d’en publier une traduction qui, en 1641, pouvait encore trouver, dans l’imaginaire vénitien d’alors, un écho bien particulier. Car la notoriété de Jean Pierre Camus n’est pas telle qu’un Loredano ait exprimé, par cette traduction, quelque aspiration à diffuser une œuvre dont le caractère extraordinaire mériterait qu’il fallût à tout prix lui faire franchir les frontières. Nous n’avons somme toute pas affaire à un cas comparable à celui des divulgateurs de Shakespeare ou de Cervantès, pour ne citer qu’eux. Ni l’autorité littéraire, ni même l’autorité morale de Camus ne peuvent rivaliser avec l’extraordinaire opportunité, pour Loredano, de se retrancher derrière la plume d’un autre pour apporter sa contribution « idéologique » au mouvement des Jeunes. Mais quand ses amis Incogniti pro-Jeunes avancent à découvert et en pleine bataille, lui le fait masqué et un peu à contre-temps. Sans doute sent-il que le vent politique est en train de tourner et préfère-t-il se réfugier dans la posture, prudente et confortable, du traducteur, signe, croyons-nous, d’une involution intellectuelle à l’aune de celle de toute l’oligarchie vénitienne en ce milieu de XVIIe siècle.

Notes

1 L’édition de référence est : Paris, Pierre Billaine, 1627. Retour au texte

2 Patricien vénitien (1607-1661), polygraphe et fondateur de la célèbre Académie des Incogniti. Retour au texte

3 Nous avons travaillé sur une édition Venise, Guerigli, 1661. Retour au texte

4 « Non dei maravigliarti se mi sono allontanato dalle regle, che vengono prescritte a Traduttori. In alcuni luoghi mi sono servito del senso, altri ne hò parafrasati, e molti tralasciati a belo studio. L’embrione è solamente di Monsignor di Belley. » (op. cit., p. 5). Retour au texte

5 La traduction de Loredano réduit le texte de Camus d’un peu moins d’un tiers. La vérification statistique grossière en a été faite en prenant en compte les différences de format des deux textes, sur la base du nombre de mots moyen par page, multiplié par le nombre de pages, donc : on peut estimer à 115 « équivalent format Camus » le nombre de pages coupées par Loredano, sur les 366 du roman source. Retour au texte

6 Hiacinthe, cit., « Avant-discours ». Retour au texte

7 Ibid. Retour au texte

8 « Il en est des hommes comme de certains arbres qui profitent estant transplantez […]. Celuy qui a vescu en croupissant dans son foyer, & qui ne s’est point dépaïsé, a touiours quelque chose de rude & de grossier, & est semblable à ces vins qui n’ont autre default que de retenir le terroir. […] les esprits les plus lourd s’affinent & se perfectionnent par la pratique des estrangers & par les voyages. » (Hiacinthe, cit., L. I, p. 1-2). Retour au texte

9 « Io pongo queste considerazioni per capo di quest’Historia perché servono di fondamento alla stretta amicitia che contrassero due Gentil’Huomini Catalani, sopra della quale s’aggira tutto il corso di questa Narratione [Je place des considérations en préambule à cette histoire, car elles servent de fondement à l’étroite amitié que nouèrent deux gentilhommes catalans, et autour de laquelle tourne tout le récit] » (Historia Catalana, cit., L. I, p. 8). Retour au texte

10 Un épisode décrit comment Lascaris, pour sauver Procore de la prison et d’une condamnation à mort, le fait s’évader, prend sa place et s’expose de la sorte à un procès pour meurtre et à la peine capitale (Procore, joueur invétéré, a blessé mortellement un Italien dans une rixe après une partie ; Lascaris dévoile son stratagème, prouve sa propre innocence et, l’Italien ayant survécu à ses blessures, lui demande d’absoudre Procore et de faire retirer la plainte de sa famille auprès du juge…). La réciprocité des « sauvetages » scèle ainsi la réciprocité de la reconnaissance : chacun doit sa la vie à l’autre. Retour au texte

11 Hiacinthe, cit., L. II, p. 176 ; Aurelio « haveva sempre professato amicitia con Lascari, e con Procore: onde non poté giamai entrare nella sua anima la viltà di un’assassinio. […] Vedendo finalmente che questo desiderio della moglie veniva più da furore, che da ragione, si risolvé d’esser mancatore delle malvagie promesse [A. avait toujours manifesté de l’amitié pour Lascaris et Procore, si bien qu’il ne put jamais laisser la lâcheté d’un assassinagt dans son âme. […] Voyant finalement que le désir [de vengeance] de sa femme provenait plus de sa colère que de sa raison, il se résolut à ne pas tenir ses promesses de perfidie]. » (Historia Catalana, cit., p. 78). Loredano écarte les deux vers finaux du Livre I de Camus, proposés en citation « Selon ce qu’a dit cet Ancien : Les noises & debats qui naissent entre Amans, / Sont de leur amitié des renouvellements. » (Hiacinthe, cit., p. 87). Retour au texte

12 Voir Hiacinthe, cit., L. III, p. 193 à 200. Retour au texte

13 Hiacinthe, cit., L. III, p. 212. Retour au texte

14 Le Livre IV s’ouvre sur l’évocation des enfants que Lascaris a eu d’Inès, en particulier Gaston et Doristelle. La mort d’Engrace n’est évoquée qu’après (voir p. 278). Retour au texte

15 « Procore appelloit desia Hiacinthe son beau-fils, parce qu’il avoit comme adopté Doristelle & Gaston, & ordinairement il les nommait ses enfans. » (Hiacinthe, cit., L. IV, p. 299). Retour au texte

16 « Un giorno, ch’egli esalava le sue passioni cantando sovra d’una Chitara si fece udire inavvedutamente da Lascari [un jour qu’il exprimait ses passions en chantant à la guitare, il fut entendu par inadvertance par Lascaris] », lequel interroge son ami sur l’identité de celle qui lui inspire cette nouvelle et surprenante passion : « Procore altrettanto infiammato di vergogna nel volto, quanto acceso d’amore nel cuore, gli soggiunse, che dalle bellezze di Doristella erano cagionati i suoi gravissimi tormenti [P. , le visage aussi rouge de honte que le cœur embrasé d’amour, ajouta que ses très graves tourments étaient causés par les beautés de D.] » (Historia Catalana, cit., p. 108-09). Retour au texte

17 Voir chez Camus, L. IV, p. 349 à 356 : « portata dall’intemperanza (benche obligata al matrimonio) senza timore del marito, e dell’honore del mondo s’innamorò […] di Gastone. Questo giovane Cavaliere, […] prendendo piacere della pena di quest’infelice, e godendo d’esser amato, le dava occasione di sperare quello, che non aveva intentione di fare, e si rendeva complice delle colpe di questa miserabile. Fu avvertito molte volte […] a guardarsi, che questa fintione non divenisse verità, ed è verisimile, che senza questi avvertimenti si fosse perduto dietro al cuore di questa perduta [portée à l’intempérance (malgré les obligations du mariage), sans crainte de son mari ni de l’honneur social, elle s’éprit de G.. Ce jeune chevalier, tirant plaisir de la peine de cette malheureuse et jouissant d’être aimé, lui donnait l’occasion d’espérer ce qu’il n’avait pas l’intention de faire et se rendait complice des fautes de cette misérable. Il fut plusieurs fois mis en garde que cette feinte ne devienne pas réalité, et il est vraisemblable que, sans ces avertissements, il se serait perdu pour le cœur de cette femme perdue] » (Historia Catalana, cit., L. IV, p. 121). Retour au texte

18 Hiacinthe, cit., L. IV, p. 365. Retour au texte

19 Hiacinthe, cit., L. I, p. 7. Retour au texte

20 Hiacinthe, cit., L. I, p. 81 (cf. n. 28). Retour au texte

21 Hiacinthe, cit., L. II, p. 90-91. Retour au texte

22 « suggendo da diversi luoghi il miele della compiacenza. Miele però, che asperso di veleno non apporta, che febre, che debolezze, che dispiaceri, insieme con stordimenti di testa, e con oppressioni di cuore. » (Historia Catalana, cit., L. I, p. 41). Retour au texte

23 Hiacinthe, cit., L. II, p. 91. Retour au texte

24 « Chi non vede, che questi Amori, che nodriscono la gioventù senza speranza di matrimonio non causano altro, che inquietudini, che travagli, che commotioni? non facendo altro, che imbarazzar i lor spiriti inlanguidendo il vigore, e la forza. » (Historia Catalana, cit., L. I, p. 41). Retour au texte

25 Voir notre n. 5. Retour au texte

26 « un Romance […] dont le sens revenait à peu pres aux paroles de ce sonnet. gratitude obligeante » (Hiacinthe, cit., L. II, p. 97-98). Retour au texte

27 « stances. reproches amiables » (Hiacinthe, cit., L. II, p. 82-84). Retour au texte

28 « Questi sdegni, che haverebbero estinta una picciola amicitia aggrandiscono una grande. E come i Fabri si servono dell’Acqua per rendere più viva, e più ardente la fiamma delle loro Fucine; così questi piccioli, e delicati sdegni infiammano doppiamente la reciproca benevolenza di questi due amici. » (Historia Catalana, cit., L. I, p. 39). On pouvait citer ces « Stances » avec lesquelles Lascaris, ayant perdu toute chance de conquérir Pélagie, tente de se divertir (Hiacinthe, cit., L. II, p. 180-181), le madrigal italien qu’il lui arrive de chanter et dont la transcription clôt le Livre Second chez Camus (ibid…, p. 183), vers en outre accompagnés de commentaires qui disparaissent avec eux dans le texte de Loredano, qui referme le Livre II par une phrase (« Fece risolutione finalmente di non voler saper altro, vedendo, che’l suo male non teneva rimedio », op. cit., L. II, p. 74) qui correspond, chez Camus, à « il fut resolution du desespoir, voyant que son mal estoit sans remede » (Hiacinthe, cit., L. II, p. 179), placée quatre pages avant la fin du Livre. Même coupe subie par : le « Sonnet. Il se plaint de sa fortune, et loüe son Amy de bonne grace (Hiacinthe, cit., L. III, p. 189-190, destiné à illustrer les sentiments de Lascaris désireux de restraurer son amityié avec Procore, le sonnet en italien sensé illustrer les bons résultats de son séjour à Pavie (Ibid., L. III, p. 191-192), les deux madrigaux du Livre III, p. 216 à 218 ; l’éloge funèbre d’Engrace (L. IV, p. 279-281) ; les Stances intitulées « anti-orphee » commandée par Agesilas à la mort de son épouse (ibid., p. 281-285) ; le chant d’amour et de « combat de pensees » de Procore (L. IV, p. 309-313), et ainsi de suite. Les livres III et IV multiplient de manière très envahissante ces pauses poétiques. Retour au texte

29 Ces rééditions sont : Venezia, Guerigli, 1653 ; ibid., 1656 (dans le vol. V d’une réédition des Opere) ; ibid., 1661, puis 1662 ; Bologna, 1627 (édition signalée dans Alberto MANCINI, Il romanzo nel Seicento: saggio di bibliografia, in « Studi Secenteschi » XI (1970), Firenze, Olschki, p. 273) et de nouveau Venezia, Guerigli, 1670. Retour au texte

30 « les plus avisez font voyager leurs enfans, & les envoyent ou en Flandres pour les armes comme à un theatre de la guerre, ou en Italie pour les lettres comme en un sejour ou la paix ayant regné depuis tant d’années on a tout le loisir d’y polir les esprits » (ibid., L. I, p. 4) ; Camus précise toutefois que le choix de ces deux destinations tenait aussi au fait que « les Espagnols ne se plaisent gueires qu’aux lieux où ils sont les maistres » (ibid., p. 5). Retour au texte

31 Tel que celui-ci : « c’est un desir si naturel qu’ont tous les peuples, d’avoir des Princes Souverains de leur païs, que jamais domination estrangere n’a eté soufferte que par la force de la loy, ou plustost par la loy de la force. Ce qui faict que les Espagnols sont mal voulus dans les deux Royaumes, & le Duché qu’ils tiennent en Italie, & c’est un joug que les Siciliens, les Napolitains, & les Milanois ne portent que par contrainte. […] si en Espagne il suffit d’estre estranger pour estre appelle Gavache, qui est un nom de mocquerie & de mespris […] en Italie il suffit d’estre Espagnol ou François, pour estre l’object de la haine publicque. » (Hiacinthe, cit., L. I, p. 40-41). Retour au texte

32 La petite noblesse, ou noblesse « pauvre », partiellement identifiable avec le clan des « Jeunes », que nous évoquerons plus loin. Retour au texte

33 Ou de Domenico da Molino, qui était pourtant un adversaire des « Jeunes » et un proche du « vieux » doge conservateur Cornaro. Voir notre rappel historique plus avant. Retour au texte

34 Vita di Alessandro Terzo…, Venise, Sarzina, 1637, et Vita di San Giovanni Vescovo Traguriense, Venise, Valvasense, 1648. Retour au texte

35 Cette délégation (dont l’existence est attestée dès 1255) compta d’abord une soixantaine de membres au rôle consultatif et chargés des règlements concernant la navigation. Quand les affaires maritimes et commerciales prirent plus d’ampleur, ses fonctions s’étendirent à la politique extérieure et à l’administration des « colonies ». Vers 1440, le Sénat comprenait plus de 120 membres, plus la Quarantia (organe judiciaire de la République) et la Signoria (ou Minor Consiglio, à savoir les trois chefs de la Quarantia, les six conseillers du doge et le doge). Il était souverain dans les décisions de politique économique ; il organisait aussi les flottes de guerre, l’armée de terre et de mer. C’est encore lui qui supervisait la diplomatie, nommant les ambassadeurs et en recevant leurs rapports. Le Grand Conseil ou Maggior Consiglio est l’organe législatif du gouvernement vénitien. Issu de l’assemblée populaire appelée « arengo » qui existait au XIIe siècle à Venise, il devient, à partir de là, un conseil comptant 1000 à 1200 membres issus de la noblesse, aux compétences quasi universelles, et au sein duquel étaient choisis les conseillers du doge, les procurateurs de Saint-Marc et les autres magistrats de la République. De lui émanent la Quarantia et le Sénat, commissions nées quand le Grand Conseil passa à plus de 1300 membres et devint, de ce fait, inopérant. Retour au texte

36 Cette divergence de vues se manifeste le 1 octobre 1582 par le refus du Maggior Consiglio d’élire une « Zonta » (« Giunta », commission exceptionnelle pouvant être déléguée auprès du Conseil des Dix dans des situations d’urgence et pouvant compter jusqu’à 20 membres), investie de hautes charges en matière de secrets d’État et de surveillance de la Monnaie. Ce refus marquait aussi l’opposition au recours trop systématique à la Zonta (devenue quasi permanente) et qui tendait à faire du Conseil des Dix un organe trop puissant, au détriment du Sénat. Une loi est alors proposée pour redéfinir les pouvoirs du Conseil des Dix ainsi que les modalités électorales de la Zonta, mais malgré son approbation, l’élection de trois membres manquant de la Zonta le 1 janvier 1583 aboutit à un vote nul. Le 3 mai suivant, un article additionnel établit à la place de la Zonta l’institution de trois Provéditeurs à la Monnaie. La Zonta est donc abolie et les prérogatives du Sénat sont réaffirmées (en particulier en matière de finances et de politique étrangère). Retour au texte

37 « la maturità e l’istinto di conservazione dei nobili più anziani, detentori di posizioni direttive, all’aggressiva irruenza degli altri, minori per anni ed esperienza, impazienti di sostituirli con intenti innovatori » (BENZONI Gino, Venezia nell’età barocca, Milano, Mursia, 1973, p. 51). Retour au texte

38 1553-1631. Il est déjà aux côtés de Leonardo Donà et des Jeunes au tout début du siècle, et exprime les sentiments de la frange la plus intransigeante du groupe. Son accession au dogat survient juste après la guerre de Mantoue, qui confirme des faiblesses de Venise sur l’échiquier européen, succès très relatif donc, pour un clan divisé et déçu par la tournure des événements. Signalons l’ouvrage de Gaetano COZZI Consacré à ce doge, qui reste fondmental : Il doge Nicolò Contarini : ricerche sul patriziato veneziano agli inizi del Seicento, Venezia, Fondazione Cini, 1958. Retour au texte

39 À la faveur de la redéfinition de ses attributions, le Conseil des Dix accrut son pouvoir en matière pénale et mit un zèle particulier à contrôler la juridiction sur les crimes commis par les nobles. Le Conseil des Dix est secondé, depuis 1539, par trois inquisiteurs d’État chargés d’enquêter sur les conspirations et les actes secrets (Loredano occupa cette fonction). Ces inquisiteurs s’appuyaient, dans leur tâche, sur un important réseau d’espions et l’incitation à la délation (d’où la tristement célèbre Bocca del Leone du Palais des Doges…). Les procédures qu’appliquait de Conseil des Dix (délibération secrète, sans confrontation entre accusé et accusateur, sans que les incriminés puissent recourir à un défenseur) soulevaient de vives protestations. De fait, la tragique exécution d’Antonio Foscarini, ambassadeur condamné à mort, en 1622, pour haute trahison, sur de fausses accusations, justifie justifie fort les craintes de toute une partie du patriciat face à la sévérité et à l’arbitraire des décisions du puissant Conseil (fait toutefois toutefois remarquable et unique, le Conseil des Dix reconnaîtra publiquement son erreur, à la demande de N. Contarini, ami et seul défenseur de Foscarini !). Retour au texte

40 Il faut rappeler que les deux premières décennies du siècle furent marquées par des difficultés économiques liées au contexte européen de la période d’incubation de la guerre de Trente Ans, ainsi qu’à des transformations internes à Venise – dues aux dépenses militaires usantes et à la perte de l’hégémonie sur le commerce des épices, ainsi qu’au détournement progressif d’une partie du patriciat de l’activité marchande et maritime au bénéfice d’investissements fonciers. La concentration des richesses par des familles nobles de plus en plus accaparées par l’édification de palais ou de Villas et autres soucis somptuaires réduisait d’autant les chances de s’enrichir ou simplement de maintenir leur fortune pour les patriciens les plus démunis en capitaux. Ils ne pouvaient plus investir en propriétés terriennes ni en activités manufacturières. Comme ressources, il ne restait souvent à ces familles que certaines tâches administratives à Venise, des charges politiques mineures en Terre Ferme. Le mode de rémunération des fonctionnaires du gouvernement vénitien tenait peu compte des dépenses réelles qu’entraînaient les charges attribuées, c’est pourquoi, faute de pouvoir supporter les frais de certaines d’entre elles, les patriciens les plus pauvres en étaient inévitablement écartés au profit des plus riches. Du reste, une sorte de rivalité dans le faste de ces dépenses s’était instaurée entre les hauts dignitaires de l’État. Il va de soi que les nobles aux revenus modestes ne pouvaient soutenir la concurrence. Retour au texte

41 Il s’éleva en particulier contre le doge Giovanni Cornaro et sa famille, qui violaient impunément les lois de la République, puisqu’en effet Federico, fils du doge, accepta, en 1626, la pourpre cardinalice, puis l’évêché de Vicence, et ceci bien que la jouissance de biens ecclésiastiques fût interdite aux membres du gouvernement vénitien et à leur famille. Or, dans le même temps, Carlo Querini, un patricien « pauvre » qui avait reçu en cession des privilèges de l’Église, était condamné au bannissement. Retour au texte

42 « si erano accentuate le voci di protesta, mescolate ai rigurgiti di insofferenza e di vecchie passioni politiche. Le istanze sollevate da quel movimento non erano, malgrado le sue premesse, semplicemente economiche […]. O erano, perlomeno, istanze solo indirettamente economiche. Si voleva la libera accessibilità di tutti a tutte le cariche e a tutti gli strumenti di potere, anche perché da questi e con questi si potevano trarre vantaggi insieme politici e finanziari. Ma le questioni più agitate della piccola nobiltà, riguardano l’effettiva parità dei diritti, la retta ed equa amministrazione della giustizia, la liberazione dai soprusi elettorali. » (p. 368). Retour au texte

43 Il est vrai que le paysage politique européen avait considérablement changé au cours des trois premières décennies du Seicento et, après quelques entorses malheureuses à sa politique neutraliste, à nouveau menacée sur le front turc, Venise ne pouvait plus s’offrir le luxe de discordes internes. En effet, qu’en était-il désormais de la capacité de la Sérénissime de résister à l’encerclement étouffant de l’Espagne et des Habsbourg d’Autriche ? Quelle force pouvait-elle par ailleurs opposer aux Ottomans à la veille de la guerre de Candie ? Retour au texte

44 Par un acte notarié du 19 octobre 1623. Retour au texte

45 En mars 1626 ; réciproquement, Trevisan testa en faveur de Barbarigo, mais le legs ne pouvait être que symbolique, il ne possédait rien. Retour au texte

46 COZZI G., Una vicenda della Venezia barocca. Marco Trevisan e la sua «eroica amicizia», in « Bollettino dell’istituto di Storia della Società e dello Stato » no 2 (1960), Venise, p. 61-154, republié intégralement dans COZZI G., Venezia barocca. Conflitti di uomini e idee nella crisi del Seicento veneziano, Venise, Il Cardo, 1995, « Saggi », p. 327-409 ; p. 335 pour la citation que nous empruntons à cette réédition. Le très influent Domenico Da Molino fit partie de ceux qui suspectaient Trevisan d’être intéressé, et la querelle entre les deux hommes les amena devant les tribunaux. Le 3 octobre 1631, Trevisan avait déposé une plainte contre Da Molino, qu’il accusait d’intelligence avec une puissance étrangère et protestante. Il mettait aussi en cause deux académiciens Incogniti : Baldassar Bonifaccio, parce qu’il avait écrit une apologie de Da Molino, et Francesco Pona, parce qu’il avait comparé Da Molino au roi de France dans une traduction de l’Argénis de Barclay. Mais dans sa hargne contre Da Molino, Trevisan oubliait que ses grands admirateurs et amis Sarpi et Contarini avaient défendu la légation de Da Molino auprès de Gustave Adolphe de Suède et soutenaient ses choix en matière de politique internationale. Se réclamant des Jeunes ou des Pauvres, Trevisan faisait pourtant le jeu de l’adversaire, et c’est pourquoi la machine judiciaire qu’il avait enclenchée se retourna contre lui : Da Molino l’accusa à son tour d’entente avec des princes étrangers, et, le 29 janvier 1635, Trevisan fut banni des territoires vénitiens. Retour au texte

47 Lequel avait leur avait offert l’essai de Montaigne consacré à son amitié avec la Boétie, qu’il avait fait traduire par Micanzio (voir COZZI G., op. cit., p. 336-337). Retour au texte

48 Isaac Wake, secrétaire d’ambassade à Venise, a parlé en termes si enthousiastes de cette « héroïque amitié » à Charles I, que ce dernier a voulu se faire envoyer un portrait des deux protagonistes de cette histoire ; mais, « il più curioso degli omaggi era stato la dedica all’ “amicitia”, ossia alla sua espressione più attuale e più alta, quella tra il Barbarigo e il Trevisan, di un libro celebre, che si pubblicava per la prima volta in Italia nel 1626, presso lo stampatore veneziano Marco Ginami: la Historia o brevissima relatione della distruttione dell’Indie Occidentali, di Bartolomeo de Las Casas [le plus curieux des hommages avait été la dédicace à l’“amitié”, ou plus précisément à son expression la plus actuelle et la plus haute, celle entre Barbarigo et Trevisan, d’un livre célèbre qu’on publiait pour la première fois en Italie, en 1626, chez l’imprimeur M. Ginami : l’Histoire ou le très bref récit de la destruction des Indes Occidentales, de Bartolomeo de Las Casas] » (ibid., p. 345). Retour au texte

49 STROZZI Giulio, Il Barbarigo overo l’amico sollevato, Venezia, 1628 (peut-être un seconde édition) ; Francesco PONA, Apotheosis viventium amicorum heroicum…, Verona, 1629 (M. Trevisan fera traduire et rééditer cet ouvrage en 1662 et 1668 sous le titre La immortalità decretata nel parlamento degli dei a contemplatione dell’amicitia degl’illustrissimi amici heroi…) ; BASILE Giovan Battista, in L’amicizia incomparabile…, Venezia, 1627, un recueil de poésies de divers auteurs ; BENAMATI Guidubaldo, Il Trivisan, poema heroicivico, Francfort, per il Beyer, 1630 (probablement une édition fictive) ; GATTI Alessandro, Il breve racconto della amicizia mostruosa in perfettione (le titre de l’édition de 1628 était en latin, et l’ouvrage fut publié traduit à Venise en 1668) ; MANZINI Luigi, Gli amici eroi, favola tragicomica boscareccia, Venezia, Ginammi, 1628, et, du même, Lettera di ragguaglio e di discorso […] dell’amicitia de’ Signori Nicolò Barbarigo et Marco Trivisano patritii venetiani…, Venezia, 1629 (lettre devenue le récit officiel de l’aventure). Dans le même temps, Ludovico Zuccolo consacrait un de ses Dialogues au thème de l’amitié, évoquant en particulier celle qui nous concerne ici, un thème, il est vrai, prisé par la littérature humaniste… (Il Molino, overo della amicitia scambievole fra’ cittadini, in Dialoghi […] ne’ quali con varietà d’eruditione si scoprono nuovi e vaghi pensieri filosofici, morali e politici, Venezia, 1625), dédié à D. Da Molino, dans lequel il soutenait que « l’amitié […] était indubitablement l’élément indispensable de force et de tranquillité de l’État [L’amicizia […] era indubbiamente l’elemento indispensabile di forza e di tranquillità dello Stato] » (G. COZZI, Op. cit., p. 328). En 1630, Pona publia un second recueil de vers et écrits d’auteurs divers consacrés aux deux amis : Composizioni volgari e latine in lode degli illustrissimi sig. Nicolò Barbarigo e Marco Trevisan patritii veneti e primi fondatori della vera et heroica amicitia. Fatta dal sig. Baldassar Griffi romano, s. l. Retour au texte

50 Une lettre compare leurs deux destins : « io godo ed insuperbisco che la mia Patria non habbia altro che honori per abbassarmi », une « impropria elezione » (la nomination de Loredano comme « Provveditore » à Peschiera, sa dernière charge), affirme Loredano rendant alors hommage à celui qui a su « distinguersi a dispetto della Fortuna », mais victime, lui aussi, des envieux ne pouvant « sofferire di vedere in V. E. rinovate le glorie dell’amicizia, onde co’l disprezzare quello che non conoscono, contendono il premio al merito, e niegano quelle prerogative che non vagliono ad imitare [souffrir de voir renouvelée grâce à Vôtre Excellence, les gloires de l’amitié, si bien que, méprisant ce qu’ils ne connaissent pas, ils contestent le prix du mérite et nient ces prérogatives qu’ils ne arviennent pas à imiter] » (Lettere del Signor Gio. Francesco Loredano… Parte Seconda…, « Quarta impressione », Venezia, Guerigli, 1662, p. 178-179). Retour au texte

51 Marco Trevisan fut, à un moment donné, le seul défenseur de Loredano contre « cento soggetti ignoranti [che spendono] infami concetti per macchiare la riputazione del [suo] nome [contre des sujets ignorants qui usent d’idées infâmes pour entacher la réputation de son nom] », dans quelque polémique (Lettere… Parte Seconda…, cit., p. 124). Retour au texte

52 Il est vrai que, Loredano, qui ménageait toujours « la chèvre et le chou », entretint des liens amicaux avec l’un et l’autre des deux adversaires que furent D. Da Molino (qui mourut en 1635) et M. Trevisan (ses lettres à celui-ci sont nettement postérieures : elles renvoient au séjour de Loredano à Peschiera, époque où Trevisan et lui tentaient désespérément de revenir sur le devant de la scène). De la même façon, l’Académie des Incogniti avait accueilli, en son temps, aussi bien des admirateurs que des détracteurs de Trevisan. Peu importe au fond, si ce n’est pour observer que Loredano évolua dans un groupe de Jeunes et/ou Pauvres dont il illustre lui-même les déchirements internes. Retour au texte

53 La date de sortie du roman de Camus, le temps nécessaire à la traduction devant, en outre, être pris en compte, l’âge de Loredano (vingt ans à la sortie du roman, l’âge de son « noviciat » politique…) et le fait qu’il n’ait pas encore débuté en littérature (il ne publie ses Scherzi geniali qu’en 1632), voici des éléments qui nous laissent perplexe quant à l’édition bolonaise de 1627 de la traduction de Hiacinthe que mentionne A. Mancini (cf. notre n. 29). Retour au texte

54 « Il le faict entrer […] le dépouille de ces honteux haillons qui le couvroient, le couvre du meilleur de ses habits » (Hiacinthe, cit., L. I, p. 26). Retour au texte

55 Ibid., p. 34-35. Retour au texte

56 Ibid., p. 35 ; « Felice contesa, che fu il fondamento d’una amicitia così grande, perche d’all’hora si legarono d’una tale affettione, che parevano un’anima in due corpi, tanto erano uniti nella loro volontà. » (Historia Catalana, cit., L. I, p. 19) ; « Vissero qualche anno con questa intelligenza, che la lor amicitia serviva d’essempio a più saggi [ils vécurent des années avec cet accord, de sorte que leur amitié servait d’exemple aux plus sages] » (ibid., p. 33). Retour au texte

57 « V’era […] tra di loro questa differenza, che Lascari per mantenimento de piaceri di Procore donava liberamente, e abbondantemente il suo: dove Procore non corrispondeva Lascari, che con rispetti, e con sommissioni, ch’era tutto quello che poteva dare un figliuolo di famiglia, che non teneva nulla in suo potere, e che solamente nel vestito differiva da un servitore. / Ma chi sà, che uno de gli effetti dell’amicitia, è il far communi le proprie sostanze con coloro, che s’amano, non troverà estraordinario il procedere di Lascari, e che Procore rendendo in cambio di tanta cortesia una cordiale, ed intiera affettione, non poteva esser accusato d’ingratitudine. » (Historia Catalana, cit., p. 33-34). Retour au texte

58 « La fusione delle due volontà era dunque avvenuta, e nel modo più limpido e più evidente, ed era un fatto che non poteva non destar sensazione. A beneficiarne, però, non era solo il Barbarigo: più che a lui, anzi, si guardava al Trevisan. Nel gesto clamoroso del primo si sottolineava, più che la generosità, la manifestazione di gratitudine. Marco Trevisan invece aveva avuto il coraggio di dimostrargli stima e fiducia, l’aveva riportato a testa alta nella vita sociale, gli aveva ridato l’onore; e il Barbarigo ricambiava con i mezzi materiali di cui disponeva. » (COZZI G., op. cit., p. 337). Retour au texte

59 Non sans quelque embarras : « ricorse benche con qualche rossore di nuovo all’amico [il recourut de nouveau à son ami, quoiqu’avec quelque rougeur] » (Historia Catalana, cit., p. 34). Retour au texte

60 « Questi [Lascari] accusandolo non della spesa, ch’egli haveva fatto, ma d’haver procurato denari da altri con dispiacere, e con interesse, mentre poteva da lui prenderne a suo piacere, saldò con tanta prontezza di subito la partita, che Procore rimase stordito » (ibid.). Retour au texte

61 « E’ possibile, che Procore, ch’io tengo più caro de gl’occhi habbia voluto soccorrere ad un’altro amico posponendomi ad una persona incognita, lasciando la confidenza, che deve prendere nella mia sincerità. Dimmi crudele, ma amatissimo Procore, che occasione hai avuto di trattarmi in questa maniera ? » (ibid., p. 35). Retour au texte

62 « La dolcezza di queste parole non potendo esser sofferita da Procore, che con incredibile confusione, rispose dell’istesso tono a quei amabili rimproveri » (ibid.). Retour au texte

63 Ces qualificatifs sont aussi ceux qui accompagnent toutes les descriptions de l’amitié idéale dans une littérature qui, au XVIe s., met en avant ce thème avec, en arrière-plan, le modèle de Montaigne et La Boétie ; signalons que Sarpi fit traduire l’Essai I de Montaigne pour l’offrir à Marco Trevisan… Retour au texte

64 « O Santo nodo d’amicitia che hai lacci così dolci, e così sottili, che allacciano, e che stringono i cuori. E’ veramente l’amicitia è uno stromento, che rende il cuore sì tenero, che Lascari, e Procore per conciliarsi versano copiosamente lagrime… » (ibid., p. 38). Retour au texte

65 « Assicuratevi dunque della mia volontà, mentre impiegherò tutto il mio ingegno per portar l’animo di Doristella condiscender al vostro […]. Lascari scordandosi d’esser Padre, per dimostrarsi amico prese la carica di dissolvere a poco a poco l’intelligenze di questi due Amanti [Doristella et Giacinto]; affinche Doristella […] si rendesse facile all’Amore di Procore. » (Historia Catalana, cit., p. 110-111). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Agnès Morini, « Une Histoire catalane de Paris à Venise », Cahiers du Celec [En ligne], 5 | 2013, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 07 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/celec/index.php?id=104

Auteur

Agnès Morini

Université Jean Monnet / Saint-Étienne

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