Littérature et histoire : un rapport incestueux (comme dans un roman de Simonetta Agnello Hornby)

Notes de l’auteur

Je voudrais remercier, en ordre alphabétique, Simonetta Agnello Hornby, Anna Bellavitis, Caterina Carpinato, Willy Cingano, Vicky et Isabella Ducrot, Martina Fontana-Rava, Fabrizio Lanza Tomasi, Roberto Mancini, Vittorio Mandelli, Monica Martinat, Manuela Martini, Franco Moglia et Pietro Valle.

Texte

« Il déambulait sur le Forum Romanum, pensant aux sénateurs, aux consuls, aux prêtres, aux soldats et aux martyrs parfaitement réels, que personne n’avait écrits et qui s’étaient évaporés entre les pierres. Au fond, l’histoire n’offrait guère de prise ! »
« Depuis qu’il y avait des hommes, il y avait eu de l’Histoire ; l’Histoire déterminait le présent, le présent l’avenir, par conséquent l’avenir ne pouvait exister sans l’Histoire. Aussi importait-t-il d’en prendre connaissance »
Cees Nooteboom, Le Chant de l’être et du paraître (1981)

Dans son roman Le Secret de Torrenuova, Simonetta Agnello Hornby raconte, d’une façon très chaste, discrète et respectueuse, l’un des derniers tabous : un inceste entre frère et sœur, dont naît un enfant, qui est le protagoniste du livre1. Quand j’ai été invitée à cette rencontre avec Simonetta sur le thème des vocations forcées entre histoire et littérature, j’ai pensé à son Boccamurata et, donc, à l’inceste. Les deux disciplines, en effet, partagent un même outil, la narration, mais l’utilisent d’une façon différente et surtout avec des buts différents2.

À cause de mon métier d’historienne, je sais très bien quelle est la différence entre histoire et littérature ; j’ai toutefois des incertitudes à propos de leurs frontières au début du XXIe siècle, et cela surtout après avoir lu d’excellents livres tels que Il Bottone di Puskin (1995) de Serena Vitale, ou Into that Darkness (1973) de Gitta Sereny, ou HHhH de Laurent Binet (2010)3, qui utilisent l’histoire, font des recherches et disent la vérité, selon la plus importante de toutes les règles de l’histoire. Toutefois, ces livres n’ont pas été écrits par des historiens professionnels ; ils ne sont pas de l’histoire stricto sensu, et ils ne sont pas adressés à des historiens professionnels, mais à tout le monde. D’où le rapport incestueux qu’ils entretiennent avec l’histoire.

Je maintiens ma position d’historienne. Et je voudrais ici dire pourquoi je fais de l’histoire, quels sont mes rapports d’historienne avec la littérature et pourquoi je considère encore mon métier comme utile et important. Je trouve qu’il y a beaucoup d’implications de ma recherche avec le monde contemporain et j’espère pouvoir contribuer à mieux le comprendre, autant que si j’écrivais des romans, même si la comparaison en termes de parts de marché n’est pas soutenable. De nos jours, les romans sont beaucoup plus lus que les livres d’histoire : par exemple, en Italie le roman historique La Monaca de Simonetta Agnello Hornby, publié en septembre 2010 et inspiré d’une histoire vraie, a été vendu à 80 000 exemplaires en deux ans4.

Mon sujet de recherche – les vocations forcées – a un rapport très étroit avec la littérature, et cela dès le départ. La proximité des sujets dont je m’occupe et le thème du roman de Simonetta Agnello Hornby La Monaca me permettent de parler, avec quelques compétences, des rapports fiction et réalité dans son roman, qui puise ces sources dans deux textes historiques : L’Inferno monacale di Arcangela Tarabotti et les Misteri di un chiostro napoletano d’Enrichetta Caracciolo di Forino. Ce travail permettra, je l’espère, de pointer la différence entre mon métier et le sien, en termes de règles et de résultats.

Avant de commencer, je voudrais souligner que « et quand je dis moi c’est une façon de parler », comme le répète un personnage des Enfants du paradis (1945)5, et, comme le dit la poétesse Patrizia Cavalli (née en 1947), « quell’io verbale non è altro/che un io grammaticale » (ce je verbal n’est rien d’autre qu’un je grammatical)6. Donc, je vous prie à l’avance de considérer ce qui suit comme un exercice d’honnêteté intellectuelle plutôt que comme du narcissisme. Dans le panorama italien (ou anglais) l’ego-histoire, inventée par Pierre Nora (et critiqué par Pierre Bourdieu qui a parlé d’« illusion biographique »), n’a pas encore tellement de statut, tandis qu’en France une approche personnalisée a désormais trouvé sa place dans un diplôme d’habilitation : autrefois il fallait faire une thèse d’état ; maintenant le récit de son propre parcours de recherche fait partie intégrante du dossier7.

Depuis 1984, c’est-à-dire à partir du moment où j’ai été jeune étudiante de vingt-deux ans à Bologne, je côtoie une nonne vénitienne du XVIIe siècle, nommée sœur Arcangela Tarabotti (1604-1652). La raison d’un tel intérêt est personnelle, et je pense que les raisons personnelles sont très importantes pour l’historien : par exemple, je crois que Jules Michelet aurait eu une autre attention aux sorcières, à leurs corps, aux règles, s’il n’avait pas épousé en deuxième noce une jeune femme, Athenaïs Miallaret, dont il était très amoureux et dont il craignait les grossesses8. J’étais obsédée par une question précise à l’égard des nonnes du passé, qui naissait d’un livre, lu à l’école par tout étudiant italien, I promessi sposi (Les Fiancés), par Alessandro Manzoni (1785-1873). Dans cette histoire, qui se déroule au XVIIe siècle et qui repose sur une véritable recherche historique de la part de Manzoni, il y a un épisode, très célèbre, au sujet d’un des personnages, la « monaca di Monza »9. En Italie tout le monde la connaît, grâce au récit de Manzoni, qui n’hésite pas à raconter en détail le scandale de sa vie (un amant, deux enfants et un meurtre dans son couvent) dans la première version de son livre, encore intitulé Fermo et Lucia. Manzoni avait lu les documents concernant son procès et il avait décidé d’insérer son histoire dans le roman, tout en la déplaçant chronologiquement de la fin du XVIe siècle à la grande peste de 1630. Toutefois, dans la version définitive des Fiancés, (1840), le scandale est suggéré, non pas raconté : une phrase, – « La sventurata rispose » résume le drame de la « Signora di Monza »10.

Quand j’avais 8 ans, un ami très cultivé de mes parents, l’éditeur, écrivain, peintre, sculpteur et partisan Neri Pozza de Vicenza (1912-1988), avait raconté toute la véritable histoire de suor Virginia Maria, ou Marianna de Leyva (1575 ?-1650), selon son véritable nom, donnant toutes les phases de sa tragédie personnelle, même l’examen par le représentant de l’évêque qui était devenu obligatoire après le Concile de Trente : le caput 17, Sessio XXV, dit que « toute personne qui oblige ou retient une jeune fille à entrer dans le cloitre est excommunié ipso facto »11. Comme tout enfant de la bonne bourgeoisie italienne des années 1960, je n’avais pas le droit de parler et d’intervenir, mais je me souviens très clairement que je me demandais en silence : « si une jeune fille savait qu’elle ne voulait pas, si elle pensait non, comment finissait-elle par dire oui ? ». Quinze ans plus tard, je posai cette question à Carlo Ginzburg, l’inventeur avec Giovanni Levi de la micro-histoire, et qui était mon professeur à Bologne. Ginzburg trouva que ma question était un bon point de départ, à condition de trouver des documents pouvant y répondre12. Après une tentative inaboutie et d’une naïveté presque suicidaire d’en trouver – et en nombre ! – à Rome aux Archives du Vatican, Ginzburg me suggéra de me pencher plutôt sur Tarabotti, une nonne qui avait été marginalement étudiée dans un livre qui venait de paraître13. C’était un cas très intéressant, puisque elle avait été la seule femme de son temps à avoir ouvertement parlé des vocations forcées. Elle en avait traité dans son Inferno monacale, resté manuscrit et en possession d’une vieille comtesse, dont le livre cité par Conti Odorisio donnait quelques extraits14. « Si tu obtiens la permission de le transcrire entièrement », me dit Ginzburg, « tu as ton mémoire ». Je réussi à avoir la permission de transcrire le manuscrit en entier (un codex unicus de 132 pages en quarto, dont j’ai fait l’édition critique15). C’était pour moi le début d’une longue histoire. Tarabotti est le seul rapport de ma vie, à part celui avec ma famille, qui dure depuis presque 30 ans, puisque, contre tout pari, c’est une histoire qui n’a pas encore de fin aujourd’hui. Je ne veux pas vraiment parler de féerie, mais c’est depuis 15 ans que, quand j’entre aux archives, non seulement à Venise, mais à Florence ou à Paris, je trouve des documents inédits qui m’obligent de faire un article, une communication à une conférence, et maintenant, enfin, une biographie16.

Dans les années 1980, Arcangela n’était pas ce qu’elle est maintenant. Benedetto Croce (1866-1952), l’historien le plus renommé en Italie au XXe siècle, lui avait consacré trois pages dans ses Nuovi saggi sulla letteratura del Seicento (1931)17 ; elle avait été également le sujet d’une vieille monographie (1960) par un historien amateur, Emilio Zanette (1878-1971), qui lui avait dédié sa vie18. Elle n’était connue que par des érudits locaux, quelques spécialistes du libertinage érudit en Italie (puisque elle était une très bonne amie de l’inventeur de l’académie locale des libertins Incogniti, Giovan Francesco Loredan) et par quelques féministes engagées. Maintenant, presque trente ans après, tout a changé. Arcangela n’est plus un objet pour les historiens professionnels seulement ; elle n’est pas non plus un objet historique qui nécessite d’une justification. Au contraire, elle est entrée dans le monde actuel, à travers ses livres traduits en anglais aussi bien que par les journaux, et récemment même dans un roman ou, je dirais, un roman et demi19.

On peut dire la même chose sur les vocations forcées : depuis une vingtaine d’années. Suite à la floraison d’études de genre, on a publié plusieurs études sur ce phénomène social20. Il s’agit d’un thème qui n’est pas encore très aimé par une certaine historiographie catholique, mais qui est maintenant considéré comme important21.

Quant à ma question personnelle, j’ai pu y répondre, tout en en reconnaissant le caractère naïf. Les jeunes filles disaient oui car elles n’avaient pas de choix. D’une part, la société de l’époque était une société qui ne demandait à personne, ni homme ni femme, quels étaient leurs souhaits personnels. D’autre part, il y avait toutes sortes de chantages et de pressions psychologiques, ainsi que de nombreux moyens durs pour les obliger à suivre l’avis et le choix de la famille, comme par exemple ne pas leur envoyer de repas pendant qu’elles étaient pensionnaires, menacer de les mettre aux Pénitentes, parmi des anciennes prostituées, ou de les tuer ou les empoisonner22.

Tarabotti, cette inconnue, écrivait. Dans sa vie très morne dans le petit couvent de Sant’Anna in Castello, le quartier de l’Arsenal – l’un des plus populaire de Venise, où elle était née d’une famille cittadina – elle publia cinq livres entre 1643 et 1654. Ce n’était pas un succès négligeable dans une période pendant laquelle les femmes, et les nonnes en particulier, auraient dû garder le silence. D’autant plus qu’Arcangela n’écrivait pas des œuvres de dévotion ou de spiritualité, genres conformes à son statut de religieuse. Au contraire, elle est l’auteur d’œuvres qui se veulent explicitement des pamphlets politiques sur la condition des femmes de son temps. Ainsi, en dénonçant par exemple le système des dots exorbitantes, elle souligna le triste destin de celles qui étaient obligées de prononcer les vœux sans en avoir la vocation ; ou encore, en défendant le droit des femmes à suivre des études, elle dénonça l’ignorance forcée de nombreuses d’entre elles. Tous les titres de ses œuvres sont révélateurs de cette volonté toute politique de dénoncer la condition faite aux femmes : Tyrannie paternelle, Simplicité déçue, Enfer monastique. Ce dernier texte, par exemple, n’est pas une autobiographie, mais plutôt un reportage d’une journaliste du XVIIe siècle : elle y raconte, de manière très lucide et avec une qualité remarquable d’écriture, la vie à l’intérieur du couvent aussi bien que les raisons sociales et économiques qui enferment les jeunes filles au couvent. Même lorsqu’elle rédigea des textes qui ressemblent à des badinages (comme Antisatira in favore del lusso donnesco, 1644, ou Che le donne siano della spetie degli uomini, 165123), elle soutint l’égalité entre les sexes, le droit à étudier, à travailler et à consentir au mariage. Ces éléments de ces œuvres ont fait que, de nos jours, Arcangela est considérée, en Italie comme dans les pays anglophones, comme une proto-féministe réputée et une écrivaine de grand talent24. Sa réputation dans le domaine de l’histoire – non pas seulement dans l’histoire du genre – est maintenant indiscutable.

En même temps, Tarabotti a migré de l’histoire à la littérature, où sa fortune s’est réalisée en deux temps. La première sous la plume de Melania Mazzucco (née en 1966) dans La Lunga attesa dell’angelo, (2008), un roman historique sur les derniers jours de Jacopo Robusti dit le Tintoret25. Il s’agit d’un roman très documenté du point de vue de la recherche historique proprement dite, même s’il prend des libertés – comme tous les romans – par rapport à la vérité historique26. Le portrait de sœur Ottavia, l’une des filles de Tintoret, nonne au couvent de Sant’Anna, pourrait bien être inspiré à la vie d’Arcangela Tarabotti : le couvent est le même, et sœur Ottavia est passionnée d’astronomie, lit des œuvres interdites comme celles de Galilée et de Giordano Bruno, tout comme Arcangela lisait des livres à l’Index. En tout cas, dans l’œuvre historique de Mazzucco, dédié à la famille de Tintoret, Arcangela est citée maintes fois et considérée, « après sœur Virginia de Leyva, par Alessandro Manzoni [comme] la nonne la plus célèbre au XVIIe siècle italien et une de ses écrivaines les plus importantes»27.

L’autre auteure, restée médusée par Arcangela Tarabotti, est Simonetta Agnello Hornby, née en 1945 et donc appartenant à une génération différente de celle de Mazzucco28. Dans les remerciements du roman La Monaca, Agnello Hornby écrit :

L’inspiration pour l’histoire que j’ai racontée dans ce roman m’est venue il y a quatre ans. […] Peu de temps après, j’ai reçu une invitation de la part de Francesca Medioli pour faire une conférence à ses étudiants de l’Université de Reading, et je dois la remercier la première parce que, dans cette occasion, elle m’a fait cadeau d’un écrit fascinant à elle sur une nonne vénitienne : dans une note, elle citait I Misteri del chiostro napoletano, publié en 1864, c’est-à dire l’autobiographie d’une ex religieuse, Enrichetta Caracciolo. C’est à elle que j’adresse mon deuxième remerciement : j’ai une dette avec elle en particulier pour ce qui concerne les descriptions des cérémoniels monastiques29.

Tarabotti, qui est l’auteur de cet « écrit fascinant» cité par Agnello Hornby – l’Enfer monacal –, accompagne ici une autre personne qui a véritablement existé, Enrichetta Caracciolo di Forino, née le 17 février 1821, qui quitte le couvent en 1854, se convertit au protestantisme, se marie à un gentilhomme suisse, et meurt en 1901, à 80 ans. Caracciolo aussi avait écrit et publié son autobiographie avec l’éditeur Gasparo Barbèra de Florence en 186430. Leurs parcours biographiques, à des siècles de distance, présentent quelques analogies.

L’idée de La Monaca est la même que pour Manzoni ou Stendhal (« la vérité, l’âpre vérité ») et plusieurs autres : la romancière Agnello Hornby prend comme point de départ une histoire ‘vraie’, utilisant un texte qui en est le document. Toutefois, si nous allons voir de près les documents qui fondent l’histoire, force est de constater qu’il s’agit de textes hybrides, qui, tout en déclarant de ne dire que la vérité, se donnent également comme but la dénonciation politique d’un usage socio-économique injuste, ce qui en fait des textes suspects du point de vue de leur lien avec la vérité :

La Tyrannie Paternelle est un cadeau très approprié pour cette République, dans laquelle, plus fréquemment que dans nulle part ailleurs au monde, on abuse de contraire les filles violement. (Tarabotti)
En écrivant ces mémoires, je ne m’étais proposée rien d’autre que de confirmer, pour ce qui me concerne, avec des arguments factuels l’opportunité et la justice du décret avec lequel le gouvernement est en train de supprimer les couvents […](Caracciolo)31.

De plus, dans les deux cas transparaissent des tentations littéraires. Tarabotti utilise Dante et sa Comedia comme modèle, le citant dans le titre (Inferno), dans le texte (« per me si va nella città dolente »)32 et dans la structure. Caracciolo, de son côté, utilise le genre autobiographique, très bien établi au XIXe siècle.

Tout en suivant l’autobiographie de Caracciolo, en situant l’action dans le même espace, en abordant les mêmes problèmes (un amour contrasté à cause d’une dot trop petite) et en aboutissant à la même conclusion (la sortie définitive et légale du monastère de la protagoniste), Agnello Hornby, en romancière, peut se prendre toutes les libertés dont elle a besoin dans sa narration. Ce qui est, à mon avis, source d’envie de la part des historiens. Elle peut faire de manière consciente des anachronismes dont seulement des historiens spécialistes vont s’apercevoir. Elle peut abandonner quand elle veut la vraie histoire qu’elle a choisi d’utiliser comme point de départ et fil conducteur de son récit. Dans ces conditions, une question surgit : pourquoi utiliser une « vraie » histoire ? J’ai posé cette question à l’auteur, qui m’a répondu plus ou moins dans ces termes : « Je ne voulais pas être accusée d’avoir inventé. J’ai de l’imagination, je peux imaginer ce qui se passe dans un monastère parmi des femmes contraintes à y rester pour toujours, mais je ne voulais pas être accusée d’avoir agrandit ou inventé les choses »33. Elle se référait probablement aux accusations qu’aurait pu entraîner son évocation du lesbianisme au couvent, dont Caracciolo parle ouvertement, comme Diderot jadis, et qui existait évidemment dans la réalité, même si d’une façon différente et beaucoup moins documentée que pour l’homosexualité masculine34.

J’ai fait des recherches sur la ‘vraie’ Caracciolo, car je suis intéressée par le vrai ‘certifié’ (puisque je trouve que « la réalité dépasse la fiction »). J’ai découvert par hasard et avec stupeur que ses mémoires avaient été traduits en plusieurs langues – français, anglais, allemand, polonais, grec, hongrois, russe, espagnol35. D’autres découvertes ont suivi à la lecture de sa correspondance inédite36. Son éditeur, Gasparo Barbèra (1818-1880), n’était pas une personne banale : il avait écrit son autobiographie, publiée après sa mort par ses fils (dont on ne peut exclure une volonté apologétique), où il racontait son passé de self-made man37. Il avait travaillé 14 ans comme jeune apprenti chez Le Monnier (celui qui avait publié les Fiancés) avant d’ouvrir sa propre maison d’édition ; en 1858 il avait publié la Historia del Concilio Tridentino de Paolo Sarpi, un livre mis à l’Index dès sa première publication à Londres en 1618 ; il avait voyagé à l’étranger, parlait très bien anglais et, inspiré par Honoré de Balzac, il avait été l’inventeur de la Société des Droits des Auteurs en Italie38. La publication de I misteri del chiostro napoletano, écrits par une complète inconnue, avait été un pari risqué, mais heureux : le livre était devenu un best-seller avec 16 000 exemplaires vendus39. Le livre avait bénéficié du travail d’un ‘nègre’, Spiridione Zambrelli, un Grec qui affirmait avoir donné une veste plus lisible à un manuscrit qui était « un affreux pot-pourri de faits, racontés d’une façon très peu raffinée et très barbare »40. Zambrelli, écrivant la première fois à Barbera le 3 juin 1864, parlait d’une « dame napolitaine de très illustre naissance, d’intelligence remarquable, cultivée d’une façon non commune »41 qui avait écrit ses mémoires : « rien d’imaginaire là dedans : tout est réel, positif [à l’anglaise, donc sûr, certain], vrai, tout est garanti »42. La réponse de Barbera est très intéressante aussi : pour ne pas compromettre sa « réputation d’éditeur, si la narration n’était pas vraie », il demanda comme « condition absolue » que le livre soit publié sous le nom de l’auteure (et avec sa photo)43.

La vérité, aujourd’hui comme autrefois, est l’élément le plus important pour une autobiographie aussi bien que pour l’histoire, sans pour autant être exclue de la littérature. Arcangela Tarabotti aussi bien que Enrichetta Caracciolo déclarent dès le début de leurs œuvres qu’elles n’ajoutent rien, ne racontent que ce qui s’est passé. L’ambiguïté dans leurs textes demeure pourtant : on est face à des textes qui valent en tant que documents historiques et textes littéraires, puisqu’ils sont les deux au même temps. L’historien doit chercher à trier le vrai de l’invention ou de l’exagération, inévitablement présente. Cela n’est pas toujours aisé, notamment si l’on pense aux faux qui sont pourtant vrais – ce qui pourrait être aussi le cas de la littérature de fiction, qui raconte toutefois une histoire vraie.

Je voudrais donner un exemple personnel de cette complexité. Mon oncle Enrico Medioli (né en 1925) a été, entre autres, le scénariste de Luchino Visconti. Il était aussi très beau et un jour, pendant qu’Enrico le visitait, Visconti prit sa Rolleyflex, lui fit une très belle photo et le la lui offrit. Mon oncle a toujours regretté ne pas avoir demandé à Visconti de la signer. À l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, j’ai pris la photo faite par Visconti et, avec les techniques modernes, j’y ai ajouté la signature de Visconti, avec la date, que j’avais trouvée dans un livre (Ill. 1, « Luchino, 1959 »). Mon oncle a beaucoup aimé son cadeau et, en homme de culture qu’il est, a commenté : « C’est un vrai cadeau pirandellien : il s’agit d’une photo vraie par Visconti, il s’agit de la vraie signature de Visconti (je connais son écriture), mais l’ensemble n’est pas vrai, même si tous les morceaux le sont et, en principe, tout est vrai ». Un historien qui ne connaîtrait pas cette anecdote ne prendrait certainement pas la photo pour un faux (il ne le pourrait plus après que j’aurais raconté cela).

Ill. 1 Luchino Visconti, portrait d’Enrico Medioli, signature « Luchino 1959 »

Ill. 1 Luchino Visconti, portrait d’Enrico Medioli, signature « Luchino 1959 »

Cela fait partie des règles de notre métier. Nous nous engageons à consigner à nos lecteurs des résultats partiels de nos recherches, valides jusqu’au jour où l’on retrouvera des documents qui les démentissent ou le circonscrivent. Nous ne faisons que des tableaux abîmés, comme la merveilleuse fresque du Triomphe de la mort à Palerme (Ill. 2), où des parties manqueront à jamais, et non pas des tableaux hyper-réalistes, comme le portrait du peintre sicilien néo-réaliste Angelo Alessandrini (https://www.angeloalessandrini.it/previous-works/).

Ill. 2 Triomphe de la mort, Palazzo Abbatelis, Palerme

Ill. 2 Triomphe de la mort, Palazzo Abbatelis, Palerme

Cela nous amène à mon dernier point, celui qui concerne la recherche historique. Comme je l’ai dit au début, l’historien s’engage tout d’abord à ne dire que la vérité, sans quoi il passe automatiquement la frontière et écrit un roman. Mais il doit être capable de reconstruire et de comprendre les faits du passé à travers les documents, c’est-à-dire des preuves de la vérité qu’il présente et qui contiennent les faits, mais qui, évidemment, ce ne sont pas les faits eux-mêmes mais seulement leurs enregistrements44. S’il n y a pas de documents, il n’y a pas d’histoire. Plus ils sont abondants, mieux c’est. En écrivant, l’historien ne peut donner comme certain ce qui ne l’est pas et ne peut généraliser le cas isolé, sauf en disant qu’il s’agit d’un cas isolé. Bref, l’historien aussi a des libertés. Il, ou elle, est libre de choisir son argument et son problème de recherche (puisque, comme le dit Lucien Febvre, « pas de problème, pas d’histoire »45). Il est libre de choisir sa méthode de travail ; il est libre de choisir comment en écrire. Il est même libre de se dire qu’il écrit pour raconter : comme le dit le grand expert de l’antiquité Arnaldo Momigliano (1908-1987), pour raconter quelque chose il faut, du moins, avoir compris quelque chose46. Et comme il le dit encore, l’historien est libre de choisir les documents sur lesquels il veut travailler ; mais s’il oubliait un document essentiel, ses collègues iraient le lui rappeler, et sans doute sans bienveillance47. La liberté de l’historien s’arrête où commence l’interprétation de chaque document. Il y a un respect obligatoire pour ce que le document dit et suggère, du point de vue de la chronologie, de la paléographie, etc., aussi bien que de ce qui dit le document en soi48. Il faut l’approcher suivant les règles du raisonnement et de l’expérience et de l’honnêteté intellectuelle. Évidemment, il ne faut pas être naïf : ce qui n’est pas documenté, ou ce qui n’est que peu documenté comme le cas des vocations forcées, n’est pas forcément inexistant. Et il faut se méfier de croire que c’est qui est normal ici et maintenant, l’était aussi ailleurs et autrefois : gare aux anachronismes, en somme.

Pour moi, le métier d’historien consiste donc dans le repérage des documents, qui sont comme des cèpes dans les bois, et dans la restitution de ce qui, du passé, a disparu. En cuisinant notre plat, c’est-à-dire en écrivant, on peut choisir une façon agréable pour les lecteurs49. Il faut interpréter le document comme s’il était un épisode réel d’une vie passée. Mais, pour éviter l’aridité, comme le dit Marc Bloch, je crois encore qu’il faut toujours aller où l’on flaire la chair humaine50. Et à mon avis, comme dit Edward H. Carr, les deux vertus fondamentales et nécessaires aux historiens sont « imagination and compassion »51. Certes, c’est un fait que maintenant les gens préfèrent les romans aux livres d’histoire. Mais c’est un fait aussi que les livres d’histoire aujourd’hui (non pas les articles qui sont, à mon avis, pour les collègues et donc peuvent abuser de la patience de leurs lecteurs, qui sont en train de travailler et pas, nécessairement, de s’amuser) sont d’habitude assez ennuyeux. Mais « le grand aîné » Jules Michelet, comme l’appelait le grand Marc Bloch, n’écrivait pas pour ses collègues ou pour ses collègues seulement, et il n’était et n’est point ennuyeux52. Donc, it is up to us, c’est à nous, les historiens de maintenant, d’écrire des livres palatables pour un public qui aime déjà les romans.

Comme dans l’inceste, qui reste encore puni pénalement, selon le code italien actuel, avec une détention entre deux et huit ans (art. 564 c.p.p.), je crains les conséquences plus que les implications (pourvu qu’il s’agisse de deux adultes). Dans Le Secret de Torrenuova Agnello Hornby attribue à un de ses personnages, Titino, le petit-enfant fruit de l’inceste, une rare forme d’aveuglément due à des causes génétiques53. En d’autres mots, dans le métier de l’historien c’est la préparation avant l’écriture qui est devenue, à mon avis, le problème central : la recherche historique, comme le sait chaque professionnel de qualité, nécessite d’une immense quantité de temps pour être menée dignement. Les temps lents des archives ne correspondent plus aux temps frénétiques de la vie moderne. Les pistes documentaires qui n’aboutissent à rien (mais qui portent comme résultat celui d’exclure) peuvent prendre des mois. Lire des documents requiert des capacités auxiliaires qui demandent une formation longue. Il faut souvent connaître le latin. La rédaction des notes prend du temps. Et ce n’est pas le nombre de lecteurs, le problème : on risque de ne plus avoir d’étudiants, ni d’enseignants, par ailleurs, avec les restrictions budgétaires qui sévissent partout et les réformes universitaires qui changent le panorama des études humanistes.

Enfin, pour conclure, je dois ajouter que je ne considère pas ce que j’étudie, Tarabotti et les autres plutôt que la stricte clôture, comme inutile ou démodé. Dans le monde, les femmes restent cloîtrées chez elles ou sous leurs burkas. Elles restent discriminées dans leur éducation. Elles restent dépendantes de leurs familles au niveau économique. Elles sont encore obligées à se marier avec des hommes choisis par leurs familles, selon leur religion et leur appartenance. En Inde, aujourd’hui encore la dot est un problème brûlant. Les indiens ont dépassé le milliard : selon le dernier recensement de 2011 ils sont exactement 1 210 193 422 ; mais contre toute loi démographiques, il y a plus d’hommes que de femmes54. Il manque 50 millions de femmes. Parmi les causes – avortement sélectif des filles, infanticide, abandon, etc. – il y a ce qu’on appelle le « dowry crime », qu’on estime à environ 9 500 de cas par an55. En 1961 le Dowry Prohibition Act a interdit la dot pour les femmes56, mais la dot reste un must pour toute jeune fille qui se marie. Si la dot n’est pas satisfaisante et, surtout, si elle n’est pas payée après le mariage, il y a toujours l’accident domestique grave (d’où la façon de dire bride-burning, d’habitude des femmes qui brûlent vivantes pendant qu’elles cuisinent, ou des femmes qui se « suicident », tombant inexplicablement dans les puits ou les rivières en allant chercher de l’eau). Bien sûr, le gouvernement fait une campagne ; on écrit sur les boîtes de lait qu’on peut se marier sans dot, mais 75 % de femmes vivent à la campagne et 61 % ne sont pas alphabétisé57. Donc « ogni storia è storia contemporanea », comme le dit Benedetto Croce : l’Italie de jadis, l’Inde d’aujourd’hui58. Je trouve que tracer ce fil rouge entre le passé et le présent, faisant de mon mieux pour le couper dans le futur – même sans aller travailler aux Indes ou devenir une missionnaire – reste une tâche importante.

Notes

1 S. Agnello Hornby, Le Secret de Torrenuova, Paris, 10/18, 2011. Le titre de la version originale italienne est Boccamurata, (Milan, Feltrinelli, 2007), littéralement ‘bouche fermée’, ce qui est déjà une allusion au secret à garder. Retour au texte

2 Point de discours direct libre chez les historiens, par exemple. Voir C. Ginzburg, « L’âpre vérité. UN défi de Stendhal aux historiens », in ID., Le Fil et les traces. Vrai, faux, fictif, Paris, Verdier, 2010, p. 249-273. Retour au texte

3 Voir, dans mon ordre de lecture : S. VITALE, Il Bottone di Puskin, Milan, Adelphi, 1995 ; L. BINET, HHhH, Paris, Grasset et Fasquelle, 2010 ; G. SERENY, Into that Darkness. From Mercy Killing to Mass Murder, New York, McGraw-Hill Books Company, 1974. Vitale (née 1945), Binet (né 1972) et Sereny (née en 1921, morte 2012) appartiennent à des générations différentes. Sur l’importance que j’attribue aux générations, voir S. Evangelisti, M. Martinat, F. Medioli, C. Papa, C. Tonini, « Generations : Women’s Tradition and the Handing Down of History », Symposium. A quaterly Journal of Modern Foreign Literatures, vol. XLIX, 2, 1995, p. 130-135 ; F. Medioli, « Generazioni. Qualche nuovo spunto di riflessione », Agenda della Società Italiana delle Storiche, n° 9, 1993, p. 13‑16. Retour au texte

4 Information donnée pas l’auteure. Retour au texte

5 Voir J. Prévert, Les Enfants du paradis. Le scénario original, Paris, Arte/Gallimard, 2012, p. 164. Retour au texte

6 Voir P. Cavalli, Poesie (1974-1992), Turin, Einaudi, 1992, « L’io singolare proprio mio », p. 217-221. Retour au texte

7 Voir P. NORA, Essais d’égo-histoire, Paris, Gallimard, 1987 ; P. BOURDIEU, « L’illusion biographique », Actes de la Recherche en sciences sociales, n° 62-63, juin 1986, p. 69-72, repris dans Id., Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Seuil, 1994, p. 81‑89. Sur l’habilitation et l’implication du genre, voir F. Thébaud, « Entre parcours intellectuel et essai d’ego-histoire. Le poids du genre », Genre & histoire, n° 4, printemps 2009, mis en ligne le 01 septembre 2009, consulté le 1er février 2012 (URL : http://genrehistoire.revues.org/697). Retour au texte

8 Voir R. Barthes, Michelet par lui-même, Paris, Le Seuil, 1954 ; pour la période à laquelle il était en train d’écrire La Sorcière (décembre 1861-mars 1862), voir J. Michelet, Journal, Paris, Gallimard, 1976, vol. III (1861-1867) ; où, entre le 29 novembre 1862 et le 3 février 1863, il renvoie à l’accueil du roman dans les journaux et dans les revues. Voir le compte-rendu favorable de M. J. Milsand dans la Revue des deux mondes, vol. 40-44, p. 631-654 : « De l’imagination dans l’histoire ». Retour au texte

9 Voir, avant toute chose, les chapitres II-IX, partie II, A. Manzoni, Fermo e Lucia, rédigé entre 1821 et 1823, et jamais publié. Je cite de l’édition Bergame, Bolis, 1984, p. 160-295. Sur le succès du de la nonne de Monza, on peut voir toute une série d’études et de nouvelles historiques de mauvaise qualité comme, par exemple, M. Mazzuchelli, La Monaca di Monza, Milan, Dall’Oglio, 1961, ou R. Gervaso, La Monaca di Monza. Venere in convento, Milan, Bompiani, 1984. La réalité documentaire a été établie une fois pour toutes dans la transcription du procès, accompagnée par des essais de très haute qualité : U. Colombo (dir). Vita e processo di suor Virginia Maria de Leyva monaca di Monza, Milan, Garzanti, 1985 ; M.C. GIANNINI, « Leyva, Virginia Maria de » in Dizionario biografico degli italiani (DBI), Rome, Istituto dell’Enciclopedia Italiana, 2005, vol. 65, p. 4-8. Voir aussi de la romancière N. Ginzburg, La Famiglia Manzoni, Turin, Einaudi, 1983. Retour au texte

10 Voir la dernière version du roman, dite « quarantana » : A. Manzoni, I Promessi sposi, storia milanese del XVIIe secolo, Milan, Guglielmini e Redaelli, 1840, chapitres IX-X pour l’histoire de la petite Gertrude, qui jouait avec des poupées habillées comme des nonnes et qui devint depuis « la Signora di Monza », en part. p. 175-212, et p. 210 pour la célèbre phrase. Retour au texte

11 G. Alberigo, G.L. Dossetti, P.-P. Joannou, C. Leonardi, P. Prodi (dir.), Conciliorum œcumenicorum decreta, Bologne, Edizioni Dehoniane, 19912 (COD), Concilium Tridentinum, sess. XXV, p. 776. Retour au texte

12 Voir, pour un cas évident d’abondance documentaire, C. Ginzburg, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier du XVe siècle, Paris, Flammarion, 1980 (éd. or. 1976). Sur la micro-histoire, ID., « Microhistoire : deux ou trois choses que je sais d’elle » Quaderni storici, maintenant in Id., Le fil et les traces…, op. cit., p. 361-405. Retour au texte

13 Voir G. Conti Odorisio, Donna e società nel Seicento. Lucrezia Marinelli e Arcangela Tarabotti, Rome, Bulzoni, 1979. Retour au texte

14 Ibid., p. 27-32. Retour au texte

15 Voir F. Medioli, L’Inferno monacale di Arcangela Tarabotti, Turin, Rosenberg e Sellier, 1990 : le texte d’Arcangela Tarabotti (p. 25-107), mon introduction (p. 9-13), ainsi que mes « Nota al testo » (p. 15-24), « Chiavi di lettura » (p.109-192). Retour au texte

16 Voir F. Medioli, « Alcune lettere autografe di Arcangela Tarabotti : autocensura e immagine di sé », Rivista di storia e letteratura religiosa, XXII, 1996, 1, p. 133-141 et p. 146-155 ; Ead., « Arcangela Tarabotti’s Reliability about Herself : publication and self-representation (together with a small collection of previously unpublished letters) », The Italianist, 23, I, 2003, p. 54-101 ; Ead., « Tarabotti fra omissioni e femminismo : il mistero della sua formazione, in A. Bellavitis, N. M. Filippini, T. Plebani, Spazi, poteri, diritti delle donne a Venezia in età moderna, Verone, Quiedit, 2012, p. 221-239 ; Ead., « Tarabotti fra storia e storiografia : miti, fatti e alcune considerazioni più generali», Studi veneziani, LXVI, 2012, p. 251-276 ; Ead., « Arcangela Tarabotti : una famiglia non detta e un segreto indicibile in famiglia », Archivio veneto, sous presse (2013) ; et Ead., La Libertà rinchiusa. Vita, opere e relazioni di Arcangela Tarabotti, Rome, Viella, sous presse (2013). Retour au texte

17 Voir B. CROCE, « Appunti di letteratura secentesca inedita e rara », La Critica, III, VI, 1929, p. 478-480 ; Id., Nuovi saggi della letteratura del Seicento, Bari, Laterza, 1931, cap. XIII, « Donne letterate nel Seicento », p. 154-157, 176. Retour au texte

18 Voir E. Zanette, Suor Arcangela Tarabotti monaca del Seicento veneziano, Venice-Rome, Istituto per la Collaborazione culturale, 1960. Pour la biographie de Zanette, voir F. Coletti, « Ricordo di Emilio Zanette », Dizionario del dialetto di Vittorio Veneto, Vittorio Veneto, De Bastiani, 1980, p. IX-XV. Voir aussi E. Zanette, « Elena Tarabotti e la sua "Semplicità ingannata" », Convivium, 1, 1930, p. 49-53 ; Id., « Ancora di Elena Tarabotti », Convivium, 1, 1931, p. 124-129 ; Id., « Una monaca femminista del Seicento (suor Arcangela Tarabotti) », Atti del Reale Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, 102, 1942-1943, p. 4-83, 4-96 ; Id., « Giovan Francesco Loredan visita suor Arcangela Tarabotti », Le tre Venezie, XIX, 1944, p. 67-69. Retour au texte

19 Pour les éditions modernes des œuvres de Tarabotti : F. Medioli, L’Inferno…, op. cit., 1990 ; L. Panizza (dir.), Che le donne siano della spetie degli uomini (Women are no less rational than Men, Londres, Institute of Romance Studies, University of London, 1994 ; E. Weaver (dir.), Satira e Antisatira, Rome, Salerno, 1998 ; T. McKenney (dir.) Women are not Human. An anonymous treatise and responses, New York, Crossroad Publishing Co., 1998 ; L. Panizza (dir.), Paternal Tiranny, Chicago, University of Chicago Press, 2004 ; M. Ray, L. Westwater (dir.), Lettere, Turin, Rosenberg, 2005 ; S. Bortot (dir.), La Semplicità ingannata, Padoue, il Poligrafo, 2007 ; M. Ray, L. Westwater (dir.), Letters, familiar and formal, Toronto University Press, 2012 ; F. Medioli, L. Panizza (dir.), Monastic life as Inferno, Toronto, Toronto University Press (sous presse). Sur Tarabotti, voir aussi E. Weaver (dir.), Arcangela Tarabotti. A literary Nun in Baroque Venice, Ravenna, Longo Editore, 2006. Retour au texte

20 Voir G. Zarri, « Monasteri femminili e città (secoli XVe-XVIIIe) », G. Chittolini, G. Miccoli (dir.), Storia d’Italia, vol. X, La Chiesa e il potere politico dal Mediœvo all’età contemporanea, Turin, Einaudi, 1986, p. 381 ; F. Medioli, « Monacazioni forzate : donne ribelli al proprio destino », Clio. Rivista trimestrale di studi storici, n° 3, XXX, 1994, p. 431‑454 ; A. Jacobson Schutte, By force and fear. Taking and Breaking monastic vows in Early Modern Europe, Ithaca, Londres, Cornell University Press, 2011. Sur les monastères à Venise en particulier, voir J. Sperling, Convents and the Body Politics in Late Renaissance Venice, Londres, The University of Chicago Press, 1999 ; M. Laven, Virgins of Venice. Enclosed Life and Broken Vows in the Renaissance Convents, Londres, Penguins-Viking, 2002. Retour au texte

21 Voir G. Zarri, « Storia delle donne e storia religiosa un innesto riuscito », G. Calvi (dir.), Innesti. Donne e genere nella storia sociale, Rome, Viella, 2004, p. 149-173, en part. p. 160. Retour au texte

22 Voir F. Medioli, « Monacazioni…», cit., p. 441. Retour au texte

23 D.A.T. (mais Arcangela Tarabotti), Contro il lusso donnesco. Satira menippea contro il lusso donnesco del signor Francesco Buoninsegni con l’Antisatira D.A.T. in risposta, Venezia, Valvasense, 1644 (en 12°) ; Galerana Barcitotti (pseudonyme, pour Arcangela Tarabotti), Che le Donne siano della spetie degli huomini. Difesa delle donne, Nuremberg, I. Cherchenberger, 1651 (en 12°). Retour au texte

24 Virginia Cox l’a définie comme un « undoubted champion of the ‘armed Minervas’ of Seicento Italy » : voir V. Cox, Women’s writing in Italy 1400-1650, Baltimore, 2008, p. 211. Alberto Asor Rosa, un de parrains de l’histoire de la littérature en Italie, l’a définie comme « il caso più rilevante di intellettualità femminile nel periodo in questione » ; voir A. Asor Rosa, Storia europea della letteratura italiana, Torino, Einaudi, 2009, vol. II, Dalla decadenza al Risorgimento, p. 50-52. Retour au texte

25 Ecrivaine de profession déjà confirmée, Melania Mazzucco a été parmi les finalistes du Premio Strega (l’équivalent italien du Prix Goncourt) avec Il Bacio della Medusa en 1996, avec La Camera di Baltus en 1998, et elle a gagné le prix avec Vita en 2003. En 2008 Ferzan Ozpetek a tiré un film, Un giorno perfetto, de son roman homonyme (publié en Italie en 2005, en France en 2009) : pour ces informations voir www.lalungaattesadellangelo.it/l-autrice.shtml. Retour au texte

26 Les résultats de cette recherche historique préparatoire au roman a donné lieu à un véritable livre d’histoire : M. Mazzucco, Iacomo Tintoretto e i suoi figli. Storia di una famiglia veneziana, Milan, Rizzoli, 2009, un tome de 1 026 pages, dont 93 de notes et 26 de bibliographie. Ce livre a été vendu à 7 000 exemplaires, ce qui est énorme pour ce genre qui, du moins en Italie, a très peu de marché. Retour au texte

27 Tarabotti est largement citée dans le livre historique que Melania Mazzucco a consacré à la famille de Tintoretto : voir ibid., p. 367, 617, 618, 624, 629, 721, 726, 727, 733, 735, 737, 738, 780, 791, 796, 797, 812, et, dans les notes, p. 902, 907, 920, 922, 925, 928, 930, 931, 1005, et en part. p. 726, d’où je prends la citation : « dopo la manzoniana Virginia de Leyva la monaca più celebre del Seicento italiano e una delle sue più importanti scrittrici ». Retour au texte

28 Cela pour dire que les vocations forcées n’appartiennent pas aux problèmes spécifiques d’une époque, comme, par exemple, le divorce et l’interruption volontaire de grossesse l’était pour des jeunes femmes des années 1970. Simonetta Agnello Hornby, après avoir fait son Ph.D. à Cambridge en 1971, a été avocate à Londres, spécialiste des enfants victimes d’abus sexuels, et juge. En 2002 elle a publié pour Feltrinelli son premier roman, La Mennullara (L’Amandière, traduit dans 25 langues étrangères, et en français par Liana Levi, 2003), puis en 2004 le roman historique La Zia marchesa (La Tante marquise, - 2006), en 2007 Boccamurata (Le Secret de Torrenuova, par 10/18, en 2011), en 2009 Vento scomposto, en mai 2010 Camera oscura (Skira), en avril 2011 Un Filo d’olio (Sellerio), en février 2012, avec Maria Rosario Lazzati, La Cucina del buon gusto (de nouveau Feltrinelli), et surtout, pour nous, en octobre 2010 La Monaca, qui n’a pas été traduit en français pour l’instant. Retour au texte

29 S. Agnello Hornby, La Monaca, Milan, Feltrinelli, 2010, p. 295 : « L’ispirazione per la storia che ho raccontato in questo romanzo mi è venuta quattro anni fa. […] Poco tempo dopo ho ricevuto l’invito di Francesca Medioli per un incontro con i suoi studenti all’Università di Reading, a lei rivolgo il primo ringraziamento, perché in quell’occasione mi ha regalato un suo affascinante scritto su una monaca veneziana ; in una nota accennava a I misteri del chiostro napoletano, pubblicato nel 1864, l’autobiografia di una ex monaca, Enrichetta Caracciolo. A questa spetta il secondo ringraziamento ; le sono debitrice in particolare per le descrizioni dei cerimoniali » (traduction personnelle). Retour au texte

30 Voir E. Caracciolo di Forino, I Misteri del chiostro napoletano, Florence, Barbèra, 1864 ; EAD., Un Delitto impunito. Fatto storico del 1838, Naples, Tipografia dell’Ateneo, 1866 ; Ead., Proclama alle donne italiane, 1866 ; Ead., I Miracoli, 1874 [poèmes] ; Ead., La Forza dell’amore, 1881 [théatre] ; Ead., Un Episodio dei misteri del chiostro napoletano, 1883 [théatre]. Sur elle, d’un point de vue historique, F. SciarellI, Enrichetta Caracciolo dei principi di Forino ex monaca benedettina : ricordi e documenti, Naples, 1891 ; A. Caracciolo (dir.), La Genealogia della famiglia Caracciolo di Francesco Fabris, Naples, 1966 ; A. BRIGANTI, « Caracciolo, Enrichetta », DBI, Rome, Istituto dell’Enciclopedia Italiana, 1976, vol. 19, p. 348-349 ; A. Scirocco, « Il dibattito sulle soppressioni delle corporazioni religiose nel 1864 e i Misteri del Chiostro napoletano di Enrichetta Caracciolo », Clio. Rivista trimestrale di studi storici, 2, 1992, p. 215-233 ; F. Medioli, « Fortune e sfortune europee di una monaca per forza : Enrichetta Caracciolo di Forino », Z. G. Baranski, L. Pertile (dir.), Amicizia. Essays in honour of Giulio Lepschy, The Italianist, 17, numéro spécial, 1997, p. 413-435 ; U. Dovere, « Enrichetta Caracciolo di Forino e i misteri del chiostro napoletano », M. Guasco, A. Monticone, P. Stella (dir.), Fede e libertà. Scritti in onore di p. Giacomo Martina SJ, Brescia, Morcelliana, 1998, p. 255-276 ; Id., « La Nascita di un best-seller ottocentesco. I misteri del chiostro napoletano di Enrichetta Caracciolo di Forino », La Critica letteraria, 145, 2009, p. 767-792, qui reprend le matériau manuscrit de mon article. Retour au texte

31 A. Tarabotti, Inferno…, op. cit., p. 27 : « Ben si conviene in dono la Tirannia Paterna a quella Repubblica nella quale, più frequentamente che in qual altra si sia parte del mondo, viene abusato di monacar le figliole sforzatamente » ; E. Caracciolo, Misteri…, op. cit., p. III : « Scrivendo queste memorie nient’altro mi son proposta che confermare, quanto da me, con argomenti di fatto l’opportunità e la giustizia del decreto con il quale si sopprimono dal governo italiano i conventi […] ». Retour au texte

32 Voir D. Alighieri, Divina Comedia, Inferno, III, vv. 1-3, cité par A. Tarabotti, Inferno…, op. cit., p. 35 ; voir aussi les p. 52, 55, 73, 87, 93, 98 ; pour les autres passages de D. Alighieri, Inferno, I, vv.49-51 ; Inferno, II, 22-27 ; Paradiso, XIII, vv. 136-139 ; Inferno, XXVIII, vv. 37-39 ; Inferno, XVI, vv.24-26 ; Inferno, VII, vv. 112-114. Retour au texte

33 Ateneo Veneto-Giangiacomo Feltrinelli Editore, Ottœmezzo con il libro, 17 novembre 2010, « Incontro con Simonetta Agnello Hornby in occasione del suo nuovo romanzo La Monaca », organisé par Caterina Carpinato, que je remercie ici. Retour au texte

34 Voir J. Brown, Immodest acts. The Life of a Lesbian Nun in Renaissance Italy, New York-Oxford, Oxford University Press, 1986. Sur des cas de lesbianisme en monastère, voir par exemple Archivio Storico del Patriarcato, Venezia, Sezione antica. Sententiarum. Sententiarum criminalium, Tiepolo (1620-1628), registre 7, II, ff.85-86r-v. Retour au texte

35 Voir British Museum General Catalogue of Printed Books, London, The Trustees of the British Museum, 1955, vol. 33, c.758. Retour au texte

36 Voir Archivio storico Giunti, Firenze, Fondo Barbèra, cass. XXXIII, incart. 12, « Enrichetta Caracciolo nei Greuthen e Spiridione Zambrelli, carteggio relativo alla pubblicazione dell’opera I misteri anno 1864 (6 luglio)-1865 (8 gennaio) », Biblioteca Nazionale Firenze, Lettere, N.A., 115, 52. Retour au texte

37 Voir G. Barbera, Memorie di un editore pubblicate dai figli, Firenze, Barbera, 1883 ; P. Tentori, « Barbèra, Gasparo », DBI, 1964, vol. 6, p. 153-155. Retour au texte

38 Pour la citation (« non era alla portata di tutti, costava lire 16 » - « ce n’était pas à la portée de tout le monde, cela coutait 16 lires ») et les détails de la publication des Misteri d’un chiostro…, op. cit., voir G. Barbera, Memorie…, op. cit., p. 279-282. Retour au texte

39 Voir F. Medioli, Fortune e sfortune…, op. cit., p. 413, 428 (4). Retour au texte

40 Ibid., p. 421. Retour au texte

41 Ibid., p. 413. Retour au texte

42 Ibid., p. 413. Retour au texte

43 Ibid., p. 413. Retour au texte

44 Voir G. Bateson, Verso un’Ecologia della mente, Milan, Adelphi, 1973, p. 22‑23. Retour au texte

45 Voir L. Febvre, Combats pour l’histoire, Paris, Colin, 1953, p. 22 : « Poser un problème, c’est précisément le commencement et la fin de toute histoire. Pas de problème, pas d’histoire » ; M. Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, A. Colin, 1949, p. 51, pour le même concept. Retour au texte

46 Voir A. Momigliano, « Le regole del giuoco nello studio della storia moderna », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, serie III, vol. IV, n° 4, 1974, p. 1183-1192 ; maintenant in Id., Storia e storiografia antica, Bologne, il Mulino, 1987, p. 15-24, que je paraphrase presque entièrement ici. Retour au texte

47 Ibid., p. 21. Retour au texte

48 Le cas le plus éclatant que je connaisse est celui de Tarabotti et de la théorie de Gabriella Zarri, selon laquelle, elle n’aurait pas écrit ses œuvres, si elle n’avait pas été contrainte au monastère : voir G. ZARRI, « Presentazione », M. Ray, L. Westwater (dir.), Lettere familiari…, op. cit., p. 7-17, in part. p. 7. Retour au texte

49 Sur la cuisine dans l’histoire, voir C. Ginzburg, A. Prosperi, Giochi di pazienza. Un seminario sul “beneficio di Cristo”, Turin, Einaudi, 1975, p. 3 : « Non bisogna portare la cucina in tavola, ammoniva da qualche parte Lord Acton. Abbiamo cercato di trasgredire il più possibile questo precetto di etichetta storiografica » (« On ne doit pas amener la cuisine à table, sommait quelque part Lord Acton. Nous avons chercher à transgresser autant que possible ce principe d’étiquette historiographique »). Retour au texte

50 Voir M. Bloch, Apologie…, op. cit., p. 18. Retour au texte

51 Voir E.H. Carr, What is History?, Londres, McMillan, 1961, Ch. premier. Je cite de la traduction italienne par Carlo Ginzburg (Sei Lezioni sulla storia, Turin, Einaudi, 1966), p. 25 : « Si tratta della capacità che lo storico deve possedere di rappresentarsi e comprendere la mentalità degli uomini che studia, e i pensieri che i loro atti sottendono » (« Il s’agit de la capacité que tout historien doit avoir à se représenter et comprendre la mentalité des hommes qu’il étudie, ainsi que les pensées que leurs actes sous-tendent »). Retour au texte

52 Voir M. Bloch, Apologie…, op. cit., p. 17. Retour au texte

53 Voir S. Agnello Hornby, Le Secret de Torrenuova, op. cit., chap. 37-38. Retour au texte

54 Voir P. Macry, Introduzione allo studio della storia moderna e contemporanea, Bologna, il Mulino, 1980, p. 47 (http://worldpopulationreview.com/population-of-india). Retour au texte

55 Voir http://www.azadindia.org/social-issues/dowry-system-in-india.html. Retour au texte

56 Voir http://wcd.nic.in/dowryprohibitionact.htm. Retour au texte

57 Voir http://www.census.gov/population/international/files/wid-9801.pdf; http://www.nlm. nic.in/women.htm. Retour au texte

58 Voir, pour la citation exacte, B. Croce, La Storia come pensiero e come azione, Bari, Laterza, 1938, p. 5. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Francesca Medioli, « Littérature et histoire : un rapport incestueux (comme dans un roman de Simonetta Agnello Hornby) », Les Carnets du LARHRA [En ligne], 2 | 2013, mis en ligne le 24 septembre 2024, consulté le 20 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/larhra/index.php?id=1135

Auteur

Francesca Medioli

Francesca MEDIOLI, historienne, enseigne à l’University of Reading en Angleterre et elle est la responsable du Centre for Italian Women’s Studies. Depuis 1985 elle étudie le personnage de sœur Arcangela Tarabotti, une nonne écrivaine de Venise, s’occupant en général des moniales dans l’âge moderne, du Concile de Trente pour ce qui concerne les femmes et de la stricte clôture. Elle a fait l’édition du texte l’Inferno monacale de Tarabotti (Turin, Rosenberg et Sellier, 1990) et plusieurs articles sur cette nonne (Rivista di storia e letteratura religiosa, XXXII, 1996, 1, p. 133-141, 146‑155 ; The Italianist, 23, I, 2003, p. 54- 101 ; Studi veneziani, LXVI, 2012, p. 251-276 ; Archivio veneto, sesta serie, n.5, 2013, CXLIV, p. 105‑144 ; Genre & Histoire, 11, automne 2012 http://genrehistoire.revues.org/1750). La biographie de Tarabotti est à paraître en 2014 (La libertà rinchiusa, Roma, Viella).

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