Les persécutions subies en France par les huguenots sous Louis XIV, et plus particulièrement à partir des années 1680, la révocation de l’édit de Nantes en 1685, ont poussé des dizaines de milliers de protestants sur les routes de l’exil, vers les pays du « Refuge », malgré les interdictions royales. Sur près de 800 000 réformés vivant alors en France, on estime que 150 à 180 000 ont réussi à partir, de nombreux autres étant arrêtés avant de franchir les frontières. Il s’agit donc là d’un des plus importants phénomènes migratoires pour des raisons religieuses de l’époque moderne.
L’idée de constituer une base de données de ces réfugiés est née dans les années 1970 et a été mise en œuvre à partir de 1978, par Michelle Magdelaine, chercheur à l’Institut d’Histoire Moderne et Contemporaine (IHMC – CNRS). Le principe était de reconstituer la première génération du Refuge de la manière la plus exhaustive possible, non pas par sondages chronologiques ou par l’étude de certaines régions, mais en recueillant toutes les données disponibles sur cette population. Le point de départ a été les registres d’assistance de l’Eglise française de Francfort : cette ville où existait depuis le xvie siècle une Eglise d’origine wallonne fondée par des protestants venus des Pays-Bas espagnols, a accueilli temporairement une grande partie des réfugiés passés par l’Allemagne, leur fournissant une aide matérielle et servant de plaque tournante vers d’autres destinations. Elle a surtout, bénédiction pour les historiens, tenu à jour des registres consignant noms et prénoms, origine géographique, statut personnel, profession, état de santé, circonstances de la fuite, itinéraire, destination prévue des réfugiés, ainsi que la somme qui leur est allouée pour continuer leur voyage : au total, 46 000 notices entre 1685 et 1695, pour un peu moins de 25 000 personnes – certains individus pouvant apparaître plusieurs fois, lorsqu’ils errent en Allemagne et reviennent régulièrement demander de l’aide.
A partir de 1981, les recherches, menées à bien par un groupe de travail international, se sont étendues à d’autres archives : assistance à Londres et gratifications royales (1686-1687), assistance à Berne (1694), La Chaux-de-Fonds (1688-1694), Genève (1684-1688), La Neuveville (1684-1709), Le Nocle (1685-1724), Neuchâtel (1661-1687, 1690, 1692-1694, 1697), Saint-Gall (1683-1688), Schaffhouse (1686-1696), Yverdon (1680-1703), Zurich (1683-1686) ; registres paroissiaux de quelques Eglises anglaises, allemandes et suisses, documents de la régie des biens des religionnaires fugitifs (ne concerne que ceux, peu nombreux, dont les biens ont été saisis), recensement de réfugiés : Berlin (1698), Brandebourg-Prusse (1699), Genève (1685-1700), Lausanne (1741, 1765, 1771), Yverdon (1689-1698).
On estime habituellement la répartition des réfugiés de la manière suivante :
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Angleterre, 40-50 000, dont 10 000 repartent vers l’Irlande ou les colonies anglaises.
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Provinces-Unies, 35 000, peut-être jusqu’à 50 000, dont un petit nombre partira vers les colonies néerlandaises, notamment le Surinam ou l’Afrique du Sud (178 familles de 1688 à 1691 ; ce sont les ancêtres des Afrikaners).
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Allemagne, entre 38 000 et 44 000, dont 16-20 000 en Brandebourg-Prusse (et même seulement 13-16 000 pour certains auteurs), environ 7 000 en Hesse (surtout Hesse-Cassel), 4 000 en Franconie, 3 000 en Würtemberg.
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En Suisse (Genève compris), 60 000 personnes ont dû passer, mais moins de 20 000 s’y sont fixés.
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Danemark, 2 000.
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Russie, 600.
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Quelques familles en Suède.
On voit que les sources dépouillées jusqu’à présent pour alimenter la base de données ne couvrent pas encore tous les pays du Refuge. Actuellement la base possède 135 000 notices, ce qui correspond à beaucoup moins d’individus, étant donné les passages multiples et les doublons (une même personne peut avoir été enregistrée à Genève, puis à Francfort, à Berlin et éventuellement une nouvelle fois à Francfort). Elle est donc à compléter, mais dores et déjà on se rend compte qu’elle peut fournir des renseignements fondamentaux pour toutes sortes de recherches, aussi bien en histoire religieuse qu’en histoire sociale ou en histoire des migrations.
Cette base, réécrite en un nouveau langage grâce au pôle méthodes et à Francesco Beretta est gérée par le LARHRA, depuis 2010 après le départ à la retraite de Michelle Magdelaine et de Claude Del Vigna, qui avait réalisé la première application web du site. Elle est disponible sur le site : http://www.refuge-huguenot.fr/index.php La plupart des données sont visibles par tous les utilisateurs. Pour disposer de l’intégralité des notices, notamment de la liste des sources, il faut demander un identifiant et un mot de passe (formulaire disponible sur le site, rubrique F.A.Q.). La base est fréquemment utilisée aussi bien par des généalogistes, notamment étrangers, en quête de leurs ancêtres huguenots, que par des chercheurs travaillant principalement sur l’histoire du protestantisme et sur le Refuge. Mais elle pourrait l’être encore davantage, et dans des perspectives différentes, par exemple dans le cadre de recherches sur les migrations, sur les voyages, sur les transferts technologiques et, de manière plus ponctuelle, sur la santé des migrants, sur les stratégies d’émigration clandestine, sur la plus ou moins grande aptitude des métiers à se déplacer, sur les reconversions, etc.